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Immobilier, l'exubérance rationnelle

Publié le 01/09/2006
Auteur(s) - Autrice(s) : Sabine Le Bayon, Hervé Péléraux
Une importante inflation immobilière touche la majorité des pays de l'OCDE. Si l'on s'intéresse à la progression des prix depuis le pic du cycle précédent il y a quinze ans, les prix réels ont progressé de 40% en France. Peut-être est-il temps de se demander s'il y a un risque de bulle immobilière en France et si les prix du logement ont atteint leurs sommets.

La hausse récente des prix immobiliers (il est question ici de l'immobilier ancien) en France semble préoccupante. Entre le creux du marché en 1997 et la fin 2004, l'augmentation en termes réels a été de 70% [1]. Le cas français est loin d'être isolé : la hausse atteint 40% aux États-Unis, 100% au Royaume-Uni et 110% en Espagne (graphique 1). À l'exception du Japon et de l'Allemagne, l'inflation immobilière touche la majorité des pays de l'OCDE.

Mais ce boom immobilier fait suite à une période de baisse au début des années 1990. Si l'on s'intéresse à la progression des prix depuis le pic du cycle précédent il y a quinze ans, les prix réels ont progressé de 40% en France. Aux États-Unis, la hausse a été de 30%, au Royaume-Uni de 40% et en Espagne de 70%.

Le cycle actuel est-il atypique ?

L'amplitude de la hausse des prix de l'immobilier peut surprendre. Mais le marché du logement présentant un caractère cyclique, celle-ci doit être relativisée en la comparant aux précédentes.

GRAPHIQUE 1. ÉVOLUTION DU PRIX DES LOGEMENTS EN TERMES REELS

1987 T1=100

Sources : Ministerio de vivienda, Halifax, National Association of Realtors, INSEE.

Sur longue période, l'évolution des prix en termes réels peut être décomposée en une tendance, qui croît au rythme de 1,4% l'an, et en une composante cyclique (graphique 2). Depuis 40 ans, les cycles sont peu nombreux : deux points hauts, l'un en 1980, l'autre en 1991, deux points bas, en 1985 et en 1997, trois phases haussières d'accélération par rapport à la tendance, l'une débutant dans la seconde moitié des années 1970, une autre dans la seconde moitié des années 1980, et enfin la phase actuelle de hausse qui a débuté dans la seconde moitié des années 1990. Entrecoupée de phases de repli, l'évolution du marché présente donc des cycles de l'ordre de 10 ans, tout au moins depuis 1975.

GRAPHIQUE 2. INDICE DU PRIX REEL DES LOGEMENTS

1985 = 100, écart à la tendance en %

Sources : Jacques Friggit (CGPC), calculs OFCE.

Le redressement des prix depuis le dernier point bas a d'abord consisté en un rattrapage du niveau tendanciel à la suite d'une hausse de près de 20% entre 1998 et 2001. Ensuite, la progression s'est poursuivie pour d'abord dépasser, en écart à la tendance, le pic de 1991, puis celui de 1980. Jusqu'en 2003, la reprise du marché n'a donc pas fait davantage que porter les prix successivement au niveau des pics précédents. L'anomalie, si anomalie il y a, apparaît en 2004 avec une hausse des prix supplémentaire de 12,7%, portant l'écart à la tendance à un niveau historiquement inconnu qui peut conduire à s'interroger sur la formation d'une bulle spéculative.

La hausse n'a pas été uniforme sur l'ensemble du territoire français. Contrairement à la précédente phase de reprise enregistrée de 1985 à 1991, l'augmentation des prix en termes réels a été la plus importante en province, 59,4% entre 1998 et 2004, contre 55,1% en Île-de-France. Le fait peut surprendre dans la mesure où l'on s'attendrait plutôt à ce que les poussées haussières affectent moins la province que la région parisienne, d'abord parce qu'historiquement la tendance des prix est plus forte en Île-de-France, ensuite du fait de la rareté du parc de logements qui rend les prix plus sensibles à la demande, enfin parce que les grandes capitales sont un terrain propice à la spéculation. Que la hausse soit restée raisonnable en Île-de-France par rapport à la province appuie la thèse selon laquelle la hausse des prix ne relève pas du phénomène de bulle spéculative, c'est-à-dire d'une hausse déconnectée de tout fondamental économique et alimentée par les seules anticipations de hausse future des prix.

