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Le réapprentissage politique de la relation

Publié le 11/12/2015
Auteur(s) - Autrice(s) : Guillaume Durin
Pour le politologue Guillaume Durin, la crise profonde de notre système représentatif, faisant écho à une crise globale du capitalisme, s'accompagne de l'émergence d'expériences sociales et de pratiques alternatives qui organisent un réapprentissage de la relation. Ce texte a été écrit pour le débat "La démocratie au-delà de la représentation", lors de la quatrième édition de "Mode d'emploi : un festival des idées", organisé par la Villa Gillet à Lyon et dans la région Rhône-Alpes du 16 au 29 novembre 2015.

Texte écrit par Guillaume Durin pour le débat "La démocratie au-delà de la représentation" du 19 novembre 2015.
Dans le cadre de la quatrième édition de Mode d'emploi : un festival des idées (16-29 novembre 2015), organisé par la Villa Gillet en coréalisation avec Les Subsistances, avec le soutien du Centre national du livre, de la Région Rhône-Alpes et de la Métropole de Lyon.

Guillaume Durin est chercheur en science politique et formateur associé au CEDRATS (Centre de Documentation et de Recherches sur les Alternatives Sociales). Il participe au mouvement Alternatiba, qui organise des "villages des alternatives" au changement climatique et à la crise énergétique en France et en Europe. Il est l'auteur de : Alternativez-Vous ! (collectif, Les Liens qui Libèrent, 2015) et "Comprendre et agir face au changement climatique : saisir l'interaction, penser la complexité et vivre le pluralisme" (Dossier du Graine, 2014).


Nous traversons une crise profonde de la démocratie représentative et des formes descendantes d'action collective. Cette crise fait écho à plusieurs grands bouleversements économiques, écologiques et culturels qui la révèlent et qui l'avivent. Néanmoins, elle s'accompagne de l'émergence d'une profusion de pratiques alternatives organisant le réapprentissage de la relation.

La politique des 10 %

Au fur et à mesure de l'étiolement de la participation citoyenne et de la perte apparente de capacité d'action des pouvoirs régaliens, nos régimes sont en passe de devenir des fictions politiques non assumées. Ainsi que le rappelle, Thomas Piketty, les 10% les plus riches possèdent 60% du patrimoine privé européen. La moitié de la population des États d'Europe ne dispose que de 5% du patrimoine (Piketty 2014), alors que ce dernier conditionne les trajectoires de vie et assure l'effectivité de l'exercice des droits fondamentaux. Ce sont les enfants des possédants qui intègrent les écoles de formation aux métiers de dirigeant-e-s, qu'il s'agisse des grandes écoles de commerce ou de Science-Po Paris.

La faiblesse chronique du taux de participation aux élections démontre la croyance famélique des jeunes et des classes populaires dans les promesses du système représentatif (Domargen 2007). À de nombreux échelons, les élus locaux – que l'on décrit souvent comme «de proximité» – proviennent d'un corps électoral extrêmement restreint et «représentent» une population qui ne les a majoritairement pas élus.

L'expression de la «volonté générale» issue d'un système aussi déconnecté de l'ensemble du corps social, est fictionnelle. Nous ne sommes absolument pas égaux devant la possibilité d'être représentants de la nation à laquelle nous appartenons, ni même devant celle d'espérer pouvoir nous faire entendre. D'autant qu'à la crise du système représentatif s'ajoute celle qui impacte le reste des relais d'opinion et des corps intermédiaires ; au premier rang desquels se situent médias et syndicats.

Prendre l'eau tiède pour un remède ?

Les dispositifs de démocratie «participative» sont de plus en plus couramment convoqués par les pouvoirs publics nationaux ou locaux. Or, le moins que l'on puisse dire est qu'en France notamment, ils n'atteignent que très rarement l'objectif de revitalisation démocratique qui pourrait lui correspondre.

