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J. M. Keynes et la macroéconomie : L'auteur

Publié le 16/02/2018
Auteur(s) - Autrice(s) : Jean-Pierre Potier
Le neuvième chapitre du feuilleton de l'histoire de la pensée économique est consacré à John Maynard Keynes et à la macroéconomie. Dans cette première partie, Jean-Pierre Potier présente l'auteur qui donna naissance à un nouveau courant de pensée en économie. Après une biographie de Keynes, retraçant les grandes lignes de son parcours intellectuel, il évoque son positionnement au sein de la science économique et ses principaux disciples.

Autres parties du chapitre :
J. M. Keynes et la macroéconomie : Introduction
J. M. Keynes et la macroéconomie : Les grands thèmes

Biographie de Keynes

John Maynard Keynes (1883-1946) est le fils de John Neville Keynes (1852-1959), professeur de logique et d'économie à l'Université de Cambridge et auteur d'un ouvrage de méthodologie économique, The Scope and Method of Political Economy (1890). Après une formation dans un collège d'Eton, il étudie au King's College de l'Université de Cambridge à partir de 1902, principalement les mathématiques ; à l'époque, il se passionne aussi pour la philosophie et la politique. Ses intérêts se tournent également vers l'économie politique à partir de 1905 ; Alfred Marshall (1842-1924) et Arthur Cecil Pigou (1877-1959) seront ses professeurs. Keynes réussit un concours de «civil service» en 1906 et il est nommé à l'Indian Office, où il ne restera que deux ans. Il dispose assez de temps libre pour rédiger une thèse sur la théorie des probabilités qui débouchera sur une publication en 1921 seulement. L'expérience à l'Indian Office lui donnera aussi l'occasion de publier Indian Currency and Finance (1913). À l'époque, il fait partie du groupe anti-conformiste londonien de Bloomsbury. À partir de 1909, il devient chargé de cours au King's College de Cambridge et il enseigne les questions monétaires. Durant la Première guerre mondiale, il entre au cabinet du chancelier de l'Echiquier et travaille à la direction du Trésor britannique, en charge des problèmes de prêts et d'emprunts.

En 1919, Keynes va représenter le Trésor britannique à la conférence de la paix à Versailles. En désaccord avec l'attitude de la France qui souhaite imposer à l'Allemagne un montant exorbitant de réparations, il démissionne de son poste avant la fin de la conférence (28 juin). Dans une brochure, Les conséquences économiques de la paix (1919), au succès mondial, il décrit de façon prémonitoire les conséquences d'une «paix carthaginoise».

Dans le contexte des discussions sur le retour à l'étalon-or après la guerre, il propose un plan dans un ouvrage consacré à La réforme monétaire (1923). Au niveau théorique, il présente une version de la théorie quantitative de la monnaie en termes d'encaisses, inspirée de Marshall et de Pigou ; la relation directe entre le montant des encaisses liquides et le niveau des prix n'est pas vérifiée à court terme, mais seulement à long terme. Toutefois, Keynes remarque : «ce long terme est une mauvaise référence pour les affaires courantes. À long terme, nous serons tous morts». En ce qui concerne la politique monétaire, c'est le court terme qui importe. Entre stabilité des prix et stabilité des changes, Keynes choisit la première option. Au lieu de préconiser le retour du Royaume-Uni à l'étalon-or à la parité d'avant-guerre, il plaide pour un système d'étalon-or ajustable fondé sur une coopération entre les banques centrales des États-Unis et du Royaume-Uni. Il va déplorer le retour britannique à l'étalon-or (lingot et non espèces) à la parité d'avant-guerre (Gold Standard Act, 29 avril 1925), à l'initiative de W. Churchill, une expérience déflationniste désastreuse qui s'achèvera le 19 septembre 1931. Plus tard, il dira dans la Théorie générale : «On n'a jamais inventé au cours de l'histoire de système plus efficace que celui de l'étalon-or – ou autrefois de l'étalon argent – international pour dresser les intérêts de différentes nations les unes contre les autres» (1969, p.344) [1].