Une hausse des prix justifiée par les fondamentaux

L'immobilier, en tant qu'actif, est source de rendement pour les investisseurs, mais rend également un service de logement aux propriétaires occupant leur habitation. Les raisons de la hausse peuvent donc être abordées sous ces deux angles. La demande de service de logements a été soutenue par un certain nombre de facteurs : démographie, revenu et taux de chômage jusqu'en 2001, taux d'intérêt, comportement des banques, demande étrangère, politique du logement (notamment prêts à taux zéro). Face à cette demande importante, l'offre s'est révélée insuffisante. Les entreprises du secteur du bâtiment n'ont pu répondre à la forte demande du fait de goulots de production, les mises en chantier n'ayant réellement pu accélérer qu'à partir de 2003. L'augmentation de l'offre a aussi été contrecarrée par la raréfaction du foncier, notamment en centre ville, et par la réticence de certaines communes à céder des terrains constructibles.

Le premier élément qui pourrait justifier la hausse de la demande de logements est l'accélération de la croissance du nombre de ménages, qui s'explique par deux éléments. D'une part, la population a progressé plus rapidement à la fin des années 1990, en raison de l'accélération du nombre de naissances. D'autre part, la tendance à la baisse du nombre de personnes par ménage s'est poursuivie, en raison du développement des familles monoparentales, mais surtout du vieillissement de la population et de l'autonomie plus grande des personnes âgées.

Pour que la démographie favorise effectivement la demande de logements, il faut que la croissance du revenu des ménages soit forte, de manière à les rendre solvables. Or le retour de la croissance dans la deuxième moitié des années 1990 a permis des créations d'emplois importantes et a dynamisé les revenus. La baisse du taux de chômage a aussi encouragé les ménages à s'endetter pour investir dans le logement. En effet, une moindre incertitude quant aux revenus futurs réduit la nécessité de se constituer une épargne et rend plus supportable le remboursement d'un endettement important. À ce dynamisme du revenu s'est conjuguée, puis substituée, une baisse des taux d'intérêt liée à la désinflation et à la convergence des taux d'intérêt français vers les taux allemands, dans la perspective de l'entrée dans la zone euro au 1er janvier 1999. L'assouplissement des politiques monétaires face au ralentissement économique à partir de 2001 a continué de soutenir les achats immobiliers malgré la décélération du revenu.

À la demande accrue de crédits a répondu une offre plus abondante de la part des banques à destination principalement des ménages aux revenus les plus stables. En effet, le processus de désendettement des entreprises depuis 2000 a avivé la concurrence bancaire pour capter le marché immobilier. Même si cette activité de prêts n'est pas très lucrative, elle permet aux banques d'attirer de nouveaux clients et de les fidéliser, leurs marges étant ensuite réalisées sur d'autres opérations. De plus, les banques peuvent plus facilement se prémunir contre le risque de défaut de paiement en le transférant à des tiers par le biais de la titrisation (à savoir la transformation de la dette immobilière des ménages en titres et la cession de ces titres sur le marché financier à d'autres acteurs).

La faiblesse des taux d'intérêt conjuguée à l'allongement de la durée des crédits a augmenté la capacité d'emprunt des ménages, leur permettant de continuer d'alimenter la demande de logements, malgré le ralentissement économique et la progression des prix immobiliers. Le taux d'endettement des ménages s'est ainsi accru au cours des dernières années, mais il reste modéré (61% du revenu annuel en 2004 contre 55% en 1997). Les ratios de remboursement rapportés aux revenus des ménages sont toujours maîtrisés : la hausse du remboursement du capital a en effet été compensée par la baisse des paiements d'intérêts.

Un dernier élément ayant soutenu la demande est celle des non-résidents. Les investissements immobiliers étrangers (logements, bureaux et usines) ont ainsi représenté 0,6 point de PIB en 2003, contre 0,3 point en 2000 et 0,1 point en 1990 (Moëc, 2004).

Les ménages les plus modestes sont cependant restés exclus du marché. Contrairement aux nouveaux propriétaires qui ont subi la hausse des prix mais bénéficié de la baisse des taux, les locataires supportent sans contrepartie la hausse des loyers que l'élévation des prix finit pas entraîner à l'occasion de l'établissement de nouveaux baux.

Une hausse des prix justifiée par les rendements

L'immobilier est, on l'a vu, demandé comme service de logement. Mais ce service est issu d'un bien capital, qui en tant que tel, produit un revenu pour son possesseur. Ce revenu peut être exprimé sous forme de rendement locatif en rapportant le loyer à la valeur du bien. Après plusieurs années de forte hausse des prix, on peut s'interroger sur une éventuelle surévaluation de l'immobilier, qui se traduirait par une baisse excessive des rendements.

