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Economie, sociologie : comment raisonnent et travaillent ces deux sciences sociales ? Une application à l'entreprise

Publié le 09/04/2019
Auteur(s) - Autrice(s) : Philippe Aghion, Pierre-Michel Menger
Philippe Aghion et Pierre-Michel Menger, professeurs au Collège de France, ont inauguré le séminaire national sur les nouveaux programmes de sciences économiques et sociales par une présentation générale sur la construction du savoir en économie et en sociologie et les différentes méthodes utilisées par ces deux sciences sociales. Les deux chercheurs ont ensuite appliqué leur réflexion à la question de l'entreprise et de l'entrepreneur, en montrant comment la recherche économique et sociologique avait évolué dans ce domaine et en soulignant l'intérêt d'un croisement des regards sur cette thématique.

Pierre-Michel Menger est Professeur de sociologie au Collège de France, où il est titulaire de la chaire "Sociologie du travail créateur" depuis 2013, et directeur d'études EHESS au CESPRA (Centre d'études sociologiques et politiques Raymond Aron). Spécialisé en sociologie du travail et des arts, il a été récompensé par la médaille d'argent du CNRS en 1999. Il s'intéresse notamment aux nouvelles formes d'emploi et aux recompositions des marchés du travail, au travail artistique et intellectuel et au système d'emploi dans les arts, ainsi qu'aux modèles de l'action en économie et sociologie. Il a récemment publié Le travail créateur. S'accomplir dans l'incertain (Gallimard/Seuil, 2009), Les intermittents du spectacle. Sociologie du travail flexible (Éd. EHESS, 2e éd. augmentée, 2011), La différence, la concurrence et la disproportion. Sociologie du travail créateur (Fayard, Collège de France, coll. "Leçons inaugurales", 2014), et a dirigé l'ouvrage collectif Le talent en débat (PUF, 2018).

photo Philippe AghionPhilippe Aghion est Professeur de science économique au Collège de France depuis 2015 (chaire "Économie des institutions, de l'innovation et de la croissance") et à la London School of Economics. Il est aussi membre de la Société économétrique et de l'Académie américaine des arts et des sciences. Ses travaux portent principalement sur la théorie de la croissance et l'économie de l'innovation. Avec Peter Howitt, il a développé la théorie schumpetérienne de la croissance économique. Il a été récompensé par plusieurs prix dont la médaille d'argent du CNRS en 2006. Une grande partie de ses travaux est présentée dans ses ouvrages Théorie de la croissance endogène (avec P. Howitt, MIT Press, 1998 ; Dunod, 2001) et L'Économie de la croissance (avec P. Howitt, MIT Press, 2009 ; Economica, 2010). Ses publications en français incluent également Les leviers de la croissance française (avec G. Cette, E. Cohen et J. Pisani-Ferry, La Doc. franç., 2007) ; Repenser l'État (avec A. Roulet, Seuil, 2011) ; Changer de modèle (avec G. Cette et E. Cohen, O. Jacob, 2014) ; Repenser la croissance économique (Fayard, 2016).

Philippe Aghion et Pierre-Michel Menger sont tous les deux copilotes du groupe de travail d'élaboration des programmes de sciences économiques et sociales de la voie générale applicables au lycée en septembre 2019 (seconde et première) et en septembre 2020 (terminale).

Nous vous proposons d'écouter leur intervention conjointe lors du séminaire national sur les nouveaux programmes de Sciences économiques et sociales organisé par l'E.N. en février 2019.

La conférence de Philippe Aghion et Pierre-Michel Menger

Economie, sociologie : comment raisonnent et travaillent ces deux sciences sociales ? Une présentation générale et une application au traitement de la question de l'entrepreneur et de l'entreprise

Conférence enregistrée le 7 février 2019 à PSE-École d'économie de Paris.

