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L'enseignement universitaire de l'économie en France : autonomie et normalisation (1966-1981)

Publié le 27/06/2005
Auteur(s) - Autrice(s) : Pascal Le Merrer
Ce texte aborde les conditions dans lesquelles l'enseignement universitaire de l'économie en France est devenu autonome par rapport aux facultés de droit. Il détaille également le mouvement profond de "normalisation" de l'enseignement de l'économie qui va s'imposer durant les années 1970, de ses origines à ses conséquences pour la communauté d'économistes français actuelle.

Introduction

Ce texte aborde les conditions dans lesquelles l'enseignement universitaire de l'économie en France est devenu autonome par rapport aux facultés de droit et ensuite comment a opéré un processus de normalisation de cet enseignement.

Il y avait eu un mouvement général pour reconnaître le besoin de réforme de l'enseignement de l'économie en France au début des années 1950 avec des divergences sur les voies à emprunter pour conduire cette réforme mais avec un consensus implicite pour centrer de débat sur l'enseignement universitaire. Un économiste comme Robert Mossé fait exception lorsqu'il dit à un colloque en 1952 : "La sagesse consisterait à aborder dans son ensemble le problème de l'enseignement de l'économie politique depuis l'école primaire jusqu'à l'agrégation et l'initiative pourrait venir de l'Association française de Sciences Economiques. La solution de paresse consiste à aborder le problème dans le cadre des Facultés de Droit, compte tenu des projets actuels de réforme" [1].

Si cette "solution de la paresse" s'est imposée, c'est qu'il y a, à la fois, ignorance et désintérêt des universitaires des Facultés de Droit pour l'enseignement scolaire, et cloisonnement administratif entre les services ministériels qui s'occupent du primaire, du secondaire et du supérieur. Toutefois, même cantonné au niveau universitaire, le débat portera sur des problèmes divers qui touchent aux méthodes d'enseignement, au degré de spécialisation de la formation, aux rapports entre le Droit et l'Economie, à la durée des études.

Ces débats sont liés aux analyses des économistes qui dénoncent une crise de la science économique en France. Par exemple, pour Maurice Allais, la cause fondamentale du déclin de la science économique française est à rechercher dans les conditions de son enseignement dans les Facultés de droit. Il en déduit : "Il faut créer une Faculté des sciences économiques et sociales dans laquelle on rassemblera tous les enseignements actuellement dispersés, qui sont nécessaires à la formation d'un bon économiste" [2]. Il reproche en particulier à l'enseignement économique des Facultés de droit d'exclure les questions relatives "à l'économie pure, aux techniques industrielles, à l'organisation scientifique du travail, à la conjoncture, aux mathématiques financières, à la démographie, à la géographie économique" [3]. Ce qui motive ces auteurs, c'est la nécessité de mettre en place un enseignement scientifique et pluridisciplinaire où l'économie politique serait au premier plan.

Pendant les années 1950 et au début des années 1960, les commissions de réformes vont se succéder pour proposer des aménagements des cursus en économie, mais c'est à partir du milieu des années 1960, dans un contexte marqué par une prise de conscience des faiblesses du système universitaire français, que les changements importants concernant l'enseignement de l'économie en France vont se réaliser.

1. Prise de conscience de la sclérose de l'Université et initiatives des économistes pour organiser un cadre scientifique de réflexion

Il serait artificiel de vouloir retracer l'évolution de l'enseignement de sciences économiques pendant les années "60" sans faire allusion à la prise de conscience qui se dessine d'une crise générale de l'enseignement universitaire français. Dès les années "50", ce qui avait été perçu, c'était le problème de la croissance des effectifs étudiants [4]. On parla ensuite de la "grande misère des universités" [5] avec les amphithéâtres surpeuplés, un encadrement insuffisant, le manque de moyens des bibliothèques... Progressivement s'imposa l'idée qu'il fallait repenser l'essentiel des structures de notre enseignement supérieur [6]. C'est-à-dire redéfinir la finalité de l'enseignement supérieur (entre formation humaniste, scientifique et professionnelle), diversifier le système (par exemple, création des IUT en 1966), sortir du système rigide des facultés en favorisant les enseignements et les recherches multi-disciplinaires, s'engager dans la décentralisation universitaire, adapter la pédagogie de l'enseignement supérieur...

La volonté de réforme va être symbolisée par les propositions qui émanent de la réflexion des participants au second Colloque national de Caen de novembre 1966 [7] : créer une véritable autonomie des Universités qui seraient dirigées par des Sénats d'Universités, limiter leur taille avec une division en départements, développer des Instituts des Hautes Etudes pour les troisième cycles... On constate que les économistes restèrent en marge de cette réflexion qui étaient réservée aux "scientifiques". André Nicolaï regretta que le Colloque de Caen ne donne pas l'occasion aux économistes de préciser les réformes qui leur semblaient nécessaires [8]. Il s'inquiète de l'insuffisante préparation à la recherche dans le cadre de la thèse et de l'agrégation, d'où une recherche économique appliquée qui "est soit effectuée directement par l'administration, soit sous-traitée à des sociétés d'étude, sans que l'Université y participe autrement que par raccroc". Il critique aussi la rigidité du système des chaires, le manque d'interdisciplinarité des formations, l'encadrement insuffisant des étudiants. Il voit finalement dans les propositions du Colloque de Caen la possibilité pour les économistes de travailler comme des scientifiques [9].

Cette volonté de développer un cadre scientifique de réflexion entre économistes va se concrétiser en 1966 avec la création du Groupe d'Etude des Problèmes Economiques (G.E.P.E.) [10]. Ce sont les jeunes économistes des facultés de province qui sont à l'origine de cette initiative ; ce qui n'est pas étonnant quand on connaît les conflits entre économistes parisiens et provinciaux pendant les débats concernant la création d'une licence ès sciences économiques durant les années 1959-1960. La priorité avec la création du G.E.P.E n'est pas de relancer les projets de réformes institutionnelles élaborés en 1960 par les économistes autour de Bénard mais de créer un réseau d'informations qui permette des discussions fructueuses entre chercheurs, professeurs. L'objectif est donc de pallier "l'isolement du chercheur dans les sciences sociales" qui est vécu dans cette période comme plus important en France qu'à l'étranger, et cela en particulier en dehors des structures de recherche parisienne.

La première rencontre organisée dans le cadre du G.E.P.E s'est déroulée dans la toute nouvelle Université de Rouen du 19 au 24 septembre 1966. Ce premier séminaire de sciences économiques a réuni "un groupe de vingt cinq jeunes économistes, tous reçus à l'agrégation depuis moins de dix ans et représentant quatorze universités françaises" [11]. La liste des participants est la suivante : Jacques Austruy (Lille), André Babeau (Lille), Jean Bénard (Poitiers), Pierre Biacabe (Orléans), Alain Bienaymé (Dijon), François Bilger (Strasbourg), Guy Caire (Grenoble), Jacques Cédras (Rouen), Alexandre Chabert (Strasbourg), André Chaineau (Poitiers), Alain Cotta (Caen), Pierre-Henri Derycke (Grenoble), Jean Fericelli (Lyon), Robert Guiheneuf (Nice), Patrick Guillaumont (Dakar), Sylviane Guillaumont (Dakar), Jacques Houssiaux (Nancy), Jacques le Bourva (Rennes), Robert Le Duff (Rennes), Emile Lévy (Caen), Pierre Llau (Grenoble), Henri Mercillon (Dijon), Colette Nême (Lyon), André Nicolaï (Lille), Claude Ponsard (Dijon). Il est clair, au regard de cette liste, que les économistes parisiens furent tenus à l'écart de cette manifestation.

Il est précisé : "ces journées doivent leur naissance à cette constatation faite par les jeunes économistes enseignants que le rythme d'obsolescence des connaissances acquises, par exemple en vue d'un concours d'agrégation, est particulièrement rapide. La spécialisation dans la recherche, dans l'enseignement, est, on le sait, à la fois une nécessité et une tare... il fallait reconnaître que l'occupation d'une chaire ne confère pas pour autant un brevet d'omnisciences à vie et qu'il convenait donc de retourner périodiquement sur les bancs de l'amphithéâtre" [12]. Il fut donc demandé aux rapporteurs de faire des surveys qui étaient des mises au point sur les idées récentes concernant quatre domaines importants de la science économique : "La politique économique et la planification", "Les relations économiques internationales", "La monnaie et le financement de l'économie", "La répartition".

Neuf rapports furent présentés [13], qui sont des contributions originales qui cherchent à combiner les réflexions récentes des économistes étrangers et français en articulant des problèmes de modélisation théorique et d'application statistique. Bénard, par exemple, présente "la formalisation de la politique économique quantitative" à partir des "modèles à objectifs fixés" et des "modèles à objectifs flexibles" de Tinbergen (et aussi de Theil, de Wolf, Sandee). Rappelons qu'en France, c'est le moment où l'INSEE et la direction de la Prévision commencent à élaborer des modèles de prévision à court terme ("Zogol") et à moyen terme ("Fifi"). Bénard s'intéresse en particulier à la construction de "modèles d'optimisation" (modèles à objectifs flexibles), ce qui pose le problème de la révélation, puis de la construction et de la maximisation d'une fonction de préférence sociale.

Quatre autres communications, celles de P. H. Derycke, A. Babeau, A. Bienaymé et E. Lévy sont centrées sur le thème des échanges internationaux avec la construction de fonctions d'importation et d'exportation, de matrices d'échanges internationaux, une réflexion sur les prolongements contemporains des modèles de spécialisation internationale de Ricardo et Ohlin, enfin avec une présentation géométrique de l'intégration du progrès technique dans les modèles d'échange concurrentiel à deux produits (modèles de Corden, G. Meier, H. G. Johnson, R. Findlay et H. Grubert).

A. Chaineau, sous le titre : "L'économétrie de la monnaie", traite des débats théoriques concernant la demande de monnaie entre H. G. Johnson, A. Allais, K. Brunner, M. Friedman, J. G. Gurley et E. S. Shaw, H. A. Latané, A. H. Meltzer, J. Tobin. P. LLau de son côté dans une intervention sur "le financement de l'économie" propose de "synthétiser en une discipline unique les parties monnaie et finances de l'Université française traditionnelle" [14].

Une seconde réunion du G.E.P.E. s'est tenue en septembre 1967 avec des communications de G. Caire sur la marxologie, de J. Le Bourva sur l'offre de monnaie, de J. M. Parly sur la théorie du portfolio sélection, de H. Mercillon sur la théorie de l'information, de Cotta sur la fonction de production et le progrès technique, de Bénard sur les biens collectifs [15]. Il faut enfin signaler un projet de colloque du G.E.P.E sur la réforme universitaire qui devait se tenir en 1968 mais qui sera devancé par les événements.

Si les économistes cherchent à se doter de moyens d'échanges intellectuels plus efficaces pour nourrir leur formation et les enseignements qu'ils dispensent, la situation apparaît toute différente du côté des étudiants pendant cette période. C'est en effet le problème du mauvais rendement des études de droit et d'économie qui est alors d'actualité. R. Plaisant illustre cette question lorsqu'il écrit : "En 1967, les facultés de droit et de sciences économiques comptaient environ 25000 étudiants en première année, 9000 en deuxième et délivraient 3700 diplômes de licenciés. On comprend le légitime mécontentement de jeunes bacheliers engagés dans une impasse où restent environ 21000 sur 25000 d'entre eux, soit 5 sur 6" [16]. Il faut nuancer ces chiffres car ils correspondent à une période de forte croissance des effectifs, le nombre des licenciés devrait donc être mis en rapport avec le nombre d'étudiants quatre ans plus tôt. Il faut aussi tenir compte du phénomène des doubles inscriptions et des étudiants "fantômes" (inscriptions en attente d'emploi, ou pour bénéficier des oeuvres universitaires, ou simplement pour justifier d'une activité). Toutefois le phénomène est bien réel, ainsi dans le Rapport Education du sixième plan on peut lire : "Le rendement du système universitaire traditionnel est très faible. En moyenne, un étudiant sur trois qui s'inscrivent à l'Université obtient le diplôme de deuxième cycle, les autres abandonnant leurs études. De plus, un tiers seulement de ceux qui obtiennent ce diplôme y parviennent dans les délais considérés comme normaux. C'est au cours du premier cycle qu'ont lieu les pertes les plus importantes, singulièrement en première année (30% en sciences, 40% en droit)" [17] . Les solutions à ce problème seront recherchées dans le développement de formations du supérieur professionnelles en deux ans et dans une réflexion sur les méthodes d'enseignement. Ce dernier point prenant toute son importance avec la période de mai 68 [18].

2. Le temps des changements décisifs pour l'enseignement de l'économie : de la crise universitaire de 68 à l'autonomie des sciences économiques

On entre dans une période où l'ensemble des structures universitaires françaises va être modifié en application de la loi d'orientation de 1968. Ce sera la fin des facultés qui seront remplacées par des Unités d'Enseignement et de Recherche. Pour les sciences économiques, cela signifie, l'autonomie par rapport au droit, l'essor avec la multiplication des UER, une rénovation des enseignements d'économie et une place plus importante faite aux techniques quantitatives et aux langues étrangères. C'est donc d'une période de crise politique que naîtront les changements majeurs pour l'enseignement des sciences économiques et non des débats entre universitaires comme en 1954 où 1959-1962. Un important changement de situation caractérise cette période : les professeurs de facultés n'ont plus l'initiative, ils peuvent réagir, au mieux participer à des débats qu'ils ne contrôlent pas. Ce sont des étudiants, souvent les meilleurs de leur promotion qui vont organiser le mouvement avec une approche très différente des réformes à engager. Les professeurs d'économie dans le cadre des commissions de réforme qui se sont succédées depuis 1950 avaient posé le problème des réformes des études de science économique dans le cadre universitaire existant (division en facultés, faibles effectifs de professeurs...). Les étudiants vont choisir d'élaborer un projet de réforme radical ne posant pas le problème des contraintes immédiates et reconnaissant simplement qu'il faudra certainement aménager des structures transitoires. Il est intéressant de constater que nombres d'idées développées par le mouvement étudiant en 68 seront rapidement reprises par des organisations "modérées". C'est le cas d'une organisation comme l'ANDESE qui présentera en juin 68 un projet de réforme des études économiques où l'on retrouve nombre des idées développées par les étudiants mais avec une orientation réformiste. Entre utopie, réalisme et opportunisme, le chemin des réformes en 68 n'est pas toujours facile à repérer.

2.1 Les professeurs dans la tourmente

Les économistes, professeurs ou chercheurs ne restèrent pas à l'écart des débats de 1968, mais ils apparaissent en retrait.

Du côté de la recherche, Jeanne Singer-Kerel [19] évoque le Comité d'action du CNRS qui organisera les journées de réflexion "d'Orsay" en juillet 1968, mais avec une participation timide des économistes.

Alain Bienaymé cite des rencontres d'économistes en juin 1968 à Poitiers [20], à l'initiative de Jean Bénard, puis à Orléans [21] où furent discutés, entre autre, des projets de réforme de la licence ès sciences économiques, mais les interventions des universitaires tendent à se limiter à la question de la modernisation de l'enseignement.

Il est intéressant de s'attarder sur ces journées de Poitiers, d'abord parce qu'elles restent dans la mémoire des professeurs et des représentants des étudiants comme un moment significatif de la réflexion engagée sur les études universitaires de sciences économiques ; ensuite, parce que la majorité des facultés étaient représentées (Poitiers, Paris, Lyon, Grenoble, Clermont, Caen, Nancy, Nantes, Lille, Tours, Orléans, Besançon, Limoges, Rennes). Deux types de sources seront utilisées pour rendre compte de ces débats : d'un côté la mémoire de quelques acteurs de ces journées, de l'autre, le rapport écrit des journées de Poitiers. Il faut être prudent dans la confrontation de ces sources car l'essentiel du rapport est constitué de textes rédigés par les délégations avant les rencontres de Poitiers.