Depuis le point haut atteint en 1999 à 4,3%, le rendement locatif a rejoint en 2003 les bas niveaux enregistrés à 2,9% lors des derniers pics cycliques du marché en 1980 et en 1991 (graphique 3).

GRAPHIQUE 3. TAUX D'INTERET LONGS REELS ET RENDEMENTS DE L'IMMOBILIER ET DES ACTIONS*

1985 = 100, écart à la tendance en %

* Ces rendements s'entendent hors frais de transaction et fiscalité. Le rendement locatif a été dégrevé d'un taux de dépréciation des logements de 2% par an. Le rendement des actions est le ratio des dividendes rapportés au cours des titres.

Sources : Chambre des Notaires de Paris, Fnaim, Olap, Jacques Friggit (CGPC), calculs OFCE.

Le rendement a même atteint en 2004 un plus bas historique (2,4%). L'anomalie de 2004, déjà relevée par l'analyse cyclique, réapparaît ici sous un autre angle. La baisse du rendement résulte de la hausse des prix, elle-même liée à la forte baisse des taux d'intérêt sur la période, qui en termes réels ont retrouvé des niveaux comparables à ceux d'il y a vingt-cinq ans. L'effet de la baisse des taux d'intérêt est double. D'abord elle permet de solvabiliser la demande, c'est-à-dire de rendre possible l'achat par des ménages qui autrement n'auraient pu avoir accès au crédit. Ensuite, pour les investisseurs désireux de placer leur capital, la baisse des taux a rendu moins profitables les placements en obligations, ce qui les a poussés à rechercher d'autres opportunités, comme l'investissement en logement. La hausse des prix abaisse alors le rendement du logement jusqu'à ce qu'en théorie, il égale le taux d'intérêt sur les obligations, situation dans laquelle les investisseurs sont indifférents à détenir l'un ou l'autre actif (sans prendre en compte la liquidité, les coûts de transaction, le risque et la fiscalité propres à chaque actif).

Dans le même temps, les excès de valorisation des marchés boursiers avaient conduit, en 2000, le rendement des actions à un minimum depuis l'origine de l'indice (1973). Le redressement des rendements boursiers, lié à la chute du cours des actions entre 2000 et 2003, s'est fait au prix d'une crise des marchés sans précédent qui en retour a profité à l'immobilier. Ce balancement n'est d'ailleurs pas circonscrit à la première moitié des années 2000 : dans le passé, les fluctuations des rendements boursiers ont souvent coïncidé avec des fluctuations de sens contraire des rendements de l'immobilier. Baisse des taux et des rendements boursiers à des niveaux historiquement bas ont donc drainé l'épargne vers l'immobilier, dont les rendements étaient historiquement élevés à l'orée du nouveau siècle.

Ces flux d'épargne vers l'immobilier sont-ils appelés à se poursuivre ? La réponse à cette question ne se trouve pas dans l'examen d'une hausse des prix de l'immobilier à deux chiffres que l'on pourrait, pour cette raison, sommairement juger comme excessive, mais bien dans la comparaison des rendements des différents actifs.

Même si la hausse des prix a été suffisamment ample depuis le point bas de 1997 pour entraîner un recul du rendement de l'immobilier de près de 2 points, relativement au rendement des obligations, en baisse lui aussi de 2 points, elle n'a pas été excessive. À l'heure actuelle, le rendement de l'immobilier reste un peu supérieur au rendement des obligations, comme depuis cinq ans déjà. Que l'immobilier dégage encore aujourd'hui un rendement supplémentaire par rapport aux obligations suggère que le boom du marché n'est pas dû à la formation d'une bulle.

Quel impact d'un retournement des prix ?

La hausse des prix n'est donc pas une bombe à retardement, devant conduire à un effondrement du marché comme dans la décennie 1990 à Paris. Ce qui ne signifie pas que les prix sont prémunis contre tout recul. Mais le rendement du logement n'étant pas anormalement bas comparé au rendement des obligations, l'immobilier ne se repliera pas de manière autonome. Le statu quo des taux d'intérêt longs au niveau actuel, voire même leur appréciation modérée, n'empêcherait pas la poursuite de la hausse de l'immobilier, mais à un rythme certainement plus modéré que ces dernières années car l'écart des rendements s'est un peu réduit en 2004. Seule une forte augmentation des taux, à la mesure de leur baisse antérieure, serait susceptible d'entraîner un retournement conséquent du marché. Mais les anticipations inflationnistes, qui sont un déterminant majeur des taux d'intérêt, paraissent actuellement absentes des marchés obligataires.

