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Lancement de la Bibliothèque idéale des sciences sociales-Bi2S

Publié le 18/05/2014
La "Bi2S" est un projet ambitieux de rééditions électroniques et imprimées de grands ouvrages de sciences sociales lancé en mars 2014. Elle vise à permettre au plus grand nombre de découvrir ou de redécouvrir les grands textes classiques qui ont marqué les différentes disciplines des sciences sociales (sociologie, histoire, géographie, économie, science politique, etc.). Cet article présente les objectifs et les moyens de la Bibliothèque idéale des sciences sociales, en proposant notamment une interview de Pierre Mercklé, son directeur.

Depuis mars 2014, les sciences sociales ont un nouveau portail d'édition électronique : la Bibliothèque idéale des sciences sociales. La "Bi2S" est un projet ambitieux de rééditions électroniques et imprimées de grands ouvrages de sciences sociales, afin de permettre au plus grand nombre de découvrir ou de redécouvrir les grands textes classiques qui ont marqué les différentes disciplines des sciences sociales (sociologie, histoire, géographie, économie, science politique, etc.). Elle a aussi vocation à diffuser des livres et des textes de références plus récents qui sont épuisés ou difficilement accessibles. La collection de la Bibliothèque idéale des sciences sociales est publiée par les éditions de l'ENS de Lyon sur OpenEdition, le portail de ressources électroniques en sciences humaines et sociales, en partenariat avec l'ENSSIB, le Centre Max Weber et le laboratoire Triangle. Elle est dirigée par Pierre Mercklé et animée par une équipe de l'ENS de Lyon et du Centre Max Weber. Tous les titres édités par la Bi2S sont consultables en accès libre et gratuit sur le site de la collection. Les textes originaux des œuvres rééditées sont systématiquement accompagnés d'une nouvelle préface écrite par un ou une spécialiste.

Avec la Bi2S, un nouveau pas est franchi dans l'entreprise de faire lire et relire les sciences sociales. Le portail Liens Socio, puis la revue en ligne Lectures, mettent à disposition depuis presque dix ans des comptes rendus et des notes de lecture critiques des publications récentes dans les différents domaines des sciences sociales, un outil précieux pour tout lecteur souhaitant être informé de l'actualité des livres et revues en sociologie et dans d'autres disciplines des sciences humaines et sociales. Etudiants, enseignants, chercheurs pourront désormais élargir leur connaissance de la littérature en sciences sociales en accédant à des textes originaux et des ouvrages essentiels dans leur intégralité grâce à la Bibliothèque idéale des sciences sociales.

Bi2S : Présentation détaillée sur OpenEdition Books.

Lire également la présentation de la Bi2S sur Lectures.

Afin de mieux saisir l'organisation et la vocation de la Bibliothèque idéale des sciences sociales, nous avons posé quelques questions à Pierre Mercklé qui est à l'initiative de ce nouveau projet collectif.

Entretien avec Pierre Mercklé, directeur de la Bibliothèque idéale des sciences sociales

Quelle est l'origine et l'ambition du projet de la Bi2S ?

Le projet a éclos il y a dix ans, lorsque Pierre Mounier, aujourd'hui directeur-adjoint du portail Open Edition, était enseignant à l'ENS de Lyon en charge du développement des humanités numériques. L'idée était de développer un outil qui permette d'accéder à des textes anciens pas toujours facilement disponibles, mais considérés comme importants pour la culture des étudiants, des enseignants et des chercheurs en sciences sociales... sachant que le travail en sciences sociales se fonde largement sur la connaissance de la littérature et de l'histoire des disciplines. A l'époque il existait déjà des outils comme Gallica, la bibliothèque numérique de la BNF, ou la plate-forme québécoise les Classiques des sciences sociales mettant à disposition gratuitement des œuvres en sciences sociales de langue française. Ces outils sont très utiles en raison du corpus très impressionnant qu'ils proposent, mais ils sont techniquement assez limités. Par exemple, dans les Classiques des sciences sociales, les textes ne sont disponibles qu'en téléchargement aux formats word, pdf ou rtf, et il n'est pas possible d'effectuer une recherche plein texte à partir du site. Les métadonnées des contenus mis en ligne ne sont pas de très bonne qualité, par conséquent les documents sont mal indexés par les moteurs de recherche comme Google. Par ailleurs, les publications ne respectent pas toujours les droits d'auteur (y compris ceux des traducteurs).