Dans le registre des souvenirs, Pierre Llau, retient des débats, la division en deux tendances [22]. D'un côté, le "courant technocratique", représenté par des économistes comme Pascal Salin ou Jean Bénard, défendirent la séparation du droit de l'économie et le nécessaire développement d'une économie analytique s'appuyant sur les mathématiques. D'un autre côté, "le courant sociologique", représenté par des économistes comme Guy Caire ou Pierre Llau pensaient que la réforme de l'enseignement de l'économie passait par le développement d'un enseignement de sciences sociales (idée par exemple d'un DEUG de sciences sociales qui aurait été un préalable à une spécialisation en deuxième cycle).

Danièle Blondel [23] qui était présente à Poitiers et qui défendait l'idée d'une école économique française s'appuyant sur un effort de recherche plus soutenu (le modèle évoqué étant celui de l'ISEA) se souvient de la position de P. Salin favorable à la séparation en deux licences d'économie, une scientifique et sélective, l'autre littéraire et plus ouverte ; Bénard défendait le projet d'une licence unique de type scientifique ; enfin, Gabillard regrettait que l'on abandonne le côté culturel de l'économie (importance de l'histoire, de la philosophie...).

Les débats pendant ces trois jours s'organisèrent autour de quatre thèmes [24]. Le premier qui concernait la place de l'économiste dans la société fut essentiellement animé par des universitaires, alors que les étudiants, représentants des comités de grève des Facultés, s'exprimèrent surtout sur les trois autres thèmes en adoptant des positions plus critiques [25].

1 - Place de l'économiste dans la société (Poitiers)

Bénard sera actif dans ce débat, en partant d'un constat : les économistes sont ignorés ou regardés avec méfiance par l'opinion, les chefs d'entreprise, les administrations, "le reste des intellectuels", "la gauche". Cela tient en partie à leur "formation hétéroclite, pas assez professionnelle ni scientifique, ni contestatrice" [26]. Or, pour Bénard, l'économiste qu'il définit comme étant un "aménageur de ressources rares sous des contraintes données et pour des fonctions de préférence données" joue un rôle stratégique de gestionnaire, tant dans les entreprises que dans les administrations. Cela ne le condamne pas à être totalement au service de la société bourgeoise, mais il faut positionner la contestation possible par "l'économiste critique" : "Elle se situe non pas en niant l'acquisition scientifique de la théorie économique moderne ni en formulant des voeux pieux sur l'humain, mais en élargissant le domaine des variables de choix, c'est à dire en refusant de prendre constamment pour données un certain nombre de contraintes...Sur le plan des fonctions de préférence, l'économiste peut agir par la modification des structures et par l'éducation" (développement de la formation scientifique de l'économiste et de l'information économique de l'opinion).

D. Pilisi soutiendra l'analyse de Bénard en rappelant que le "courant libéral" a défendu "avec un certain courage, la nécessité de l'esprit critique permanent", il demande donc qu'on ne néglige pas cette voie.

A. Nicolaï réagira au nom du réalisme critique en rejetant ces deux approches, celle pragmatique de "l'ingénieur économiste" et celle théorique du "libéralisme permettant la meilleure optimisation", car elles négligent le rôle des enseignants comme "chien de garde du système social" (nécessité d'une théorie critique des rapports de production).

2 - Université critique (Paris)

Réflexion sur les rapports entre l'Université et la société (refus d'un type de société à partir d'une contestation de l'Université ce qui suppose la politisation du milieu universitaire). L'objectif déclaré est de constituer un solidarité effective avec les travailleurs (l'Université populaire) et de créer dans l'Université et l'entreprise, "des structures et des comportements déséquilibrants" (voir les développements qui suivent sur les initiatives du mouvement étudiant).

3 - Autonomie, cogestion, décentralisation, spécialisation (Lille)

Les principaux débats portèrent sur : l'autonomie, une fin en soi ou un moyen pour parvenir à l'Université critique et au socialisme ; l'ouverture de l'Université sur la société (rapports étudiants-travailleurs) ; le choix entre "la cogestion paritaire" (deux collèges, l'un pour les étudiants, l'autre pour les enseignants) ou "l'autogestion mixte" (collège mixte) ; développer une plate-forme interdisciplinaire...

4 - Méthodes et programmes d'enseignement économique (Poitiers)

La commission s'oppose à une tendance à vouloir remplacer une culture traditionnelle par une culture technocratique qui donne la priorité à la spécialisation (transmission de savoirs parcellaire - passivité de l'étudiant) et propose comme alternative, "une nouvelle forme de culture" qui ne serait plus "une somme et un contenu, mais un processus de développement constant (les idées de base seraient de développer, l'autonomie, la responsabilité et une idée de vie morale) permettant une capacité d'adaptation aux révolutions techniques (solide formation théorique critique et formation pré-professionnelle). Sur le plan pédagogique , l'éducation est présentée comme devant être active, ce qui conduit à la critique du cours magistral qui ne s'intéresse qu'à la transmission des connaissances alors que l'apprentissage doit conduire à la résolution de problèmes. Il est proposé de développer les cours dialogués qui permettraient une discussion critique des connaissances et le développement de "travaux de recherche dirigés" qui seraient des groupes de travail où se réaliserait l'application des connaissances. Sur le plan des valeurs , il est affirmé que "l'Université est une vie plutôt qu'une préparation à la vie : l'enseignant ne doit jamais imposer sa manière de voir qui est un aboutissement. L'Université doit favoriser la coopération plutôt que la compétition". Sur le plan des contenus , les étudiants réclament l'autonomie des études économiques avec développement d'une culture économique de base en premier cycle (idée d'une polyvalence initiale indispensable) et aménagement de relations interdisciplinaires en second cycle. La question de la spécialisation fera l'objet d'un débat pour savoir si elle doit s'engager en année de licence ou de maîtrise. L'idée dominante est qu'il faudrait dispenser trois types de formation, une pour les praticiens, une pour les enseignants du secondaires et une pour préparer à la recherche. Sur le plan du contrôle des connaissances (refus de la sélection, du barrage social), il est affirmé qu'il doit être permanent, porter sur le travail individuel et sur le travail collectif et que les modalités du contrôle doivent être cogérées paritairement et porter non seulement sur du contrôle de connaissance mais aussi sur les applications réalisées (travail en groupe...) et sur la discussion dans le cadre des cours dialogués (exposés...).

2.2 Les initiatives du mouvement étudiant

La présentation des débats lors des journées de Poitiers a déjà permis d'évoquer les questions soulevées par les étudiants en économie, mais il est possible de compléter cette approche en se penchant sur les textes produits par le Comité de grève de la Faculté de droit et sciences économiques de Paris et à travers les comptes-rendus de la Commission paritaire de sciences économiques.

Rappelons que la Faculté de droit et de sciences économiques de Paris ne se mobilise qu'à partir du 6 mai 1968, à l'initiative des étudiants de quatrième année et de DES [27]. La grève est décidée le 14 mai avec cette remarque dans le journal du Comité de grève : "Il aura donc fallu 10 jours à la Faculté la plus conservatrice de Paris pour sortir de son splendide isolement et rejoindre dans la lutte la grande masse des étudiants".

Le 20 mai, les représentants du comité de grève appellent à la solidarité les enseignants réunis dans le cadre de l'Assemblée des professeurs de la faculté en leur demandant de dissoudre cette assemblée et de la remplacer par un organe paritaire enseignants-étudiants qui aurait pour mission d'établir les nouveaux statuts de la faculté. Les professeurs refusent d'accéder à cette requête, mais dans les faits, à partir de cette date, l'Assemblée des professeurs est vidée de la quasi totalité de ses pouvoirs. Une Commission paritaire de la Faculté de Droit et des Sciences Economiques siège à partir du 23 mai [28]. Elle réunit 20 étudiants, 12 professeurs, 5 maîtres-assistants et 3 assistants avec pour mission l'étude des différents projets de réforme élaborés par les commissions.

On est immédiatement frappé par l'organisation du mouvement avec les assemblées générales, le comité de grève, les commissions, le secrétariat, le service d'ordre, la diffusion de l'information, l'administration de la faculté, le comité de liaison avec les autres facultés... On retient généralement de cette période le climat de contestation qui peut être illustré par les déclarations des responsables du mouvement ; par exemple : "...nous contestons. Nous voulons remettre continuellement en cause ce qui a été acquis, et introduire l'utopie au sein du monde existant. les étudiants sont alors fidèles à Rimbaud, en mettant en avant la poésie par rapport à l'action, et en faisant la lueur sur le projet humain. Ils refont l'itinéraire de Marx en allant sans cesse de la nécessaire utopie à la nécessaire rationalité" [29]. Mais le discours critique et contestataire ne doit pas cacher la volonté d'action constructive qui est à l'œuvre dans le mouvement et qui se traduit par un travail intense d'organisation, de réflexion, de négociation. C'est peut-être là, une caractéristique essentielle du mouvement dans la faculté de droit et de sciences économiques. Bertrand de Jouvenel, professeur associé à Assas, relate ainsi les événements à partir du 14 mai : "Alors commence la vie de la République d'Assas. Ce sera une vie d'activité fiévreuse, mais de conduites austères. Spectateur assidu, si j'ai entendu à Assas bien des propos excessifs, je n'y ai observé aucune attitude qui manquât à la bienséance" [30].

La masse de documents écrits, produite pendant cette période est révélatrice de cette volonté de reconstruction de l'Université. Le problème est qu'il n'est pas toujours aisé de retrouver les traces de ces documents dactylographiés qui n'ont pas bénéficié d'un archivage systématique [31]. L'essentiel de cette documentation comprend : le Journal d'information rédigé par le Comité de grève dont le premier numéro paraît le 18 mai, les rapports des diverses commissions et sous-commissions qui sont au nombre de 18, les procès verbaux de réunions de la commission paritaire qui a siégé à partir du 23 mai, le programme du comité de grève en vue des élections du 18 juin 1968, les tracts, les motions, les rapports politiques... Il faut en particulier citer un document (ronéoté) de synthèse intitulé "Université critique" qui se présente comme "l'esquisse d'un premier bilan" établi par le Comité de grève. Il comprend deux volumes, le premier qui n'est pas daté relate les événements jusqu'en juin ; le second est daté d'août 1968. On peut enfin ajouter les documents produits par les organisations d'étudiants qui s'opposaient au Comité de Grève : le Comité de liaison des étudiants pour la rénovation universitaire (C.L.E.R.U.) [32] et l'Association Corporative des Etudiants en Droit et Sciences Economiques (la Corpo) [33].

Précisons la nature des réflexions engagées par les acteurs du mouvement en se plaçant à trois niveaux différents : celui de la société, celui de l'Université et enfin celui des études de sciences économiques.

La critique de la société Le Comité de grève dans le premier numéro de son journal d'information déclare : "Nous refusons une société fondée sur des rapports de producteurs à consommateurs qui transforme les hommes en rouages passifs et inconscients. Ce qu'il faut obtenir, c'est une société de participation. Pour réaliser cet objectif, il faut nous attacher à la refonte de l'université dans le sens d'une université de contestation...". C'est à partir d'une analyse des formes d'aliénation que développent les économies industrialisées que se met en place la réflexion sur le rôle de l'université. La sous-commission "sociologie" conteste "la visée même de la plupart des systèmes économiques nationaux, de type occidental ou soviétique, orientés vers la consommation de biens matériels" (publicité, loisirs, conditions de travail...) qui génère une société irresponsable, fragmentée, sans communication vraie. La Commission "Université et société" fait apparaître la complexité des références intellectuelles qui inspirent ces critiques des formes d'aliénation que développent les sociétés industrielles. On peut lire : "En bref, c'est bien une philosophie nouvelle (souligné dans le texte) qui anime le mouvement contestataire actuel, où l'on retrouve nombre d'éléments idéalistes et hégéliens, anarchistes, marxistes, freudiens, existentialistes, structuralistes... mais qui ne se réduit à aucun système, car elle refuse la systématisation ; elle est la réaction, le sursaut de l'homme comme existant, avec toutes ses dimensions contre les conditions aliénantes qui lui sont faites. Philosophie à la fois critique et existentielle, dialectique du dépassement, incluant à la fois moments de contestation et moments de proposition, et ce, de façon permanente au niveau de toute la société et de chacune de ses unités, ce qui ferait du dilemme réformisme-modèles classiques de révolution, un problème désormais dépassé" [34].

On remarque aussi des références qui ne sont pas étrangères aux réflexions des étudiants catholiques de la faculté de droit. Ainsi la Commission "Université et société" considère que le mouvement exige un "nouvel humanisme" fondé sur "une nouvelle éthique. Non plus matérialiste... ni idéaliste... mais, en un sens nouveau, spiritualiste, parce que fondée en dernière analyse sur la liberté essentielle à l'esprit de l'homme en situation, sur sa responsabilité, dans la certitude de la perfectibilité de tout être humain, de toute société" [35]. Autre exemple, dans un texte sur la réforme pédagogique à mettre en oeuvre, on peut lire : "Considérant d'autre part que le travail est un principe de vie communautaire, elle tend à rendre au travail universitaire sa dimension humaine" [36].

L'influence catholique chez les étudiants en sciences économiques est particulièrement visible lorsque l'on se penche sur les activités du Centre Saint-Yves à Assas [37]. Les documents produits par le centre montrent une volonté de combiner l'étude de l'évangile et la connaissance de "la réalité de l'homme moderne". Ainsi, on peut lire : "Aimer nos frères, construire une société où chacun ait ses chances de grandir dans l'amour, cela pourra vouloir dire : étudier la législation du travail, le droit international, rechercher les conditions d'une économie humaine, se familiariser avec les ressorts de l'opinion publique" [38]. Cette ouverture sur le monde s'accompagne de critiques concernant l'égocentrisme, la société de consommation, la guerre, l'exploitation du tiers monde... [39]. Cette critique peut être très nuancée comme avec Henri Guitton qui face à l'économie spontanée des libéraux défend la voie d'une "économie harmonisée". Il précise : "L'harmonie qui nous préoccupe exige des observations soignées, des discussions, des décisions, des tâtonnements et des remaniements perpétuels" [40]. Cette économie "harmonisée" suppose des individus formés et informés capables d'organiser la concertation. Dans cette logique, une des missions du Centre Saint-Yves serait de contribuer à ce travail de réflexion et d'information.

La critique devient plus radicale lorsque les réflexions se centrent sur le tiers monde [41], la ségrégation sociale et l'exploitation [42] ou la contestation des étudiants chrétiens en mai 68. On assiste alors à des débats sur les liens entre l'église et le capitalisme, la question étant, si il y a une révolution sociale et économique, doit elle être accompagnée d'une révolution dans le domaine religieux [43] ? Pendant la période de mai-juin 1968, l'activité du centre Saint-Yves prendra des formes multiples : centre de secours pour les blessés pendant les manifestations dans le Quartier Latin, amphi permanent du 22 mai au 4 juin sur le thème : "La Révolution et les Chrétiens : des chrétiens s'interrogent", puis organisation de commissions et de carrefours-débats sur des thèmes précis, rédaction de tracts dénonçant la répression (signature d'une pétition par les prêtres du centre contre la dissolution de onze mouvements révolutionnaires le 12 juin).

