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3 questions à Jézabel Couppey-Soubeyran sur les réformes du système bancaire

Publié le 16/09/2016
Auteur(s) - Autrice(s) : Jézabel Couppey-Soubeyran
Dans cette interview, Jézabel Couppey-Soubeyran revient sur les réformes du système bancaire mises en place depuis la crise de 2008 et nous explique pourquoi celles-ci ne sont pas allées assez loin pour permettre un réel rétablissement de la stabilité financière.

Cette ressource fait partie de notre dossier : CEPII - L'économie mondiale 2017.

Jézabel Couppey-Soubeyran (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et CEPII) a rédigé le chapitre IV "Les réformes bancaires ont-elles été poussées trop loin ?", publié dans L'économie mondiale 2017 (CEPII, La Découverte, Collection Repères, septembre 2016).

1. Comment le secteur bancaire a-t-il été réformé depuis la crise de 2008 ?

La crise enclenchée en 2007-2008 a été d'une telle ampleur que l'on pouvait s'attendre à une réforme profonde du secteur bancaire. Cela n'a pas été le cas. Pour autant, il ne serait pas juste de dire qu'il n'y a rien eu. Les réformes ont d'abord porté sur le renforcement des exigences de fonds propres avec les accords de Bâle 3 (2010) [1]. Ces exigences ont été renforcées en qualité et en quantité : les banques sont un peu plus qu'auparavant en capacité d'assumer leurs pertes. Pour la plupart d'entre elles, le minimum réglementaire est passé de 8% à 10,5% auxquels peut s'ajouter un coussin contracyclique de 0 à 2,5% de fonds propres supplémentaires (0% lorsque le crédit bancaire progresse peu, jusqu'à 2,5% en cas d'emballement du crédit repéré par les autorités de supervision). Des surcharges dites « systémiques », visant les établissements listés comme tels, s'appliquent désormais et pourront aller jusqu'à 3,5% d'exigences de fonds propres supplémentaires.

Cela va dans le bon sens car les banques souffraient avant la crise d'une insuffisance de fonds propres. Reste que la philosophie d'ensemble du dispositif n'a pas changé : l'exigence reste calculée en % des actifs risqués. Or le caractère risqué des actifs est évalué par les banques elles-mêmes lorsque celles-ci disposent de modèles internes validés par les superviseurs. Ces modèles varient beaucoup d'un établissement à l'autre et plusieurs travaux (cités par Andrew Haldane, actuel chef économiste de la Banque d'Angleterre) montrent qu'ils permettent une manipulation des pondérations, c'est-à-dire une sous-estimation des risques et des fonds propres qui vont avec. Un ratio plus simple de fonds propres rapportant l'exigence au total des actifs non pondérés (ratio de levier) empêcherait ces manipulations. Un tel ratio été introduit de manière complémentaire dans les accords de Bâle 3, mais avec un minimum de 3% [2] qui le rend peu ou pas contraignant. Andrew Haldane ou encore les économistes Anat Admati et Martin Hellwig défendent un niveau de 15% à 20% …

Avant la crise, la hausse de la dette de marché de court terme et la trop faible détention d'actifs liquides avaient considérablement fragilisé la structure financière des banques. Les exigences de liquidités incluses dans Bâle 3 vont dans le bon sens puisqu'elles tentent de remédier à ces insuffisances. Deux ratios de liquidité ont été introduits. L'un tente de rétablir la part des actifs liquides mobilisables en proportion des engagements nets des banques sur une période d'un mois environ (ratio LCR), l'autre d'augmenter la part des ressources stables en proportion des engagements pris. Les banques ont pourtant opposé beaucoup de résistance à ces deux ratios, allant jusqu'à dénoncer une profonde atteinte à leur raison d'être.

L'Union bancaire, qui réorganise la supervision des banques d'importance de la zone euro autour de la BCE et met en place un dispositif de résolution des établissements bancaires à l'échelle européenne, constitue aussi un pas important. Il faudra toutefois veiller à ce que le projet aille à son terme. A ce jour, le troisième volet prévoyant un dispositif de garantie des dépôts européenne ressemble à la préservation des dispositifs nationaux harmonisés. Un mécanisme de ré-assurance jusqu'en 2020 puis de co-assurance jusqu'en 2024 vont être mis en place, mais il ne sera pas question d'assurance dépôt européenne avant 2024.

Les dispositifs de résolution, comme celui qui fait partie du deuxième volet de l'Union bancaire sont un pan extrêmement important des réformes puisqu'ils rétablissent le bon ordre des choses : en cas de problème, actionnaires et créanciers seniors (non protégés par la garantie des dépôts) devront être mis à contribution avant les pouvoirs publics et donc aussi avant les contribuables. La chose est juste ! Ces dispositifs qui prévoient donc une clause de renflouement interne (bail-in) vont toutefois renchérir le coût des ressources de marché des grandes banques qui pouvaient auparavant profiter pleinement de la garantie d'intervention des pouvoirs publics en cas de difficulté. Ce renchérissement est normal au sens où il exprime la sensibilité au risque des créanciers des banques, alors que ces derniers avaient été totalement anesthésiés par la garantie publique. Mais les banques, qui le subissent, ne voient évidemment pas ce coût d'un bon œil.

Quant aux grandes banques, dont la nature systémique est aujourd'hui bien établie, et qui font l'objet d'un listing par le Conseil de stabilité financière [3], elles sont aussi plus réglementées et mieux surveillées qu'auparavant. Outre la surcharge systémique, il leur faut aussi satisfaire une capacité d'absorption des pertes en ayant à leur passif des ressources, au-delà des seuls éléments de capitaux propres, telles que des dettes convertibles en actions ou d'autres instruments hybrides, qui pourront être transformées le cas échéant en ressources non remboursables. Si cela va aussi dans le bon sens, le problème reste que rien ne vient agir dans ces dispositions sur les facteurs de la « systémicité » de ces établissements : pas de limite à la taille, au pouvoir de marché, à la concentration … Et ce ne sont pas les mini règles de séparation qui parviendront à défaire la structure des banques systémiques.

