La déformation du partage de la valeur ajoutée aux États-Unis. DG Trésor. Février 2018.
La question du partage de la valeur ajoutée est au cœur des débats économiques récents sur la montée des inégalités aux États-Unis. Cette synthèse de la Direction Générale du Trésor analyse la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée aux États-Unis, observée au niveau agrégé à partir des années 2000 (–4 points entre 2001 et 2014). La moitié de cette réduction est due à la déformation du partage de la valeur ajoutée dans le secteur manufacturier, dont le principal facteur serait la mondialisation (concurrence des pays à faibles coûts salariaux, délocalisations). Cet effet a pu être renforcé par l'affaiblissement du pouvoir de négociation des salariés dans les secteurs exposés à la concurrence internationale. L'exposition au commerce international expliquerait ainsi 71% de la baisse de la part des salaires dans le secteur manufacturier. Le progrès technique a également pu jouer (substitution du capital au travail), c'est une hypothèse privilégiée par certains économistes, mais d'après les auteurs de l'étude, son effet n'est pas clairement établi.
Certains secteurs des services ont aussi connu une diminution de la part des salaires dans la valeur ajoutée (communications, commerce et transport). Cependant, celle-ci ne serait pas due à la mondialisation et au progrès technique. Elle s'expliquerait par la concentration et la place grandissante d'entreprises géantes dans ces activités, telles Google ou Amazon (le modèle des "firmes superstars" de David Autor et al.), en position dominante sur leur marché, bénéficiant de coûts salariaux fixes relativement bas et de taux de marge élevés.
Trésor-Éco n°216, 21 février 2018.
par Gaëtan Stéphan.
Résumé
Le partage de la valeur ajoutée a longtemps été stable outre-Atlantique, avant de se déformer en faveur du capital à partir des années 2000. La fraction de la valeur ajoutée revenant au facteur travail a fluctué autour d'une valeur moyenne de 63%, puis elle a ensuite entamé une phase baissière, diminuant de près de 6 points par rapport à la période 1948-2001. Le recul de la part des salaires dans la valeur ajoutée concerne également la plupart des pays avancés et émergents à l'exception de la France.
La baisse de la part des salaires observée au niveau agrégé aux États-Unis se concentre dans certains secteurs, en particulier l'industrie manufacturière, qui en explique la moitié, les télécommunications, le commerce, et le transport.
Dans le secteur manufacturier, la réduction de la part des salaires s'expliquerait par le développement du commerce international. La mondialisation aurait incité certaines firmes à délocaliser les étapes de leur processus de production requérant le plus de main d'œuvre, réduisant ainsi la part du travail dans la valeur ajoutée américaine. Par ailleurs, le progrès technique a pu aussi jouer un rôle, difficile à évaluer pour l'instant, dans la réduction de la part des salaires.
La réduction des pressions concurrentielles dans certains secteurs de services aurait également accru les profits et donc la rémunération du capital. Ainsi, la place grandissante des firmes «superstars» dans l'économie américaine, qui présentent un degré de concentration relativement élevé, contribuerait au déclin de la part des salaires au niveau agrégé.
Sommaire
1. La part du travail dans la valeur ajoutée a diminué aux États-Unis comme dans de nombreux pays
1.1 La baisse de la part des salaires affecte en profondeur l'économie américaine depuis 2000
1.2 La baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée est observée à l'échelle mondiale, mais pas en France
2. La baisse récente de la part des salaires aux États-Unis reflète principalement l'évolution du secteur manufacturier
2.1 La part des salaires est restée stable entre 1948 et 2001 malgré de fortes réallocations sectorielles
2.2 Depuis 2001, la part des salaires dans la valeur ajoutée se réduit en raison de sa baisse dans l'industrie manufacturière, le commerce et les communications
3. La baisse de la part des salaires dans le secteur manufacturier s'expliquerait par une exposition plus grande au commerce international
3.1 Le progrès technique et la mondialisation ont pu peser sur l'intensité en travail du processus de production aux États-Unis
3.2 La baisse du prix des biens d'équipement ne semble pas pour l'instant pouvoir expliquer la réduction de la part des salaires au niveau agrégé
4. La réduction des pressions concurrentielles dans certains secteurs de services a pu se traduire par une hausse des profits
4.1 Le rôle de la concentration dans la baisse de la part des salaires
4.2 L'économie américaine enregistre une réduction des pressions concurrentielles qui entraîne une baisse de la part des salaires dans certains secteurs de services
Source : Trésor-Éco n°216, février 2018
Voir également :
Sophie Guilloux-Nefussi, "Les monopoles : un danger pour les États-Unis ?", Banque de France, Bloc-notes Éco, 13 février 2018.