Avec la Bi2S, notre volonté est d'offrir un outil techniquement plus performant (avec lecture sur liseuse numérique par exemple) et d'être très scrupuleusement respectueux du droit de la propriété intellectuelle et des règles qui régissent le domaine public, ce qui est également la ligne de conduite de nos partenaires (Enssib, Open Edition), et cela même si ça n'est pas forcément très simple ! Ce projet s'inscrit dans la continuité (et en complémentarité) d'autres projets comme Lien Socio et Lectures, avec pour objectif de donner accès au plus grand nombre aux produits des sciences sociales et aux connaissances accumulées dans les disciplines, mais toujours dans le souci du respect du travail des chercheurs et des auteurs.

Pourquoi une bibliothèque "idéale" des sciences sociales ?

A l'origine le projet s'appelait "la bibliothèque des sciences sociales", mais le titre a été déposé entre temps par les éditions Garnier pour une collection dirigée par Philippe Steiner et François Vatin. Nous avons donc ajouté le terme "idéal" qui prenait deux sens dans notre projet. Il renvoyait d'abord au corpus idéal de ce que devrait lire tout étudiant, chercheur, enseignant en sciences sociales pour sa culture générale. Notre ligne de conduite éditoriale devait en effet consister à repérer dans toutes les œuvres qui sont dans le domaine public ou qui y entrent chaque année (70 ans après le décès d'un auteur) ce qu'on estime faire partie du "patrimoine" des sciences sociales. Mais "idéal" signifiait aussi pour nous quelque chose qui existe dans les esprits, l'imagination, mais pas dans la réalité, comme le paletot de Rimbaud dans son célèbre poème Ma bohème. La bibliothèque est restée longtemps "idéale" car elle n'arrivait pas à devenir réelle ! On avait du mal à faire aboutir le projet.

Marin Dacos, fondateur et directeur du Centre pour l'édition électronique ouverte (Cléo, qui développe le portail Open Edition), notre principal partenaire, disait qu'il fallait deux semaines pour mettre en ligne un carnet de recherche dans Hypothèses, deux mois pour mettre en ligne une revue sur Revue.org, et deux ans pour mettre en ligne une collection de livres électroniques. En réalité, il a fallu beaucoup plus de temps ! L'édition électronique ne va pas forcément plus vite que l'édition papier. Les questions éditoriales, scientifiques et économiques n'y sont pas plus simples. Cela nécessite des négociations parfois complexes avec de nombreux partenaires, notamment sur les questions de droit. La numérisation, la relecture, la correction des livres peuvent prendre aussi beaucoup de temps. S'attaquer comme c'est prévu aux six volumes de L'Homme et la terre d'Elisée Reclus, qui est un des fondements de la géographie moderne, est une entreprise de longue haleine.

Comment se fait le choix des titres édités dans la Bi2S ?

La sélection des titres édités est réalisée par un comité scientifique qui rassemble une douzaine de spécialistes dans toutes les disciplines des sciences sociales[1] : sociologie, histoire, géographie, économie, sciences politiques, anthropologie, sciences de l'éducation... Notre conception des sciences sociales est très large puisqu'elle inclut aussi les études littéraires ou la philosophie des sciences. Chacun des membres du comité scientifique nous indique quelles sont les œuvres incontournables de sa discipline qui sont dans le domaine public. Ainsi, les deux premiers livres édités en histoire, ceux de Langlois et Seignobos, ont été choisis par Claire Zalc parce qu'ils constituent l'une des pierres fondatrices de l'historiographie moderne. De la même façon, nous souhaitons publier des auteurs fondamentaux comme Durkheim en sociologie. C'est le premier guide qui oriente nos choix, mais notre politique éditoriale ne s'arrête pas là.

