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Militantisme et hiérarchies de genre

Publié le 12/01/2008
Auteur(s) - Autrice(s) : Igor Martinache
Un numéro de la revue "Politix", n° 78, 2007
Fiche de lecture du dossier "Militantisme et hiérarchies de genre", coordonné par Patricia Roux et publié dans la revue Politix, qui analyse les rapports de genre au sein des organisations militantes.

Présentation

Couverture de la revue PolitixCette nouvelle « livraison » (selon l'expression consacrée) de la revue Politix se penche sur un angle mort de la recherche en sciences sociales : la question des rapports de genre au sein des organisations militantes. Jusqu'à récemment, lorsque ces deux objets que constituent le genre et le militantisme étaient croisés, c'était essentiellement sous l'angle des mouvements féministes. Une approche incontestablement réductrice de la place du genre dans la conflictualité sociale : tel est le constat que dressent aujourd'hui les chercheurs en sciences sociales, et que ce numéro thématique contribue à corriger.

Coordonné par une chercheuse en études de genre, Patricia Roux, et deux spécialistes des conflits sociaux, Olivier Fillieule et Lilian Mathieu, ce dossier entend donc prolonger un « dialogue » entre ces deux champs de recherche, initié en 2004 à l'occasion d'un colloque international à Lausanne. Un dialogue qui est aussi, expliquent ces chercheurs en introduction, une mise à l'épreuve réciproque du militantisme et de la construction de genre.

Première mise en pratique de cette démarche, l'article de Jean-Gabriel Contamin consacré au mouvement pétitionnaire contre le projet de loi Debré sur l'immigration en 1997. Un objet particulièrement opportun pour mettre en lumière les rapports de genre dans la mesure où il s'agit d'un mouvement social développé sans structure organisationnelle préalable. L'auteur a ainsi dépouillé un corpus constitué par les lettres envoyées par les signataires de la pétition, principalement auprès de la Ligue des droits de l'homme et du quotidien Libération. Cela lui permet de repérer une présentation de soi différenciée selon les sexes, et qui renvoie elle-même à une « loi d'airain de la patriarchie » qui sévirait au sein des mouvements sociaux. Peu d'organisations échapperaient ainsi à une hiérarchisation « genrée » des tâches qui conduit à une invisibilisation de la participation des femmes, à la fois sociale et épistémologique.

Dans sa contribution, Cécile Guillaume s'intéresse elle aux rapports de genre dans l'action syndicale. Elle constate « la permanence « paradoxale » d'un plafond de verre à la CFDT », malgré la position pionnière de cette organisation en matière de mixité dès le début des années 1980. Si la féminisation des syndicats s'est en effet bien opérée au niveau des adhérents, ce n'est pas le cas concernant la distribution des mandats. Cela tient aux conditions plus ou moins tacites à remplir pour effectuer une carrière de représentant syndical qui sont largement plus favorables au genre masculin tel qu'il a été socialement construit jusqu'à aujourd'hui, ainsi que la chercheuse le détaille. Alors que les ressources partisanes sont décisives en la matière, celles qu'apportent aux femmes leurs contraintes familiales ne sont à l'inverse pas reconnues pour effectuer une carrière syndicale. Autrement dit, l'engagement public a un coût plus élevé qu'il n'y paraît sur la vie privée, notamment des femmes, tout en offrant à ces dernières une « rentabilité inférieure » de leurs « investissements » humains à celle de leurs homologues masculins. Tout cela aboutit à un épuisement des vocations militantes plus marqué pour les femmes que les hommes.

Judith Taylor quant à elle s'intéresse, dans le contexte du mouvement pour le droit à l'avortement irlandais, aux tactiques des mouvements féministes confrontés au « tirs amis », c'est-à-dire aux groupes qui sans s'opposer frontalement à un mouvement social, n'en constitue pas moins une menace pour celui-ci. A travers une enquête de terrain approfondie et une perspective éminemment stratégique, elle se demande ici dans quelle mesure le Parti socialiste ouvrier, et plus généralement les hommes, représentent ou non des alliés ou un obstacle au mouvement des femmes du début des années 1990. Elle en conclut que le genre constitue bel et bien une variable déterminante dans la définition des acteurs et de leurs tactiques déployées.

De leur côté, Sylvia Faure et Daniel Thin mettent en lumière le travail des associations d'habitantes de quartier populaire, souvent à contre-courant du très médiatique mouvement Ni putes ni soumises. Rejoignant les observations de deux enquêtes parallèles, ils distinguent deux types principaux parmi ces associations- « familialistes » ou accompagnant des politiques publiques, puis décrivent finement le travail de socialisation - notamment politique - qui s'effectue en leur sein. Ils montrent ainsi notamment comment les « mouvements de femmes » puisent leurs origines dans le développement du travail social, en particulier celui des femmes-relais au sein des quartiers en question.

Retracer la genèse d'un mouvement social est aussi l'objectif de Laure Bereni. Celle-ci montre ainsi dans sa contribution comment le radicalisme initial du Mouvement de libération des Femmes (MLF), hostile à la représentation politique, a pu aboutir après quelques décennies à l'apogée d'une nouvelle cause dominante dans l'espace des femmes, le mouvement pour la parité, principalement porté par des partis, de gauche comme de droite.

Enfin, le dossier est complété par deux articles hors thèmes, qui valent notamment pour leur méthodologie. Ainsi Céline Granjou montre-t-elle, à travers le cas de l'épidémie de la « vache folle », l'action publique sanitaire visant la mise en œuvre le principe de précaution résulte bien moins l'imposition de règlements étatiques « par le haut » que d'une co-production de savoirs et de normes entre l'Agence française de sécurité sanitaire (Afssa) et le monde des éleveurs. De son côté, Philippe Zeitoun étudie la carte du bruit routier publiée en 2003 par la Ville de Paris. Le moyen pour lui de confirmer l'attention croissante portée depuis quelques temps par un certain nombre de chercheurs à l'influence des instruments dans la mise en œuvre de politiques publiques [1]. Un point de vue confirmé par la réponse d'un membre du cabinet de l'adjoint au Maire de Paris en charge de l'environnement à qui l'enquêteur demande « pourquoi le problème du bruit est-il si important ? » : « Parce que la carte existe ! ».

Par Igor Martinache

Note 

[1] Voir notamment Gouverner par les instruments dirigé par Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès, Presses de Sciences-Po, 2004.

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