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Dépassée, la démocratie représentative est-elle dépassable ?

Publié le 10/12/2015
Auteur(s) - Autrice(s) : Anne Levade
Ce texte de la juriste Anne Levade (Université Paris-Est Créteil) s'interroge sur les modèles démocratiques alternatifs à la démocratie représentative et analyse les innovations introduites dans notre système démocratique selon deux angles différents, l'un privilégiant la participation des gouvernés, l'autre le gouvernement de la société politique. Il a été écrit pour le débat "La démocratie au-delà de la représentation", lors de la quatrième édition de "Mode d'emploi : un festival des idées", organisé par la Villa Gillet à Lyon et dans la région Rhône-Alpes du 16 au 29 novembre 2015.

Texte écrit par Anne Levade pour le débat "La démocratie au-delà de la représentation" du 19 novembre 2015.
Dans le cadre de la quatrième édition de Mode d'emploi : un festival des idées (16-29 novembre 2015), organisé par la Villa Gillet en coréalisation avec Les Subsistances, avec le soutien du Centre national du livre, de la Région Rhône-Alpes et de la Métropole de Lyon.

Anne Levade est professeur de droit public à l'Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne, Présidente de l'Association française de droit constitutionnel et Présidente de la Haute Autorité du parti Les Républicains. Spécialiste de droit constitutionnel, elle a notamment travaillé sur l'évolution du statut pénal du chef de l'État, sur la réforme constitutionnelle de 2008 et sur le droit des primaires dans les partis politiques. Elle est l'auteur, entre autres, de : L'Élection présidentielle, avec B. Mathieu et D. Rousseau (Dalloz-Sirey, 2013) et L'Identité à la croisée des États et de l'Europe, avec R. Mehdi, V. Michel et M. Stéfanini (Bruylant, 2015).


À tort ou à raison, le modèle de la démocratie représentative, selon lequel sont organisés depuis plus de deux cents ans les systèmes constitutionnels à travers le monde, est présenté comme moribond. Le diagnostic serait sans appel et les symptômes connus : hausse continue du taux d'abstention, déficit de représentativité des élus, déconnexion des gouvernés et des gouvernants, discrédit général de la classe politique, et bien d'autres si connus qu'il est inutile de les énumérer.

Dit autrement, la démocratie représentative aurait vécu et, faute pour elle d'incarner «le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple», il faudrait a minima la repenser, voire lui substituer purement et simplement un modèle qui, à l'évidence, resterait à imaginer. C'est à ce stade, déjà, que les choses se compliquent.

En effet, la démocratie représentative n'est pas le seul modèle de démocratie connu. C'est donc sciemment qu'il a été préféré aux autres car considéré comme présentant a priori moins de défauts. Préféré, d'abord et avant tout, à la démocratie directe dont on sait qu'elle est, dans sa forme continue, au mieux une utopie et au pire une illusion dès lors qu'il n'est pas imaginable que l'ensemble des textes soit, en tout temps et en tout lieu, débattu par l'ensemble des citoyens d'une société politique donnée. Préféré, également, au modèle hybride que constitue la démocratie semi-directe puisque le recours aux procédures qui la caractérisent – initiative et véto populaires et référendum – présente, en pratique, plus d'inconvénients que d'avantages et, surtout, est insuffisant à enrayer les critiques à l'égard d'un modèle qui demeure structurellement représentatif.

Bref, dépassée, la démocratie représentative n'aurait pour autant pas nécessairement d'alternative connue et c'est bien d'une transformation profonde qu'il faudrait penser les fondements.

On en vient ainsi à l'imagination.

Premier constat : les concepteurs – toutes catégories confondues – de la démocratie en France n'en manquent pas. En témoigne le nombre sans égal dans le monde de constitutions que nous avons connu. Leur aspiration est en tout temps identique : imaginer le système institutionnel idéal, spécialement à l'aune d'une société démocratique.

