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L'atelier du politiste - Théories, actions, représentations

Publié le 13/01/2008
Auteur(s) - Autrice(s) : Pierre Favre
Olivier Fillieule
Fabien Jobard
La Découverte, coll. "Recherches"
Fiche de lecture de l'ouvrage "L'atelier du politiste - Théories, actions, représentations" de Pierre Favre et Olivier Fillieule sous la direction de Fabien Jobard. L'ouvrage se compose de quatre parties chacune introduite par un texte de Pierre Favre, auquel répondent les différentes contributions : l'objet de la science politique, de la théorie à l'enquête, l'étude des manifestations de rue, l'iconographie du politique. On y trouve seize articles se rapportant aux préoccupations de recherche et discutant les résultats de Pierre Favre.

Couverture de "L’atelier du politiste. Théories, actions, représentations"Illustré par la Leçon d'anatomie du Docteur Nicolaes Tulp (1932), le tableau proto-gore de Rembrandt, cet ouvrage est un hommage à un praticien contemporain de la science politique, professeur et chercheur, Pierre Favre. Olivier Fillieule et Fabien Jobard donnent d'emblée à ce livre une dimension dynamique : un atelier mettant à disposition des outils (méthodologie, propositions épistémologiques), des matériaux en cours de réalisation (enquêtes) et des résultats. L'ouvrage se compose de quatre parties chacune introduite par un texte de Pierre Favre, auquel répondent les différentes contributions : l'objet de la science politique, de la théorie à l'enquête, l'étude des manifestations de rue, l'iconographie du politique. On y trouve seize articles se rapportant aux préoccupations de recherche et discutant les résultats de Pierre Favre.

Les quatre contributions composant la première partie de l'ouvrage constituent une réflexion sur la science politique comme discipline, sur la construction de ses objets et sur ses méthodes. Pierre Favre (La question de l'objet de la science politique a-t-elle un sens ? [1980]) constate tout d'abord l'hétérogénéité des définitions de la science politique et leur incapacité à s'imposer : pour l'auteur, la question de l'objet de la science politique pose un problème empirique et non une question théorique. La problématique de l'objet et des frontières disciplinaires devient alors critique et dynamique : la « notion de discipline scientifique n'a pas épistémologiquement de sens » (p.21) et « les disciplines scientifiques sont à géométrie variable parce que la science à chaque moment construit ses objets » (p.21). Toutefois, sans l'évacuer, l'auteur déplace la question de l'objet vers des niveaux infra-disciplinaires et distingue les objets « déjà donnés là » (objets avec matérialité, localisables) et les objets « qui ne sont pas donnés là » (pouvoir, Etat, légitimité). Cette approche conduit P.Favre à plaider pour une « analyse sociologique empirique des objets ».

Bernard Voutat (A propos de l'objet de la science politique : sens et non-sens d'une question récurrente) reformule la question de l'objet contre P.Favre : si la « question de l'objet de la science politique comme discipline doit être écartée » (p.42), la question de la « définition de cet objet qu'est le politique comme objet de science » (p.43) reste entière. L'auteur invite à « penser le politique comme objet problématique des sciences sociales dans leur ensemble ».

La contribution de Cécile Péchu se laisse bien résumer par son titre : Laissez parler les objets !. A travers l'exemple de Droit Au Logement et d'un retour historique sur l'invention du squat comme mode d'action, l'auteur constate les insuffisances de l'approche en terme de répertoire d'actions collectives (C.Tilly) et stratégique des mouvements sociaux et fait émerger de son terrain le concept d'économie morale militante. L'auteur considère que la construction théorique de l'objet « est le résultat de la recherche empirique et doit s'y ancrer » (p.61) et plaide donc en faveur de l'observation ethnographique.

La deuxième partie de l'ouvrage, De la théorie à l'enquête, questionne la genèse et l'usage des concepts sociologiques et politologiques. Pierre Favre (Nécessaire mais non suffisante. La sociologie des effets pervers de Raymond Boudon, [1980]) met à jour les points communs et les divergences des sociologies de R.Boudon et de P.Bourdieu, puis critique simultanément leurs deux approches. Selon l'auteur, si les approches des deux sociologues sont « toutes les deux déterministes, holistes et constructivistes », la sociologie de Bourdieu est « essentiellement analytique » et permet de penser la dynamique sociale alors que celle de Boudon, « a-historique » est dépourvue de « théorie de la pratique » (p.110). Rappelant que « toute science est fondée sur le postulat du déterminisme » (p.114), Pierre Favre engage une réflexion sur l'articulation entre situations et dispositions et propose de différencier : 1) la pratique comme ensemble des actes, gestes et réalisations concrètes effectués en réaction aux sollicitations immédiates de la situation, 2) la pratique cumulative pour l'individu, et 3) la pratique qui fait directement et explicitement naître des engagements pour les autres (p.117).

