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La fin de la télévision

Publié le 27/07/2007
Auteur(s) - Autrice(s) : Jean-Louis Missika
Seuil
Fiche de lecture de l'ouvrage "La fin de la télévision" de Jean-Louis Missika. Affirmer la fin de la télévision, voici qui va singulièrement à l'encontre d'une sociologie critique des médias qui ne cesse à travers des ouvrages d'en dénoncer le pouvoir. Si Jean-Louis Missika ne nie pas ce pouvoir, il montre comment ses bases sont d'ores et déjà érodées. Un livre utile pour mettre en relation innovation technique et changement social, mais aussi pour analyser le rôle des média dans le cadre de l'option de première.

Présentation

Commentaires éditeur :

Couverture de"La fin de la télévision" de J-L. MissikaLa télévision est en train de disparaître sous nos yeux, sans que nous en soyons tout à fait conscients. Elle se noie dans un océan d'écrans, de terminaux, de réseaux et de portables. Elle explose en bouquets de programmes, se fragmente en chaînes ultra-thématiques, se désarticule en vidéo à la demande, se package en service push sur le mobile, se télécharge sur Internet, se podcaste sur l'i-Pod, s'individualise en blog et vlog... Elle est partout et nulle part. Nous entrons dans un monde d'images omniprésentes et de média absent. Toujours plus d'images et toujours moins de télévision. Nous allons connaître une société sans télévision.

Nos commentaires :

Affirmer la fin de la télévision, voici qui va singulièrement à l'encontre d'une sociologie critique des médias qui ne cesse à travers des ouvrages, qui sont autant de succès éditoriaux, d'en dénoncer le pouvoir. Si Jean-Louis Missika ne nie pas ce pouvoir, il montre comment ses bases sont d'ores et déjà érodées.

Sa démonstration débute par une peinture historique des trois âges de la télévision. La paléo-télévision nous renvoie environ 25 ans ? seulement ! ? en arrière, avec trois chaînes, en tout et pour tout , pour une télévision investie d'une double mission : mission pédagogique, à destination d'un spectateur/élève et mission politique d'une télévision explicitement au service du pouvoir politique en place, à telle enseigne que le général de Gaulle peut affirmer sans choquer : « L'opposition a la presse écrite, nous avons la télévision ». Ce modèle éclate au milieu des années 80, avec l'introduction de Canal + en 1984, le plan câble de 1985 qui permet l'émergence de chaînes thématiques payantes comme Canal J, Paris Première;, puis les chaînes privées en 1986. Cette diversification va imposer ses contraintes à l'offre télévisuelle désormais soumise à une concurrence plus importante. Pour séduire le téléspectateur, paradoxalement, l'innovation viendra moins d'une télévision de divertissement telle que la 5 de Berlusconi tente un moment de l''imposer, que de la connivence avec le téléspectateur à travers la mise en scène de l'intime. Le genre qui triomphe dans cette néo-télévision est le reality show , où le déballage fait figure de substitut du lien social vécu comme en crise. La post-télévision dépasse et approfondit ce modèle : plus besoin d'avoir vécu des drames pour devenir un personnage télévisuel, la téléréalité se nourrit au contraire du quotidien le plus banal. Mais là où le reality show semblait se donner pour mission de réparer le lien social; la téléréalité donne à voir l'inverse à travers des épreuves qui ont toutes pour finalité le triomphe d'un individu au détriment des autres. Ces différentes transformations relèvent à la fois d'une transformation de l'offre, la course à l'audience s'amplifiant avec la concurrence accrue, mais aussi de transformations sociales : d'après Missika, la télévision aurait ainsi accompagné la crise des instances d'intégration traditionnelles, puis le passage progressif de l' individualisme dépressif des années 80 à l'injonction d'autonomie et d'épanouissement individuel dans les années 90.

Mais derrière ce triomphe apparent se cache en réalité l'érosion progressive du modèle économique sur lequel reposait la télévision. A première vue ce modèle semble encore solide : la segmentation du marché, l'ouverture à la concurrence n'empêchent pas les grandes chaînes généralistes de dominer encore le marché de façon écrasante en France, tandis que les innovations technologiques de nature à concurrencer la télévision peinent à s'imposer. Pourtant, trois tendances convergentes se dessinent qui à terme signent la fin d'une époque : la démédiatisation, la dépendance et la déprofessionnalisation.

