Délit de jeunesse. La justice face aux quartiers.
Publié le 27/07/2007
Auteur(s) - Autrice(s) :
Coutant, Isabelle
La découverte
2-7071-4371-5,
Commentaires éditeur :
Pourquoi les délits d'une partie de la jeunesse populaire, auparavant relativement tolérés, sont-ils désormais jugés insupportables ? Ces jeunes " difficiles " sont-ils des " sauvageons " perdus pour la société, comme se plaisent à le répéter certains responsables politiques ? Le travail socio-éducatif serait-il devenu inefficace, ne laissant d'autre alternative que la répression policière ? A partir d'une enquête menée sur des dispositifs judiciaires en région parisienne, Isabelle Coutant confronte la parole de victimes d'" incivilités " - habitants des grands ensembles, enseignants, éducateurs et policiers - à celles de mineurs délinquants et de leurs parents. En consacrant une place importante aux entretiens et aux récits d'observations, notamment en maison de justice, l'ouvrage montre que la délinquance juvénile contemporaine est le fait d'une autonomisation de la " culture de rue " vis-à-vis de la culture ouvrière. Cette évolution résulte pour partie de la précarisation des classes populaires et de la ségrégation urbaine. La " rue " offre alors une reconnaissance sociale à ceux qui ne l'obtiennent ni à l'école ni au travail, ni même au sein de leur famille. A travers le portrait d'anciens délinquants qu'elle a parfois suivis sur plusieurs années et l'analyse minutieuse du travail réalisé par les magistrats et les éducateurs rencontrés, l'auteur met en évidence les conditions d'efficacité des interventions judiciaires et socio-éducatives. Et elle reprend enfin une question centrale pour les républicains du XIXe siècle, soucieux d'enraciner les valeurs de la République : celle de l'" éducation morale ". Comment intervenir sur la vision du monde des enfants et des adolescents ? Comment faire en sorte que leurs valeurs soient rendues compatibles avec celles de la société dominante?
Nos commentaires :
L'ouvrage d'Isabelle Coutant est issu d'une thèse : Institution judiciaire et éducation morale des jeunes de milieu populaire. Enquête ethnographique sur deux dispositifs : une Maison de Justice et un dispositif d'insertion de la PJJ. soutenue en novembre 2003, sous la direction de Gérard Mauger. Plusieurs questions traversent l'ouvrage : comment les délits d'une partie de la jeunesse sont-ils devenus passibles d'un traitement judiciaires alors qu'ils faisaient l'objet d'une certaine tolérance par le passé? Quels éléments de leur parcours expliquent leur engagement dans une carrière délinquante? Comment ces jeunes tirent-ils la leçon de leur démêlés précoces avec la justice et qu'est-ce qui leur permet de « se ranger », arrivant à l'âge adulte? L'intérêt de l'ouvrage est d'appuyer les réponses sur une enquête ethnographique qui permet de dépasser des niveaux d'explications trop généraux pour apporter un véritable éclairage.
Ainsi la première partie de l'ouvrage, consacrée à l'analyse de ce qui se joue dans les maisons de justice et de droit, revient-elle sur les raisons du dépôt de plainte de ceux qui se présentent aux audiences comme victimes. Cette analyse permet de comprendre comment les victimes, issues de plus en plus souvent de milieux proches des jeunes mis en cause, ont recours à la régulation par le droit plutôt qu'à d'autres formes d'arrangements parce que leur situation «d'établis» face aux «marginaux» que sont les jeunes délinquants ? pour reprendre la terminologie de N. Elias et J.L. Scotson ? apparaît de plus en plus précaire. En particulier, la distance s'est creusée entre les agents de l'Etat ? éducateurs, enseignants, agents de la RATP ? amenés à intervenir dans les quartiers et ces publics «difficiles»; Dès lors la plainte pénale exprime une incompréhension mutuelle croissante ainsi qu'un désarroi des fonctionnaires qui se sentent mal soutenus par leur administration. On voit donc ce qu'une approche globale de la montée des attitudes répressives a de réducteur. Quant aux enjeux de l'audience elle-même, ils consistent à amorcer une traduction des normes juridiques dans les catégories de «l'ethos indigène» de l'auteur du délit : par exemple, en mettant en scène la confrontation avec la victime ou ses parents, on favorise cette prise de conscience qui est un élément central d'une «pédagogie judiciaire». Enfin, les entretiens avec les parents des jeunes mis en cause ont l'intérêt de montrer que très loin d'être «démissionnaires», ils sont profondément touchés par les démêlés judiciaires de leur enfant et inquiets de se voir stigmatisés comme mauvais parents. «Défaillants» plutôt que «laxistes» ces parents subissent les contraintes croissantes du marché du travail ainsi que les transformations des modèles éducatifs comme autant de handicap dans l'exercice de l'autorité parentale, exprimant fréquemment le besoin d'être soutenus dans leur rôle éducatif.
