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La crise, dix ans après. Insee. Octobre 2017.

Publié le 13/10/2017

L'Insee publie un numéro triple d'Économie et Statistique proposant un bilan des avancées de la recherche macroéconomique depuis la crise de 2008. Ce numéro explore en particulier le lien entre la crise et le ralentissement de la productivité, l'adaptation des agents économiques à la crise et à l'incertitude qu'elle a engendrée, ainsi que l'impact des politiques monétaires et budgétaires mises en œuvre dans la zone euro après la crise.

L'introduction de Daniel Cohen donne une vue d'ensemble sur les politiques économiques menées à la suite de la crise, les causes et les mécanismes de celle-ci – pas encore totalement éclaircis – et les leçons que les gouvernants et les économistes ont tiré, ou doivent encore tirer, de cette crise exceptionnelle. La crise a suscité de nouvelles interrogations parmi les économistes autour de l'hypothèse de stagnation séculaire et du lien entre ralentissement de la croissance et creusement des inégalités. L'autre grande question qu'ils ont explorée est l'efficacité des politiques économiques, qui ont buté, pendant la crise, sur l'élévation des multiplicateurs keynésiens et le niveau plancher des taux d'intérêt nominaux. Pour la recherche en macroéconomie, malgré les avancées réalisées, l'enjeu plus général reste, selon Daniel Cohen, la construction d'un modèle canonique alternatif aux modèles standards DGSE, capable de prendre en compte le système financier et les imperfections des marchés financiers, les rigidités de prix, l'hétérogénéité des agents économiques et les inégalités (voir l'article d'A. Beyer, B. Coeuré et C. Mendicino sur Les enseignements pour la recherche dans les domaines monétaire et financier dans le même numéro et la présentation de Xavier Ragot Les évolutions de la macroéconomie depuis les années 1980 sur SES-ENS).

Le premier article de G. Cette, S. Corde et R. Lecat (Stagnation de la productivité en France : héritage de la crise ou ralentissement structurel ?) confirme l'hypothèse selon laquelle le ralentissement de la croissance de la productivité observé en France sur la dernière décennie n'est pas un phénomène conjoncturel, lié à la crise de 2008, mais un phénomène structurel antérieur à la crise. Ses causes restent cependant difficiles à saisir. Pour les auteurs, la stagnation de la productivité ne viendrait pas d'un épuisement des effets du progrès technique ou d'un affaiblissement de la diffusion des innovations, mais de difficultés de réallocation des facteurs de production en raison de rigidités sur les marchés du travail et des biens. Cependant, cette inefficience allocative peut avoir d'autres explications, selon Flora Bellone (Commentaire – Ralentissement de la productivité et perte d'efficacité dans l'allocation des ressources : un mal français ?), en lien avec le choc de mondialisation et de digitalisation.

J. Boussard et B. Campagne (Coordination des politiques budgétaires dans une union monétaire au taux plancher) analysent les retombées de la politique budgétaire de la zone euro en situation de politique monétaire contrainte (taux d'intérêt plancher, atteint en 2012). Il ressort que l'effet multiplicateur de la consolidation budgétaire est plus important dans ce contexte de contrainte monétaire : plus la consolidation budgétaire est importante, plus son effet sur l'activité économique des pays de la zone monétaire est récessif. Ceci réduit fortement les gains résultant de la coordination des politiques budgétaires au moyen de règles budgétaires communes, du type Pacte de stabilité et de croissance. Selon les auteurs, la politique budgétaire optimale dans le cadre d'une coordination aurait nécessité une relance budgétaire dans le Nord et une consolidation dans le Sud.

Pour contourner cet obstacle des taux d'intérêt au plancher, les banques centrales ont eu recours à des politiques monétaires non conventionnelles, dont D. Kanga et G. Levieuge évaluent l'impact sur les conditions du crédit pour les entreprises européennes (Une évaluation des effets des politiques monétaires non conventionnelles sur le coût de crédit aux entreprises dans la zone euro). Ils montrent que les politiques non conventionnelles ont eu un effet direct limité sur la baisse du coût du crédit et qu'elles ont été plus efficaces (via des effets indirects principalement) en Allemagne et en Autriche relativement aux pays ayant le plus souffert de la crise des dettes souveraines, la Grèce, l'Italie, l'Espagne ou le Portugal. Toutefois, l'article de J. Barthélémy, V. Bignon et B. Nguyen (Politique monétaire, collatéral illiquide et crédits à l'économie pendant la crise européenne de la dette souveraine) confirme qu'en jouant son rôle de prêteur en dernier ressort, la BCE a permis d'augmenter significativement les crédits à l'économie. Sa politique d'injection de liquidités, via l'élargissement des "collatéraux" – les actifs éligibles au refinancement des banques – a contribué à soutenir l'activité de prêt bancaire pendant la crise européenne de la dette souveraine.

La crise a également obligé à repenser la réglementation bancaire. O. de Bandt, B. Camara, P. Pessarossi et M. Rose étudient l'impact du renforcement des exigences en capital (accords de Bâle III) sur la profitabilité des banques françaises (Des banques mieux capitalisées peuvent-elles être plus profitables ? Analyse des grands groupes bancaires français avant et après la crise financière). Au-delà de l'évolution tendancielle de la profitabilité, en baisse depuis la crise, cette étude révèle que la hausse des fonds propres n'est pas nuisible à la profitabilité du secteur bancaire. Au contraire, elle tend à améliorer le taux de rendement des banques en renforçant leur solidité.

