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5 questions à Claire Lamine sur la figure de "l'intermittent du bio"

Publié le 21/04/2009
Auteur(s) - Autrice(s) : Claire Lamine
Stéphanie Fraisse-D'Olimpio
Claire Lamine répond à 5 questions à propos des trajectoires de mangeurs bio et plus particulièrement les logiques suivies par ceux que l'auteure appelle "les intermittents du bio". L'occasion d'aborder les impacts comportementaux liés à l'incertitude sanitaire, aux filières de productions, et d'appréhender les changements d'habitudes culinaires sous un angle sociologique.
Claire Lamine a soutenu en 2003 une thèse sur les mangeurs bio-intermittents à l'EHESS. Elle s'intéresse aux trajectoires de mangeurs et à leurs pratiques d'achat et culinaires, mais aussi aux dispositifs alternatifs de production-commercialisation de produits biologiques impliquant les consommateurs (AMAP). Elle a réalisé un post-doc à l'université de Liège sur le thème « alimentation, agriculture et gouvernance » sous la direction de Marc Mormont, dans le cadre d'un projet de recherche sur l'élevage et les liens entre éleveurs et consommateurs. Elle est ingénieur de recherche au sein de l'unité Eco-Innov de l'INRA depuis 2005. Auteur de plusieurs ouvrages et articles, elle travaille sur les systèmes agro-alimentaires alternatifs, l'agriculture biologique et la protection intégrée.

Elle vient de publier deux ouvrages en 2008 :

Les Amap ; un nouveau pacte entre producteurs et consommateurs ?, Yves Michel. 2008.

Les intermittents du bio ; pour une sociologie pragmatique des choix alimentaires émergents, Maison des sciences de l'homme. 2008.

Elle a accepté de répondre à nos questions sur ce dernier ouvrage. Nous l'en remercions.

Vous adoptez une perspective compréhensive pour saisir l'ensemble des logiques qui sous-tendent le choix de ceux que vous nommez les « intermittents du bio », de recourir aux produits bio ? Pourquoi les critères « objectifs » tels que l'origine sociale ne suffisent-ils pas à expliquer le choix de modifier ses pratiques alimentaires ? Quels sont les divers « déclencheurs » ?
Les critères dits objectifs, liés à l'origine ou à l'appartenance sociale, définissent un champ des possibles, mais ne suffisent pas à expliquer le fait qu'intéressés par l'alimentation biologique, certains deviennent des mangeurs bio puristes et d'autres ces mangeurs bio « intermittents » qui m'intéressent prioritairement, tandis que d'autres consommateurs de même profil sociologique peut-être, préfèreront les signes d'origine territoriale ou la consommation de produits locaux ou seront relativement peu sensibles à ces questions.

Je pense qu'il faut davantage parler de différenciation sociale et celle-ci est réelle en matière de consommation bio que d'un déterminisme social implacable par lequel toutes nos pratiques et conceptions seraient fonction de notre appartenance sociale. Certains auteurs en sociologie de l'alimentation ont d'ailleurs défendu l'hypothèse opposée d'une tendance à l'homogénéisation des pratiques alimentaires à travers les groupes sociaux, qui ne me semble pas plus satisfaisante.

Fondamentalement, l'idée de départ est que les mangeurs que j'étudie ont une certaine prise sur leurs choix. Je ne parle pas de tous les mangeurs, et en particulier pas de ménages qui doivent nourrir plusieurs enfants avec quelques euros par jour...