Dans sa deuxième partie, l'auteur retrace les parcours d'un certain nombre de jeunes délinquants. Récusant une analyse en terme d'anomie, le livre s'appuie sur un certain nombre d'ouvrages sur la culture de rue ? Street Corner Society de William Foote Whyte (La Découverte, 2002) ou encore En quête de respect. Le crack à New York , de Philippe Bourgois, (Seuil, 2001) ? pour montrer que celle-ci fournit, avec ses valeurs d'honneur, de solidarité, une instance d'intégration à des jeunes en mal de reconnaissance. Cette force d'attraction du groupe des pairs ? les jeunes enquêtes utilisent une expression imagée «se faire engrainer» - ne s'exerce pourtant par sur tous de la même façon. Qu'est-ce qui explique que certains cèdent aux «mauvaises influences» ? Doit se résoudre à invoquer le registre de la responsabilité individuelle ?comme le font d'ailleurs les dealers de crack dans le livre de Philippe Bourgois ? Bien loin de souscrire à l'idéologie ambiante qui récuse la possibilité d'une analyse sociologique en faisant état de la diversité des trajectoires individuelles au sein d'une même famille, Isabelle Coutant détaille les facteurs qui peuvent expliquer ces divergences : l'échec scolaire a un rôle stigmatisant qui peut susciter le besoin d'un autre type de reconnaissance. Les configurations familiales jouent également un rôle : plus le contrôle parental est efficace et contraignant, moins les jeunes sont exposés à l'attraction de la culture de rue. Mais au sein d'une même famille, la place dans la fratrie, le sexe, le rôle des recompositions familiales débouchent sur de fortes différences dans l'investissement éducatif des enfants; Lorsque ni la reconnaissance scolaire, ni celle du milieu familiale n'est acquise, la rue bénéficie d'un fort pouvoir d'attraction.
Comment les jeunes délinquants peuvent-ils opérer leur conversion et «se ranger» ? De la culture de rue à la «culture d'atelier», les points de continuité ne manquent pas, et le passage à l'âge adulte, la mise ne couple peuvent s'avérer suffisant pour opérer une conversion spontanée; Toutefois cette conversion est rendue plus difficile du fait de la dégradation du marché du travail, du déclin du pouvoir d'attraction et d'intégration de la condition ouvrière. Enfin la «culture d'atelier» s'est transformée : les «grandes gueules», hier porte-paroles potentiels du groupe ouvrier, ne trouvent plus guère leur place aujourd'hui à l'usine. La problématique des institutions chargés de l'insertion de ces jeunes «inemployables» est alors de favoriser l'émergence d'un habitus professionnel. Isabelle Coutant étudie un dispositif d'insertion mis en place par la PJJ qui prépare des jeunes au BAFA en s'appuyant sur l'idée que leur expérience déviante peut constituer un atout paradoxal dans le milieu de l'animation. Les entretiens recueillis auprès des stagiaires, qui s'étalent sur un laps de temps assez long, montrent comment les jeunes accueillis dans le dispositif voient l'horizon des possibles s'élargir tandis qu'ils prennent du recul par rapport à leur histoire et la culture de rue dans laquelle ils baignaient jusqu'alors : «Avant, je parlais la banlieue. En six mois, j'ai appris trop de mots ! En juste six mois ! Je serai resté un an ou deux ans;» Mais ce n'est qu'une première étape, et l'insertion, la reconversion d'un ethos de rue en ethos professionnel est aussi étroitement dépendant des ressources sociales que les stagiaires interrogés ont pu mobiliser par ailleurs ?soit qu'ils disposent de ressources propres soit qu'ils aient mieux su exploiter le capital de relations constitué à l'occasion du stage. Pour ceux qui ont, suivant l'expression de l'auteur «loupé le coche», la désillusion est d'autant plus importante, et certains, malgré un début d'insertion professionnelle conservent un pied dans le business, tirant simplement un trait sur certaines activités peu conformes avec leur nouveau statut.
Ce bilan en demi-teinte de l'action des institutions de réinsertion permet néanmoins de montrer que pour un certain nombre «L'éducation morale» a pu fonctionner : la référence à Durkheim est ici explicite pour mieux prendre ses distances avec un modèle éducatif fondé sur la répression, et en appeler à une socialisation croissante des fonctions éducatives. Lorsque le marché du travail précarise le «métier de parent», il conviendrait d'entendre leur demande d'assistance éducative sans attendre, comme c'est aujourd'hui le cas, qu'un délit soit commis.
Un ouvrage riche en textes très accessibles pour analyser la genèse des conduites délinquantes, la fonction intégratrice de la culture de rue et montrer, dans la lignée des ouvrages de Stéphane Beaud et Michel Pialoux sur la classe ouvrière, le lien entre délinquance et déstructuration des classes populaires.
Sommaire :
I - PASSER EN JUSTICE
1) Porter plainte.
2) La plainte des agents publics.
3) Les audiences : " au plaisir de ne plus vous revoir ".
4) Des parents " irresponsables " ?
II - SOCIOGENESE DE LA DELINQUANCE.
5) " Se faire engrainer ".
6) Stigmatisation et délinquance.
III - «SE RANGER»
7) Se frotter au travail.
8) A la recherche d'une autorité morale.
9) Pouvoir se projeter dans l'avenir
A noter :
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