Dès le début des événements, les étudiants, mais aussi les prêtres vont être impliqués dans les débats. Le 16 mai, par exemple, le Père Paul Blanquart, spécialiste du marxisme, rédige un texte : "Les étudiants et la révolution" qui se présente comme un essai d'interprétation du mouvement universitaire. Il analyse ainsi le rôle révolutionnaire de l'Université : "La place occupée par l'Université dans notre actuelle société n'est pas sans analogie, en effet, avec celle tenue par l'usine au début de l'âge industriel... l'Université est le lieu de la production des connaissances, c'est à dire l'agent essentiel de la croissance d'une société qui repose sur la science et la technique... Le mouvement étudiant qui commence aujourd'hui répète, historiquement décalé, les formes anarchiques, messianiques, utopiques des débuts du mouvement ouvrier" [44].

Des groupes de travail, formés de catholiques et de protestants s'organisent au centre Saint-Yves pendant cette période de mai-juin 1968, ils rédigent des documents [45] et participent activement aux commissions du Comité de grève de la faculté de droit et de sciences économiques. On y trouve dénoncé les contradictions de la politique économique française à la fois technocratique et néo-libérale, la faible participation réelle des citoyens à la gestion de la société industrielle, la pauvreté des idéologies tant du côté gaulliste (indépendance nationale, progrès économique) que du côté des oppositions (mystiques républicaine, européenne, révolutionnaire). La réflexion se prolonge avec la question d'une "théologie de la contestation" qui serait un "premier aspect de la révolution. on trouve alors des références à Fidel Castro, Mao Tse Toung.

Cet engagement politique du Centre Saint-Yves produira des tensions à l'intérieur de la communauté catholique. Les évêques (Mgr Marty et Mgr Frossard) adressent une lettre au Centre en mai 68 [46], où ils parlent de volonté de participation, de dignité de l'homme, de libre responsabilité, mais ce langage est très en retrait en comparaison des analyses qui se développent au Centre Saint-Yves à cette période. Les aumôniers du Centre dressent en décembre 68 un bilan où ils précisent : "Beaucoup pourtant sont déroutés et même, disons-le nettement car c'est exactement le cas, scandalisés par notre comportement" [47]. Les Frères Rettenbach et Vachette quittent le Centre, certains étudiants démissionnent après le vote de non-participation de Saint-Yves au pèlerinage de Chartres en 1969. Les divisions semblent l'emporter, mais cela ne doit pas masquer la réelle influence des membres du Centre Saint-Yves pendant les événements de mai 68 à la Faculté de droit et de sciences économiques de Paris.

A ces dimensions spiritualistes et humanistes, la Commission de Réforme de la licence de science économique ajoute l'esprit républicain en présentant la nouvelle université comme un "centre social de formation du citoyen responsable", c'est à dire un citoyen qui "exerce une double mission au sein de la société : une mission de responsabilité politique - une mission de responsabilité technique... Rendre l'individu capable d'exercer cette double mission, c'est lui donner les moyens d'acquérir une formation scientifique". Cette formation repose à la fois sur "l'étude et la compréhension approfondie d'une discipline, en l'occurrence l'économie, et l'apprentissage à la maîtrise des techniques concernant cette discipline" et le développement de l'esprit critique de l'étudiant, "pour qu'il domine ses connaissances et puisse les remettre en question ; qu'il soit capable de situer la science économique parmi les autres sciences sociales ; qu'il puisse enfin exercer à l'égard des mécanismes sociaux et des institutions la même remise en cause" [48]. La dimension contestataire du mouvement, ne doit pas occulter cette ambition très présente en science économique de faire émerger une formation scientifique moderne dans la discipline.

Une autre critique souvent formulée concerne le centralisme politique, administratif et syndical de la société française et son manque d'ouverture sur les problèmes mondiaux. La "Commission université et culture" aborde la question du changement social nécessaire à travers le remplacement de l'université "bourgeoise" par une université qui soit "un centre de création culturelle et scientifique", ouverte sur le monde avec une aspiration à l'universalité.

De nouvelles structures pour l'Université Les différentes commissions insistent sur l'inadaptation de l'université héritée de l'époque napoléonienne. Les critiques principales concernent le centralisme universitaire source de lourdeur administrative, la structure hiérarchisée sclérosante, l'inadaptation des formations aux besoins économiques et culturels.

Pour le mouvement étudiant, les deux réformes prioritaires à engager sont : l'autonomie de l'université vis à vis des pouvoirs publics et des intérêts privés et la cogestion dans les différentes assemblées des universités.

La Commission "autonomie" défend l'idée de la création d'universités autonomes régionales (autonomie financière, administrative, pédagogique). Ces UAR sont divisées en départements qui ont la pleine responsabilité de l'enseignement et du contrôle des connaissances de chaque discipline.

La Commission "cogestion" affirme le droit pour tous de participer aux décisions à l'intérieur de l'Université. Cela conduit à associer, de façon paritaire dans les assemblées, d'un côté les professeurs et les enseignants de carrière, de l'autre les représentants des étudiants et des assistants temporaires.

Les principes de ces nouvelles structures pour l'Université sont adoptés à l'unanimité par les membres de la Commission paritaire de la Faculté de Droit et de Sciences Economiques de Paris le 4 juin 1968 (séance présidée par Monsieur Teitgen). Il est décidé que la Faculté comprendra au moins deux divisions autonomes: Droit et Sciences Economiques. Chaque division est composée de plusieurs départements qui décident des enseignements à mettre en place. la cogestion est organisée sur le principe de l'assemblée paritaire dans le cadre de chaque département [49].

Les étudiants défendront aussi l'idée d'une nouvelle Université qui devait assurer toute la formation dans le supérieur. Ainsi on peut lire : "Lieu où s'acquiert toutes les qualifications supérieures (ce qui suppose la disparition des Instituts et des Grandes Ecoles), l'Université est le principal foyer d'éducation permanente, tant professionnelle que culturelle. Elle couvre tous les besoins de reconversion, de recyclage, de promotion professionnelle. Elle est véritablement un bouillon de culture" [50]. Il est inutile d'insister sur le caractère utopique de cette idée qui devait conduire à la disparition des Grandes Ecoles.

Réformer l'enseignement des sciences économiques On peut lire dans une brochure du Comité de grève intitulée "Contester", "Les étudiants contestent la culture déjà morte qu'on veut leur imposer". Les étudiants s'attaquent à la fois aux objectifs, aux méthodes et au contenu des enseignements ainsi qu'aux modes de sélection.

Dans le rapport sur la sélection et la formation professionnelle [51], il est affirmé que "l'enseignement a un double objectif : formation professionnelle, formation des hommes ; il doit être ouvert à tous... Pour une formation professionnelle réellement efficace, l'enseignement ne peut se contenter d'enseigner des théories sans faits... son rôle est de confronter sans cesse théories et expériences... Former des hommes n'est pas emplir des têtes, c'est éveiller la curiosité intellectuelle, développer le sens des responsabilités, exercer le sens critique, mais aussi favoriser l'esprit d'initiative, l'imagination, les facultés créatrices". Les débats en Commission paritaire conduisent à préciser la triple finalité de l'enseignement de Sciences Economiques : "Assurer une formation professionnelle polyvalente, ce qui implique une aptitude à connaître et à manier les techniques récentes - Assurer une formation scientifique critique qui permette à l'homme d'acquérir des connaissances, de les dominer et de les remettre en question - Assurer une formation permettant d'avoir, face à la société, une attitude lucide et responsable" [52].

Pour réaliser ces objectifs, les étudiants réclament des changements de méthode : réduction de la place du cours magistral, remplacement les travaux dirigés par des "travaux en équipes coordonnées" qui réaliseraient un travail collectif sur des problèmes concrets, création de "séminaires d'études" où se retrouveraient des étudiants, des professeurs de différentes disciplines, des professionnels...

La réalisation de ces changements de méthodes est présentée comme dépendante d'une modification du recrutement des enseignants des Facultés. Ceux-ci doivent être plus nombreux, préparés à de nouvelles méthodes pédagogiques (organisation en équipes pédagogiques, fonctions d'animation du professeur). Les Universités doivent avoir une plus grande liberté dans le choix des enseignants et les épreuves des concours doivent être modifiées (critique de la leçon).

Concernant l'organisation et le contenu des enseignements, la Commission "Réforme de la licence de sciences économiques" déclare : "L'enseignement de sciences économiques sera spécifique, autonome et continu... La licence est spécifique dans son objet : formation sérieuse au maniement des instruments de l'analyse économique, elle forme l'esprit aux méthodes d'analyse formelle et permet la liaison de la théorie et de son application pratique. L'enseignement supérieur de sciences économiques forme un tout autonome : il comprend à la fois les enseignements d'analyse proprement dits, les enseignements de techniques annexes et la formation historique et sociale nécessaire à l'économiste... Enfin la formation de l'économiste vue au cours de la licence est continue, car elle procède par approfondissements successifs des matières fondamentales" [53]. Cette déclaration n'est pas totalement novatrice, les idées d'un enseignement d'économie indépendant du droit, d'une formation à l'analyse économique sérieuse, d'une place plus importante faite aux techniques quantitatives et aux autres sciences sociales sont des propositions que nous avons rencontrées à plusieurs reprises depuis 1945. Mais ce qui change, c'est que cet ensemble de propositions s'inscrit dans un projet global de rénovation de l'université et dans un contexte favorable au changement (les professeurs hostiles à ces innovations se font très discrets, le ministère souhaite accélérer le mouvement de réformes). Il faut aussi ajouter le souci récurrent de concevoir un enseignement d'économie qui articule l'analyse théorique et l'observation des faits et qui revête un caractère plus opératoire en assurant la maîtrise des techniques qui permettent le traitement des données [54].

Cette commission élabore un projet ambitieux de licence avec un premier cycle de trois ans qui intègre pour chaque année cinq groupes d'enseignements :

- Techniques annexes : comptabilité privée, mathématiques, statistiques, langue vivante, comptabilité nationale, informatique.

- Analyse économique

- Histoire des systèmes et de la pensée économique

- Cadres juridiques : privé et public, national et international

- Sciences sociales : sociologie et philosophie économiques

Ce "projet étudiant" va être présenté par P. Y. Hénin (étudiant en troisième cycle) à la Commission paritaire le 7 juin. S'amorce alors un débat. Au risque de caricaturer, deux conceptions de l'enseignement de l'économie se dessinent chez les professeurs : ceux qui voient en priorité la nécessité de développer les enseignements d'analyse économique macro et micro (Guitton, Vernières, Fourgeaud), ceux qui défendent un enseignement "humaniste" d'économie générale (Bartoli qui déclare "Je ne veux pas former seulement des analystes économiques... La science économique est la science de l'action humaine en tant qu'elle est la science de l'action immédiate sur la nature" (Commission du 7 juin). H Brochier va tenter de concilier les deux approches en proposant un projet.

Le problème de la sélection est abordé par les étudiants à plusieurs niveaux. D'abord sur le plan socioculturel, la sélection par l'origine sociale est dénoncée, ce qui débouche sur des propositions pour démocratiser l'enseignement : information des familles sur les enjeux de l'orientation, création d'un système d'allocations d'études généralisé financé par un impôt sur le revenu.

Au niveau du contrôle des connaissances en sciences économiques trois priorités sont affirmées : "il doit en premier lieu être continu...il doit d'autre part porter sur le maniement des concepts et non se contenter de vérifier la constitution d'un stock de connaissances. Enfin, il doit permettre de juger tant le travail en groupe que l'effort de synthèse personnel de l'étudiant" [55].

Enfin, la question de la sélection est aussi abordée au niveau des débouchés professionnels. Les étudiants proposent des réformes pour améliorer la qualification professionnelle à travers les études à l'Université : d'une manière générale développer le travail en équipe, l'esprit d'initiative, le sens du concret ; constitution dans l'Université de départements d'études qui prépareraient à un faisceau de professions, refus du "numerus clausus" pour garantir les débouchés Enfin, si on cherche à identifier chez les étudiants et les jeunes assistants en économie, ceux qui participent activement à l'organisation du mouvement, on voit apparaître une proportion importante de futurs universitaires comme Jean Paul Piriou, Xavier Greffe, Jérôme Lallement... plus discrètement Pierre Yves Hénin. Il est aussi intéressant de signaler l'influence catholique du Centre Saint Yves d'Assas avec Christian Lefaure, Hervé Hamon, François Morin...

2.3 La voie réformiste de l'ANDESE

C'est une association de docteurs ès sciences économiques, l'ANDESE, très ouverte sur le milieu des entreprises qui va publier des propositions de réforme qui récupèrent en partie des idées émises dans le cadre du mouvement de mai 68. On peut être étonné de trouver dans cette position une organisation que l'on peut qualifier de réformiste et qui est faiblement implantée dans le milieu universitaire, mais cette situation est caractéristique de la période. Comme le note un des collaborateurs d'Edgar Faure, il est difficile pendant le printemps et l'été 1968 d'établir des contacts officiels avec les groupements révolutionnaires, "en revanche les groupuscules qui se disent réformistes, modérés, participationnistes hantent d'autant plus les couloirs de la rue de Grenelle que leur audience réelle est faible..." [56].

Il est toutefois intéressant de se pencher sur les analyses de l'ANDESE car elles s'appuient sur les réflexions qui se sont développée pendant cette période dans un cadre qui dépasse celui de l'Université.

Dans un texte daté du 24 juin 1968, la rédaction de la revue, "Vie et sciences économiques" (revue trimestrielle éditée par l'ANDESE depuis 1953) explique : "La crise profonde traversée par l'Université et la nation toute entière n'a pas laissé l'Association Nationale des docteurs ès-Sciences Economiques indifférente, ni inactive. Dès le début des événements le conseil de l'Association s'est réuni et a décidé d'apporter sa contribution à l'évolution de la crise, d'une part en étudiant les conditions et les modalités d'une refonte sérieuse des études économiques, d'autre part en prenant les contacts utiles avec les enseignants, les étudiants..." [57]. En juin 1968 est publié un manifeste intitulé : "Contester et construire : la réforme des études économiques" dont on trouvera un résumé dans l'annexe N°20. L'ANDESE défend un certain nombre de positions : la nécessité d'ouvrir l'Université à des représentants des milieux professionnels du secteur public et du secteur privé ; l'urgence à reconnaître la spécificité des études économiques qui doivent être distinctes du droit ; le besoin d'une réforme de l'agrégation, il est précisé : "le système de recrutement des enseignants est le couronnement d'une certaine éthique qui conçoit le but de l'Université comme devant assurer surtout sa propre pérennité : ce mandarinat que constitue le recrutement par le système actuel constitue le principal frein à toute tentative de progrès" [58].

L'intérêt de cette réflexion des économistes de l'ANDESE, c'est de chercher à penser un contenu et une structure des études à partir d'une interrogation sur la finalité de cet enseignement. Ils constatent que les économistes ont des débouchés à conquérir, la tendance étant dans le secteur public ou privé à confier les postes de responsabilité économique à des ingénieurs, des énarques ou des diplômés d'écoles de commerce. Il faut donc adapter la formation des Universités et la faire connaître dans les milieux professionnels. Cela les conduit à définir une formation économique qui devrait s'organiser autour de "cinq éléments principaux d'enseignement :

- Fondements de l'économie théorique et pratique, y compris les politiques économiques.

- Connaissance du milieu économique (géographie économique, démographie, psychologie économique, sociologie et systèmes, institutions politiques, droit économique...).

- Méthodologie scientifique et technique (mathématiques, statistiques, enquêtes informatique, documentation, comptabilité...).

- Entraînement aux moyens de communication (expression orale, écrite, graphique, mathématique, langues, conduite de groupes...).