Dès 1924, Keynes travaille à un nouvel ouvrage qui paraît en 1930, le Traité sur la monnaie. Il centre son analyse sur le flux de revenus de la communauté en distinguant les revenus gagnés par la production de biens de consommation et de biens d'investissement et les revenus dépensés par les acheteurs de biens de consommation et l'épargne. Abandonnant la théorie quantitative de la monnaie, il montre que l'inflation ne provient pas d'un excès d'émission monétaire, mais prend sa source dans la production. Il emprunte à K. Wicksell son analyse des processus cumulatifs pour montrer que si le taux d'intérêt monétaire est inférieur au taux d'intérêt réel, l'investissement excède l'épargne, les profits et les prix augmentent. Le mécanisme inverse conduit à la déflation et le chômage, ce qui va justifier des politiques de grands travaux.

Les critiques suscitées par ces thèses chez les économistes de Cambridge conduisent l'auteur à entreprendre à partir de 1932 la rédaction d'un nouveau livre, la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, qui paraîtra en 1936. Keynes retrouve des responsabilités importantes durant la Seconde guerre mondiale. Membre d'un comité consultatif pour l'organisation du financement de la guerre, Keynes publie la brochure Comment financer la guerre (1940). Il propose notamment de mettre en place un impôt sur le capital et un système de salaire différé. Avec une équipe, il prépare aussi les bases de la future comptabilité nationale. En 1943, il met au point le projet d'un nouveau système monétaire international pour l'après la guerre. Le «plan Keynes» prévoit la création d'une banque supranationale («Union de Compensation»), émettant le «bancor» lors de l'octroi de crédits aux banques centrales. Mais la conférence internationale qui se tient en juin 1944 à Bretton-Woods, en dépit des compromis, scelle la victoire du plan américain, préparé par Harry White, et instaure la suprématie du dollar dans les relations monétaires internationales de l'après-guerre.

L'économie politique selon Keynes

À la différence de son père, John Maynard Keynes s'est peu exprimé sur la définition et la méthode de la science économique. Selon lui, elle est avant tout une science sociale et on ne peut lui appliquer les méthodes en usage dans les sciences physiques. Dans une lettre à R. F. Harrod du 4 juillet 1938, il indique : «Contrairement à ce que pense Robbins, l'économie est essentiellement une science morale et non pas une science naturelle. C'est-à-dire qu'elle fait appel à l'introspection et aux jugements de valeur» (JMK, Collected Writings, vol. XIV, pp.296-297). L'économie doit donc s'intéresser aux motivations humaines, aux anticipations d'un futur incertain.

Selon Keynes, l'économiste «doit être mathématicien, historien, homme d'État, philosophe – dans une certaine mesure. Il doit comprendre les symboles et s'exprimer avec des mots. Il doit penser le particulier en termes du général, et doit aborder l'abstrait et le concret dans le même élan de pensée. Il doit étudier le présent à la lumière du passé en vue du futur. Rien de la nature de l'homme ou de ses institutions ne doit échapper à son attention» («Alfred Marshall (1842-1924)», The Economic Journal, 1924, cité par G. Dostaler, 2005, p.9).

Les principaux auteurs rattachés au courant keynésien

L'« école keynésienne » au Royaume-Uni

Richard F. Kahn (1905-1989). En 1931, il décrit dans un article de l'Economic Journal le fonctionnement du «multiplicateur d'emploi» dont Keynes s'inspire dans la Théorie générale.

Roy F. Harrod (1900-1978).

Joan V. Robinson (1903-1983).

Nicholas Kaldor (1908-1986).

Les premiers disciples de Keynes aux États-Unis

Alvin H. Hansen (1887-1975).

Evsey D. Domar (1914-1997).

Quelques tenants du « keynésianisme de la synthèse »

John R. Hicks (1904-1989).

Paul A. Samuelson (1915-2009).

Robert M. Solow (né en 1924).

Lire la suite : J. M. Keynes et la macroéconomie : Les grands thèmes

[1] Sauf mention contraire, les citations de La Théorie Générale de l'emploi, de l'intérêt de la monnaie sont extraites de la traduction française publiée chez Payot en 1969.

* * *

Jean-Pierre Potier, Professeur émérite de sciences économiques à l'Université Lumière Lyon-2 et chercheur au laboratoire Triangle – Pôle «Économie : histoire, institutions, société», Axe «Histoire de la Pensée», pour SES-ENS.

Note : La bibliographie de l'article se trouve à la fin de la partie "Les grands thèmes".

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