Droit Au Logement, genèse et sociologie d'une mobilisation
Stephanie Fraisse-D'Olimpio
Présentation
Les éditions Dalloz et leur « nouvelle Bibliothèque de thèses » publient certaines thèses dans leur intégralité. Le pari est audacieux car le contenu des travaux est souvent aride et dense mais ces publications sont déterminantes pour les jeunes chercheurs.
Cet ouvrage de Cécile Péchu est ainsi son doctorat de sciences politiques, soutenu à l'IEP de Paris en septembre 2004. La thèse est consacrée à la genèse et à la sociologie des mobilisations relatives au logement - plus particulièrement, au Comité des mal-logés (CML) et à DAL.
L'auteure présente - notamment dans son premier chapitre « Des mouvements sociaux urbains aux mouvements de pauvres » - une analyse critique parfois sévère de la sociologie urbaine [1] à laquelle elle reproche de n'avoir pas su préciser son objet d'étude. Elle revient par ailleurs sur les principales théories anglo-saxonnes prévalant dans le champ de la sociologie de la protestation collective et en particulier la sociologie des mouvements de pauvres [2]. Celles-ci apportent des éléments importants à l'analyse des mouvements sociaux en soulignant que les pauvres disposent de ressources (« ressources indigènes ») pour l'action et pour la mobilisation. Ils ne sont donc pas isolés et dépendants d'autres acteurs comme le laisse penser l'approche entrepreneuriale de l'action collective [3] centrée sur les ressources. Pour autant, Cécile Péchu souligne qu'il ne faut pas exagérer l'autonomie des mouvements de « sans » puisqu'ils s'appuient comme le souligne Lilian Mathieu sur des « alliés externes » selon des schémas d'alliance qui peuvent aller de la « dépendance » à « l'autonomie » en passant par la « claire division des tâches et des pouvoirs ». En somme pour Lilian Mathieu, le principal effet de l'alliance entre pauvres et militants extérieurs, ne se manifeste pas sur le résultat du mouvement mais sur sa possibilité [4].
Si Cécile Péchu centre son questionnement sur les conditions et possibilités d'une « mobilisation improbable » [5] (si l'on s'en tient aux faibles ressources des sans-logis et mal-logés), elle présente un modèle attentif aux processus de construction des représentations et revendications des acteurs. Elle analyse ainsi spécifiquement les liens entre les conditions socio-économiques et politiques objectives (comme la réalité de la question du logement et de l'exclusion), leur construction sociale et le type de groupes mobilisé, avant d'observer la manière dont les acteurs des organisations vont « cadrer » leurs revendications sous l'effet de ces multiples contraintes. L'observation porte sur l'ensemble des acteurs qui composent le collectif de l'organisation et non sur les seuls acteurs ne disposant pas de ressources.
L'auteure présente dans ce même chapitre les conditions de son enquête de terrain et engage une réflexion très stimulante et autocritique sur la posture d'observation participante. Rappelant que le chercheur incarne la « distanciation » et peut être perçu comme une menace pour des acteurs inscrits dans « l'engagement ».
Cécile Péchu observant que les principaux adhérents du Comité des Mal-logés (crée en 1987) et dans une moindre mesure de Droit au Logement, sont des ménages d'origine africaine, analyse d'abord les « conditions culturelles et structurelles de la mobilisation » de cette base sociale (chapitre 2). Elle souligne que les politiques de l'immigration africaine en France (passage d'une immigration de travail à une immigration de peuplement avec le regroupement familial à la fin des années 70), le marché du logement et sa fermeture (revenus peu élevés des familles immigrées africaines, racisme des propriétaires, suroccupation des logements), les caractéristiques culturelles de l'immigration africaine, dotée de réseaux et d'une tradition revendicative acquise notamment à travers des luttes touchant au logement (grève de loyers des foyers SONACOTRA) ont constitué un ensemble de ressources propres à se combiner avec celles des réseaux militants, diversifiés, qui vont investir ce champ militant.
Le développement des luttes supposait toutefois la construction d'une « nouvelle question sociale », en particulier de la notion d'exclusion émergeant dans les années 1990. Dès 1994, la base sociale du DAL, jusque là essentiellement composée de familles africaines, va accueillir aussi des sans-logis célibataires que l'on désignera par la terminologie consacrée dans le champ médiatique, de « SDF ».
Dans ce contexte de retour de la « question sociale », trois dimensions sont réunies pour penser la pauvreté et l'exclusion. On assiste d'abord au retour à une logique socio-économique permettant d'imputer la responsabilité de la situation dénoncée au « système » et, avant tout, aux pouvoirs publics, sommés de la prendre en charge; quand prévalait jusqu'alors l'idée d'une inadaptation relative des individus concernés. Ensuite, on observe une autovalorisation des acteurs désormais perçus comme « disqualifiés » par le système mais non pas « non-qualifiés ». Les conditions de cette perception moins dominée de « l'exclu » est renforcée par le discours sur la « fin du travail » qui valide une recherche de valorisation de soi en dehors de l'espace de la production. Enfin, si pendant longtemps on ne voyait le salut du « nouveau pauvre » que dans sa volonté individuelle de s'en sortir, les « exclus » n'ont de destin que collectif à travers une éventuelle action collective.
Les spécificités des adhérents des associations et la construction de l'exclusion au début des années 80, remplissent un certain nombre de conditions nécessaires pour la mobilisation mais les caractéristiques du groupe défini sont également fondamentales. Ainsi, le chômage et la montée de la précarité accroissent la taille du groupe qui peut se sentir concerné par l'appellation d'exclus. Cette nouvelle question sociale, sera en somme concomitante avec la crise du logement sur laquelle C.Péchu revient longuement, fondant aussi des conditions structurelles puis symboliques nécessaires à l'action.
