La peur. Histoire d'une idée politique
Commentaires éditeur :
Nous savons tous, intuitivement, que la peur joue un rôle dans la vie politique d'un pays. Et pas seulement lors d'événements exceptionnels comme les attentats du 11 septembre à New York. Mais, parce qu'il est humiliant d'avoir peur et de se l'avouer, nous en minimisons irrésistiblement l'influence, préférant nous réfugier derrière des explications plus " rationnelles " du comportement des gouvernants comme des citoyens. Le maître-livre de Corey Robin déchire ce voile d'ignorance. Dans une analyse à la fois brillante et provocante, très largement saluée lors de sa récente publication aux Etats-Unis, il montre en quoi la peur constitue un levier fondamental de pouvoir, même dans une démocratie libérale comme la nôtre. L'auteur conjugue ici une analyse historique de l'idée de peur (de Hobbes à Hanna Arendt en passant par Montesquieu et Tocqueville) avec une description concrète, menée sans complaisances, de la vie politique américaine actuelle. Il s'en dégage une démonstration particulièrement efficace qui déborde le cadre strictement américain pour s'appliquer à tout fonctionnement démocratique. Si cette thèse originale trouble certainement notre confort intellectuel, elle peut aussi nous dessiller politiquement les yeux pour des lendemains mieux libérés de la peur.
Nos commentaires :
Dans son introduction, Philippe Braud note l'originalité du projet de Corey Robin : par rapport au paysage intellectuel français, tout d'abord, où la thématique de la peur n'est jamais véritablement traitée en tant que telle mais instrumentalisée au service de l'analyse de l'insécurité, ou de la xénophobie, figures de la peur de l'autre. Originalité dans la démarche ensuite : l'histoire intellectuelle d'une idée se combine avec celle des pratiques sociales. Philippe Braud s'interroge toutefois sur la radicalité du propos de Corey Robin : le rejet de toute utilisation de la peur pour légitimer une construction politique ne doit pas nous faire oublier que la peur peut jouer un rôle d'avertisseur parfois salutaire.
Bannir le registre de la peur des arguments utilisés pour légitimer un pouvoir est pourtant au coeur du projet de Corey Robin. C'est après avoir lu l'ouvrage dans son ensemble que l'on comprend pourquoi : la question centrale qu'il semble poser tourne en effet autour des relations entre la démocratie « modèle » américaine et les errements du maccarthysme. Comment un pays dont les institutions et l'histoire fournissent un modèle de libéralisme politique peut-il donner naissance à un système efficace de répression des oppositions politiques ? Commencé avant le 11 septembre la rédaction de l'ouvrage s'achève après et trouve dans le Patriot Act de 2001, voté par les parlementaires américains pour lutter contre le terrorisme une prolongation de la réflexion sur l'incompatibilité entre peur et libertés individuelles.
Cette question fournit également l'explication du paradoxe contenu dans le titre : la peur y est présentée comme une idée et non comme un sentiment ou une émotion. Ce paradoxe semble renvoyer à deux thématiques qui traversent l'ouvrage : tout d'abord, la peur est une construction mise en oeuvre par le pouvoir qui trouve ainsi un expédient pour assurer sa propre légitimité. La renvoyer dans le registre de l'émotion, c'est extraire cette construction du champ légitime de l'investigation politique. C'est ainsi que dans son introduction, Robin dénonce des analyses de l'acte terroriste du 11 septembre 2001 qui dénient toute dimension politique au phénomène, par exemple en faisant de Mohamed Atta un déséquilibré. En second lieu, la peur fait l'objet d'une conceptualisation par les philosophes politiques que Robin s'efforce d'analyser dans sa première partie.
Commentaire Olivia FERRAND pour SES-ENS
A noter :
Pour approfondir, consulter le dossier sur le livre sur notre page "Ressources pour l'enseignement des Sciences Politiques"