Ma perspective est effectivement compréhensive puisque la priorité est bien de prêter attention au sens que les acteurs accordent à ce qu'ils font. Concrètement, l'approche s'appuie tout d'abord sur une analyse des trajectoires des mangeurs, re-construites à partir d'autobiographies alimentaires et d'entretiens compréhensifs, et qui permet d'identifier les processus d'adoption du bio. Elle montre que les trajectoires alimentaires des mangeurs bio puristes s'apparentent à des conversions tout comme dans le cas des végétariens tandis que celles des mangeurs bio intermittents se caractérisent plutôt par l'inflexion, et que le bio y prend une place progressive et variable aux côtés d'autres types de choix. Dans les trajectoires, les déclencheurs de ces inflexions sont de trois ordres : les déclencheurs exogènes (rencontres, influence de l'entourage, avec des effets de transmission par les pairs qui s'inscrivent en rupture ou en continuité avec la transmission familiale) ; les déclencheurs endogènes (problèmes de santé sens large, pouvant aller du souci lié au poids à la tentative d'accompagner le traitement d'une maladie grave par un changement d'alimentation) ; et les déclencheurs « processuels » (un changement de cycle de vie).

Vous abordez longuement la question de l'incertitude sanitaire. Le choix du bio par les « intermittents du bio » est-il avant tout le reflet d'un souci de limiter les risques alimentaires ? Quels sont les postures possibles des consommateurs bio intermittents qui se dégagent de votre enquête qualitative ?

C'est sous ses diverses formes que j'aborde l'incertitude alimentaire : sanitaire, mais aussi diététique, gustative, éthique. De manière générale, les anthropologues ont bien montré que l'incertitude et le risque étaient intrinsèques à l'acte alimentaire, par le biais du principe d'incorporation dont C. Fischler par exemple a rappelé la place centrale : faire franchir à nos aliments la frontière dehors/dedans ne va pas sans poser potentiellement question. Les mangeurs bio intermittents se différencient des mangeurs bio puristes en ce que pour eux, le bio n'est pas toujours la seule réponse ni la plus appropriée pour réduire leurs diverses incertitudes.

Concernant l'incertitude sanitaire, il faut préciser qu'elle était particulièrement présente dans les données que je recueillais et dans les débats publics au moment où j'ai réalisé mon terrain de thèse (entre 1999 et 2002). L'idée selon laquelle le choix bio serait un choix de mangeurs inquiets cherchant à se rassurer est réductrice, mais il ne faut pas non plus évacuer purement et simplement l'inquiétude des consommateurs, qui est pour beaucoup réelle et légitime. Mon objectif était donc de prendre au sérieux les incertitudes des mangeurs, au lieu de les taxer d'irrationalité, comme on a souvent vu les experts le faire. Il se trouve que dans les entretiens, les mangeurs déployaient souvent des argumentations très riches et structurées à ce sujet, expliquant par exemple pourquoi ils étaient exigeants sur certains produits, et/ou certains lieux de consommation, et bien plus souples sur d'autres.

Les mangeurs bio puristes adopteront plutôt une posture de prévision, et choisiront ce qu'ils considèrent être la sécurité maximale (arrêter de consommer certains aliments, et/ou exiger systématiquement le label AB). S'ils jugent souvent qu'il est pour certaines choses trop tard pour modifier leurs comportements, que leur capacité de contrôle ne peut englober l'ensemble des dangers potentiels et qu'on n'a pas toujours envie de faire attention, les mangeurs bio intermittents sont souvent dans une posture de vigilance, qui peut aller jusqu'à appliquer en privé le principe de précaution dont la présence dans les discours de certains exprime l'entrecroisement des discours profanes et des catégories et analyses scientifiques .

J'ai construit à partir de ce matériau très riche sur le risque plusieurs descripteurs de l'appréhension ordinaire des risques. Le premier est la maîtrise des mangeurs sur leurs choix, souvent associée à l'opposition entre intérieur et extérieur (en termes de contrôle de l'approvisionnement), qui exprime une distinction plus fondamentale encore entre la position de nourricier et celle de nourri. Le deuxième descripteur est l'opposition entre la perception d'un fonctionnement par seuil et celle d'un fonctionnement par contamination unique (les pesticides ou métaux lourds sont perçus comme nocifs à forte dose, tandis qu'une consommation unique de viande de bœuf contaminée pourrait transmettre la maladie de Creutzfeldt-Jakob). Enfin, le degré d'incertitude quant aux conséquences de certaines pratiques de production que l'on peut dire « en rupture » avec les pratiques accessibles au sens commun (comme les OGM) est un troisième descripteur. J'ai montré aussi qu'un risque alimentaire donné s'inscrivait toujours dans une série plus large et plus longue. Les risques alimentaires sont appréhendés par les mangeurs globalement, les uns par rapport aux autres, et non de façon isolée et déconnectée. Par exemple, les inquiétudes au sujet des OGM sont arrivées après une série de risques, anciens et plus récents, et les mangeurs interviewés estiment souvent qu'il n'est pas trop tard pour « maîtriser » ce risque (lorsque les OGM sont de fait perçus comme risqués), par leurs choix actuels, alors que pour beaucoup, le jeu est déjà joué pour l'ESB, par exemple, car ils l'ont su trop tard. L'antériorité d'un risque par rapport à un autre joue donc un effet décisif. L'inscription d'un risque donné dans une série d'affaires joue aussi un rôle amplificateur, cumulatif.