1. Pierre-Michel Menger : Comment raisonnent et travaillent les sociologues ?

Durée : 27:16
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Résumé : La production de données par l'enquête constitue le cœur du métier de sociologue. Pierre-Michel Menger souligne la variété des méthodes d'enquête et l'importance de l'«interpolation des perspectives» (Everett Hugues) pour le chercheur. Idéalement un sociologue devrait être formé à l'ensemble des techniques : le maniement des données et la modélisation, ainsi que tout ce qui constitue le travail de terrain (entretiens, observation). Mais la profession reste divisée entre les quantitativistes et les qualitativistes. Pourtant, le métier est appelé à évoluer en demandant de plus en plus de compétences de traitement des données, avec la multiplication des data à disposition des chercheurs et la puissance d'objectivation dont sont porteuses ces nouvelles ressources potentiellement gratuites. La sociologie est aussi caractérisée par une diversité théorique qui lui permet d'appréhender la complexité du monde social. Mais l'absence de consensus paradigmatique est un frein à la cumulativité du savoir dans cette discipline. Enfin, Pierre-Michel Menger précise qu'il existe différents types de pratique de la sociologie qui n'ont pas le même but : la sociologie professionnelle, la sociologie de l'expertise (policy sociology), la sociologie publique et la sociologie critique.

2. Philippe Aghion : Comment raisonnent et travaillent les économistes ?

Durée : 15:50
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Résumé : La manière d'enseigner et de faire de l'économie a profondément changé depuis une quarantaine d'année. Les différents segments de la recherche économique ne sont plus aussi cloisonnés qu'autrefois. Aujourd'hui, les macroéconomistes, les microéconomistes et les empiristes travaillent ensemble et la démarche scientifique consiste en un va-et-vient permanent entre la théorie et l'empirie. Les économistes ont désormais accès à des données microéconomiques d'entreprises qui leur permettent de microfonder la macroéconomie et de dépasser le modèle de l'agent représentatif. Ainsi, les modèles de croissance doivent prendre en compte l'hétérogénéité des comportements des firmes pour parvenir à résoudre les énigmes de la croissance, telles que la stagnation séculaire, l'absence de convergence de certains pays, ou encore les effets de la concurrence sur la croissance. Dans le domaine des inégalités, il est important de varier les mesures, de les mettre en relation, et de s'interroger sur les sources des inégalités (rente ou innovation) pour comprendre la dynamique des inégalités. Philippe Aghion insiste sur la nécessité de confronter les résultats théoriques aux données avant de faire des prescriptions de politique économique.

3. Economie, sociologie : regards croisés sur l'entreprise et l'entrepreneur

Durée : 43:37
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Résumé : Philippe Aghion revient tout d'abord sur les conceptions de la firme dans la science économique. Il souligne les avancées permises par la théorie des coûts de transaction, ainsi que l'apport de la sociologie des organisations (Crozier et l'analyse stratégique). Les problèmes d'asymétries d'information, l'autorité (formelle, réelle) et sa délégation sont des questions centrales pour comprendre comment s'organisent les entreprises. Grâce aux données de firme, il est ensuite possible de mesurer la décentralisation et de tester empiriquement ses déterminants (âge d'un secteur, degré d'avancement technologique, etc.). On observe par exemple que la décentralisation est importante dans les secteurs à firmes hétérogènes ou que les NTIC ont fait disparaître les échelons intermédiaires dans les entreprises, ce qui a accru les inégalités de salaires.

En sociologie, l'étude de l'entreprise s'est d'abord centrée sur le monde ouvrier et l'organisation taylorienne du travail, au moyen d'enquêtes monographiques réalisées par des sociologues du travail (en France Friedmann, Touraine). Puis elle s'est déplacée vers d'autres catégories professionnelles comme les cadres. Le point d'entrée de nombreuses réflexions sociologiques était la relation de subordination qu'instaure le contrat salarial et ses contreparties. Des travaux comme ceux de Robert Blauner (1964) se sont intéressés aux situations de travail et aux tâches effectuées par les ouvriers pour analyser leur rapport au travail, en intégrant les dimensions d'autorité, de délégation, d'autonomie, de sens donné au travail.