2. De votre point de vue, ces réformes sont donc allées dans le bon sens, mais pas suffisamment pour réguler le système bancaire et éviter le risque systémique. Vont-elles être poursuivies, approfondies ?

Le risque est grand malheureusement et paradoxalement que l'on assiste à une pause, voire même à un relâchement, en matière de réglementation bancaire. Le discours prononcé par le Britannique Jonathan Hill en mai 2016, alors qu'il était encore Commissaire européen aux services financiers (c'était peu avant la décision du Brexit), en témoigne. Il avait notamment déclaré qu'il comprenait « le besoin d'une période de calme législatif », que le temps était venu de « faire le point », de « vérifier si nous pourrions atteindre les mêmes objectifs de régulation d'une façon plus favorable à la croissance ». En clair, Jonathan Hill proposait une pause réglementaire en matière de services bancaires et financiers, au point d'ailleurs d'amener bon nombre d'observateurs à se demander si l'on n'avait pas poussé trop loin les réformes bancaires, si ce n'était pas là la cause de la faible croissance européenne … Joli tour de force si l'on peut dire sachant que la question raisonnable est bien entendu celle de savoir si on est allé « assez » loin. Et la réponse est clairement non. S'arrêter en chemin ne fera que renforcer le risque d'une prochaine crise financière. 

3. Quelle est la responsabilité des banques dans l'insuffisante portée de ces réformes ?

Les banques auraient pu faire amende honorable et accepter, en réparation de la crise dont elles sont en partie responsables, des mesures certes coûteuses pour le secteur – il ne s'agit pas de le nier - mais bénéfiques pour la collectivité car permettant de renforcer la solidité du secteur et de réduire le risque d'instabilité financière. Il n'en a pas été ainsi. Les banques n'ont cessé d'opposer une résistance à coup d'arguments qui relèvent d'une rhétorique réactionnaire [4]. C'est cette rhétorique que j'ai analysée dans mon livre Blablabanque. Le discours de l'inaction (2015). Non pas pour alimenter le « bankbashing », car les banques – dès lors qu'elles remplissent les missions qui font leur raison d'être – sont nécessaires au bon fonctionnement d'une économie, mais pour montrer qu'il s'agit d'une arme de capture de nos gouvernants, sensibles à l'argument que renforcer la réglementation bancaire a des « effets pervers » tels que la croissance du shadow banking [5], que certaines dispositions « ne servent à rien » ou qu'elles pourraient « mettre en péril » le financement des entreprises et la croissance. Ces arguments sont purement rhétoriques et ne résistent pas aux études sérieuses menées sur le sujet, je pense tout particulièrement à celles menées à la Banque des règlements internationaux. A résister comme elles le font, les banques prennent à mon avis le risque de s'exposer à un retour de balancier si une nouvelle crise venait à éclater : peut-être basculera-t-on, alors, vers des propositions radicales qui satisferont la vindicte populaire mais qui ne rétabliront pas forcément la stabilité financière. Ces propositions sont d'ores et déjà présentes dans les débats et tournent autour du retrait du pouvoir de création monétaire que les pouvoirs publics délèguent aux banques, du moins de l'adosser complètement sur les réserves des banques auprès de la banque centrale. Or, est-ce cela qui permettra de réorienter le crédit vers le financement des entreprises, de réguler le cycle du crédit, de supprimer parmi les activités de marché des banques celles qui sont purement spéculatives et n'apportent rien à l'économie, de réduire la taille des établissements bancaires, la concentration du secteur autour de quelques géants, … ? Pas sûr du tout ! Or passer à côté de ces questions, c'est s'éloigner encore un peu plus de ce qui est nécessaire au rétablissement de la stabilité financière.

Propos recueillis par Anne Châteauneuf-Malclès pour SES-ENS.


Notes :

[1] Ces accords ont été transposés par l'UE dans la directive CRD IV (2013) et un peu plus tardivement par les États-Unis, déjà forts occupés par les règlements d'application de la loi Dodd Franck (2010).

[2] C'est-à-dire (fonds propres / total des actifs) > 3%.

[3] Au mois de novembre 2015, 30 groupes bancaires systémiques figuraient sur cette liste, dont la moitié en Europe et 4 en France.

[4] Grâce à un lobbying intense auprès du Comité de Bâle, les banques ont obtenu un desserrement des contraintes de liquidité et un report dans le temps de certaines exigences de ratio. 

[5] Le shadow banking est un ensemble mouvant (d'une définition à l'autre) d'institutions non bancaires (hedge funds, véhicules de titrisation, fonds d'investissement, …) qui échappent à la réglementation bancaire alors qu'elles réalisent des activités de crédit et de transformation assimilables à celles des banques.


Pour aller plus loin : 

Jézabel Couppey-Soubeyran, "Les réformes bancaires ont-elles été poussées trop loin ?", L'économie mondiale 2017, La Découverte, coll. Repères, sept. 2016.

Jézabel Couppey-Soubeyran, Blablabanque. Le discours de l'inaction, Michalon, sept. 2015.

Jean-Paul Pollin et Jean-Luc Gaffard, "L'Union bancaire européenne", L'économie française 2015, La Découverte, coll. Repères.

Céline Antonin et Vincent Touzé, "Les banques françaises : entre crise de la zone euro et nouveaux défis"L'économie française 2011, La Découverte, coll. Repères.

 

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