Vous comparez systématiquement la figure du mangeur bio intermittent à celle du mangeur bio puriste. En quoi les pratiques des mangeurs bio intermittents sont-elles finalement plus complexes que celles du mangeur bio puriste et comment affectent-elles leurs pratiques culinaires ?

Ces figures ordinaires d'appréhension du risque sont donc tout à fait rationnelles, et témoignent d'une démarche réflexive où l'on pèse et combine critères et arguments, histoire publique et pratiques privées.

Les mangeurs bio puristes servent en effet de contrepoint à une analyse centrée sur les mangeurs bio intermittents. On peut considérer que ces mangeurs bio puristes délèguent totalement leurs choix au label « agriculture biologique » et aux systèmes de production et souvent de commercialisation spécifiques qui leur sont associés. Cette délégation, d'une certaine manière, peut les dispenser de s'impliquer dans leurs choix. Les mangeurs bio intermittents, quant à eux, mettent en œuvre des délégations partielles et plus ou moins régulières et sollicitant, en fonction des situations et des produits, d'autres types de choix, que ceux-ci touchent aux signes de qualité ou aux dispositifs de mise en marché. Cela les amène souvent à s'impliquer davantage dans leurs choix pour lesquels il n'existe pas forcément de réponse simple. L'étude des pratiques des mangeurs, au travers de l'analyse des choix de produits, des manières de cuisiner et des compositions des repas, montre que les mangeurs bio intermittents ont des choix dont le caractère est différencié et réversible, fonction des situations, des convives, des moments, alors que celui des mangeurs bio puristes est bien plus régulier et systématique.

Pour ce qui est des pratiques culinaires puisque vous posez cette question précise, l'inflexion vers le bio se traduit en général par une utilisation différente des aliments selon qu'ils sont bio ou non : des carottes bio pour les manger crues mais pas forcément pour mettre dans une soupe, des œufs bio (encore que pour les œufs, le label rouge, le produit fermier, ou parfois l'élevage en plein air puisse être des critères suffisants pour des mangeurs bio intermittents) pour des cuissons courtes où l'œuf apparaît comme élément principal, et des œufs « standards » pour la pâtisserie. On retrouve ici l'opposition anthropologique classique entre le cru et le cuit. Outre la cuisson, d'autres modes de transformation peuvent rassurer les mangeurs : l'acte de mélanger différents ingrédients (par opposition à consommer un aliment seul), de mixer (par opposition à laisser les produits de base reconnaissables). Ces actions de mélanger, mêler à autre chose, mixer, cuire longtemps, faire bouillir, sont en partie analogues aux pratiques domestiques qui permettent d'affronter des risques alimentaires « traditionnels », par exemple, faire bouillir le lait cru.

On peut donc pour les mangeurs bio intermittents parler de choix et de cuisine différenciés, au sens où le choix du bio pour un aliment dépend de la place de cet aliment dans l'ensemble de l'agencement alimentaire (choix des produits, manière de cuisiner, composition du repas). Il n'y a cependant pas de règles d'utilisation différenciée propres à chaque produit selon lesquelles par exemple tous les mangeurs bio intermittents achèteraient des œufs bio pour les faire à la coque et des œufs standards pour les autres utilisations mais plutôt un principe de différenciation global appliqué par ces mangeurs dans leur diversité.