- Dynamisation des attitudes individuelles - par le développement des qualités de curiosité, d'analyse critique etc. - et adaptation psychologique et sociologique à la vie active et collective au moyen notamment d'une meilleure connaissance des débouchés et carrières, et d'une participation active à la vie de groupe" (p11).

L'organisation de cet enseignement apparaît dans un manifeste intitulé : « Contester et construire : la réforme des études économiques » daté de juin 1968. Il est précisé : "L'initiation aux études économiques doit commencer dès l'enseignement secondaire, et ce dans toutes ses sections. De plus, une section économique solide plus renforcée que l'actuelle sera instituée au niveau de l'actuel baccalauréat" (p.13). Au niveau universitaire, les études économiques, distinctes de toute autre discipline, doivent s'organiser dans une perspective de professionnalisation des différentes universités (ce qui suppose de leur accorder une plus grande autonomie), tout en maintenant un programme en très grande partie commun au niveau national pour le premier cycle.

Concernant la sélection des étudiants, il est affirmé que "le succès doit être la règle, et l'échec l'exception". Cela ne signifie pas qu'il ne doit plus y avoir de sélection, mais qu'il faut instaurer une réelle orientation au niveau de chaque cycle. En particulier, le diplôme de fin de premier cycle doit permettre de postuler à des postes de cadre moyen. La spécialisation par université joue surtout en deuxième cycle, sachant que les étudiants doivent pouvoir s'orienter dans trois voies principales : la préparation aux concours administratifs, l'entrée dans une grande école technique ou un institut spécialisé, les carrières de l'enseignement après un passage à l'Institut pédagogique.

Concernant le troisième cycle, il doit commencer par une année de travaux en séminaires spécialisés (laboratoires du CNRS, Direction de la Prévision...), des travaux de recherches en groupes ou individuels et des stages dans les entreprises ou organismes en liaison avec la spécialisation choisie (le FMI pour les questions monétaires internationales...). Après le DES, les étudiants peuvent préparer une thèse qui peut être collective si la recherche a été organisée dans le cadre d'un groupe de travail.

L'ANDESE présente enfin sa réflexion sur : "Comment enseigner l'économie ?". il est distingué quatre modes d'enseignement : "des enseignements fondamentaux" qui sont la base de la formation ; "des enseignements avancés, c'est à dire d'un haut niveau théorique" , "un enseignement appliqué" centré sur le contexte économique (séminaires, TP, groupes d'animation), "un encadrement proche de la formation humaine plus que de l'enseignement, destiné avant tout à assurer à l'étudiant une bonne intégration au groupe social que constitue l'Université d'abord, à la vie en collectivité plus tard" (p.18).

On remarque que cette réflexion conduite par l'ANDESE est centrée sur deux thèmes : ouvrir l'Université et adapter les formations aux débouchés professionnels. En revanche on ne trouve pas de développements sur les contenus à enseigner, ni d'analyse comparative avec les enseignements économiques dans d'autres pays.

L'Association des docteurs ès sciences économiques suivra avec attention les débats à l'Assemblée Nationale et au Sénat concernant la loi d'orientation proposée par Edgar Faure, pour faire aboutir leur projet d'ouverture de l'Université sur le monde extérieur [59]. Ils croiront voir l'influence de l'ANDESE dans le texte de loi adopté le 7 novembre 1968, en particulier dans les articles 8, 9 et 13 où il est précisé que des personnalités extérieures doivent entrer dans la composition des conseils régionaux et du conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, ainsi que dans les conseils d'universités. En réalité, cette question de l'ouverture des conseils des nouvelles instances universitaires aux représentants du monde extérieur est présente à toutes les étapes du débat sur l'université, que ce soit dans le cadre des commissions paritaires des facultés, ou des cabinet ministériels ou des assemblées parlementaires. Dès le mois de juillet 1968, Edgar Faure prend position pour l'ouverture de l'université sur le monde extérieur [60]. Une organisation comme l'ANDESE est donc, pour lui, un relais utile pour défendre cette idée. C'est ce qui peut expliquer la présence d'Edgar Faure, le 26 février 1969 comme invité d'honneur de l'ANDESE. Il y développe sa thèse de l'ouverture de l'université en précisant : "Il ne s'agit pas de mettre l'université au service du capitalisme, mais comment l'université négligerait-elle l'économie ? Comment des marxistes peuvent-ils dire que l'enseignement pourrait être étranger à l'économie ? Alors à partir du moment où l'enseignement n'est pas étranger à l'économie, où l'université n'est pas étrangère au monde, il s'agit de connaître le monde économique : quel que soit notre régime, "capitaliste" peut-être, il est celui où nous vivons, où l'université doit vivre, non pas pour être à son service, mais pour être dans la même maison... il est donc nécessaire de mettre en place une grande passerelle entre la culture et l'économie, qui est le monde vivant, en mettant des dirigeants, des patrons, des syndicalistes et des agriculteurs dans les commissions de l'université" [61].

On pourrait développer les autres thèmes qui sont au centre des débats à partir de 1968 : l'autonomie des universités, la démocratisation des instances de direction, le contrôle continu, le développement des travaux dirigés et des conférences et la réduction de la part des cours magistraux [62], la remise en cause des examens et concours [63]... Mais ce qui sera essentiel pour les sciences économiques c'est l'indépendance avec la mise en place des unités d'enseignement et de recherche qui remplacent les anciennes facultés.

Cette autonomie va s'accompagner d'une multiplication des UER qui assurent des formations à dominante économique. Ainsi à la quinzaine d'anciennes facultés de droit et de sciences économiques va se substituer une cinquantaine d'UER d'économie ou de gestion dans les années 70 [64]. En particulier à Paris, naissent de nouveaux centres universitaires : Assas, Nanterre, Dauphine [65], Sceaux, ainsi que des unités d'enseignement à Clichy et Clignancourt.

Il faut aussi signaler que les réactions hostiles aux idées de 68 ont conduit en juin de cette année là, à la création de la "Faculté libre autonome et cogérée d'économie et de droit" (la FACO) sous la direction du professeur Achille Dauphin-Meunier [66]. Cette dernière vient remplacer la faculté de droit de l'Institut catholique de Paris qui avait été fermé sur décision de Mgr Haubtmann. A. Dauphin-Meunier présente cette création comme une alternative au système en faillite des facultés de droit en France caractérisé par le taux d'échec élevé des étudiants, l'absentéisme des professeurs et un enseignement inadapté [67]. Les 500 étudiants doivent suivre des cours qui commencent à 8H30 le matin, participer à des stages, contribuer à des travaux de recherche... L'ambiguïté de cette initiative privée est de s'appuyer sur des éléments de contestation de 1968 pour réaliser un enseignement au service d'un ordre moral qui s'oppose aux idéologies de cette période.

3. Les années de transition

Avec la multiplication des UER d'économie et de gestion, on assiste à une croissance des effectifs. En 1975, il y a plus de 57000 étudiants en économie [68]. Cet essor va s'accompagner d'une rénovation de l'enseignement qui commence par une période transitoire entre 1968 et 1972 qui est marquée par la disparition sur le plan juridique des programmes nationaux. Seul un cadre global des enseignements sera défini par un arrêté [69] qui commence par un premier article très prudent : "L'organisation des études en vue des diplômes des facultés de droit et des sciences économiques peut faire l'objet, pour l'année universitaire 1970-1971, des aménagements prévus aux article ci-après". Il est précisé dans l'article trois :"Les enseignements de la licence ès sciences économiques peuvent être différenciés de ceux de la licence en droit dès la première année". Concernant les enseignements, il est fait référence aux matières fixées par le décret du 6 août 1960 avec comme précision, que sur les quatre années de licence, "30% au moins des enseignements doivent porter sur l'analyse économique, 20% au moins des enseignements doivent porter sur les méthodes quantitatives". Ce cadre très vague ne fera qu'accompagner une tendance à développer la part de l'économie dans la formation des économistes mais avec des différences de structures sensibles selon les universités.

On peut donner quelques exemples de la mise en place de ces enseignements [70] : à Dijon en 1970 les enseignements de licence se décomposent ainsi :

- première année : analyse économique, mathématiques, statistique, comptabilité nationale, démographie, initiation au droit public, histoire des faits économiques, anglais.

- deuxième année : analyse économique, mathématiques, statistique, technologie monétaire, institutions économiques internationales, initiation au droit privé, histoire des faits économiques, anglais.

En troisième année, deux options sont proposées : science économique ou gestion des entreprises. En quatrième année, trois options apparaissent : économie mathématique-économétrie, analyse économique, gestion des entreprises.

On retrouve à Poitiers, la division en troisième année entre économie générale et gestion de l'entreprise.

A Lyon, les enseignements de première et deuxième années se divisent entre : économie générale, techniques quantitatives, disciplines auxiliaires. La troisième année est consacrée aux fluctuations économiques, l'histoire de la pensée économique, l'économie internationale, les mathématiques et statistique, le droit commercial, le droit du travail. En quatrième année, trois options sont proposées : économétrie, administration des entreprises, économie de l'espace européen, mais avec trois cours communs : systèmes et structures économiques, économie financière, logique et analyse économique.

D'autres universités, comme par exemple Strasbourg, proposent une division dès la première année entre gestion et analyse économique.

On assiste aussi à la multiplication rapide des troisièmes cycles : économie du développement, de l'information, des transports, financière, de l'éducation, européenne, de la banque, de l'aménagement du territoire ; sciences sociales de l'urbanisme et de la construction...

Cette période intense de transformations va aboutir à la définition de régimes nouveaux concernant le DEUG [71], les diplômes du troisième cycle [72], la licence et la maîtrise [73]. On constate au niveau du DEUG l'apparition de deux nouvelles mentions à côté de celle de "sciences économiques" : "administration économique et sociale" et "mathématiques appliquées aux sciences sociales". Concernant la licence, cette dernière se faisait en quatre ans depuis la réforme de 1954, créant ainsi une distorsion avec les licences scientifiques et littéraires qui duraient trois ans. Il est décidé à partir de 1977 que les études de la licence de sciences économiques dureront trois ans et que la quatrième année sera sanctionnée par la maîtrise. Enfin pour le troisième cycle, apparaît une division entre le diplôme d'études approfondies qui se présente comme une initiation à la recherche, et le diplôme d'études spécialisées qui doit assurer une formation professionnelle.

Cette nouvelle structure des études économiques marque la fin d'une période de transition, non seulement au niveau de l'organisation institutionnelle de l'enseignement de l'économie, mais aussi, plus fondamentalement quant aux contenus enseignés dans cette discipline. On voit s'imposer dans les cours d'analyse économique de premier cycle une présentation des fondements de la microéconomie et de la macroéconomie, des enseignements de comptabilité nationale et privée, un développement conséquent des mathématiques et statistiques appliquées à l'économie, ainsi que des efforts inégaux pour développer l'enseignement des langues.

La tendance qui s'impose dans les années 70 sera donc celle d'une normalisation de l'enseignement de l'économie en France comparé aux situations étrangères. Ce processus peut apparaître étonnant au regard des situations passées où fut engagé un débat sur la crise de l'enseignement de l'économie. En effet, si on regarde les situations à la fin du XIXe siècle et dans la période 1945-1954, le thème d'une crise de la science économique en France et de son enseignement se trouve développé à chaque fois sous la forme d'une querelle entre des "classiques" et des "modernes" [74] mais dans un cadre spécifiquement français.

Les années 1970-1976, avec une reprise du débat sur la crise de la science économique symboliseront une nouvelle tentative de résistance d'une partie des économistes français à ce processus de normalisation. Mais il est a noter que le débat se présentera immédiatement comme idéologique dans le prolongement de la dynamique de mai 68 et des mouvements d'économistes dans une mouvance de "gauche" qui se développent dans différents pays (création à la fin de 1968 aux Etats-Unis de l'Union of Radical Political Economy...).

3.1 Les économistes entre effervescence révolutionnaire et normalisation disciplinaire

En France certaines initiatives symbolisent cette effervescence intellectuelle et politique : la création en 1968 du Centre Universitaire expérimental de Vincennes qui sera présidé par Michel Beaud en 1971 [75]. Dans le même esprit, le Collectif de Paris VII cherchera à développer un enseignement critique de l'économie politique à partir de 1969. On voit aussi se mettre en place des séminaires : celui d'Ulm, en 1965 avec Althusser et Balibar fait figure de précurseur. au début des années 70 se créent des séminaires au CEPREMAP autour de R. Boyer, J.P. Benassy, A. Lipietz ; au CORDES avec J. Mazier, B. Guibert, Fraisse ; à l'INSEE où se discute la thèse en préparation d'Aglietta. Il est intéressant d'illustrer ce mouvement critique des économistes à travers les articles qu'ils publient dans la presse à cette période et en retraçant les débats qui traversent l'Association pour la critique des sciences économiques et sociale qui est constituée en 1973.

1 - Le retour du débat sur la crise de la science économique

Concernant les articles, il est facile de les classer en fonction des principaux arguments critiques avancés.

La thèse du nécessaire retour à une science économique, "plus sociale", "à la française"

Hervé Hamon, dans un article de 1970 [76] pose le problème de la nature de l'économie politique contemporaine et de sa prétention à l'autonomie théorique. Il considère qu'"à son stade actuel, la science économique a pour fonction première de fournir des fondements théoriques au mythe selon lequel il existerait une rationalité économique définie par des exigences inéluctables...". La science économique dominante est donc accusée de fournir au capitalisme les représentations nécessaires pour se justifier ; elle aurait une fonction essentiellement idéologique. Pour retrouver sa fonction de connaissance perdue, il faudrait réorienter l'enseignement vers l'épistémologie et l'histoire de la pensée économique et développer la pluridisciplinarité (il cite en référence l'enseignement de l'anthropologie économique à Dauphine et Nanterre). Les auteurs cités dans cet article sont : Bachelard, Althusser, Michel Foucault, Lévi-Strauss, Godelier. C'est donc une épistémologie "à la française" au carrefour du structuralisme et du marxisme qui est convoquée pour lutter contre "la mort de l'économie politique".

Christian Goux, accuse la science économique de n'expliquer que les mécanismes d'hier [77], sans prendre en compte les transformation structurelles. Ce caractère figé d'une discipline qui cherche à expliciter des relations économiques "mécaniques" se heurte à l'irruption du social qu'il faut inclure dans les analyses. Il conçoit cette nécessaire adaptation au niveau théorique par un retour à une analyse en terme de valeur travail face "à la faillite du marginalisme", et au niveau appliqué, par la mise au point d'un nouvel instrument statistique autour de l'affrontement salaire/profit et de la relation Productivité/prix.

La thèse d'une science économique irréaliste

Octave Gélinier critique "le modèle microéconomique" [78] qui nie le management et est incapable d'expliquer le profit, le développement, l'innovation. "Il en résulte une grave scission entre science économique et management. Le corps de concepts et de méthodes qui constitue aujourd'hui le management est issu de la pratique de chefs d'entreprises (Fayol, Sloan, Cardiner), de grands consultants (Taylor, Drucker...) et de sociologues industriels (Mc Gregor, Cyert...). Il est notable qu'on ne compte guère d'économistes parmi les fondateurs du management". Cette situation relèverait de la coupure entre les économistes universitaires et l'entreprise. Ainsi le modèle néoclassique serait coupé de la réalité avec une entreprise qui n'est "qu'un organe passif téléguidé par le marché". La racine du problème pour O.Gélinier serait dans l'incapacité de la science économique à s'émanciper du modèle classique "qui est un modèle d'économie agricole traditionnelle".