La régulation du marché peut aussi résulter d'un excès d'offre, en cas de ralentissement de la demande. Le délai entre la mise en chantier d'un logement et son arrivée sur le marché implique que l'offre répond à la demande avec plusieurs trimestres de retard. Le ralentissement de la demande après plusieurs années de forte croissance pourrait donc conduire à un excès d'offre à l'origine d'un retournement des prix. Mais à condition de financement inchangée, il est probable qu'une telle baisse trouverait rapidement son terme, des prix plus bas solvabilisant de nouveaux acheteurs.

Un recul des prix n'aurait en lui-même aucun impact sur le revenu des ménages, n'affectant que leur situation patrimoniale. Mais n'étant pas contraints, contrairement aux entreprises, de liquider éventuellement à perte leurs actifs ou de provisionner des dépréciations, les ménages ne devraient pas modifier sensiblement leur comportement de consommation. En revanche, la baisse des prix pourrait devenir problématique si les ménages ne peuvent plus faire face à leurs remboursements, en cas de remontée du chômage par exemple. Un propriétaire en situation de défaut de paiement se verrait alors contraint par la banque de céder son logement aux conditions du marché, c'est-à-dire à un prix potentiellement inférieur au prix initial. Ce qui fait courir un risque aux banques, de moins en moins pesant toutefois grâce au mécanisme de la titrisation.

Par ailleurs, la hausse des taux d'intérêt, si elle réduirait la capacité d'emprunt des candidats à l'achat, n'aurait que peu d'impact sur les ménages déjà endettés, qui en France le sont très majoritairement à taux fixe, contrairement au Royaume-Uni ou à l'Espagne par exemple. L'impact direct d'une hausse des taux et d'un retournement du marché sur les propriétaires serait somme toute limité.

Par contre, une hausse des taux d'intérêt mettrait fin par plusieurs canaux au mécanisme vertueux qui a soutenu la croissance. D'abord, l'investissement en logements neufs, qui ne s'est redressé que tardivement, ralentirait à nouveau, pesant sur le secteur de la construction. Ensuite, les dépenses de biens d'équipement liées à l'acquisition d'un logement, et qui ont stimulé la consommation des ménages, se tasseraient. Enfin, les injections de liquidités, qui ont financé l'endettement des ménages acheteurs et dopé la consommation des ménages vendeurs, prendraient fin. Au total, l'impact d'une hausse de deux points des taux d'intérêt en France aurait un effet récessif sur le PIB de l'ordre de 0,5 point au bout de deux ans par rapport au compte de référence, selon les estimations réalisées à l'aide du modèle e-mod.fr de l'OFCE. Le même choc à l'échelle mondiale amplifierait le recul à 0,8 point de PIB.

Bibliographie

CHAUVIN V. ET LE BAYON S., « Logement : sommets atteints ? », Lettre de l'OFCE, n°257, février 2005.

ELUERE O., « Petits signes de freinage », Immobilier conjoncture, Crédit agricole, avril 2005.

FRIGGIT J., « Prix des logements, produits financiers immobiliers et gestion des risques », Economica, 2001.

FRIGGIT J., documents divers téléchargeables sur www.adef.org, rubrique « statistiques ».

MOËC G., « Y a-t-il un risque de bulle immobilière en France ? », Bulletin de la Banque de France, n°129, septembre 2004.

L'OBSERVATEUR DE L'IMMOBILIER, « L'immobilier dans tous ses états », Revue du crédit foncier, n°62-63, novembre 2004.

A partir du Repères, pour bien comprendre voir :

Valérie Chauvin et Sabine Le Bayon 2005 : Logements : sommets atteints?, Lettre de l'OFCE, n°257, 9 février 2005

Eluere 2005 : petits signes de freinage Immobilier Conjoncture, Crédit Agricole, Avril

Site de l'ADEF (L'association des études foncières )

Gilles MOËC 2004 : Y a-t-il un risque de bulle immobilière en France ?, Bulletin de la Banque de France, n°129, septembre.

Pour aller plus loin

Laurence Boone et Nathalie Girouard 2002: La bourse, le marché de l'immobilier et le comportement des consommateurs, Revue économique de l'OCDE, n°35, 2002/2

BNP-Paribas 2005 : Immobilier résidentiel : y a-t-il péril en la demeure ?, Conjoncture BNP Paribas, juillet 2005

Martine Beauvois 2005 : Logements anciens Des prix toujours en forte hausse en 2004, Insee Première, N°1029, Juillet


Note

[1] Il s'agit ici du prix des logements anciens. Les prix des logements neufs et des bureaux ne sont pas abordés.

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