Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Navigation
Vous êtes ici : Accueil / Articles / La sur-responsabilisation des filles dans "l'éducation à la sexualité"

La sur-responsabilisation des filles dans "l'éducation à la sexualité"

Publié le 15/12/2014
Auteur(s) - Autrice(s) : Viviane Albenga
Marie-Carmen Garcia
Compte rendu de la communication de Viviane Albenga et Marie-Carmen Garcia au Symposium "Ecole des filles, Ecole des femmes", centrée sur rôle assigné aux filles dans la construction des normes sexuelles et amoureuses à l'école et le modèle de couple (hétérosexuel, complémentarité des sexes) valorisé par les professionnels de l'éducation. Alors que les attentes sont très fortes vis-à-vis des filles pour la promotion d'un certain modèle de relations amoureuses et pour la prévention des violences entre élèves, les garçons sont rarement mis en question par les encadrants de l'institution scolaire dans les relations de drague et de séduction.

Cette ressource fait partie du dossier : École des filles, École des femmes.

Résumé de la communication : Le rapport à la sexualité des élèves est un questionnement contemporain de la mise en place de différentes approches successives de «l'éducation à la sexualité» dans les collèges et les lycées depuis 1998. Or les modalités institutionnelles participant désormais à la construction des normes amoureuses et sexuelles révèlent une sur-responsabilisation des filles dans la représentation des relations amoureuses «légitimes» d'une part, et dans la prévention des violences entre élèves d'autre part. Le rôle pacificateur des filles dans l'institution scolaire s'étend ainsi bien au-delà de la salle de classe et des attendus strictement scolaires. Pour le montrer, nous nous appuierons sur deux volets d'enquête de la recherche ANR: "Pratiques genrées et violences entre pairs : les enjeux socio-éducatifs de la mixité au quotidien". 

Compte rendu :

La communication de Viviane Albenga (post-doc, Triangle, ENS de Lyon) et Marie-Carmen Garcia (PRISSMH/SOI, Université de Toulouse 3) était centrée sur la construction de normes sexuelles et amoureuses à l'école, via les représentations et les discours des professionnels de l'école (chefs d'établissement, enseignants...) et les actions institutionnelles d'éducation à la sexualité.

L'analyse des discours des chefs d'établissement et des acteurs institutionnels montre que, quels que soient les établissements (dans tous les milieux sociaux), les filles sont soumises à une fine catégorisation séparant les "vertueuses" des autres, à partir notamment de leur tenue vestimentaire et de leur attitude vis-à-vis des garçons. Les figures négatives de la féminité sont les filles "aguicheuses", considérées comme responsables des émois des garçons, les filles "bagarreuses" à cause de rivalités sexuelles, ou encore les "intellos" peu séduisantes et peu sociables. Les figures positives sont en concordance avec les représentations romantiques de l'amour et l'idéologie de la complémentarité entre les sexes, la fille valorisée étant celle qui sait calmer les garçons sans être pour autant masculinisée. Ainsi, alors que les attentes sont très fortes vis-à-vis des filles pour la promotion d'un certain modèle de relations amoureuses et pour la prévention des violences entre élèves (avec par exemple des interdits vestimentaires plus stricts pour les filles), les garçons sont rarement mis en question par les encadrants de l'institution scolaire dans les relations de drague et de séduction.

Les dispositifs d'éducation à la sexualité sont également très imprégnés de l'idéologie de l'égalité des sexes dans la différence. Les deux sociologues ont enquêté sur un dispositif initié par le planning familial en Seine Saint-Denis, qui s'inscrit au départ dans un programme de lutte contre les violences envers les femmes. Ce dispositif utilise la technique du "théâtre-forum", développée par la Compagnie du Théâtre de l'Opprimé. Celle-ci consiste à faire émerger la parole à partir d'un jeu théâtral interactif reposant sur de courtes scènes qui évoquent des situations de blocages, de conflits, de violences, de mise en difficulté d'adolescents ou d'adultes dans la vie quotidienne. Le but final est d'expérimenter sur scène des solutions possibles grâce à l'intervention des spectateurs. En faisant réagir les adolescents à ces scénettes, l'objectif visé est d'abord une prise de conscience féministe du côté des filles (domination masculine, sexisme, violences envers les femmes). Néanmoins, dans la poursuite du programme, lorsque les groupes d'adolescents doivent produire des petits films proposant des solutions à la fin, leur travail est très encadré et orienté vers la promotion implicite du modèle du couple hétérosexuel et de la complémentarité entre les deux sexes. La figure masculine valorisée est celle du garçon gentil, masculin sans être viril ni violent, et anti-sexiste. Les filles sont toujours vues comme responsables de la violence masculine à leur égard et le message qui leur est transmis est qu'elles doivent s'en protéger en choisissant un conjoint non violent. Il n'est jamais proposé aux adolescents de représentation de l'homosexualité. En outre, le problème de la violence conjugale qui est au centre de ces programmes s'avère peu en phase avec les problématiques des relations amoureuses adolescentes caractérisées par l'absence de formalisation du couple et une forme d'acceptation des violences amoureuses entre filles et garçons.

Au final, le modèle du couple hétérosexuel, l'idéologie de la complémentarité des sexes, et la responsabilité attendue des filles dans la sexualité des jeunes se retrouvent à la fois dans les représentations et les discours des encadrants en milieu scolaire interrogés et dans celles des professionnels de la sexualité convoqués par l'école.

Mots-clés associés :