Jacques Attali critique les hypothèses irréalistes du modèle d'équilibre général : absence de l'Etat, des groupes de pression, du progrès technique. Il ajoute : "La modélisation fructueuse en science sociale exige de nouvelles mathématiques fondées sur une réflexion originale sur les comportements réels. la théorie des jeux est un premier pas, limité dans cette voie" [79]. Le caractère provocateur de l'article d'Attali qui met en doute le bien fondé de l'attribution du prix Nobel à des économistes (Hicks et Arrow) pour leur "contribution à la théorie de l'équilibre général et du bien-être" va générer une série de réactions [80].

Marc Guillaume se range au côté d'Attali pour dénoncer "le modèle d'équilibre concurrentiel" qui ne devrait plus être le cœur de la théorie économique. Cette communauté de position conduira a la rédaction de "L'anti-économique" [81] qui se présente dès l'introduction comme "une critique de la forme et du fond de l'enseignement traditionnel de la science économique" (le titre est choisi en référence à l'Economique de Samuelson). Concernant la forme, les auteurs s'opposent aux "manuels classiques" qu'ils jugent, "tristes et figés". Sur le fond, l'enseignement de l'économie est accusé de décrire "trop souvent qu'une partie de la science économique" et de la présenter "comme une science séparable des autres sciences humaines...". Cette critique est présentée comme une "version provisoire et un programme de travail" qui s'inspire de "l'économie radicale" américaine (en référence à l'Union of Radical Political Economy et à sa publication : Monthly Review).

Philippe d'Iribarne accuse aussi le modèle d'équilibre général de négliger "le monde où nous vivons pour étudier des mondes largement imaginaires". Bernard Cazes pense qu'il est préférable de s'intéresser au problème de la mobilisation des ressources pour le développement qu'au problème de la combinaison optimale des facteurs.

Du côté des défenseurs du modèle d'équilibre général, Marc Albouy pense que "pour éviter les confusions, les incompréhensions et les prises de position idéologiques qu'engendre spontanément un enseignement trop dogmatique, la seule attitude recevable sur le plan pédagogique comme sur le plan scientifique consiste à présenter le modèle d'équilibre général dans une théorie rénovée des organisations comme un simple repère méthodologique et non comme une référence normative" [82]. Pour Thierry de Montbrial, ce modèle qui est le noyau dur de l'économie mathématique ne peut être discuté que par les théoriciens, or ajoute -t-il, "il y en a si peu en France !". Lionel Stoléru remarque qu'un modèle théorique n'est jamais complètement coupé de la réalité. Enfin, Alain Wolfelsperger ajoute que "la théorie axiomatique de l'équilibre général n'est qu'un secteur particulier de la recherche économique qui ne se confond pas avec l'ensemble de la science économique comme le pensent Attali et Thierry de Montbrial du fait de leur formation".

Crise de la science économique ou crise politique chez les économistes

En 1973, un article de Suzanne de Brunhoff, Michel Beaud et Claude Servolin [83], qui se présente comme le manifeste d'une nouvelle association (l'ACSES) dresse une liste des critiques adressées à la science économique : la faiblesse des résultats factuels pour un outillage mathématique de plus en plus lourd (V. Léontieff) ; l'incapacité de la théorie économique dominante à traiter des finalités de l'emploi, de la distribution des revenus, de la nature du profit (J. Robinson) ; la dénonciation de l'idéologie dominante qui serait sous-jacente au raisonnement économique (mouvements contestataires). Pour les auteurs, "ces critiques se recoupent pour constater l'inadéquation de la science économique actuelle comme outil pour comprendre les problèmes, les difficultés, les crises - fussent-ils répertoriés comme économiques - des sociétés capitalistes contemporaines". Cette inadéquation ne peut s'expliquer simplement par l'apparition de problèmes nouveaux, par une formation inadaptée des économistes ; elle relèverait de "la nature profonde de la science économique" dont la fonction serait de fournir des recettes et des discours sur l'économie tout en évitant les problèmes les plus profonds. "Plutôt que crise de la science économique, il y a crise politique chez les économistes" qui refusent "le rôle de savant fantoche".

Cette analyse conduit à l'affirmation d'une nécessaire initiative des économistes et des spécialistes des sciences sociales pour développer des recherches sur les réalités sociales et économiques du capitalisme.

A partir de cet article un débat s'engage sur l'existence ou non d'une crise de la science économique. Les premières réactions viennent des défenseurs d'une science économique "politiquement neutre et scientifiquement objective" qui s'indignent de la politisation du débat par l'ACSES [84].

D'autres économistes acceptent d'engager le débat ouvert par l'ACSES, ce qui les conduit à identifier d'autres causes des difficultés de la discipline.

Ainsi, Henri Guitton [85] s'interroge sur l'ambiguïté de la notion de crise et préfère à la notion de "Science économique" au singulier, celle de pluralités des formes de connaissance économique (démarches déductives et inductives). La faiblesse de la démarche déductive est de s'appuyer sur des hypothèses irréalistes. Le problème est donc de formuler de nouvelles hypothèses fondatrices qui intégreraient les apports des démarches inductives (connaissance des faits, de leurs enchaînements et de leurs liaisons). Guitton précise : "Si entre tenants d'écoles opposées il n'y a pas un minimum de vérités communes, alors je dirais : il n'y a pas crise de la science économique, il n'y a encore pas de science économique".

Un autre économiste, Jacques Lesourne [86], va réagir à l'article de Beaud, Servolin, de Brunhoff en évoquant l'intérêt de toute critique constructive, "si elle est le point de départ de recherches sérieuses", mais aussi son malaise, "car derrière ces critiques se profile une incompréhension des conditions de développement d'une science qui peut donner naissance à des efforts stériles et ramener une fois de plus la pensée économique française au rôle mineur qui a été la plupart du temps le sien dans cette discipline... Or, dans certaines tendances de la science économique actuelle et plus encore dans certaines critiques qui lui ont été faites en France, apparaissent les symptômes de cinq maladies des plus dangereuses pour l'évolution de cette science : La maladie de la table rase...La maladie de la théorie pure...la maladie de l'empirisme...La maladie de la doctrine...la maladie de la médiocrité...". "la maladie de la table rase" est illustrée par le rejet sommaire de la théorie de l'utilité ; certaines tendances de la revue Econometrica relèveraient de"la maladie de la théorie pure" ; la prolifération des monographies serait une manifestation de la "maladie de l'empirisme". Pour Lesourne, nos trois auteurs du manifeste de l'ACSES, relèveraient de la "maladie de la doctrine", et il précise : "mais qu'elle soit de droite ou de gauche, elle ne garantit pas une bonne science, c'est à dire le développement d'un ensemble cohérent de concepts opératoires en accord avec les faits". Ajoutons, même si Lesourne ne se réfère pas explicitement à l'ACSES, que ce qu'il appelle "maladie de la médiocrité", doit dans son esprit s'appliquer à cette association de chercheurs et enseignants de tous niveaux et de tous statuts. IL précise, concernant cette dernière maladie : "Qu'on le veuille ou non, les sciences sociales sont difficiles et, à un stade élémentaire de leur développement, le volume des armées de chercheurs y a moins d'importance que la qualité de l'élite".

Lesourne, propose une "thérapeutique" pour traiter les "maladies" de la discipline, en développant un programme en quatorze points. Les principales propositions sont influencées par les recherches qui se développent dans cette période : s'inspirer de la théorie générale des systèmes, s'intéresser aux motivations, aux comportements des agents (études psychosociologiques), développer l'analyse des organisations, approfondir l'étude des processus de décision...

Deux aspects des analyses de Lesourne sont particulièrement intéressants. Premièrement, ses raisonnements économiques relèvent des modèles biologiques (il regrette qu'il n'y ait pas "d'économie génétique"), systémiques et organisationnels plutôt que de l'approche "mécaniste" de l'équilibre général. Ces choix sont déterminés par l'orientation des recherches de Lesourne concernant la construction d'une théorie économique de l'entreprise [87]. Dans ce livre il se réfère aux travaux de Simon, Cyert et March sur l'apprentissage de l'organisation, ceux de Marris et Penrose sur les stratégies des entreprises, ceux de Marschak et Radner sur les procédures d'information et de décision... Il raisonne en terme d'hypothèses, de modèles, de théorèmes en exploitant largement le champ de la microéconomie pour en arriver à une tentative de synthèse des modèles particuliers qu'il explore, ce qu'il appelle, "un modèle analytique de l'entreprise". Il est évident que l'originalité de cette démarche dans le contexte des années après 68 est quelque peu étouffé par la tendance à critiquer tout travail théorique qui prend appui sur les apports de la théorie néoclassique.

Le deuxième point concerne sa conception de la science et du chercheur. Il estime que la science est un sous-ensemble culturel qui a une relative autonomie au sein du système social et qui progresse grâce à une élite bien formée. On peut rattacher cette position à la formation de Lesourne, mais cela est un peu court comme explication. Le débat réel qui est engagé dans cette période est celui de l'organisation de la recherche. Un des effets des événements de 1968 a été de créer une autonomie des sciences sociales par rapport aux lettres et au droit. En simplifiant beaucoup, deux voies se sont dessinées pour constituer des identités disciplinaires nouvelles qui soient en rupture avec les identités traditionnelles dans ces disciplines d'avant 1968.

La première voie a été de rechercher les fondements des identités disciplinaires dans les idées et les valeurs qui ont été défendues pendant les événements de 68. Dans ce cas, il y a référence commune pour la sociologie, l'économie, la Psychologie... Logiquement les démarches qui se développeront à partir de cette expérience seront marquées par le choix de l'interdisciplinarité, la référence explicite au politique, la volonté de développer des travaux collectifs qui seront soumis à débat, l'affirmation d'opinions "non conformistes" [88]. On peut interpréter la volonté de créer une association comme l'ACSES, comme la réalisation de ce projet intellectuel et politique de construction d'une nouvelle identité des sciences sociales. On comprend mieux alors les réactions de Beaud, Servolin et de Brunhoff aux thèses de Lesourne qui sont l'expression de l'autre voie [89].

Cette deuxième voie est celle de la construction de l'identité disciplinaire par la spécialisation au niveau de la formation et de la recherche et l'adhésion aux programmes de recherche qui se développent au niveau de la communauté internationale des chercheurs, principalement sous l'influence anglo-saxonne. Cette voie, dont Lesourne paraît être un représentant, a pour finalité de former de bons spécialistes reconnus au niveau international dans leur discipline.

Dans cette période, Jean Bénard prendra une position proche de Lesourne [90]. Il défendra l'idée qu'il n'y a pas de "véritable crise de la science économique", il y a des débats, des progrès analytiques, mais qui ne doivent pas conduire à des "remises en cause, incessantes, des axiomes et raisonnements de base... Le fait que beaucoup d'économistes universitaires français se soient souvent complu dans cette attitude témoigne de leur insuffisante formation scientifique, voire d'un fâcheux ressentiment à l'égard des méthodes des sciences exactes". Ce n'est donc pas la discipline mais les économistes qui sont en crise pour Bénard. Ces derniers sont atteints de deux types de troubles : des "troubles techniques" liés à l'inadaptation partielle des outils d'analyse aux situations complexes (inflation, environnement, choix collectifs...) et des "troubles idéologiques" qui résultent de choix doctrinaux à priori ou de refus de certains outils d'analyse. Ce dernier point lui paraît significatif du malaise des économistes français : "Bon nombre de ceux-ci n'aiment guère au fond raisonner en termes de prix, de coûts, de profits et de gains, de monnaie et de marché. Ils voient dans ces concepts et surtout dans les réalités qu'ils traduisent, quelque chose de sale et de malsain ; on est, certes, bien obligé de s'en servir, mais vite, dépassons, dépassons ! Précipitons-nous dans le "sociologique" et dans le "politique" où nous trouverons des relations plus riches de contenu humain, de rapports de force et... l'Etat". Bénard explique cette situation par le caractère tardif du développement du marché dans l'économie française et par le poids de l'Etat centralisé. Il voit donc comme solution, l'élévation de la culture scientifique des économistes, le développement de l'observation scientifique, une meilleure articulation entre recherche universitaire et travaux des instituts publics ou privés.

Cette orientation vers une économie plus scientifique, défendue par Lesourne et Bénard s'imposera dans les années 70. Peut-on en inférer, que l'autre voie, celle que représente l'ACSES, n'était qu'une manifestation du comportement des économistes français qui périodiquement, chercheraient à se mettre en retrait du développement international de la discipline ?

3.2 L'Association pour la Critique des Sciences économiques et sociales (ACSES) : "Des économistes contre le système"

Michel Beaud et Claude Servolin écrivent : "Au début de cette année, une vingtaine d'économistes a formulé le projet de constituer une association regroupant les économistes qui ont en commun, de se situer ou de se sentir en rupture par rapport à la tradition économique dominante et de mettre en question la neutralité politique et l'objectivité de la science économique" [92].

Ce projet se concrétise avec la création de l'ACSES, le 17 mars 1973 [93]. Un premier texte d'orientation est rédigé le 7 avril 1973 qui fait état de la convergence de plusieurs crises des sciences économiques et sociales. Le texte insiste sur la dimension politique de cette crise et propose de "briser les barrières qui séparent artificiellement les diverses sciences sociales", non pas en rapprochant simplement des spécialistes de différentes disciplines (bien qu'une finalité de l'association soit de rompre l'isolement des économistes non conformistes), mais en dégageant des objets communs d'étude. Pour réaliser ces objectifs, il est proposé de créer des collectifs de recherche, une revue, d'élaborer du matériel pédagogique, des manuels, d'organiser des colloques.

On constate immédiatement le caractère pluridimensionnel des finalités de l'association : elle serait à la fois un instrument d'opposition politique, un outil de réforme de l'enseignement des sciences économiques et sociales, un pôle d'organisation de la recherche, un centre de diffusion des recherches et des débats qui intéressent les membres de l'association.

Environ 250 personnes participeront à la première assemblée générale de l'ACSES à la Sorbonne le samedi 19 mai 1973 [94]. Les débats porteront sur l'organisation et les finalités de l'association. Les participants vont immédiatement se structurer en groupes de travail qui s'organisent sur une double base thématique (essentiellement autour du capitalisme, de la périphérie, de la théorie de la valeur, de l'information économique, de l'enseignement des SES) et régionale (5 thèmes pour la province, 22 pour la région parisienne). Les sources potentielles de tensions seront canalisées dans un premier temps grâce à cette organisation en multiples groupes, mais les facteurs de division sont nombreux. On peut recenser : les facteurs géographiques (domination de fait des parisiens), les facteurs idéologiques (les motivations des participants vont d'une approche "humaniste" des sciences sociales en passant par le besoin d'un lieu de discussions théoriques pour universitaires de gauche, jusqu'à des positions gauchistes qui voient dans l'association un outil au service des luttes sociales), les facteurs institutionnels (divisions entre les universitaires fortement majoritaires dans l'association, les "praticiens" des administrations, les enseignants du secondaire, avec à l'intérieur de chaque groupe des différences de statuts), les facteurs disciplinaires (les économistes sont majoritaires, ce qui pèse lourdement dans les thèmes retenus par les groupes de travail ; par ailleurs le discours sur "la critique de la division bourgeoise des disciplines" conduit, implicitement à fonder l'interdisciplinarité sur le marxisme). Il est intéressant de noter que rapidement l'association est traversée par des tensions qui s'expriment entre les membres de l'ACSES (voir par exemple le bulletin N°8 d'octobre 1974).

