Quels effets des réformes du marché du travail en Espagne? DGT. Août 2016.
"Quel premier bilan tirer de la réforme du marché du travail adoptée en Espagne ?", Lettre Trésor-Éco n°174, 5 août 2016.
Résumé
La crise économique s'est traduite par une très forte progression du taux de chômage en Espagne qui est passé de 8% en 2007 à un pic de plus de 26% en 2013. Le chômage n'a atteint de tels niveaux dans aucun autre pays de l'Union européenne pendant la crise, à part en Grèce où la contraction de l'activité a été trois fois plus forte.
Au-delà de la forte dégradation de l'activité économique, des caractéristiques propres au marché du travail en Espagne pourraient avoir contribué à cette hausse du taux de chômage pendant la crise, les entreprises disposant de marges de manœuvre limitées pour adapter les conditions de travail au cycle économique. De ce fait, l'ajustement s'est fait de manière externe menant à la destruction de 3,3 millions d'emplois, en particulier des contrats à durée déterminée (CDD).
Dans ce contexte, l'Espagne a adopté plusieurs réformes d'ampleur du marché du travail entre 2010 et 2012 afin de renforcer la flexibilité interne des entreprises et réduire la segmentation du marché du travail par l'inversion de la hiérarchie des normes (priorité aux conventions d'entreprises), l'assouplissement des modalités de rupture des contrats à durée indéterminée et la définition de critères justifiant le recours aux licenciements économiques. Dès 2010, un premier accord national interprofessionnel vise à limiter les augmentations salariales, puis un autre signé en 2012 amplifie cette dynamique de modération salariale.
Depuis la fin 2013, les créations d'emplois apparaissent dynamiques grâce notamment au rebond de l'activité et à la très faible progression des salaires. Malgré une réduction du taux de chômage depuis la fin 2013, l'Espagne détient toujours le niveau de chômage le plus élevé (20,9% fin 2015) après la Grèce.
L'effet des réformes du marché du travail sur ces créations reste difficile à évaluer compte tenu à la fois du peu de recul temporel et de l'ampleur des ajustements qui ont affecté l'économie espagnole en même temps. L'appropriation de certaines mesures reste limitée puisque les négociations au niveau de l'entreprise restent peu répandues. Toutefois, comme les latitudes nouvelles de flexibilités internes introduites par la réforme permettent aux entreprises de privilégier un ajustement à l'activité par les heures travaillées, les salaires ou l'organisation du travail plutôt que par l'emploi, il faudra attendre le prochain retournement conjoncturel pour voir si les entreprises y ont effectivement recours, préservant ainsi l'emploi.
Enfin, même s'il se résorbe à un rythme soutenu, le taux de chômage reste à un niveau élevé. Or les effets d'hystérèse risquent d'accroître de manière durable le chômage structurel, tandis que les besoins de qualification et les difficultés d'appariement sur le marché du travail risquent de freiner la baisse du taux de chômage.
Sommaire
1. Au-delà de la contraction de l'activité, la progression forte et rapide du taux de chômage pendant la crise peut avoir résulté pour partie de caractéristiques spécifiques du fonctionnement du marché du travail espagnol
1.1. La progression du taux de chômage en Espagne a été particulièrement forte et rapide pendant la crise
1.2. Des caractéristiques propres au marché du travail espagnol auraient contribué à la forte hausse du taux de chômage durant la crise
2. La réforme de 2012 couvre de nombreux champs et vise à redonner au marché du travail espagnol des capacités d'adaptation face aux évolutions de l'économie
2.1. Afin de permettre une meilleure adaptation des conditions de travail à l'environnement de l'entreprise, la réforme de la négociation collective modifie de manière significative la hiérarchie des normes
2.2. La réforme renforce les mécanismes de flexibilité interne de l'organisation du travail, en élargissant leur champ et en facilitant leur application par l'employeur
2.3. Le différentiel de coût de rupture entre CDI et CDD a été réduit par la simplification et la clarification du droit d'une part, et par la réduction des indemnités applicables en cas de licenciement abusif d'autre part
2.4. La réforme a également renforcé les incitations fiscalo-sociales à l'embauche sous la forme de contrats plus durables que les CDD
3. L'impact de la réforme sur l'emploi et le fonctionnement du marché du travail ne peut être estimé avec fiabilité à ce stade
3.1. Depuis la fin 2013, les créations d'emploi s'avèrent dynamiques en Espagne, reflétant sans doute en partie les bénéfices de la modération salariale enregistrée pendant la crise
3.2. Au-delà de l'effet des accords interprofessionnels, la forte progression du taux de chômage a vraisemblablement joué un rôle central sur la modération salariale
3.3. Malgré la prédominance légale accordée aux accords d'entreprise, le niveau supérieur reste le mode dominant d'organisation de la négociation collective
3.4. Les études menées depuis 2012 peinent à identifier clairement les effets des réformes adoptées en Espagne sur l'emploi
4. La réforme du marché du travail laisse néanmoins de côté d'importantes difficultés structurelles qui constituent des freins au retour au plein emploi
4.1. À ce stade, la réforme n'a pas encore permis de remédier au problème de la dualité du marché du travail espagnol
4.2 Même si le chômage espagnol se résorbe de manière soutenue depuis 2013, il reste extrêmement élevé ; sa baisse risque d'être retardée par les problèmes d'employabilité d'un certain nombre de chômeurs