Nous choisissons en second lieu des œuvres qui nous paraissent importantes mais qui ont pu être négligées. La Bibliothèque vise aussi à faire redécouvrir des auteurs et des textes au gré des passions des membres du comité scientifique. Elisée Reclus pourrait rentrer dans cette catégorie de travaux très importants mais un peu sous-estimés. C'est pourquoi Yann Calbérac, le géographe du comité scientifique, a eu envie de rendre accessibles ses travaux. L'ouvrage de Pierre Duhem, physicien et théoricien des sciences, sur la théorie de la physique est aussi un choix passionné de collègue qui nous a convaincus.

La troisième façon de faire rentrer des titres dans la collection est de saisir les opportunités qui se présentent à nous. Cela nous permet de rééditer des textes plus récents, qui ne sont pas forcément dans le domaine public, mais dont les auteurs vont nous céder volontiers les droits. Il peut s'agir de livres classiques ou pas, en tout cas de livres importants ou passionnants qui ont leur place dans une bibliothèque idéale des sciences sociales. C'est le cas par exemple de l'ouvrage de Pierre Macherey, Pour une théorie de la production littéraire (1974), de celui de Jean-Claude Passeron et Emmanuel Pedler, Le temps donné aux tableaux (1991), des deux volumes d'Anthropologie(1967) d'Edward Sapir qui sera introduit par Christian Baudelot, etc. Ces livres peuvent avoir une vingtaine ou une trentaine d'années, parfois moins, comme le "Que sais-je" de Philippe Cibois sur Les méthodes d'analyse d'enquête dont la version Puf de 2007 est épuisée et qu'il nous paraît important de rendre à nouveau accessible.

Sous quelles formes vont être publiés les titres de la Bi2S ?

Tous les titres seront publiés en version électronique, avec plusieurs formats. Ils seront d'abord disponibles librement et gratuitement en format html ; on pourra donc lire en ligne tous les textes intégraux, sur la plate-forme d'Open Edition books dans l'espace ENS éditions. Nous proposons aussi, pour chacun des titres de la collection, des formats portables, autrement dit enregistrables sur ordinateur, liseuse ou tablette, et imprimables, qui sont eux payants : un format PDF, un format pour liseuse électronique, un format EPUB pour la lecture de livres numériques sur tablette ou smartphone.

Ensuite, nous allons tenter l'expérience de publier un certain nombre de titres en version imprimée. Deux titres sont d'ores et déjà disponibles "en papier" : Pour une théorie de la production littéraire (1974) de Pierre Macherey, et Historiographie de la littérature belge. Une anthologie (2014). Suivra bientôt le livre de Marcel Roncayolo, L'imaginaire de Marseille (1990). Le choix d'une édition imprimée dépendra des livres, de leur intérêt ou de leur chance d'être vendus sous ce format, et également des subventions obtenues sur certains titres.

A quel rythme vont se faire les publications ?

Notre souhait est de publier des titres nouveaux chaque mois, mais pour l'instant nous ne sommes pas encore capables d'avoir des routines de production garantissant une sortie mensuelle. Actuellement, aux quatre premiers livres édités au lancement de la bibliothèque en mars se sont ajoutés deux autres titres en mai, quatre ou cinq livres sortiront ensuite à l'automne, ce qui devrait faire une moyenne d'un titre par mois. C'est à peu près le type de cadence visé.

Pouvez-vous donner quelques précisions sur les premiers titres parus dans la bibliothèque ?

Nous avons édité deux livres historiques de Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos, écrits au tournant du XXe siècle, qui portent sur la méthode et l'épistémologie historique. Ce sont des livres qui ont été pas mal discutés au cours du XXe siècle, notamment par l'école des Annales, mais que beaucoup d'historiens invitent depuis 10-15 ans à relire et redécouvrir, et qui se sont imposés comme des piliers de l'historiographie moderne. Nous les republions, comme c'est le cas de tous les titres de la collection, avec des préfaces inédites. Introduction aux études historiques de Langlois et Seignobos est préfacé par Gérard Noiriel et La méthode historique appliquée aux sciences sociales de Seignobos par Antoine Prost. Ces préfaces visent à montrer l'importance et la modernité de cette façon qu'ont eu Langlois et Seignobos de définir la méthode de la recherche historique il y a plus d'un siècle, en mettant au centre de celle-ci le principe du travail sur archives.