Aujourd'hui les recherches en sociologie des organisations s'orientent vers l'étude des relations des individus à leur environnement et conçoivent davantage l'entreprise comme une écologie interne. L'organisation est reliée aux caractéristiques du travail individuel et des postes. L'une des grandes leçons de la sociologie selon Pierre-Michel Menger est la décomposition des emplois en tâches (Everett Hughes), qui peuvent être associées, dissociées, réallouées, robotisées, externalisées, selon qu'elles sont routinières ou plus complexes, pénibles ou intéressantes, etc. Ainsi, l'entreprise n'apparaît pas comme le seul mode d'organisation possible du travail. Des formes d'organisation alternatives fondées sur des contrats bilatéraux se développent (Uber, intermittents du spectacle) notamment avec l'économie de plateforme, tandis que d'autres sont régulièrement idéalisées (l'artisanat).

La question des frontières de l'entreprise et de la pertinence de l'organisation des tâches au sein de l'entreprise se pose en particulier pour les activités innovantes. Doit-on par exemple réaliser la recherche dans l'entreprise (ce qui implique contrôle et propriété) ou en dehors, dans les universités (gage de liberté et d'ouverture), s'interroge Philippe Aghion. De nouvelles formes d'organisation favorables à la créativité sont expérimentées comme l'illustre le cas de Linux, qui renoue avec une culture de l'artisanat (Richard Sennett), mais dont a su tirer profit IBM qui ensuite a commercialisé les idées de la communauté. L'exemple de l'entreprise DeepMind spécialisée dans l'intelligence artificielle est un autre exemple d'organisation recherchant un compromis entre l'autonomie et le plaisir, favorables à l'inventivité, et l'objectif de résultat et de profitabilité.

Concernant les figures de l'entrepreneur, au-delà du statut d'indépendant, il est important de garder à l'esprit les différentes caractéristiques de l'entreprise (sa taille, son degré de maturité) et celles de l'entrepreneur (son degré de responsabilité, sa formation et sa carrière, sa capacité de résilience...). Ainsi un artisan n'est pas un entrepreneur schumpétérien, de même qu'une entreprise innovante ne sera pas dirigée de la même façon à son démarrage, lorsqu'il s'agit de développer une idée, qu'à des stades plus avancés. C'est en mobilisant à la fois l'économie, la sociologie, le droit que l'on peut comprendre toute la diversité de ces figures de l'entrepreneur.

Regards croisés sur les entreprises : le nouveau programme d'enseignement de spécialité de sciences économiques et sociales de classe de première

Questionnement : Comment les entreprises sont-elles organisées et gouvernées ?

Objectifs d'apprentissage :

  • Comprendre le cycle de vie d'une entreprise à partir de quelques exemples (création, croissance, changement de statuts juridiques, disparition).
  • Connaître et être capable d'illustrer la diversité des figures de l'entrepreneur : par leur statut juridique (entrepreneur individuel, micro-entrepreneur, chef d'entreprise) ; par leur position et leurs fonctions économiques (entrepreneur-innovateur, manager, actionnaire).
  • Comprendre les notions de gouvernance, d'autorité et de décentralisation/centralisation des décisions au sein d'une entreprise.
  • Comprendre qu'une entreprise est un lieu de relations sociales (coopération, hiérarchie, conflit) entre différentes parties prenantes (salariés, managers, propriétaires/actionnaires, partenaires d'une coopérative).

Pour aller plus loin

La leçon inaugurale et les cours de Pierre-Michel Menger au Collège de France.

La leçon inaugurale et les cours de Philippe Aghion au Collège de France.

Comment raisonnent les économistes ? Cycle de conférence, introduit par Marie-Claire Villeval, juin 2011.

Savoirs : quels critères pour les sciences sociales ? Compte rendu de la conférence d'Andrew Abbott au congrès de l'AFS 2011, SES-ENS, octobre 2011.

Magali Chaudey, Les théories de la firme, SES-ENS, décembre 2011.

Françoise Piotet, La sociologie du travail depuis Georges Friedmann, SES-ENS, février 2005.

Cycle de conférences sur l'économie collaborative : "À qui profite l'ubérisation de l'économie ?" sur SES-ENS, 2017.


Autres conférences du séminaire national 2019 :

Philippe Aghion : Les fondements microéconomiques de la macroéconomie : commerce international, croissance et finance

Jérôme Gautié : Risques et gestion collective des risques : l'approche économique

Philippe Riutort : L'opinion publique : histoire, mesure et effets de réalité

Serge Paugam : Comment penser le lien social ?

 

Crédit photo : ©Patrick Imbert/Collège de France

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