Comment les filières de production et de commercialisation « alternatives » favorisent-elles l'émergence de nouveaux repères pour les consommateurs et les producteurs qui parviennent à construire une relation de confiance ?

Initialement, je ne m'intéressais pas particulièrement à ces filières que l'on qualifie d' « alternatives » parce qu'elles s'opposent aux principes régissant le système agro-alimentaire dominant ou conventionnel (paniers, marchés paysans, vente à la ferme etc.). Je m'intéressais aux pratiques des mangeurs bio intermittents, et j'ai constaté qu'un certain nombre d'entre eux se tournaient vers ces systèmes alternatifs, en outre en recrudescence et en recomposition depuis le début des années 2000 (même si la vente directe marque sur la longue durée un fort recul). Ces choix apparaissaient déterminants dans leur argumentation et pour certains même à l'origine de leur inflexion vers la bio. J'ai donc fait en 2002, alors que j'avais écrit une première version de ma thèse, qui était loin de me satisfaire, une deuxième série d'enquêtes, plus axées sur les systèmes alternatifs de production et de commercialisation, et les interactions entre producteurs et consommateurs dans ces systèmes.

En m'inspirant des approches dérivées de l'économie des conventions, j'ai montré que la confiance des mangeurs dans leurs aliments s'appuyait sur des points d'appui codifiés tels que le label, qui fournissent des repères déposés dans un support lui-même codifié (une réglementation, un cahier des charges) et censé ouvrir sur une interprétation commune, mais aussi sur des points d'appui non codifiés. Ceux-ci ne fournissent pas de repères communs mais des plis ou des liens, prises sensorielles ou interpersonnelles que chacun interprète à sa manière (une pomme tavelée peut être un signe positif - d'absence de traitement chimiques - pour un mangeur et un défaut pour un autre, de même qu'un producteur bougon peut être signe d'authenticité ou au contraire rédhibitoire...).

La sociologie des marchés avait bien montré l'importance des activités de prescriptions menées par les filières agroalimentaires pour guider les prises des mangeurs sur les produits qu'elles leur proposent. Dans certains systèmes alternatifs, cela se joue de manière quelque peu différente avec la possibilité de négocier des aspects du processus de production et du mode d'échange, même si certains processus d'interaction entre production et consommation qu'ils mettent en œuvre peuvent être retraduits en prescription et en quelque sorte « récupérés ». Par exemple, l'invitation à visiter la ferme permet aux consommateurs-mangeurs d'éprouver les liens de causalité entre caractéristiques du processus de production et qualité du produit. Cela incarne une volonté d'ouverture de la « boîte noire » qu'est en général le processus de production pour le consommateur. Cependant, tous les consommateurs ne vont pas tous visiter la ferme. La visite à la ferme peut ainsi rester au stade de l'invitation non honorée, elle révèle une sorte d'efficience du mode virtuel. Par opposition à une exigence de présence permanente et de vérification systématique, cette virtualité dispense d'une vérification dont on sait qu'elle est là en puissance, et rend ainsi les choix alimentaires « vivables ».

Votre analyse des choix alimentaires des intermittents du bio s'appuie sur plusieurs sources théoriques : la sociologie de l'alimentation, la sociologie de la justification, une sociologie pragmatique et enfin une sociologie des relations et institutions marchandes. Quels sont finalement les apports de ces analyses à votre modèle sociologique des pratiques alimentaires « émergentes » ?

Cela peut sembler un peu acrobatique voire éclectique, mais cela correspond aux sources que j'ai effectivement mobilisées pour aborder différents aspects complémentaires de mon analyse de ces mangeurs bio intermittents. Cela traduit bien entendu aussi le fait que je ne me reconnaissais pas pleinement dans une école théorique donné, mais que j'avais pu au fil de mon parcours de thèse, et que je peux aujourd'hui encore, échanger ou parfois construire des projets avec des collègues de ces différentes « écoles ». D'ailleurs, je pourrais ajouter que j'ai mobilisé aussi une autre école théorique et méthodologique, celle des récits de vie, en travaillant sur les biographies alimentaires (autobiographies et entretiens) des mangeurs ! C'est qu'il me semblait nécessaire de combiner une approche des trajectoires des mangeurs et une approche centrée sur les situations, pour tenir compte des processus de prise d'habitude et de socialisation sur le temps long mais aussi de la singularité irréductible des situations.