Les premières activités de l'ACSES vont s'organiser autour de réflexions de groupes de travail : celui des économistes du secondaire, celui des anthropologues, celui des sociologues, celui des praticiens de l'économie ; et de la préparation de colloques : Colloque sur l'internationalisation du capital à Grenoble (Palloix, juin 1974), Colloque sur pratique économique et pratique symbolique à Lille (Latouche, juin 1974)... Le problème de la création d'une revue sera débattu dès la création de l'association. H. Brochier fera la synthèse de ces premières discussions en estimant qu'on ne peut se limiter à une revue militante, mais qu'il faut la fonder sur un projet intellectuel cohérent. Brochier insiste sur la valorisation de travaux non académiques (en particulier ceux des groupes de l'association), sur un "nouvelle pluridisciplinarité" construite dans la pratique et non dans l'abstrait, sur l'éclatement des frontières entre théoriciens et praticiens. Mais ce projet de revue reste hésitant et c'est vers un support moins ambitieux que se tourne l'ACSES : un bulletin interne, dont le premier numéro paraît en octobre 1973 à la suite de la deuxième assemblée générale [95].

L'essentiel de l'activité des groupes pendant la période 1973-1974 relèvera de la contestation. Le groupe "enseignement de l'économie" s'interrogera sur l'utilité de produire un "contre-manuel" pour étayer la critique de l'idéologie ambiante, puis engagera une réflexion sur les thèmes de la révolution industrielle et de l'inflation [96] ; le groupe des "anthropologues" s'attachera à dénoncer l'impérialisme français en Afrique ; le groupe des "sociologues" organisera une opposition virulente aux représentants de la Société Française de Sociologie (en particulier contre leur président : M. Crozier) dans le cadre du G.L.A.S. (Groupe de Lutte Anti-Sociologiques) ; le groupe des "praticiens" engagera une critique des représentations statistiques et comptables, en particulier en ce qui concerne l'indice des prix. A partir de mai 1974, un nouveau groupe apparaît, celui des "géographes" qui s'inquiète de "l'indigence conceptuelle de la production géographique universitaire" et des menaces de suppression de la géographie dans l'enseignement secondaire [97].

Au fil des bulletins, les sujets abordés ne se limitent pas aux réflexions des groupes de travail, aux annonces de colloques et aux présentations de publications. On trouve aussi régulièrement des prises de position concernant des problèmes d'actualité : la famine en Afrique, les conflits comme ceux de Lip ou de Pennaroya, la dénonciation du plan d'aide de la Banque mondiale au régime de Saigon [98], le soutien aux réfugiés chiliens, la répression dans la presse ou l'administration, le licenciement des assistants [99], la menace de disparition du CREDOC (juillet 1974) de l'IREP de Grenoble (journées sur les sciences sociales de février 1975), la contestation de la réforme des troisième cycles [100], le procès de pierre Goldmann, l'appel anti-nucléaire des scientifiques, le mouvement des paysans du Larzac...

Un moment important où les membres de l'ACSES tenteront de combiner une réflexion intellectuelle d'ordre disciplinaire avec leur engagement dans différents conflits sera les discussions sur "La crise actuelle" organisées par le département d'économie politique de Vincennes en 1975. Les débats commenceront en février avec les analyses de Samir Amin de "La crise de l'impérialisme". En mars, Suzanne de Brunhoff présenta une analyse de la crise de 1974 centrée sur la dimension monétaire et la question de l'affaiblissement de la domination américaine. Puis, Valier et Salama traitèrent de la crise de l'impérialisme en Amérique Latine. En avril ce fut Christian Goux qui présenta son analyse de la crise. Il y eu aussi des débats autour du livre de Boccara sur le CME, puis la présentation de l'ouvrage de J.M. Chevalier "Le nouvel enjeu pétrolier", ensuite les réactions à l'article de B. Guibert : "Crise économique et lutte des classes" paru dans les "Temps modernes" d'avril 1975 [101]. En mai, l'équipe de Vincennes, autour de Vergopoulos traita du "Capitalisme difforme". Ces discussions culminèrent avec les journées de Vincennes des 6-7-8 juin 1975 organisées par : P. Allard, M. Beaud, S. Erbès, B. Guibert, J. Singer autour de quatre commissions : "la crise de l'accumulation aux USA", "La crise en France", "Les pays soumis à l'impérialisme face à la crise", "La crise comme crise du capitalisme mondial" [102]. P. Sweezy présenta à ce colloque une interprétation historique de la crise de l'économie américaine en terme de tendance à la stagnation du capitalisme monopoliste qui ne peut être efficacement contrecarrée que par la guerre (Sweezy imaginait que la Corée était le lieu le plus probable du prochain conflit) [103].

Ces travaux sur "La crise" participent d'une inflexion dans les activités de l'ACSES en 1975, au profit des réflexions théoriques : rencontre avec John Eatwell en février sur le thème : "les fondements de la critique cambridgienne et ses limites" ; organisation d'un séminaire de théorie économique à Paris VII à partir d'avril [104] (les premières séances portèrent sur l'interprétation par Léontieff de la théorie marxiste, l'hypothèse de convexité - critique des théories néoclassiques, monnaie - crédit - inflation), publication d'articles de réflexion comme celui de Serge Latouche qui s'interroge sur les dangers d'un enseignement de la théorie marxiste qui tend à s'institutionnaliser dans les universités [105].

Il semble que l'ACSES fut portée par une dynamique pendant les années 1973-1974-1975 qui s'essouffla progressivement les années suivantes. Une première explication tient au glissement que nous venons d'évoquer vers une réflexion qui relève de la critique théorique économique universitaire, ce qui éloignera les enseignants du secondaire (ce groupe développera ses activités dans le cadre de sa propre association, l'APSES), les praticiens des administrations et des entreprises, les spécialistes des sciences sociales non économistes.

Une autre explication tient aux divisions entre universitaires sur les orientations à donner à l'association dans un contexte de réformes qui conduit à la normalisation (résorption du corps de assistants qui constituait un gros contingent des membres de l'ACSES, réformes du second cycle et du troisième cycle, avec une logique de professionnalisation et de contrainte accentuée de respect des matières à enseigner).

L'essentiel des activités de l'ACSES tournera alors autour de l'organisation annuelle de colloques : le colloque sur "L'Etat" en septembre 1976 à Nice [106], le colloque sur "procès de travail" en septembre 1977 à l'Université de Paris VII [107], le colloque sur le thème : "Où en est la critique des sciences économiques et sociales ?" en septembre 1978 à l'IEP de Grenoble [108], le colloque sur "L'argent" en septembre 1979 à Nanterre, le colloque "Utopie et économie" en septembre 1980 à Toulouse.

R. Frydman et S. de Brunhoff feront état de leurs inquiétudes en ce qui concerne l'avenir de l'association dans un texte intitulé : "Faut-il dissoudre l'ACSES ?" [109] où ils constatent la baisse des adhésions et la perte de richesse du Bulletin. Les dissensions entre les membres de l'ACSES vont s'accentuer avec la réalisation du projet de revue qui se fera sous l'influence contestée d'Alain Caillé [110]. A notre connaissance il n'est paru qu'un numéro de cette revue intitulée "accès" [111], avec pour sous-titre : "Revue critique des sciences économiques et sociales". Là encore des interrogations qui marquent la fin d'une période s'expriment dans l'article de J. et L. Cartelier : "Enseignant critique à l'Université ?". Les auteurs dressent une typologie sommaire des "modèles tentants pour l'enseignant critique" en faisant apparaître les contradictions inhérentes à chacun d'eux. La première attitude analysée est celle du "double refus : refus de la hiérarchie enseignants et enseignés fondée sur la détention du savoir, et refus du caractère oppressif attaché à l'idée de savoir". Cette voie conduit à transformer l'enseignement en discussion spontanée, mais à terme elle se heurte aux étudiants qui attendent de l'université formation et diplôme.

La deuxième attitude consiste pour l'enseignant à former, en priorité, l'esprit critique des étudiants en s'appuyant sur le mythe du caractère subversif de la science. Le problème est ici dans la croyance en une science qui serait indépendante d'un ordre établi. "La troisième voie d'enseignant-critique est le marxiste convaincu d'avoir accès par là à la science des sciences sociales". Cela implique que la seule critique authentique serait marxiste et qu'il n'y aurait qu'un marxisme à enseigner.

Enfin, un quatrième type de comportement critique s'incarne dans le refus du champ de l'économie politique comme discipline pertinente pour la connaissance du social. Mais vouloir éviter l'économisme en désertant le terrain de l'économie politique est une position difficilement tenable pour l'enseignant d'économie qui voudrait s'attaquer aux représentations dominantes.

Cette réflexion par des auteurs impliqués dans le mouvement de l'ACSES est éclairant sur la perception des contradictions auxquelles sont confrontés ceux qui depuis une dizaine d'années voulaient promouvoir un enseignement critique en sciences sociales. Ils repèrent un glissement vers des approches dogmatiques qui confèrent à la critique un conformisme incompatible avec une réflexion approfondie. Ils s'interrogent sur la remise en cause des contenus privilégiés dans un enseignement critique à la fin des années 70 (marxisme). Ils s'inquiètent d'un décalage croissant entre des enseignants imprégnés d'un esprit critique "post soixante huit" et des étudiants soucieux de réussir des examens et inquiets des débouchés professionnels.

Face à cette situation, que faut-il faire ? Suivre la demande sociale (délivrer des diplômes), assurer une formation disciplinaire préalable à tout travail d'analyse critique. J. et L. Cartelier voient dans la priorité donnée par l'enseignant critique à son rôle de chercheur le moyen pour ce dernier "d'être un critique de l'enseignement".

Cette analyse est importante, car en mettant au centre de la réflexion critique, l'activité de recherche, qui implicitement apparaît comme étant d'ordre universitaire, il tend à se créer un consensus nouveau en France, dans la deuxième moitié des années 70, pour dire que ce qui doit s'enseigner en économie est déterminé par les progrès de la recherche dans la discipline. Pourquoi insister sur une question qui n'en serait pas une pour les "sciences dures" ? Parce que, en sciences économiques, ce consensus n'avait jamais existé : Les contenus enseignés étaient pensés au XIXe siècle en référence à un savoir constitué (essentiellement, celui de Smith et Say). Puis, avec l'enseignement de l'économie dans les facultés de droit, les contenus furent pensés en terme de culture générale (intérêt pour les dimensions historiques, géographiques, juridiques...). Après 1945 on a vu se développer le projet d'une science économique "à la française", qui est le produit d'un contexte intellectuel, social et institutionnel mais qui sera peu influencé par les développements des théories économiques anglo-saxonnes.

Il faut attendre les années 60 pour que se développe un courant que l'on pourrait qualifié de moderniste, qui va défendre le projet d'un enseignement de l'économie qui doit s'imposer à l'échelle internationale avec comme référence principale les travaux des économistes américains. Cette aile moderniste qui peut être symbolisée par des économistes comme J. Bénard et une partie des membres du GEPE, R. Barre, P. Salin... est encore minoritaire au début des années 70, mais avec le glissement d'une partie des "économistes critiques" vers la priorité à la recherche, le rapport de force s'inverse, faisant apparaître les économistes attachés à une pensée "non conformiste" comme constituant l'arrière garde de la discipline. Ce qui est en jeu pendant les années 70, derrière le spectacle d'une opposition entre des économistes aux sensibilités politiques opposées, c'est le rapport de ces enseignants à la recherche et l'influence de cette recherche sur ce qui est conçu comme devant être enseigné.

L'éclatement des positions concernant la voie à suivre, pour développer un mouvement critique en sciences économiques et sociales conduira à la disparition de l'ACSES en 1980 . Une partie des économistes universitaires "de gauche" lancera "la gazette des économistes" en décembre 1981 [112] ; A.Caillé et S. Latouche développeront leur approche critique en sciences sociales avec la création du MAUSS [113] en 1980 ; la présentation des problèmes économiques avec une volonté pédagogique et une orientation critique conduira à la publication d'Alternative Economique sous la responsabilité de Denis Clerc à partir de novembre 1980 [114] ; enfin, en mars 1980, sous l'impulsion en particulier de B. Guibert se met en place, l'Association pour le droit à l'information économique et sociale (D.I.E.S.) [115] qui veut rassembler ceux qui produisent, traitent, diffusent les informations économiques et sociales. Cette association centra son activité en 1981-1982 sur la préparation d'un colloque intitulé : "Conquérir le droit à l'information économique et sociale" qui devait permettre aux statisticiens et aux économistes de l'administration de "sortir de leur ghetto" [116].

Conclusion

Ce foisonnement d'initiatives, ces multiples critiques d'une science économique dominante, d'un système universitaire conservateur, d'un appareil d'Etat technocratique ne peuvent dissimuler le mouvement profond de "normalisation" de l'enseignement de l'économie qui va s'imposer durant les années 70. Ce mouvement, comme nous l'avons suggéré plus haut, n'est pas le produit de la volonté d'économistes conservateurs qui voudraient imposer l'analyse néoclassique mais de changements profonds dans la manière de travailler des économistes à partir des années 60. Pour comprendre la nature de ces changements et leur impact sur la manière d'enseigner l'économie, il faudrait prolonger ce travail par une analyse des conditions du développement et de l'organisation de la recherche en science économique en France dans l'après-guerre, en particulier à partir de 1962 avec la mise en place du Séminaire Say puis des séminaires Aftalion et Goetz. C'est dans le cadre de ces séminaires qu'une nouvelle génération d'économistes développe des travaux avec une organisation collective de la recherche qui induira une intégration dans la communauté scientifique internationale orientant les économistes français vers la formalisation qui s'était imposée dans la discipline au fil des décennies.


Notes

[1] R.Mossé, "Les Facultés de Droit et la vie des affaires", intervention du 9 juin 1952 au colloque de Strasbourg : "L'enseignement actuel des disciplines juridiques et économiques répond-il aux besoins de la vie contemporaine ?", p.55, publié avec le concours du CNRS par L'Institut de Droit et d'Economie comparés de Strasbourg.

[2] M.Allais, "Pour la création de Facultés des sciences économiques et sociales", Revue d'économie politique, tome LXVIII, 1953, p.212. Ce texte reprend une partie de l'introduction de son traité d'économie pure.

[3] M.Allais, "Abondance et misère", Librairie de Médicis, 1946, p.34.

[4] Paul Fraisse, "Crise de croissance de l'Université", Esprit, juin 1954, p.801 à 815.

[5] Voir J.-Claude Passeron, "1950 - 1980 : l'université mise en question : changement de décor ou changement de cap ?", in "Histoire des Universités en France" sous la direction de Jacques Verger, Privat, 1986, p.372.

[6] L. Weil, "La crise de croissance et la crise de conscience de l'enseignement supérieur", in "L'Education nationale", ouvrage collectif sous la direction de J.L. Crémieux-Brilhac, PUF, 1965,p142 à 197. Voir aussi le numéro de mai-juin 1964 de la revue Esprit qui est consacré à la réforme de l'enseignement supérieur.

[7] Les réflexions sur les réformes à réaliser dans l'enseignement supérieur français seront fortement influencées par le modèle américain. Plusieurs colloques vont être des moments privilégiés de cette réflexion : le premier "Colloque national sur la recherche et l'enseignement scientifique" à Caen en novembre 1956 ( impulsé par Mendès-France) ; le Colloque de Grenoble en octobre 1957 sur le thème : "les problèmes généraux des contacts entre l'Université et l'industrie dans le cadre de la recherche" ; le second Colloque de Caen en novembre 1966 intitulé : "Les perspectives de l'enseignement supérieur scientifique et de la recherche" ; le Colloque d'Amiens de 1968.

[8] A. Nicolaï, "Les économistes veulent aussi bouger", Le Monde, 29 décembre 1966. Il faut préciser, qu'Alain Barrère avait en projet l'organisation d'un colloque, dans la lignée de celui de Caen, sur l'avancement des sciences économiques, qui devait se tenir à Nanterre en 1968. Mais ce projet ne pourra se réaliser, probablement, du fait de la situation politique et sociale.

