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Vélos partagés : sélection naturelle ou tragédie des biens communs ? The Conversation. Mars 2018.

Publié le 19/03/2018

The Conversation a publié récemment plusieurs articles analysant le développement des services de vélos partagés dans les villes. Ceux-ci permettront d'illustrer plusieurs notions au programme de l'enseignement des SES en lien avec les thèmes du marché, de la concurrence et du développement durable : barrières à l'entrée, coûts fixes, coûts unitaires, monopole, asymétries d'information, externalités, bien commun, droits de propriété, etc.

Les vélos partagés sans station ou en free-floating, fonctionnant avec une application, sont nés en Asie et ce modèle a commencé à se diffuser en Europe. Ils viennent concurrencer les vélos en libre-service ou en location avec station, tels que Vélib' à Paris ou Vélo'v à Lyon, des services subventionnés par les communes ou les métropoles qui, le plus souvent, délèguent le service public à une entreprise privée à travers un contrat. Ainsi, depuis quelques mois, les vélos colorés des opérateurs Ofo, oBike, Gobee.bike et Mobike sont arrivés sur le marché parisien, profitant de la lenteur de la transition vers les Vélib' deuxième génération. Vont-ils réussir à s'imposer ou connaître le même sort que les vélos en libre accès de Gobee.bike à Reims et à Lille, et récemment à Paris où la société hongkongaise vient de mettre fin à son activité ? Quel modèle faut-il privilégier pour l'offre de service de vélos partagés dans les villes ?

photo Vélib' Paris photo vélos Gobee.bike paris

Vélib' et Gobee bikes à Paris. Marie-Dominique Pierru/Flickr et ettigirbs2012/Flickr (licence CC).

Le marché des vélos en libre-service et la sélection par la concurrence

Dans le premier article, François Lévêque, professeur d'économie, analyse avec les outils de l'économie de la concurrence la rivalité entre les entreprises de ces deux modèles économiques pour remporter le marché du vélo partagé à Paris. Selon lui, leur coexistence est «intrinsèquement instable» et, à l'issue d'une «concurrence pour le marché» opérant telle une «sélection naturelle», seul restera l'opérateur qui aura gagné la course à la taille et à la part de marché. La rentabilité des «vélos papillon» dépend en effet de la taille de la flotte et donc de la capacité d'investissement initial de l'entreprise puis de remplacement les vélos volés ou vandalisés. Ainsi, le nombre d'opérateurs de vélos sans borne va probablement se réduire à Paris. Le concept de free floating résistera-t-il au nouveau Vélib' ? Tout dépendra du prix payé par l'usager, de la qualité des vélos et du service, du coût pour les opérateurs des vols et du vandalisme, et de la décision des pouvoirs publics de taxer ou non les opérateurs asiatiques au moyen d'une redevance pour occupation de l'espace public. Au-delà se pose la question du choix entre une prise en charge par le marché ou par un monopole public du service de vélos partagés dans les villes. François Lévêque se demande si subventionner le vélo-station, un service coûteux pour la collectivité, est justifié économiquement.

Les vélos en free floating, des vélos non responsables générant des externalités négatives

Cependant, cette analyse ne prend pas en compte les externalités négatives de la concurrence et les «coûts cachés» du modèle des vélos flottants, comme l'affirme l'économiste et urbaniste Frédéric Héran dans un deuxième article. Partant de l'idée que l'espace public est un bien commun, il souligne les trois coûts cachés des vélos sans station : le coût de l'occupation de l'espace public, celui des désordres et encombrements sur les trottoirs, et le coût des vols et dégradations qui réduisent la rentabilité des opérateurs et les incitent à demander des subventions publiques. Pour limiter ces externalités négatives, les pouvoirs publics peuvent créer des redevances pour occupation de l'espace public (internalisation du coût) ou interdire les vélos sans borne (imposition d'une norme). Plus respectueux des espaces publics, le modèle des vélos avec station a un autre avantage : la possibilité de proposer des vélos à assistance électrique et donc un service plus adapté à certains usagers. Par ailleurs, la délégation de service public permettrait de garantir le bon état des vélos et d'éviter le gâchis et les coûts induits par la concurrence sauvage entre les vélos flottants (vélos finissant à la décharge, dégradation de l'environnement, suppression d'emplois...).

photo vélo gobee bike Parisphoto vélo Shanghai

À Paris et Shanghai. Gari Maure/Flickr et Philipp Salveter/Flickr (licence CC).

Les vélos partagés et l'espace public, victimes d'une double tragédie des biens communs

Mais la prise en charge publique est coûteuse et ne permet pas de résoudre tous les problèmes. Pour Lionel Maurel, auteur du troisième article, le concept de «tragédie des biens communs» peut nous aider à réfléchir à la manière d'organiser au mieux les biens communs dans l'espace urbain. Le free floating engendre selon lui une «double tragédie des biens communs» : première victime les vélos, des ressources en accès libre que les usagers et non-usagers ne sont pas incités à traiter avec égards, seconde victime l'espace public, perçu comme «une ressource en apparence abondante» que les utilisateurs de «vélos flottants» peuvent s'approprier sans coût. L'absence de contraintes incite donc l'individu à se comporter en passager clandestin vis-à-vis de la ressource, que ce soit les vélos ou l'espace public. Pour remédier à ce problème, les pouvoirs publics peuvent réglementer l'utilisation de l'espace public, en demandant aux opérateurs de payer une taxe pour son occupation ou en imposant les vélos avec station. Cela revient à appliquer des droits de propriété publics sur la «ressource surexploitée» comme le préconisait le biologiste Garrett Hardin en 1968. Mais cela ne permet pas d'éviter la tragédie des vélos partagés. En réalité, le modèle des vélos avec station «ne parvient à perdurer que parce qu'il est largement subventionné par la collectivité, dans le cadre de partenariats public-privé». Une autre solution nous vient des travaux d'Elinor Ostrom, prix Nobel d'économie en 2009 : entre la gestion privée par le marché et la gestion publique, il existe un mode de gouvernance alternatif pour les ressources partagées, la gestion collective par des communautés d'utilisateurs. Associer les utilisateurs à la gestion locale des services de vélos partagés en leur donnant un cadre pour organiser les règles d'usage des communs permettrait de résoudre de manière plus démocratique ces phénomènes de tragédie des communs apparaissant dans l'espace urbain avec les vélos en libre accès.

A lire sur The Conversation :

Vélos en libre-service : la lutte pour survivre, par François Lévêque, Professeur d'économie, Mines ParisTech, 5 février 2018.

Vélos responsables ou vélos prédateurs ? Vélib' ou «free floating» ?, par Frédéric Héran, économiste et urbaniste, Université de Lille 1, 21 février 2018.

Les vélos en libre-service, une double «tragédie des communs», par Lionel Maurel, Conservateur des bibliothèques, Université Paris Nanterre, 5 mars 2018.