Une chose paraît certaine ; quand ils ne sont pas de simples outils de consultation sans suite ni frais (si ce n'est celui des officines et des cocktails-dinatoires), ils ne remettent pas en cause les inégalités d'accès à la parole collective. Fruits la plupart du temps d'une commande publique, ils confortent au contraire les habitués de l'action collective. C'est le cas par exemple, des conseils de quartier dont le pouvoir formel n'est que marginal et dont les membres sont essentiellement celles et ceux qui ont déjà accès au champ politique (Koebbel 2007, Blatrix 2009).

Lorsque se conjuguent déliaison et démesure

Par ailleurs, nos démocraties libérales doivent faire face à la désoccidentalisation du monde et à une très grave crise écologique qui remet en cause leurs fondements idéologiques profonds. La révolution industrielle potentialisée par l'économie de marché met actuellement à mal un certain nombre de biens communs, dont le climat.

Les années 1980 ont été marquées par une dérégulation économique majeure, l'intensification du consumérisme et l'explosion concomitante des émissions de gaz à effet de serre. Là encore le problème s'avère systémique. Il met en cause nos modes d'organisation et de prise de décisions mais également nos systèmes de valeurs. Les nations s'avèrent incapables de gérer nos biens communs, et sont en passe d'enclencher des phénomènes d'emballement rendant la crise climatique incontrôlable (Wijman & Rockstrom 2012).

Les crises convergent. Qu'il s'agisse de celle de la démocratie représentative, du productivisme, et du lien humanité/écosystèmes, les très fortes turbulences que traversent nos modes d'organisation politique traduisent des formes sévères de démesure (Latouche 2012), de «déliaison» (Gauchet 2007), et pour tout dire une crise globale du capitalisme (Klein 2015).

Vers une politique de la relation

Face à la démesure et à la déliaison, des réponses montent depuis les sociétés civiles les plus variées. Ces expériences partent du constat selon lequel la démocratie est un processus qui ne se réduit pas à une série de règles techniques. Afin qu'elle puisse être substantielle, elle nécessite l'accroissement du pouvoir politique du plus grand nombre et la réappropriation de stratégies de la relation (Balazard 2015). Ainsi, à côté des modèles décisionnels pyramidaux, fleurissent aujourd'hui des modes d'organisation à la fois plus horizontalistes, conviviaux, pluralistes et émancipateurs.

Ces collectifs issus de la base participent parfois à des mouvements de plus large ampleur enfourchant une ou plusieurs questions politiques transversales. C'est le cas des assemblées populaires du mouvement espagnol du 15M ou des expériences d'organisation communautaire ayant émergé aux États-Unis, au Brésil, en Grande-Bretagne ou depuis peu en France. À Grenoble, Alliance Citoyenne accompagne des groupes de citoyen-ne-s réunis autour de problèmes communs, s'organisant au fil de rapports de force et d'apprentissages d'ampleur progressive, selon les méthodes inspirées du «community organizing» (Saul Alinski 1971).

C'est le cas, encore plus récemment, du mouvement Alternatiba composé autour du thème de la justice climatique, de la valorisation de pratiques transformatrices concrètes, d'un lien entre les solutions émancipatrices et les luttes, et d'une société du buen vivir. Le mouvement initié en 2013 rassemble d'ores et déjà plus d'une centaine de groupes en France et en Europe.

Enfin, des groupes d'habitants des quartiers populaires français fédérés au sein du collectif «Pas Sans Nous» s'emploient à développer leur pouvoir d'agir. Ils défendent notamment la mise en place d'un droit d'interpellation citoyenne financé par 5% des fonds attribués au fonctionnement de la démocratie représentative.

En de nombreuses occasions, des citoyen-ne-s s'auto-organisent pour parvenir à reprendre du pouvoir sur leur vie ou sur la gestion des biens communs. Ils appellent à une profonde régénération démocratique et mettent en œuvre une myriade d'innovations sociales alimentant une société plus juste, soutenable et désirable.

Guillaume Durin, Le Huffington Post/Festival Mode d'emploi, Novembre 2015

Cet article a également été publié dans Le Huffington Post

 

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