L'article de Michel Dobry (Ce dont sont faites les logiques de situation) constitue un point de méthode et invite à « penser ensemble contextes de l'action, acteurs et actions au moyen de l'identification de classes ou de types particuliers de logiques de situation » (p.119). Cette injonction méthodologique remet en cause le réflexe bourdieusien consistant à penser les « rencontres » entre attitudes, dispositions ou habitus, et les « contextes » en terme d'adéquation (ou d'inadéquation). Pour M.Dobry « l'analyse des logiques de situations ne saurait déployer son puissant potentiel explicatif qu'à la condition de construire autrement l' « énigme » à résoudre » (p.142), il incite notamment à ne « jamais se donner pour objectif central d'expliquer ce à quoi les « évènements » ont abouti, leurs résultats » (p.142).

Nonna Mayer (Dispositions et situation : la démocratie mise à l'épreuve) revient sur la pertinence et les biais de l'enquête par entretiens avec l'exemple de l'enquête « Démocratie 2000 » dont l'objectif est d'évaluer la consistance et la cohérence des opinions des français à l'égard de la démocratie. En testant les différentes manières de poser les questions, l'auteur démontre la variabilité des préjugés (dispositions) en fonction du contexte relationnel (situation). Nonna Mayer conclue avec Pierre Favre que, pour « comprendre les opinions à l'égard de la démocratie et de ses valeurs, il faut [...] articuler la logique de situation à celle des dispositions » (p.160).

En s'intéressant à la dynastie creusotine des industriels Schneider, Michel Offerlé (A Monsieur Schneider) suit la « trace de ce mélange extraordinaire de cette incitation entre gouvernement privé et gouvernement municipal, entre tutelle privée et assistance publique, entre politique d'entreprise et politiques municipales qui se manifeste dans l'entrecroisement des sources publiques (municipalité) et privée (entreprise) » (p.166). L'auteur fonde notamment son enquête sur un corpus de lettres d'ouvriers adressées à leur patron M. Schneider et analyse les « stratégies épistolaires » ou stratégies de négociation entre ouvriers et direction dans un « rapport a priori totalement déséquilibré » (p.181).

La troisième partie de l'ouvrage revient sur une des thématiques principales de Pierre Favre, à savoir l'étude des mobilisations politiques et des mouvements sociaux, la place de la manifestation entre public et privé, et l'analyse de leurs dimensions politiques. Pierre Favre (Les manifestations de rue entre espaces publics et espaces privés, [1999]) remet en cause la « manière usuelle d'appréhender la manifestation de rue en la considérant par son effet supposé, c'est-à-dire la sollicitation de l'espace public par l'action collective » (p.193). Il discute quatre thèses : l'action manifestante est en elle-même sa propre fin et est largement indifférente à son écho dans l'espace public ; le rapport des manifestations aux médias n'est décisif que dans des cas quantitativement limités et qualitativement non-représentatifs ; il y a dans nos sociétés peu d'enjeux collectifs et donc guère d'espace public unifié en dehors de périodes exceptionnelles ; ce qui subsiste d'espace public national a régressé au profit d'un espace médiatico-symbolique. La prise en compte des manifestations comme mode d'accès à l'espace public conduit Pierre Favre à considérer l'espace public comme un espace poreux, mosaïque et relativement indépendant des médias.

Olivier Fillieule (On n'y voit rien. Le recours aux sources de presse pour l'analyse des mobilisations protestataires) revient sur une faiblesse méthodologique de la Protest Events Analysis (PEA) des manifestations de rue, à savoir le « recours quasi exclusif à la presse nationale comme source » (p. 216). En étudiant le journalisme environnemental, les logiques du travail journalistique et en discutant une des thèses de P.Favre (caractère autocentré et expressif de la manifestation), il montre que la PEA se pose en prophétie auto réalisatrice et empêche de penser les évènements protestataires dans leur multiplicité.