Démédiatisation d'abord : l'éclatement de l'offre télévisuelle affaiblit le pouvoir de négociation des chaînes face aux producteurs d'événements ou d'images ? que l'on songe à la coupe du Monde de football ? tandis que des systèmes comme la Video on Demand (VOD) qui permet de disposer à domicile d'une offre de programmes à la carte réduisent à néant une des fonctions essentielles de la télévision qui était d'agencer des programmes de façon la plus consensuelle possible. Désormais, le téléspectateur est de moins en moins prisonnier d'une offre imposée sous forme de grille puisqu'il peut accéder au programme qu'il souhaite regarder sur un très grand nombre de supports.

Dépendance ensuite : avec la convergence numérique et la multiplication des offres triple play (téléphone + internet + télévision) des fournisseurs d'accès à internet ou des groupes de télécommunication, la télévision devient un service offert parmi d'autres et peine de plus en plus à maintenir son indépendance face à des acteurs économiques qui disposent de moyens considérables. La situation est d'autant plus délicate qu'un certain nombre d'indicateurs montrent que la publicité télévisuelle s'essouffle notamment par rapport à la publicité sur internet ? plus ciblée et moins coûteuse.

Déprofessionnalisation ensuite : les moyens techniques permettent à chacun de produire et diffuser à très faible coût, aujourd'hui sur internet, demain peut-être sur un téléviseur qui ne présentera sans doute plus de différence fondamentale avec un ordinateur. S'il est peu probable que tout un chacun se mue en producteur de contenu, il n'en reste pas moins que le statut de la télévision en est profondément ébranlé ? comme le montre la prolifération des blogs sur internet, qui témoigne d'une véritable crise de confiance par rapport à l'information télévisuelle. Cette crise est d'autant plus profonde que la post-télévision a contribué elle-même à niveler la parole, en remettant en cause le statut de l'expert, de l'homme politique,; Dès lors, comme l'auteur l'affirme de façon très pessimiste, la différence entre amateurs et professionnels tiendra au savoir-faire et aux moyens financiers, mais ne reposera « ni sur une éthique ni sur une esthétique ».

Ces évolutions ont des conséquences importantes sur la relation qu'entretiennent désormais média et politique. De la paléo-télévision, marquée par la déférence vis-à-vis du pouvoir politique ? ainsi mai 68 sera uniquement couvert par la radio ? on passe avec la néo-télévision à l'information spectacle, avec un JT dont l'animateur est starisé et un cortège d'émissions politiques, de Cartes sur Table à l'Heure de Vérité . Mais cet âge d'or de l'information politique marque aussi le début de son érosion, à mesure que ces émissions se formatent, se ritualisent, et les chiffres d'audience de la politique à la télévision vont bientôt s'effondrer. La post-télévision en prend acte et le temps d'antenne consacré à l'information politique au JT se réduit par crainte du zapping. La politique à la télévision sera dès lors marquée par trois tendances : une logique people d'information spectacle, une focalisation sur les coulisses du politique et une mise en scène de l'émotion; Or ces tendances renforcent, plutôt qu'elles ne combattent un certain désenchantement vis-à-vis de la politique qu'elles achèvent de désacraliser ? on se souviendra ici de Michel Rocard égaré chez Thierry Ardisson !

S'ouvre alors une ère où l'événement politique lui aussi se démédiatise, les professionnels de la communication politique organisant de nouvelles formes qui court-circuitent en partie la télévision ? on peut penser en France au blog de Ségolène Royal, tandis que l'auteur cite les rencontres que Bush organise avec ses électeurs, les Town Hall meetings .

Derrière ces évolutions, se profile un risque de segmentation de l'espace public où le débat disparaîtrait, chacun parvenant à éviter l'exposition au point de vue adverse. Quant à la fonction de mise en forme de l'agenda politique dont on créditait autrefois les média, on peut se demander ce qu'elle risque de devenir dans l'univers désynchronisé d'internet où chacun choisit ses centres d'intérêt au moment où il le juge opportun.

Ainsi, alors qu'aucun nouveau modèle ne semble encore avoir émergé, on est finalement tenté de conclure en refermant ce livre que la télévision était en fin de compte, malgré tous ses défauts, un moindre mal.

Un livre utile pour mettre en relation innovation technique et changement social, mais aussi pour analyser le rôle des média dans le cadre de l'option de première.

 

Commentaires Olivia FERRAND pour SES-ENS