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La question nationale contre la question sociale: pour une lecture du clivage droite/gauche en France

Publié le 31/03/2008
L'identité nationale est la réponse que la droite a apportée à la polarisation de l'identité ouvrière impulsée par les partis socialistes, notamment à la suite de l'apparition de « la classe ouvrière » au cours des années 1880. C'est précisément au moment de la création du Parti Ouvrier de Jules Guesde que l'on voit une alliance se créer entre l'ancienne droite des notables monarchistes ou bonapartistes qui se rallie alors à la république, et une nouvelle droite venus du camp républicain (c'est-à-dire de l'ancienne gauche). La défense du thème de l'« l'identité nationale » permet alors de souder l'alliance entre ces deux fractions de la classe dominante.

Une brève synthèse réalisée à partir de l'entretien de Gérard Mauger avec Gérard Noiriel « L'identité nationale en France » et de sa note de lecture sur deux ouvrages récents de Gérard Noiriel in savoir / agir, no 2, Décembre 2007 [1].

Gérard Noiriel montre dans A quoi sert "l'identité nationale" ? que la construction de « l'identité nationale » est parallèle à celle de « la classe ouvrière ». Au cours des années 1880, « la classe ouvrière » apparaît comme un nouvel acteur collectif. L'identité nationale est la réponse que la droite a apportée à la polarisation de l'identité ouvrière impulsée par les partis socialistes. C'est précisément au moment de la création du Parti Ouvrier de Jules Guesde, au moment où nait donc le premier parti marxiste (et l'anarchisme) ; que l'on voit une alliance se créer entre l'ancienne droite des notables monarchistes ou bonapartistes qui se rallie alors à la république, et une nouvelle droite venus du camp républicain (c'est-à-dire de l'ancienne gauche). La défense de « l'identité nationale » est le thème qui permet de souder l'alliance entre ces deux fractions de la classe dominante.

On retrouve cette idée dans l'ouvrage de Gérard Noiriel, Immigration, antisémistisme et racisme en France (XIXe-XXe siècles) que le clivage « droite-gauche » se structure autour du clivage « classe et nation ». On voit naître une opposition entre un pôle « national sécuritaire » et un pôle « social-humanitaire ». Le front populaire marque le paroxysme de l'affrontement entre classe et nation : la dimension raciale et la défense de l'identité nationale s'exprime alors dans la dénonciation de « complot judéo-bolchévique ». A la vision de Barrès (qui revendique la tradition catholique, les « racines paysannes »...) s'oppose celle de Jaurès qui subordonne la question nationale à la question sociale et revendique les idéaux laiques et internationalistes.

L'après mai-68 remet au goût du jour, nous l'avons dit, les questions identitaires lorsque les militants régionalistes se présentent comme les porte-parole de « nations opprimées » victimes du colonialisme français et qui revendiquent que leur « identité nationale » soit reconnue officiellement. La notion d'identité venant alors combler l'espace laissé vacant par le reflux des luttes ouvrières qui s'amorce et le déclin de la référence marxiste. De nouveaux clivages identitaires apparaissent pour concurrencer les clivages de classes : le clivage homme /femme ; homosexuels / hétérosexuels ; régions /nations.

Mais au tournant des années 1970-1980, on assiste à un double renversement.

- Alors qu'avant les années 80, le discours classique de la gauche était fondé sur le clivage patrons / ouvriers et celui de la droite sur le clivage français / étrangers, en 1981-1983, la gauche abandonne le langage de la classe pour adopter le langage ethnique. Ainsi à l'expression « travailleurs immigrés » se substitue celle de « beurs » de « deuxième génération ».

- Le racisme jusque là imputé aux classes dominantes (droite traditionnelle) est désormais attribué aux classes populaires (racisme anti-arabe). Un nouveau discours de droite s'élabore dénonçant le racisme anti-français et affirmant la fierté d'être français. Progressivement, le discours permettra d'assimiler « jeunes de Cités » et « terrorisme islamique » (Affaire Kelkhal), « jeunes de cités » et « délinquance », « sans-papiers » et risque d'invasion des clandestins...

Cette ethnicisation du débat a induit une stratégie de « retournement du stigmate » (« black is beautiful ») qui repose sur la revendication de « l'ethnicité ». Dans ce contexte, Gérard Noiriel souligne le risque de choisir le critère le plus visible, à savoir le critère racial comme structurant les oppositions entre groupes et notamment la division entre classe populaire française et classe populaire immigrée. La « question raciale » domine alors la « question sociale » durcissant le conflit imaginaire entre un « nous français » et un « nous immigrés ») au risque d'oublier que ces classes populaires partagent des conditions de vie similaires (revenus, rapport précaire à l'emploi...).

Cf « l'Appel pour les assises de l'anticolonialisme post-colonial » organisé par le mouvement des Indigènes le 8 mai 2005 (jour anniversaire du soulèvement de Sétif) : marche dénonçant l'oubli des massacres coloniaux français et les discriminations subies par les « populations issues de l'immigration ».

Selon G. Noiriel, la gauche a été contrainte en permanence de se situer par rapport aux questionnements sur la nation et affronter la Droite sur ce terrain de prédilection. La difficulté de la gauche à se définir par rapport à la question nationale, s'explique par la bi-polarisation initiale (question sociale / question nationale)

Nicolas Sarkozy a été à l'offensive sur la question nationale pour l'imposer comme thème central du débat politique lors des précédentes présidentielles. La prétendue menace pesant sur l'identité nationale a permis au gouvernement de justifier la création d'un ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Codéveloppement en mai 2007.

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Note :

[1] G.Noiriel, Racisme: la responsabilité des élites, Paris, Textuel, 2007.

G. Noiriel, A quoi sert "l'identité nationale" ?, Marseille, Agone, 2007.