Contraintes financières et productivité : une relation en U inversé. Banque de France. Novembre 2019.
Dans le modèle schumpétérien, le crédit est la condition de la mise en œuvre des innovations par les entrepreneurs, à l'origine du phénomène de "destruction créatrice" (notion présente dans le programme de spécialité SES en terminale). En prenant en compte l'hétérogénéité des entreprises, qui sont plus ou moins proches de la frontière technologique, cette étude montre les effets ambigus du relâchement des contraintes de crédit sur la productivité des entreprises et les implications pour leur "survie" sur le marché. Les travaux des auteurs fournissent plus généralement une interprétation au ralentissement de la croissance de la productivité globale sur le long terme dans les économies avancées, alternative à l'explication par la dynamique de la demande (hypothèse de "stagnation séculaire").
Bloc-notes Éco, billet du 15 novembre 2019.
par Philippe Aghion (LSE, Collège de France et CEPR), Antonin Bergeaud, Gilbert Cette, Rémy Lecat (Banque de France), Helene Maghin (KU Leuven).
Ce billet a été d'abord publié en anglais sur vox.eu.
Résumé
Quel est l'impact des contraintes de crédit sur la productivité au niveau agrégé ? Un durcissement de ces contraintes rend plus difficile le financement de l'innovation, avec à long terme des effets néfastes sur la productivité. Mais cela pousse également les entreprises en place les moins performantes à sortir du marché, facilitant l'arrivée d'entreprises plus productives (effet de réallocation des facteurs de production). La combinaison de ces deux effets opposés génère une relation en U inversé entre l'accès au crédit des entreprises en place et la productivité.
Cette étude, détaillée dans un document de travail de la Banque de France de 2018, repose sur un modèle théorique simple de dynamique des entreprises et de croissance fondée sur l'innovation avec contraintes de crédit. Les prédictions théoriques du modèle (la relation entre accès au crédit et croissance moyenne de la productivité) sont testées sur des données d'entreprises manufacturières françaises, en agrégeant celles-ci au niveau sectoriel. L'étude empirique confirme la coexistence des deux canaux pour les entreprises françaises.
L'analyse a des implications dans le débat sur la stagnation séculaire, qui sont développées dans une autre étude de la Banque de France : le ralentissement de la croissance de la productivité observé dans la plupart des pays développés depuis les années 1980 pourrait s'expliquer en partie par une baisse des contraintes financières, freinant les taux de sortie des entreprises les moins productives présentes sur le marché. Sur le long terme, dans le contexte de libéralisation financière et de vieillissement démographique, la faiblesse de la croissance de la productivité et le déclin des taux d'intérêt réels, depuis le début des années 1990, se seraient auto-alimentés. Pour les auteurs, un choc technologique ou une meilleure diffusion des nouvelles technologies dans le domaine du numérique seraient susceptibles d'aller à l'encontre des "vents contraires" de la croissance dans l'avenir.
Le durcissement des contraintes de crédit a un impact positif sur la croissance de la productivité jusqu'à un certain niveau ; au-delà le renchérissement du coût de l'innovation l'emporte sur l'effet allocatif, ce qui entraîne globalement un ralentissement de la productivité :
Source : Aghion, Bergeaud, Cette, Lecat, Maghin, Contraintes financières et productivité : une relation en U inversé,
Bloc-notes Éco/Banque de France, 15 novembre 2019.
Note : les contraintes de crédit sont ici approximées par l'écart sectoriel de taux d'intérêt.
Pour aller plus loin :
Aghion P., Bergeaud A., Cette G., Lecat R., Maghin H., "La relation en U inversé entre l'accès au crédit et la croissance de la productivité", Banque de France, Document de travail n°696, octobre 2018.
Bergeaud A., Cette G., Lecat R., "Taux d'intérêt réel et croissance : une relation circulaire", Bloc-notes Éco/Banque de France, 23 décembre 2019. Résumé : Dans la plupart des économies avancées, les taux d'intérêt réels à long terme et la croissance de la productivité ont diminué sur les deux dernières décennies. Ce billet montre comment une relation circulaire relie ces deux grandeurs. Le vieillissement démographique ayant pesé sur les taux, cette relation circulaire convergerait, en l'absence de choc technologique, vers un équilibre de faible croissance et de faibles taux d'intérêt.