[9] Les problèmes évoqués par A. Nicolaï sont perçus dans cette période par nombre d'économistes. Cela conduit, en novembre 1967, un groupe de travail de docteur ès sciences économiques autour de Jean-Louis Quermonne, membre de l'équipe de Pierre Aigrain, Directeur Général des enseignements supérieurs au Ministère de l'Education Nationale, à formuler des réflexions autour de trois axes : les besoins en économistes, les adaptations nécessaires au niveau du doctorat et de l'agrégation, l'ouverture de l'Université sur le monde extérieur. Ces travaux inspireront l'Association Nationale des Docteurs ès Sciences Economiques lorsqu'ils diffuseront leur projet concernant l'enseignement de l'économie en 1968.

[10] Le G.E.P.E. est une association loi de 1901 créée au printemps 1966 qui résulte de réunions informelles entre économistes à partir de décembre 1965 (la première se tiendra chez A. Babeau, puis chez E. Lévy, Cl. Ponsard, A. Nicolaï). L'objectif était de réunir : "tous ceux qu'intéresse l'évolution des connaissances en matière de science économique et qui estiment féconds les dialogues avec d'autres économistes sur des sujets précis". A l'origine le président était : A. Babeau, le secrétaire général : P. H. Derycke, le trésorier : J. Houssiaux. Nous tenons à remercier A. Bienaymé et P. H. Derycke pour les informations précieuses qu'ils nous ont apportées sur ce groupe de travail.

[11] Cahier N°1 du G.E.P.E., Publications de l'Université de Rouen, dépôt légal : troisième trimestre 1967, p.I.

[12] Cahier N°1 du G.E.P.E., pIII et IV.

[13] J. Bénard, "Les modèles de politique économique et la théorie moderne du welfare" ; P. H. Derycke, "La projection des échanges extérieurs en planification indicative" ; A. Babeau, "La projection des réseaux d'échanges mondiaux" ; A. Bienaymé, "Quelques aperçus nouveaux sur la théorie du commerce international" ; E. Levy, "Progrès technique et échanges internationaux" ; G. Caire, "Le Comecon" ; A. Chaineau, 'L'économétrie de la monnaie" ; P. Llau, "Le financement de l'économie : esquisse analytique et essais de programmation" ; A. Nicolaï, "Le profit et la théorie de la répartition", Cahier du G.E.P.E N°1.

[14] Cahier du G.E.P.E N°1, p.250.

[15] Il n'y a pas eu à notre connaissance de publication comme en 1966 de ces communications.

[16] R. Plaisant, "Il faut créer des instituts donnant une formation professionnelle en deux ans dans les facultés de droit et de sciences économiques", Le Monde, 28 août 1968.

[17] Rapport "Education", sixième plan, 1971, p.80. On trouve déjà dans le rapport du quatrième plan de la Commission de l'équipement scolaire, universitaire et sportif de 1961, le commentaire suivant : "Les établissements universitaires français sont ouverts largement à la grande masse des nouveaux bacheliers ; cette politique traditionnelle, de notre université, laquelle est d'ailleurs suivie par beaucoup d'autres, conduit évidemment, à des pourcentages d'échecs supérieurs à ceux qui sont constatés dans d'autres pays dans lesquels, à l'opposé, une sévère sélection est faite à l'entrée des établissements supérieurs. la commission a tenu à signaler ce problème dont l'importance sociale va croître avec le doublement rapide des effectifs estudiantins non pas pour que soit adoptée une politique restrictive d'accès à l'Université qui serait certainement contraire à la fois à nos tradition et à l'intérêt de notre société, mais au contraire, afin que toute mesure soient prises pour orienter et former au mieux dans les Universités tous les étudiants selon leurs capacités relatives", p.67.

[18] Voir par exemple, le témoignage d'un élève en sciences économiques dans le Figaro du 10 mai 1968, "Qu'on nous donne une Université où nous serions actifs et le monde étudiant se réconciliera avec celui qui le porte".

[19] J. Singer-Kerel en 1968 était Maître de recherche au CNRS, en poste au Service d'étude de l'activité économique et de la situation sociale qui était dirigé par R. Barre, M. Flamant et J. M. Jeanneney.

[20] Cette rencontre se déroula les 14, 15 et 16 juin à Poitiers et donna matière à publication d'un document ronéoté intitulé : "Rencontre nationale des économistes" (archives de Jérôme Lallement). D'autres journées seront organisées dans le cadre de la Convention nationale des Universités de France, du 9 au 11 juin à Strasbourg, les 20 et 21 juin à Nanterre, les 26 et 27 juin à Grenoble, le 11 juillet à Toulouse (réunions toutes disciplines confondues).

[21] A. Bienaymé, (1969), "Réflexions sur l'enseignement économique universitaire", Vie et Sciences Economiques N°56, p.35. A. Bienaymé était alors professeur à la Faculté de Dijon, Conseiller Technique au Cabinet d'Edgar Faure et Vice-Président de l'ANDESE. J. M. Parly dans un entretien du 18.01.1996 précise qu'à Poitiers, les discussions portèrent plutôt sur les structures universitaires, alors qu'à Orléans c'était la question des programmes à enseigner qui était débattue.

[22] Entretien avec P. Llau du 20.11.95.

[23] Entretien avec Danièle Blondel, le 4 janvier 1996.

[24] Pour chaque thème, un rapport introductif était présenté et discuté et des rapports parallèles développaient des points particuliers comme : Fonction sociale de l'université, Université populaire, Contestation permanente, Structure de la licence...

[25] Dans le fascicule d'août 1968 intitulé : "Université critique N°2" du Comité de grève de la Faculté de droit et de sciences économiques de Paris, on peut lire le commentaire suivant concernant les journées de Poitiers (p60) : "le premier congrès national des économistes a montré les dangers corporatistes des réunions disciplinaires. Certaines délégations pensaient y trouver un terrain de choix pour faire adopter des réformes, issues de réflexions de mandarins qui ne pouvaient aboutir qu'à un replâtrage de l'université au sein de la société capitaliste". A l'évidence, ce sont les textes présentés par la délégation de Poitiers, avec J. Bénard comme principal animateur qui sont visés dans ce commentaire.

[26] Compte-rendu du vendredi 14 juin 1968. La critique est encore plus radicale dans le rapport rédigé le 10 juin par Poitiers pour préparer le débat. On peut lire : "Les économistes offerts par l'Université ne sont pas de bons économistes parce que l'enseignement économique est mauvais. L'enseignement économique est mauvais parce que la notion bourgeoise de science économique reste libérale : "comme science naturelle", d'observation, ayant pour finalité de découvrir et de justifier les lois de l'ordre établi. Le droit demeure un procédé de gestion plus efficace pour consacrer les formes sociales et aussi pour ruser avec la bureaucratie et contourner les "lois sociales", la fiscalité... L'offre d'économistes correspond assez bien à cette demande capitaliste".

[27] Un historique rapide du mouvement dans la Faculté de droit et de sciences économiques de Paris est présenté dans la brochure : "Université critique, N°2". Il est précisé : "Les premières tentatives de regroupement ont lieu le 5 mai à l'issue d'un cours d'économie au Panthéon : un comité Panthéon se forme, visant à expliquer la signification politique de la lutte des étudiants contre la répression policière. Le 6 mai, le mouvement de l'amphi "1000" se forme à Assas dans un objectif très précis. la crise tient à un manque de débouchés...Il refuse de voir le sens politique du mouvement... le 9 mai, grâce à l'intervention de certains éléments, le mouvement de l'amphi "1000" est enfermé dans ses contradictions au cours de sa réunion quotidienne. Il éclate et une partie importante se rallie à la vision du Comité Panthéon... Le 10 mai a lieu le premier meeting réellement important quant à la composition de l'assistance (enseignants et étudiants, venant d'Assas, du Panthéon et de Nanterre) et quant à la ligne suivie...", p3.

[28] A signaler l'apparition d'une Sous-commission paritaire de Sciences Economiques à partir du 6 juin 1968 qui va réfléchir sur les objectifs et l'organisation des enseignements de sciences économiques.

[29] "Université critique", volume N°1, p.3.

[30] B. de Jouvenel, "L'explosion estudiantine", Analyse et prévision, VI, 1968, p.571. Dans cet article, B. de Jouvenel, qui sera régulièrement présent à Assas en mai - juin 1968, fait une analyse des différentes périodes du mouvement.

[31] L'essentiel des documents de cette période nous a été communiqué par Jérôme Lallement, Hervé Hamon, François Morin.

[32] Le C.L.E.R.U. diffusera un document de synthèse en juin 1968 avant les élections des représentants à la Commission paritaire qui a pour titre : "Réforme de l'Université". Un chapitre de ce document est consacré à la réforme de la licence de sciences économiques. L'essentiel de ce travail étant une reprise des débats dans les commissions, il apparaît proche des analyses du Comité de grève.

[33] Un document de synthèse rédigé par les représentants de la "Corpo" s'intitule : "Pour une nouvelle Faculté de Droit et de Sciences Economiques", 7 pages, non daté. Il n'est pas question dans ce document d'une séparation entre le droit et les sciences économiques.

[34] Commission Université et société, texte intitulé : "La définition politique d'un avenir", brochure Université Critique, tome 1, p 137, 1968.

[35] Op. cit., p.137.

[36] Brochure Université Critique, tome 1, p.100, 1968.

[37] Le Centre Saint-Yves, domicilié, 5 rue Gay-Lussac, abritait les activités du groupe catholique de la faculté de droit et des sciences économiques. Il était animé en particulier par trois dominicains : les frères, Raguenes, Burin des Roziers et Rettenbach. Des étudiants en économie comme François Morin, Hervé Hamon ou Christian Lefaure appartenaient à l'équipe d'animation . Le Centre publiait une revue : Bucéphale, qui était tirée à environ 700 exemplaires. Grâce à F.Morin nous avons eu accès à l'essentiel des numéros parus entre novembre 1966 (N°6) et février 1969 (N°15), ainsi qu'à des documents ronéotés datés de 1968.

[38] Texte non daté du frère Michel Gest, "Un être en voie de développement".

[39] La lettre de l'équipe d'animation du 20 décembre 1966 aux deux premières années insiste sur le besoin de "purification" face à "un monde où règnent des valeurs que pourtant notre choix moral refuse". On peut lire aussi dans le N°6 de Bucéphale (novembre 1966), une critique de l'économie fondée sur l'individualisme et l'argent : "Vivre avec son temps", M. Delaunay.

[40] Henri Guitton, "Mériter une économie harmonisée", Bucéphale N°8, p.2-3. Rappelons qu'en 1948, Firmin Oulès, professeur d'économie politique à l'Université de Lausanne publiait : "Les principes d'un système économique nouveau : l'économie harmonisée", L.G.D.G.

[41] Le N°9 de Bucéphale (novembre 1967) est consacré au développement avec la participation de membres de l'I.R.F.E.D. Le N°11 (mars 1968) traite du tiers monde (études sur le Kurdistan, l'Inde, le Maroc, la Haute Volta).

[42] Bucéphale, N°13, décembre 1968, "Des bidonvilles à nos portes".

[43] Bucéphale, N°14, décembre 1968, "Tradition et mutation". Bucéphale, N°15, février 1969, "Foi et politique".

[44] P. Blanquart, "Les étudiants et la révolution", texte du Centre Saint-Yves, 16 mai 1968. Cette analyse qui conduit à faire l'analogie entre mouvement étudiant et mouvement ouvrier avait été formulée par A. Touraine, Le Monde, 8 mars 1968. Le père Blanquart précise son analyse dans un texte daté du 16 juin : "Ouvert à discussion", où il associe révolution, culture, internationalisme, démocratie.

[45] Une série de documents ronéotypés est diffusée sous le titre général : "Eléments de réflexion". Document N°2, "Ou en est l'économie française ?" ; document N°3, "Les raisons de la crise actuelle" ; document N°5, "La révolution questionne la foi". Enfin, les assises du centre qui se déroulent à Draveil le 22 juin 1968 ont pour thème : "Saint-Yves face au monde étudiant...".

[46] "Des évêques de Paris parlent de la révolution", Amphi Permanent, Centre Saint-Yves.

[47] Lettre des Frères Burin des Roziers, Gest, Raguénès du 2 décembre 1968.

[48] Brochure Université Critique, tome 1, p.96, 1968.

[49] Un compte-rendu de cette assemblée est présenté dans l'article du Monde du 6 juin 1968 intitulé : "Accords entre enseignants et étudiants sur l'autonomie et la cogestion".

[50] Brochure Université Critique, tome 1, p.62, 1968.

[51] Brochure Université Critique, tome 1, p.54 à 62, 1968.

[52] Brochure Université Critique, tome 2, rapport Commission méthodologie et examens (Sciences Economiques). Cette question des objectifs de la formation de l'économiste est évoquée dans la Commission paritaire de Sciences Economiques du 6 juin 1968.

[53] Brochure Université Critique, tome 1, p.97, 1968.

[54] les professeurs aussi insistent sur ce point. Pour H. Brochier, il faut "un enseignement solide en matière de faits, enraciné dans la réalité, car c'est à ce niveau que l'enseignement peut être critique" (Commission paritaire du 6 juin). Guitton, Vernières, Hénin font aussi des remarques dans ce sens.

[55] Brochure Université Critique, tome 1, p.85, 1968.

[56] Jacques de Chalendar, "Une loi pour l'Université", 1970, Desclée de Brouwer, p.21-22.

[57] Vie et sciences économiques, N°52, mars 1968, p.5.

[58] Vie et sciences économiques, N°52, mars 1968, p.9.

[59] Le détail des débats concernant cette question de la présence d'économistes praticiens dans les Conseils d'Université et dans les Unités d'enseignement lors de la préparation de la loi d'orientation en septembre - octobre 1968 est décrit dans le N°56 de juin 1969 de la revue Vie et Sciences Economiques intitulé : "Les études économiques à l'Université, un an après", p.11 à 17.

[60] Jacques de Chalendar, "Une loi pour l'université", p.129 à 133, p.201 à 203, p.211 à 213.

[61] Vie et Sciences Economiques, op. cit., p.31.

[62] B. Girod de l'Ain, "A la faculté de Paris", Le Monde, 9 décembre 1968.

[63] Par un arrêté du 6 avril 1969 est mis en place une nouvelle agrégation de "Sciences Economiques et de Gestion" qui marque la disparition de l'épreuve écrite et des leçons préparées en 24 heures. L'admissibilité est prononcée après une épreuve de discussion sur travaux de chaque candidat qui doit sonder ses qualités scientifiques. L'admission repose sur deux épreuves orales, l'une portant sur l'analyse économique, l'autre sur la politique économique ou la gestion des entreprises au choix des candidats.

[64] Patrick Guillaumont, "Les sciences économiques a l'université en France", Chroniques d'actualité de la SEDEIS du 15 mars 1976.

[65] Thérèse Guitton, "Le centre universitaire de Dauphine : une expérience multidisciplinaire dont le noyau principal sera le département de gestion et d'économie appliquée", Le Figaro, 31 octobre 1968. "Le nouveau centre de Dauphine préparera à la gestion des organisations", Le Monde, 1-11-1968.

[66] Rappelons que A. Dauphin-Meunier participa aux activités du régime de Vichy en étant un des dirigeants de l'Ecole Supérieure d'Organisation Professionnelle. Louis Salleron, économiste aussi engagé dans le régime de Vichy se félicitera de la création de cette faculté dans un article de "Carrefour", du 16-10-1968.

[67] A. Dauphin-Meunier, "La Faculté libre autonome et cogérée d'Economie et de Droit", Aspects de la France, 21-11-1968.