Deuxième constat : si la quête d'idéal demeure à l'évidence vivace, le principe de réalité a conduit à considérer que les changements répétés de régimes présentaient de réels inconvénients. C'est donc désormais dans une logique de démocratisation, souvent confondue avec un objectif de modernisation, que, à régime constitutionnel constant, on s'interroge le plus couramment sur les évolutions possibles et souhaitables. Ceux-là même qui prônent une VIème République n'envisagent en général pas de renoncer à l'élection du président de la République au suffrage universel direct qui, considéré comme un «acquis démocratique», est pourtant le dispositif qui a modifié le plus profondément l'équilibre institutionnel qui est le nôtre.

C'est donc le plus souvent les exemples étrangers qui sont sollicités et incitent à des réformes institutionnelles ou, plus simplement, à une transformation des pratiques politiques. Le référendum d'initiative minoritaire introduit par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 illustre la première hypothèse tandis que le développement des primaires en vue de la sélection des candidats qu'un parti soutiendra en vue d'une élection –notamment présidentielle –  est emblématique de la seconde.

Pris à dessein, ces exemples révèlent une tendance en même temps qu'ils suscitent des interrogations.

D'une part, la tendance : la démocratisation du système institutionnel se veut protéiforme, conduisant à la multiplication des propositions de réformes juridiques, en général sur la base de rapports d'experts, en même temps qu'à un changement de pratique des acteurs.

D'autre part, les interrogations : elles tiennent à ce que l'on entend par démocratie et, sur la base de cette définition, à ce que, en son sein, on privilégie.

La démocratie est, pour le juriste, un régime politique dans lequel le peuple dispose de la souveraineté, c'est-à-dire dans lequel le pouvoir appartient au peuple qui l'exerce directement ou par ses représentants. Intrinsèquement lié au pluralisme politique, il suppose que le citoyen ait la liberté de choisir entre plusieurs options et accepte, une fois le choix opéré, le principe majoritaire. Ce faisant, la démocratie suppose la participation des citoyens qui, une fois le choix majoritaire opéré, pourront se réclamer de la majorité ou de l'opposition. Les opinions des uns et des autres étant – sauf dérives sanctionnables – également respectables et légitimes, elles doivent pouvoir s'exprimer dans le cadre du débat. D'où l'ambition de rétablir le lien entre gouvernés et gouvernants qui seul garantit que, en démocratie, le peuple se gouverne bien lui-même. Mais, la démocratie est avant tout un mode de gouvernement et, en cela, suppose une présomption de légitimité de la décision souveraine sans laquelle le régime, faute de parvenir à sortir du débat, n'est plus de gouvernement.

On en vient alors, et pour conclure, à la question centrale. L'imagination fût-elle sans borne, toute novation à visée de démocratisation doit être analysée à l'aune de la possibilité qu'elle offre de garantir qu'une société politique pût effectivement être gouvernée. Le gouvernement effectif impose qu'une décision pût in fine être prise et que les conditions de son adoption garantissent sa légitimité autant que son efficacité. La démocratie représentative a longtemps semblé seule à même de présenter ces qualités : la décision, légitime puisque prise par ceux auxquels les citoyens ont donné mandat pour ce faire, était en outre efficace, des procédures garantissant qu'elle pût être prise dans des conditions de délais adaptables en fonction de l'objectif visé. L'invention d'un modèle visant à pallier le déficit de légitimité ou à relégitimer la décision, si elle est louable autant que salutaire, doit être assortie de la conscience qu'une décision doit pouvoir être adoptée. Ce n'est qu'à cette condition que l'on doit imaginer une nouvelle forme de démocratie ; sinon, fût-elle dépassée, la démocratie représentative n'en demeurerait pas moins indépassable car seule à même de permettre qu'un État fût gouverné !

Anne Levade, Le Huffington Post/Festival Mode d'emploi, Novembre 2015

Cet article a également été publié dans Le Huffington Post.

 

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