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Les contributions d'Emmanuel Saez (1) : concentration des richesses et évolution à long terme des revenus aux États-Unis

Publié le 19/01/2010
Auteur(s) - Autrice(s) : Emmanuel Saez
Anne Châteauneuf-Malclès
Première partie des contributions d'Emmanuel Saez en économie fiscale et des revenus avec l'analyse de la concentration des richesses et de l'évolution des revenus à long terme aux États-Unis. Les travaux empiriques d'Emmanuel Saez et de Thomas Piketty, menés dans une perspective historique, ont contribué à élargir et préciser notre connaissance de l'évolution des inégalités économiques depuis un siècle, dans les pays anglo-saxons et plus généralement dans les pays développés.

Emmanuel Saez a étudié, en collaboration avec Thomas Piketty, l'évolution à très long terme (1913-1998) des inégalités de revenus et de patrimoine aux États-Unis [1], puis dans d'autres pays (Royaume-Uni, Canada, Japon...) [2]. Cette étude s'est appuyée sur une méthodologie semblable à celle des travaux de Piketty sur «Les hauts revenus en France au XXe siècle» [3], poursuivis par Camille Landais [4], à savoir l'étude des séries longues des données fiscales dans de nombreux pays. Les recherches empiriques de Saez et Piketty, aux États-Unis, en France et dans d'autres pays, contredisent la théorie de la «courbe de Kuznets» qui établit une corrélation entre niveau de développement économique et inégalités. Elles montrent que la réduction des inégalités au cours du XXe siècle n'a rien d'un processus «spontané», mais s'explique par l'effondrement des hauts revenus - pour l'essentiel des revenus du capital - au cours de la première moitié du XXe siècle, en raison de «chocs» subis par les détenteurs de patrimoine (inflation, faillites, destructions liées aux guerres). Cette tendance se poursuit dans beaucoup de pays dans l'après-guerre avec la salarisation et la mise en œuvre d'une fiscalité redistributive qui a eu pour effet de freiner l'accumulation de capital chez les ménages les plus riches.

Ainsi, les données collectées aux États-Unis font apparaître que les inégalités de revenus continuent à diminuer dans l'après-guerre, conséquence de la baisse des revenus du capital et de la montée de la progressivité de l'impôt (le taux marginal supérieur de l'impôt est resté supérieur à 90 % de 1942 à 1964 !). Ensuite s'opère un retournement de tendance : les inégalités s'accroissent très rapidement, dans les années 1980-90, avec la plus forte concentration des revenus d'activité. L'explication principale avancée par les deux économistes est la montée spectaculaire des très hauts revenus durant cette période, mise en évidence à partir de l'observation de la part du centile supérieur dans le revenu total (les 1% les plus riches), une fraction qui retrouve un niveau proche de ceux observés au début du siècle (20-25%). L'élargissement récent de l'éventail des revenus américains, qu'on observe plus généralement dans les pays anglo-saxons [5], provient selon eux pour l'essentiel de l'augmentation considérable des très hauts salaires et des rémunérations des cadres dirigeants (les «top-managers»), et non d'une explosion des hauts revenus du capital.

Note : Le revenu comprend ici tous les revenus primaires, y compris les plus-values de patrimoine pour les États-Unis, avant transferts.

Cette envolée des revenus des «working rich» aux États-Unis – et dans une moindre mesure au Royaume-Uni et au Canada — n'est pas attribuée à l'hypothèse d'un «progrès technique biaisé» («skill-biased technical progress») qui aurait accru les rémunérations des salariés les plus qualifiés relativement aux moins qualifiés. En effet, Saez et Piketty n'observent pas d'évolution comparable dans d'autres pays développés comme la France ou le Japon, confrontés aux mêmes mutations technologiques : la concentration des revenus y est restée relativement stable. L'origine de cette montée spectaculaire des rémunérations dans le haut de la distribution se trouverait plutôt d'après eux dans une plus grande tolérance sociale vis-à-vis des inégalités économiques, en particulier des écarts de salaires entre haut et bas de l'échelle sociale. L'explication serait donc plutôt à rechercher du côté des institutions et des nouveaux modes de rémunération dans les grandes entreprises anglo-saxonnes. En outre, l'accroissement des inégalités a été amplifié par la politique fiscale américaine : la diminution de la progressivité de l'impôt sur le revenu à partir des années 1980 - la baisse du taux marginal supérieur de l'impôt sur le revenu - coïncide avec la forte progression des hauts revenus, ce qui est favorable à terme à l'accumulation patrimoniale dans le haut de la distribution et donc à la reconstitution d'une «société de rentiers».


Notes :

[1] T. Piketty et E. Saez, "Income inequality in the United States, 1913-1998", Quarterly Journal of Economics, vol. 118, n° 1, 2003, p.1-39.

[2] T. Piketty et E. Saez, "The evolution of top incomes : a historical and international perspective", American Economic Review, vol. 96, n° 2, 2006, p.200-205. Voir également : Antony B. Atkinson, Thomas Piketty, E. Saez, "Top incomes in the long run of history", NBER Working Paper n°15408, oct. 2009. Article proposé au Journal of Economics Literature.

[3] Thomas Piketty, Les hauts revenus en France au XXe siècle : inégalités et redistribution, 1901-1998, Grasset, 2001.

[4] Camille Landais, "Les hauts revenus en France. 1998-2006 : une explosion des inégalités ?", document de travail, Paris School of Economics, 2007.

[5] Voir par exemple : Camille Landais, "L'évolution des inégalités de revenus dans les pays de l'OCDE", Cahiers Français n°343, avril-mai 2008.


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1. L'analyse de la concentration des richesses et de l'évolution des revenus à long terme aux États-Unis (vous êtes ici)

2. Les développements de la théorie de la fiscalité optimale

Conférence d'Emmanuel Saez : Fiscalité et politique redistributive

Références et ressources en ligne pour compléter la conférence d'E. Saez

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