Constatant que l'usage public de la voie publique n'a jusqu'à une date récente pas fait l'objet d'une véritable attention de la part du droit, Fabien Jobard (Quand droit et politique sont à la fête. La Love - et la Fuck - Parade sous les fourches civilisatrices du droit administratif allemand) prend l'exemple de la Love et la Fuck Parade de Berlin pour questionner les rapports entre le droit, la politique, la fête et l'utilisation de l'espace public. L'auteur discute une thèse de Pierre Favre : si l'action manifestante est en elle-même sa propre fin, elle n'est pas « largement indifférente à son écho dans l'espace public ». Il montre notamment que le « droit et la politique peuvent bien être indépendants l'un de l'autre, jusqu'à ce que l'un ou l'autre n'en décide autrement » (p. 253).

Dominique Monjardet (L'organisation du travail des CRS et le maintien de l'ordre, [1986]) s'attache à décrire l'organisation du travail (la spécialisation, le maintien de l'ordre et la hiérarchie) ainsi que la vie collective et les relations professionnelles des CRS (ambiance, rémunération, vie de famille, isolement social, ancienneté, mobilité et évasion). L'auteur montre que le système de travail des CRS obéit à une rationalité forte présentant toutefois quelques limites (faible adaptabilité à d'autres types de missions et séries de contraintes dont les effets s'accroissent lorsque l'affectation se prolonge). On retiendra également l'ambivalence des CRS face au maintien de l'ordre : « les CRS répugnent à parler du maintien de l'ordre mais ils aiment cela » (p.263).

La quatrième et dernière partie de l'ouvrage revient sur un autre chantier de recherche initié par Pierre Favre : à quelles conditions et à quelles fins l'iconographie politique peut être mobilisée et analysée. Pierre Favre (Foule ouvrière et manifestation ouvrière. Etude comparée de deux représentations, et de quelques autres, [1990]) analyse les représentations de la foule et de la manifestation ouvrière à travers une étude comparée d'un tableau (Frédéric Léon, Les âges de l'ouvrier, 1896), d'une photographie (Anonyme, Grève des mineurs de Lens, Manifestation 1913) et d'une sculpture (Raymond Mason, La foule, 1967). Il montre que ces travaux constituent une figuration symbolique d'un groupe social et invite à « inventorier les grandes catégories de représentations et à chercher à débusquer les sens sociaux qu'elles recèlent » (p.295).

Catherine Brice (Italia : une allégorie faible ?) analyse l'iconographie de la nation italienne du 19ème siècle et interroge l'identité italienne par le biais de la symbolique politique. Contre l'idée d'une identité nationale faible, l'auteur voit dans le caractère polysémique et pluriel des allégories de l'Italie une identité riche et complexe.

Alexandre Dézé (L'image en question. Retour sur une enquête de réception du discours graphique du Front National) déplace la question de l'influence du discours graphique du FN et questionne la construction du sens de ce discours dans l'interaction entre le FN et ses publics. En mobilisant trois protocoles d'enquête (enquête par questionnaires, entretiens individuels, test projectif), l'auteur montre l'« importance d'analyser le moment réception dans son contexte originel », la « priorité qui doit être accordée à la co-construction par le récepteur du sens du discours graphique », et le « niveau élevé de pénétration des thèses frontistes » (p.329).

Danny Trom (Le paysage comme représentation et comme volonté) formule le postulat, a priori surprenant, du caractère politique de la peinture de paysage à la fin du 19ème. L'auteur mobilise dans un même cadre d'analyse une démarche en terme d'iconographie politique et de sociologie des problèmes publics. Le paysage peint devient alors militant et pédagogique, et sert notamment de support à la Société pour la protection des paysages de France. L'auteur met alors en avant l'intérêt scientifique de cet objet ainsi que son utilité sociale.

En annexes, on trouve un outil pédagogique utilisé par P.Favre et destiné à ses étudiants (Le questionnaire d'épistémologie de Pierre Favre), ainsi que le texte La bibliographie invisible qui rassemble les « données réunies mais inexploitées, les projets formalisés puis abandonnés, les textes inachevés » (p.353).

Du point de vue du doctorant en sociologie, cet ouvrage séduit par son dynamisme (les contributeurs discutent entre eux), les pistes méthodologiques qu'il suggère, la diversité des objets étudiés et son interdisciplinarité maîtrisée. Une ou plusieurs contributions davantage critiques du travail de Pierre Favre auraient peut-être permis d'assumer jusqu'au bout l'aspect « science en train de se faire » de l'ouvrage.

Par Jérémy Gauthier, doctorant en sociologie (Centre d'Etudes Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales-CNRS / Max Planck Institut für Strafrecht und Kriminologie Freiburg-im-Breisgau).