Les acquis de la sociologie de l'alimentation m'étaient nécessaires pour décrire les pratiques des mangeurs, identifier et catégoriser les différents niveaux de ces pratiques. Mais j'ai voulu m'intéresser aussi aux étapes situées en amont de la « filière du manger » (un terme de J-P. Corbeau) domestique, et relier les choix de produits aux systèmes de production-commercialisation dont proviennent nos aliments. En effet, ces systèmes équipent et orientent l'interaction entre mangeurs et aliments, et guident les connexions reliant les caractéristiques des aliments et les attentes des mangeurs (en termes de sécurité sanitaire, de souci diététique, de goût, notamment). Si l'on se situe du seul côté des mangeurs-consommateurs, on risque fort d'oublier comment les filières pré-orientent leurs choix, ce qu'étudie la sociologie des marchés. Si l'on se situe à l'inverse du seul côté des filières, on oublie le consommateur, et surtout le consommateur devenu mangeur : comment il utilise les produits concernés, aux côtés de quels autres types de produits, et à la place desquels, quelles conceptions sous-tendent ces pratiques... ce qu'étudie la sociologie de l'alimentation.

Dans un contexte où le choix bio, même et peut-être surtout intermittent, est fortement empreint d'arguments éthiques et se relie à des débats parcourant bien plus largement la société civile, autour de questions de risques et d'environnement, la sociologie de la justification et des régimes d'action (inspirée des travaux fondateurs de Boltanski et Thévenot) et certains travaux souvent plus récents orientés vers l'analyse des controverses et les interactions entre les humains et leur environnement technique et pratique (travaux de F. Chateauraynaud, mais aussi ceux de l'analyse socio-technique) m'ont été très précieuses pour étudier les argumentations des mangeurs quant à leur choix bio et appréhender les situations alimentaires et leurs processus de basculement. J'ai ainsi repris la notion de « prise » pour analyser les interactions entre mangeurs et aliments en lui donnant trois dimensions : une dimension sensorielle, une dimension cognitive et une dimension axiologique, renvoyant respectivement à l'appréhension par les sens, aux informations et connaissances disponibles, et enfin aux valeurs et relations en jeu. Lorsqu'il y a problématisation d'une situation et donc basculement, ces trois dimensions de la prise sont l'objet de rééquilibrages qui permettent de revenir à un rapport non problématique à l'aliment, de réduire l'incertitude et de restaurer la confiance. Toutefois, les mangeurs ne redémarrent pas à zéro à chaque choix ou situation alimentaire, et si la multiplication des produits, des injonctions et des messages conduit à une multiplication des possibles configurations de ces prises, qui peut a priori déstabiliser les mangeurs, ceux-ci créent fort heureusement des régularités dans leurs modes de choix et de délégation : c'est ce qui m'a permis de parler de réflexivité routinière. Cette idée s'oppose à la fois à la figure d'un consommateur régulier dans ses comportements parce que déterminé par son appartenance sociale ou par les stratégies des filières agroalimentaires, et à la figure d'un consommateur libre, zappeur et déstructuré. Elle s'oppose aussi à une conception des pratiques alimentaires comme non réflexives car ancrées dans la routine et les habitudes tout autant qu'à une vision de ces pratiques comme hyper-réflexives. C'est pourquoi le mangeur bio intermittent, par ses choix et ses pratiques souvent instables, incarne d'une manière exemplaire les variations dans le degré de réflexivité et de « routinisation » des pratiques alimentaires, voire plus largement des pratiques quotidiennes.

 

Entretien réalisé par Stéphanie Fraisse-D'Olimpio pour SES-ENS.