Ces travaux sur les politiques monétaires et prudentielles durant la crise interrogent quant à l'action future des banques centrales. Pour André Cartapanis (Commentaire – Politiques monétaires et crise financière : vers un nouveau central banking), celles-ci doivent désormais viser deux objectifs, la stabilité monétaire et la stabilité financière, en mobilisant toute la panoplie des outils utilisés pendant la crise, y compris les instruments non conventionnels.

Du côté des ménages, la crise économique a modifié le comportement des épargnants, moins enclins à prendre des risques dans leurs placements financiers. L. Arrondel et A. Masson expliquent dans un autre article pourquoi la détention de titres risqués a fortement baissé après la crise chez les épargnants français (Pourquoi la demande d'actions baisse-t-elle pendant la crise ? Le cas français). Selon eux, l'aversion au risque n'aurait pas augmenté après la crise. En revanche, les ménages auraient une perception plus pessimiste de l'environnement économique, les conduisant notamment à anticiper une baisse des rendements des actions.

La montée des incertitudes concerne aussi le revenu, avec des effets sur les comportements de consommation, d'épargne et d'offre de travail des ménages. L'article de Pierre Pora et Lionel Wilner (Les dynamiques individuelles de revenu salarial en France pendant la crise) montre qu'en France, les évolutions défavorables de revenu salarial ont été plus fréquentes au cours de la crise que durant les années précédentes aux deux extrémités de l'échelle salariale, pour les plus pauvres et pour les plus riches. Ce n'est pas le cas pour les salariés aux rémunérations intermédiaires, contrairement aux États-Unis où ce phénomène concerne l'ensemble des salariés. Ces dynamiques de revenu salarial en France seraient liées au volume d'heures travaillées pour les salariés les moins rémunérés et au salaire horaire pour les mieux rémunérés.

Enfin, un dernier article s'intéresse aux stratégies d'ajustement des entreprises en matière d'emploi, en réponse à la crise de 2008, en mobilisant l'enquête REPONSE de la Dares (D. Brochard et C. Perraudin, Logiques d'ajustement à la crise en France : l'apport de données d'établissement). Contrairement à l'idée selon laquelle les entreprises françaises auraient en priorité ajusté leurs effectifs en réduisant les emplois temporaires (CDD et intérim), cette étude indique qu'elles ont utilisé une gamme d'instruments beaucoup plus large et que le recours à la flexibilité interne n'a pas été marginal. Ainsi, si un quart des établissements étudiés ont baissé leurs effectifs, près de la moitié d'entre eux ont réorganisé leur activité, gelé ou baissé les salaires ou utilisé le chômage partiel. Ces résultats remettent en cause la thèse d'une segmentation des effets de la crise entre insiders (salariés protégés) et outsiders (salariés précaires absorbant l'essentiel des ajustements) et suggèrent plutôt l'existence d'une différenciation des pratiques de gestion de la main d'œuvre au sein des insiders.

Economie et Statistique n°494-495-496, 11 octobre 2017.

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Résumé

La crise fête son dixième anniversaire, offrant aux économistes une leçon de modestie et une formidable occasion de remettre à plat leur compréhension du monde. L'effet des taux d'intérêt nuls sur l'efficacité des politiques économiques, la mesure du multiplicateur keynésien, la question de savoir si le ralentissement de la croissance est cause ou conséquence de la crise, l'effet de la montée des incertitudes sur le comportement des ménages et des entreprises, l'efficacité de la stabilisation macro-prudentielle, l'impact des inégalités sur le fonctionnement du marché du crédit, la manière de concevoir et de promouvoir la coordination des politiques macro-économiques en Europe : toutes ces questions cruciales font partie du programme de recherche des économistes, et trouvent dans ce numéro spécial une exposition riche des avancées disponibles. (Daniel Cohen)

Sommaire complet

Introduction - Dix longues années de crise, par Daniel Cohen.

Productivité et crise :

Stagnation de la productivité en France : héritage de la crise ou ralentissement structurel ?, par Gilbert Cette, Simon Corde et Rémy Lecat. Synthèse en une page.

Commentaire – Ralentissement de la productivité et perte d'efficacité dans l'allocation des ressources : un mal français ?, par Flora Bellone.

Politiques budgétaires et monétaires dans la zone euro après la crise :

Avant-propos – La crise, dix ans après : les enseignements pour la recherche dans les domaines monétaire et financier, par Andreas Beyer, Benoît Coeuré et Caterina Mendicino.

Coordination des politiques budgétaires dans une union monétaire au taux plancher, par Jocelyn Boussard et Benoît Campagne. Synthèse en une page.

Une évaluation des effets des politiques monétaires non conventionnelles sur le coût de crédit aux entreprises dans la zone euro, par Désiré Kanga et Grégory Levieuge. Synthèse en une page.

Politique monétaire, collatéral illiquide et crédits à l'économie pendant la crise européenne de la dette souveraine, par Jean Barthélémy, Vincent Bignon et Benoît Nguyen. Synthèse en une page.

Des banques mieux capitalisées peuvent-elles être plus profitables ? Analyse des grands groupes bancaires français avant et après la crise financière, par Olivier de Bandt, Boubacar Camara, Pierre Pessarossi et Martin Rose. Synthèse en une page.

Commentaire – Politiques monétaires et crise financière : vers un nouveau central banking, par André Cartapanis

Ajustements des ménages et des entreprises à la crise :

Pourquoi la demande d'actions baisse-t-elle pendant la crise ? Le cas français, par Luc Arrondel et André Masson. Synthèse en une page.

Les dynamiques individuelles de revenu salarial en France pendant la crise, par Pierre Pora et Lionel Wilner. Synthèse en une page.

Logiques d'ajustement à la crise en France : l'apport de données d'établissement, par Delphine Brochard et Corinne Perraudin. Synthèse en une page.