C'est ainsi la mobilisation autour du relogement de victimes d'incendies qui va constituer progressivement l'organisation et marquera la naissance du Comité des Mal-Logés. L'existence d'incitations sélectives, c'est-à-dire personnelles, à la mobilisation des adhérents va ensuite présider au fonctionnement de ces associations (parvenir à faire partie de la liste des personnes qui squatteront un immeuble pour obtenir un logement). L'auteur revient enfin sur le processus de « cadrage » des revendications et des actions en analysant la construction médiatique de l'image des mobilisations de sans-logis.
La crise des trente dernières années a provoqué des déclassements sociaux d'acteurs préalablement dotés d'une proximité au monde du travail et, par là, d'un certain nombre de dispositions pour l'action collective. Elle autorise un continuum entre ces acteurs et la population immigrée, dotée de ressources d'une autre espèce et de structures internes, pour qui l'absence de logement, mettant en jeu de nombreux droits, constitue une insécurité existentielle. Les bénéficiaires du mouvement, dans leur diversité, possèdent donc un certain nombre de ressources qui vont devoir se combiner avec des ressources externes, analysées dans les troisième et quatrième chapitres, consacrés à l'engagement des militants du CML, puis au leaders (dont Jean-Baptiste Eyraud et Jean-Pierre Amara) et générations militantes de DAL. Ces deux chapitres éclairent les trajectoires, les carrières et les défections qui contribuent à former et transformer les associations. C.Péchu souligne que l'engagement au CML ou au DAL est une manière pour ces militants d'exprimer un investissement politique qui leur offre un rôle social valorisant tout en affirmant leur rejet de la délégation et de la professionnalisation incarné par la recherche d'un intérêt économique personnel de « l'engagement politique généraliste ». Ces associations veulent incarner un pôle spontanéiste et limitent par exemple le nombre de leurs salariés. Ce « militantisme pour le militantisme » peut s'expliquer notamment par la rupture des certains militants avec des institutions sociales légitimant une certaine logique économique (Parti Communiste, Eglise, ...) et par l'hostilité aux élites politiques perçues précisément comme une classe économique. L'engagement se présente ici comme un acte gratuit. Si le CML a malgré tout été longtemps été tiraillé entre une identité d'extrême gauche « radicale » s'inscrivant donc dans une logique d'un champ partisan, le DAL incarnera mieux l'identité d'association militante autonomisée du champ partisan conçue comme un contre-pouvoir et se limitant à l'enjeu du logement.
Enfin, le dernier chapitre est consacré au « répertoire de l'action collective » propre aux mouvements de revendication concernant le logement en particulier le squat. C.Péchu lui restitue son historicité, livrant au passage d'utiles références à des études insuffisamment connues. L'auteure s'intéresse à l'émergence d'un « illégalisme sectoriel » à la lisière entre formes de résistance et forme de contestation collective, qui est caractérisé par sa capacité à nier et à utiliser, tout à la fois, l'espace public.
L'ouvrage constitue un apport de premier plan à l'étude du militantisme et de ses mutations dans les années 1980. L'étude mérite à cet égard d'être complétée comme l'auteur le propose, par une analyse détaillée de l'influence de ces mouvements sur les politiques publiques et d'être étendue aux autres mouvements déployés dans d'autres champs d'action tels que AC !, ATTAC... aux fins d'une histoire renouvelée du politique.
Par Stephanie Fraisse-D'Olimpio.
Notes
[1] Autour notamment des analyses de Manuel Castells :
M.Castells, E.Cherky, F.Godard, D.Mehl, Crise du logement et mouvements sociaux urbains, Paris, Mouton, 1978.
M.Castells, La question urbaine, Paris, Maspero, 1973
M.Castells, The city and the grassroots : a cross-cultural thery of urban social movements, Berkeley, University of Clifornia Press, 1983.
[2] Piven F, Cloward R., Poor people's movements. Why they succeed, how they fail, New York, Pantheon Books, 1977.
Mc Adam Doug, Political Process and the Development of Black Insurgency, 1930-1970, Chicago, The University of Chicago Press, 1982.
Jenkins J.C., The politics of insurgency. The Farm Worker Movement in the 1960s, New York, Guildford, Columbia University Press, 1985.
Lipsky M., Protest in city politics. Rent strikes, housing and the power of the poor, Chicago, Rand McNally and Company, 1970.
[3] J.Mc Carthy et Zald M, « Resource mobilization and social movements: a partial theory », American Journal of Sociology, vol. 82, 6, mai 1977.
Olson M., Logique de l'action collective, Paris, PUF, 1987 (1965).
[4] Lilian Mathieu, « From dependance to self-organization : logics and ambiguities of alliances excluded », Conference ECPR, Marburg, septembre 2003.
[5] Johanna Siméant, La cause des sans papiers, Presses de Sciences Po, Paris, 1998, chapitre 3 : « Les logiques sociales de mobilisations improbables », p.111-155.
Lilian Mathieu, Mobilisations de prostituées, Paris, Belin, coll. »Socio-histoires », 2001, « L'analyse de mobilisations improbables », p.10-19.
Norbert Elias, Engagement et distanciation. Contribution à la sociologie de la connaissance, Paris, Fayard, Coll. Agora, 1993 (1983).
Pour aller plus loin
Colloque sur les mouvements de précaires organisé par l'association Française de Sciences Politiques en Janvier 2006 à l'IEP de Strasbourg.