Le troisième titre édité est le volumineux livre de Clément Juglar, Des crises commerciales et de leur retour périodique en France, en Angleterre et aux États-Unis (1862 et 1889). Juglar est l'un des premiers économistes, sinon le premier, à avoir découvert l'existence de cycles dans l'activité économique, des cycles d'une certaine fréquence auxquels Schumpeter, qui a souligné le caractère novateur de son analyse, a donné le nom de Juglar. Il a aussi initié la méthode empirique en économie à partir de l'observation de séries temporelles. Pour Ludovic Frobert, économiste et directeur de recherche au CNRS, qui introduit ce livre de la collection, c'est assurément un livre important de l'économie telle qu'elle émerge de l'économie politique traditionnelle et telle qu'elle se construit à la fin du XIXe siècle.

Le quatrième titre, Les méthodes d'analyse d'enquête de Philippe Cibois, fait partie de cette catégorie des opportunités dont on a pu profiter. Il s'agit à l'origine d'un "Que sais-je" paru en 2007 que les éditions des PUF n'ont pas souhaité rééditer et qui est épuisé. Philippe Cibois a donc récupéré les droits de son livre et nous les a volontiers cédés. Ce livre, dont j'ai rédigé la préface ("le goût des statistiques"), défend une conception de la pédagogie des statistiques en sciences sociales qui me semble essentielle, à savoir que l'important est d'être capable se servir des statistiques et de les comprendre, mais qu'il n'est pas nécessaire d'être mathématicien pour les utiliser. Philippe Cibois s'est efforcé de redonner le goût des statistiques aux étudiants paralysés par l'«angoisse des mathématiques» et ce livre très accessible est exemplaire de ce souci de démocratisation des méthodes quantitatives. En 126 pages, il prend par la main ceux qui veulent découvrir les méthodes d'analyse des données et les guide pas à pas, avec patience, pédagogie, à partir d'exemples et quasiment sans formalisation mathématique, jusqu'à une compréhension intime des méthodes quantitatives. Sans être des spécialistes des mathématiques, les étudiants, chercheurs, enseignants en sciences sociales qui souhaitent s'attaquer à l'analyse factorielle des données disposent à présent avec ce texte d'un outil gratuit, en ligne, permettant de résoudre pas mal de problèmes, une forme de tutoriel d'une certaine façon. Offrir ce type d'outil, de guide en ligne, fait aussi partie de la vocation de la Bi2S.

Quels sont les titres en préparation ?

Les deux titres publiés au mois de mai 2014 sont Pour une théorie de la production littéraire (1974) de Pierre Macherey, et Historiographie de la littérature belge. Une anthologie (2014), dirigé par Björn-Olav Dozo, un sociologue belge qui est membre du comité scientifique de la bibliothèque, et par son collègue François Provenzano. Il s'agit avec ce deuxième titre de réunir une anthologie des articles qui ont marqué les études ou les sciences sociales de la littérature en Belgique. Il incarne bien cette vocation de la Bi2S de faire redécouvrir des textes peu lus mais pourtant importants, car ils ont été, historiquement, à l'origine de la constitution d'un champ.

D'autres titres sont en cours de publication et devraient être édités avant la fin de l'année 2014 : Marcel Roncayolo, L'imaginaire de Marseille (1990) ; Edward Sapir, Anthropologie (1967) ; Emile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse (1913) ; Paul Vidal de la Blache Paul et Emmanuel de Martonne, Principes de géographie humaine (1922).

Par la suite, nous aurons probablement, au début de l'année 2015, la réédition du livre de Jean-Claude Passeron et Emmanuel Pedler, Le temps donné aux tableaux (1991), celle des 6 tomes de L'homme et la terre (1905-1908) d'Elisée Reclus, puis d'autres titres à venir en science, en littérature, et quelques autres projets.

 

Propos recueillis par Anne Châteauneuf-Malclès pour SES-ENS.


Note :

[1] Voir la liste des membres du comité scientifique.