[68] Note d'information du Service des études informatiques et statistiques du Ministère de l'Education N°76-04 du 30 janvier 1976.

[69] Arrêté du 19 mars 1970 (B.O.E.N. N°20 du 14-05-1970) intitulé :"Organisation des études en vue des diplômes des facultés de droit et des sciences économiques au cours de l'année universitaire 1970-1971. On constate au passage que le terme de facultés est encore employé alors qu'elle n'ont plus d'existence officielle.

[70] Une partie des programmes et épreuves par université apparaissent dans les archives contemporaines, versement 870207, article 10 et versement 800491, article 16.

[71] Arrêté du 27 février 1973 et du 1er mars 1973 (B.O.E.N. N°10, 8-03-1973). L'article premier précise : "Le diplôme d'études universitaires générales lorsqu'il sanctionne une formation pluridisciplinaire à dominante économique prend la dénomination de diplôme d'études universitaires générales, mention -sciences économiques-".

[72] Arrêté du 16 avril 1974, B.O.E.N. N°19, 9-05-1974.

[73] Arrêté du 16 janvier 1975.

[74] Nous reprenons le titre d'un article de G. Lutfalla de 1947 que nous avons étudié dans la partie : "Les années 50-60, L'espoir déçu d'une nouvelle pensée économique française".

[75] M. Beaud, (1971), "Vincennes an III, le ministère contre l'Université", éditions Jérôme Martineau. Dans une succession de textes, M. Beaud présente un enseignement qui se voulait autre, fondé sur la diversité, l'interdisciplinarité, la critique, l'ouverture, la contestation...

[76] H. Hamon, "Que faut-il enseigner ?". Il pose le problème dans cet article du jeune professeur confronté aux bouleversements des années 60 et qui s'interroge : "Que faut-il enseigner ? Quelle méthode et quel objet donner à la recherche ?" Le Monde, 5 mai 1970.

[77] "Les illusions d'une génération d'économistes", Le Monde, 12 décembre 1972.

[78] O. Gélinier, "L'entreprise créatrice - critique du raisonnement marginaliste", Le Monde, 16 mai 1972.

[79] J. Attali, "Hicks et Arrow, prix Nobel d'économie 1972 ont-ils été jugés sur leur vraie valeur ?", Le monde, 2-3 décembre 1972.

[80] Voir les articles de Marc guillaume, Marc Albouy, Bernard Cazes, Christian Schmidt, Lionel Stoléru, Alain Wolfelsperger, Philippe d'Iribarne, Thierry de Montbrial dans le Figaro, 24-25 mars 1973.

[81] J. Attali - M. Guillaume, "L'anti-économique", PUF, 1974. Réédition, collection "Quadrige", 1990, avec un avant propos qui présente l'ouvrage à la fois comme un "livre d'initiation, parce qu'il explique les principaux mécanismes des économies développées", et comme un "livre de contestation" qui critique une science économique qui "représente les activités humaines comme soumises au seul critère de l'efficacité et de l'utilité", et qui " s'isole des enseignements de l'histoire, de l'ethnologie et des autres sciences sociales" (p 1-2). Rappelons que cet ouvrage est le premier de la collection "Economie en liberté" dirigée par Attali et Guillaume ; collection que le PUF présente en janvier 1974 comme contestant "un certain dogmatisme universitaire... Elle présente les problèmes concrets et les résultats les plus récents de la science économique sous une forme à la fois originale, critique, pluridisciplinaire"."

[82] Le Figaro, 24-25 mars 1973.

[83] S. de Brunhoff, M. Beaud, Cl. Servolin, "La crise de la science économique", Le Monde, 22 mai 1973.

[84] Les positions de P. L. Reynaud et J. M. Boussard dans Le Monde du 26 juin 1973 sont représentatives de ce refus de politiser l'économie.

[85] H. Guitton, "Une progression continuelle", Le Monde, 26 juin 1973.

[86] J. Lesourne, polytechnicien, ingénieur des Mines, "Un programme pour les économistes", Le Monde, 26 juin 1973. Il reprendra cet article en développant son argumentation dans la Revue économique (N°6, 1975) sous le titre : "Un programme pour la science économique", p.931 à 945. A noter dans ce dernier article, la bibliographie détaillée concernant les économistes qui traitent de la crise de la science économique.

[87] Lesourne publie en 1973 son livre : "Modèles de croissance des entreprises", Dunod. Le premier chapitre s'intitule : "Les faiblesses actuelles et les possibilités futures de la théorie économique de l'entreprise".

[88] Cette expression de "non conformiste" est dans l'article de Beaud, Servolin, de Brunhoff, Le Monde du 9 octobre 1973. Elle est utilisée comme l'expression d'une pensée qui réunirait les intellectuels dans l'ACSES.

[89] Beaud, Servolin, de Brunhoff répondent aux critiques dans un article du Monde du 9 octobre 1973, en essayant de montrer que l'approche de la science de Lesourne est "l'expression théorique d'une idéologie de droite". Philippe d'Iribarne dans un article du Monde du 26 février 1974 intitulé : "Comment défier les orthodoxies", se rangera du côté de la thèse d'une crise de la science économique pour contester la domination de l'analyse néoclassique et proposer la construction d'une "théorie du bien-être réaliste prenant en compte les enseignements des sciences sociales".

[90] J. Bénard participa à la table ronde organisée à Grenoble les 19 et 20 juillet 1974 par le CNRS sur le thème : "Crise de l'économie et des sciences sociales" (présenté par Jacques Lautman dans la Revue Economique, N°6, 1975). Il rédigea un papier intitulé : "Crise de la science économique ou des économistes ?", Revue Economique, N°2, 1976, p.297-300.

[91] Titre d'un article du Nouvel Observateur du 4 juin 1973, p28.

[92] Lettre du 2 mai 1973, Archives de Michel Beaud.

[93] Les membres fondateurs sont : Maurice Andreu, Michel Beaud (Président), Carlo Benetti, Gérard de Bernis, Alain Béraud, Claude Berthomieu, Yves Bouchut, Hubert Brochier, Suzanne de Brunhoff, Jean Cartelier, Alain Désrosières, Pierre Dockes, Marylène Fortin, Bernard Guibert (vice-président), Pierre Llau, Yves leclercq, Jean Lespes, Carles Albert Michalet, André Nicolaï, Christian Palloix, Christos Passadéos, R. Perez, Françoise Renversez, Pierre Rey, Bernard Rosier, Claude Servolin (secrétaire général), Jeanne Singer (trésorier), Dominique Taddéi, Jacques Valier, Thomas Vincent. La déclaration de l'association à la sous-préfecture d'Antony se fera le 2 avril 1973, la publication au J.O. le 7 avril 1973.

[94] Le nombre d'adhérents comptabilisé par l'association s'élèvera à 269 en octobre 1973, 368 en janvier 1974, 501 en décembre 1974. Curieusement à partir de 1975, il est dit que la notion de membre a changé (personnes qui ont payé effectivement leur cotisation), ce qui donne 302 adhérents en décembre 1975. Jusqu'en 1978, le nombre d'adhérents restera autour de 300 pour ensuite décliner, mais sans information précise sur l'ampleur de ce déclin. Claude Servolin dans le bulletin N°9 de décembre 1974 parlait d'un "demi-succès" de l'association. Celle-ci recrutait essentiellement parmi les assistants d'économie de la région parisienne, avec des difficultés pour toucher les milieux de la recherche, celui des praticiens du public et du privé, et ceux des autres disciplines ("Le vaste regroupement interdisciplinaire dont nous rêvions n'a pas encore eu lieu").

[95] Nous avons retrouvé l'essentiel des Bulletins intérieurs jusqu'au N°52 de mai 1980.

[96] texte de Patrick Allard et Marie Guisard, Bulletin N°3, janvier 1974, Bulletin N°4, février 1974. Dans le Bulletin N°13 de mai 1975, un article de José Weber pose le problème de la suppression des sciences économiques et sociales dans le projet de réforme "Haby".

[97] Bulletin intérieur ACSES, N°6, avril-mai 1974.

[98] Cf "l'appel urgent" dans le Bulletin N°8 d'octobre 1974.

[99] La question des assistants va générer un débat à l'ACSES. Brochier s'inquiète du "verbalisme démagogique" de l'APSES qui parle de répression en ce qui concerne les assistants menacés qui n'ont pas soutenu leur thèse, alors que ce travail personnel lui semble un critère indispensable de compétence pour l'enseignement dans le supérieur. Voir le Bulletin intérieur N°7, juillet 1974.

[100] Cf l'article très virulent dans le Bulletin N°9 de décembre 1974. La réforme du second cycle et la politique de résorption de l'auxiliariat dans l'enseignement supérieur entraîneront aussi des oppositions qui seront reprises dans le Bulletin N°20 de mars-avril 1976 (cf en particulier, un article de Louis Baslé) et dans le Bulletin N°21 de mai 1976.

[101] La discussion engagée autour de l'article de Guibert sur "l'enjeu de la crise" se poursuivra après les journées de juin 1974. Voir le Bulletin N°15 de septembre-octobre 1975.

[102] Les rapports de ces commissions furent publiés dans une brochure : "La crise mondiale du capitalisme - matériaux pour un débat", publié par le département d'économie de Vincennes et par l'ACSES, 112 pages. Il y eu un prolongement à ce colloque sur "La crise" avec des journées de discussion en décembre 1975 sur les travaux des quatre commissions de juin, voir le Bulletin N°18 de janvier 1976.

[103] P. Sweezy, Bulletin N°15, septembre-octobre 1975.

[104] CF, le compte-rendu des travaux du séminaire dans le Bulletin, N°12 d'avril 1975 porte sur la critique de la théorie de Léontieff. qui est présentée comme un modèle d'inspiration néo-classique (raisonnement en terme de biens physiques, introduction des prix à partir d'un tâtonnement walrasien). Le Bulletin N°14 (juin-juillet-août 1975) est significatif de ce recentrage sur la réflexion théorique critique.

[105] S. Latouche, "Faut-il enseigner Marx aux enfants ?", Bulletin intérieur, N°17, décembre 1975. M. Beaud répond à Latouche dans le bulletin N°18 en concluant : "Comme l'ensemble de la petite bourgeoisie, l'enseignement, les productions marxistes actuelles et l'enseignement du marxisme sont traversées par la lutte des classes. Ne pas le voir conduit à poser des questions creuses et à y apporter des réponses vides (avec bien sûr le charme discret du paradoxe et de la provocation pour intellectuels de gauche)".

[106] Colloque organisé par Jean Cartelier avec des interventions de : S. de Brunhoff (Crise et politique économique), L. Cartelier (Planification, politique industrielle et Etat capitaliste), P. Lantz (L'économisme comme occultation et justification de la domination politique), H. Jacot (A propos de la planification monopolistes d'Etat en France), C. Ménard (L'Etat et la crise : idéologie du VIIe plan), R. Frydman (Peut-on rationaliser l'action économique de l'Etat), P. Dockes (Naissance et dégénérescence de l'Etat impérial romain), ... Actes du colloque publié en 1977 aux éditions "Contradictions". J. Lallement finit son commentaire sur ce colloque par cette conclusion : "A Nice, l'ACSES a épuisé les possibilités d'un colloque universitaire. Le malaise a été clairement perçu et la discussion du dernier après-midi a bien mis en relief des limites du genre. Il appartiendra au prochain colloque d'en tirer les conclusions pratiques". Bulletin N°24, septembre-octobre 1976.

[107] Compte rendu du colloque dans le Bulletin N°33 de septembre 1977 et 34 de novembre 1977.

[108] Un commentaire à L'annonce du colloque dans le Bulletin N°36 (février-mars 1978) éclaire les interrogations qui ont conduit au thème retenu : "Où en est la critique des sciences sociales ? La question annoncerait-elle la fin d'une époque et la fin de la critique ou plus simplement la fin de l'identification toujours supposée jusque là entre l'intellectuel critique et l'acteur dont le rôle amuse et intéresse la société entière". Plusieurs communications à ce colloque étaient centrées sur le devenir du marxisme (J. Cartelier, S. de Brunhoff...). Quelques participants à ce colloque poseront le problème du "non-dit" : "Il semble que pèse sur le choix des thèmes des colloques une sorte de gêne à affirmer l'objet réel de ceux-ci ; par exemple le colloque de Nice : il est clair que son objet caché était la critique du CME ; de même, il semble que derrière l'intitulé "Où en est la critique des sciences sociales" il faille lire "Où en est le marxisme aujourd'hui". On peut interpréter cette gêne par la conscience de l'impossibilité de trouver des convergences suffisantes au sein de l'ACSES pour aborder ces problèmes de face". B. Lautier, J. Rosio, P. Vidonne, Bulletin intérieur, N°43, décembre 1978. Le N°1 de la revue de L'ACSES qui paraît mars 1979 aux éditions Savelli reprend quelques interventions du colloque de Grenoble.

[109] Bulletin N°31, juin 1977.

[110] L'essentiel du Bulletin N°34 de novembre-décembre 1977 est consacré à la polémique entre A. Caillé, J. Léonard, P. Eister. Le 9 janvier 1978, A. Caillé est élu, secrétaire du Comité de Rédaction. Les membres sont : C. Benetti, G. Bensimon, A. Berthoud, J.P. Damon, G. Duchêne, P. Evrard, R. Frydmann, J.P. de Gaudemar, A. Larceneux, S. Latouche, A. Lincoln, M. Rosier, J. Rosio.

[111] "accès", "Revue critique des sciences économiques et sociales", N°1, avril-juin 1979. Cinq articles composent ce numéro : "Théorie de l'idéologie" (A. Caillé), "Valeur ou enrichissement" (J. Cartelier), "Normativité et régulation" (J. Mathiot), "Enseignant critique à l'Université ?" (J. et L. Cartelier), "Misère de la sociologie" (S. Dayan-Herzbrun).

[112] Le N°0 de décembre 1981 s'ouvre sur un "appel aux économistes universitaires de gauche" où il est proposé "de développer des réflexions, des discussions et des pratiques pluralistes et tolérantes... Sans nous enfermer dans une nouvelle orthodoxie, il nous appartient de contribuer à l'émergence ou au développement de conceptions économiques en rupture avec la cuisine technocratique antérieure". Cette réflexion s'engagera avec un "Forum" le 5 décembre 1981 qui réunira 200 enseignants et chercheurs en économie ("Le fantôme de l'ACSES planait sur nos discussions" Compte Rendu dans le N°1 de la Gazette, février 1982). Lors de ce Forum, il fut décidé de préparer un colloque sur la politique économique de la gauche. Ce colloque se déroula les 20 et 21 novembre 1982 (voir la Gazette N°4). A signaler aussi, la parution en 1982 d'un numéro hors série de la Gazette sur "la critique des nouveaux économistes".

[113] Mouvement Anti-Utilitariste en Sciences Sociales. Le N°1 du Bulletin du MAUSS paraîtra au premier trimestre 1982 avec un article d'Alain caillé sur "L'échange contre le marché".

[114] Cette revue est le produit d'une expérience tentée en 1977 par des militants SGEN et PSU qui ont créé la revue : "Pour la lutte" qui tentait d'éclairer les enjeux de la crise en développant des analyses concrètes.

[115] La Charte de cette association, datée du 11 mars 1980 définit trois objectifs : "Traquer et dénoncer les omissions, les mensonges et les censures... Démocratiser l'information économique et sociale... Réfléchir aux conditions matérielles et morales d'exercice de nos métiers". L'idée de cette association remonte à 1979, lorsque des statisticiens s'opposent à des pressions croissantes de la part du pouvoir politique pour "manipuler" l'information économique.

[116] Expression de B. Guibert dans la Lettre d'information de D.I.E.S. du 7 juin 1982.