Le capitalisme est en train de s'autodétruire
Publié le 27/07/2007
Auteur(s) - Autrice(s) :
Artus, Patrick ; Virard, Marie-Paule
La decouverte
2-7071-4701-X,
Commentaires éditeur :
Le capitalisme est-il en train de s'autodétruire ? La question peut sembler saugrenue, voire provocatrice, au moment même où les grandes entreprises de la planète, y compris en France, affichent des profits insolents, rémunèrent très confortablement leurs dirigeants et distribuent des dividendes records à leurs actionnaires... Alors que la croissance économique - en Europe en tout cas - stagne, que les délocalisations se multiplient et que chômage et précarité s'aggravent, on comprend que le débat devienne vif sur la légitimité d'une telle captation de richesses. Dans ce livre décapant et remarquable de clarté, les auteurs n'y vont pas par quatre chemins pour qualifier ce paradoxe : c'est au moment où le capitalisme n'a jamais été aussi prospère qu'il apparaît le plus vulnérable, et nous avec lui. Parce qu'il s'agit d'un capitalisme sans projet, qui ne fait rien d'utile de ses milliards, qui n'investit pas, qui ne prépare pas l'avenir. Et face au malaise social, les gouvernements ne traitent le plus souvent que les symptômes, faute de prendre en compte le fond du problème. Ce problème, c'est l'absurdité du comportement des grands investisseurs, qui exigent des entreprises des résultats beaucoup trop élevés. Du coup, elles privilégient le rendement à trois mois plutôt que l'investissement à long terme, quitte à délocaliser, à faire pression sur les salaires et à renoncer à créer des emplois ici et maintenant. Voilà pourquoi il est urgent, expliquent les auteurs, de réformer profondément la gestion de l'épargne, d'imposer de nouvelles règles de gouvernance aux gérants comme aux régulateurs. Faute de quoi on n'évitera pas une nouvelle crise du capitalisme, avec toutes ses conséquences politiques et sociales.
Nos commentaires :
Dans le premier chapitre, les auteurs notent que la décroissance de la part des salaires dans la valeur ajoutée ne semble plus relever aujourd'hui d'un phénomène conjoncturel mais bien d'un mouvement de fond. Deux effets se conjuguent pour faire augmenter les profits et peser sur les salaires : les délocalisations ? que celles-ci soient effectives ou constituent une simple menace ? et la perte de pouvoir de négociation des salariés au sein des pays développés. Ce mouvement de déformation de la valeur ajoutée est cumulatif car il pèse sur la croissance et n'incite guère les entreprises à mettre en oeuvre des investissements de capacité, mais plutôt à renforcer les gains de productivité. Ainsi se met en place le « piège à croissance faible » qu'analysent les auteurs.
Après avoir rappelé que les trois économies européennes les plus prospères en terme de croissance ? Royaume-Uni, Suède, Espagne ? sont celles où la déformation au détriment des salaires ne s'est pas produite, les auteur rappellent comment, depuis les années 90, se met en place le cercle vicieux qui pèse sur le pouvoir d'achat. Depuis cette période, l'essentiel du poids des crises économiques ? celle du début des années 90, puis l'éclatement de la bulle financière au début des années 2000 - est supporté par l'Etat et les ménages, et les entreprises n'en sont guère affectées au niveau macroéconomique, à la différence de ce qui se produisait dans les années 70. Cette pression sur les salaires a pour conséquence que ceux-ci progressent moins vite que les gains de productivité, et les profits qui résultent de cet écart ne sont pas réinvestis mais mobilisés pour se désendetter, augmenter l'actif financier des entreprises, procéder à des rachats d'actions ou distribuer des dividendes de plus en plus importants. Quant à l'analyse de la dégradation du commerce extérieur français elle montre que contrairement ce que se produit en Italie, elle ne résulte pas de coûts salariaux unitaires trop élevés, mais plutôt du manque d'investissement qui permettrait d'améliorer la qualité des produits exportés.
Redonner du pouvoir d'achat aux salariés constituerait-il une sortie par le haut pour le déficit de croissance français ? Le chômage élevé des actifs les moins qualifiés rend l'hypothèse de hausses de salaire peu envisageable dans le cas français, selon les auteurs. Ecartant la piste de l'intéressement, ils prônent plutôt un impôt négatif sur le modèle de l' earned income tax credit américain ? qui peut représenter jusqu'à 40 % du revenu de certains ménages ? et considèrent que la prime pour l'emploi constitue un pas dans la bonne direction. Enfin, ils soulignent que l'ouverture à la concurrence, en favorisant la baisse des prix, peut également jouer un rôle positif.
Mais cette redistribution de pouvoir d'achat ne constitue pas en elle-même le noeud du problème : encore faut-il que les profits soient utilisés à bon escient et non instrumentalisés par une course au rendement. Or depuis les années 90, l'horizon des entreprises et des groupes est désormais rivé sur le ROE ? return on equity , autrement dit le rendement sur fonds propres, mesuré par le ratio entre résultat net et fonds propres. Les marchés financiers et les actionnaires font pression pour que les entreprises affichent des rendements très élevés, supérieurs à 15 % ce qu'elles s'efforcent d'obtenir par une pression sur les salaires, en ne redistribuant pas les gains de productivité; Mais même ainsi, un tel niveau de rendement ne peut être durablement maintenu sans prise de risque excessive, voire dérive frauduleuse, comme l'ont montré les grands scandales financiers au début des années 2000. Par ailleurs cette course au rendement encourage le « court-termisme » au détriment de l'investissement productif, le rachat d'action ?qui réduit les fonds propres et fait ainsi augmenter mécaniquement les rendements ? au détriment des projets à long terme.
Enfin cette course aux rendements qui gonfle les actifs financiers des entreprises encourage une troisième dérive : le mimétisme rationnel des gestionnaires professionnels. Du fait qu'ils cherchent à maximiser leurs parts de marché, ceux-ci vont ? à l'inverse des actionnaires individuels dont le choix sont nécessairement diversifiés ? avoir tendance à se porter simultanément sur les actifs dont le rendement est le plus élevé, ce qui déstabilise les marchés financiers, mais aussi, comme le montrent les crises financières des pays asiatiques à la fin des années 90, l'économie réelle. La multiplication des produits financiers dérivés, des hedge funds , la pratique massive du levier de l'endettement, qui ont en commun de permettre de produire des rendements très élevés s'avèrent également être une source d'instabilité pour les marchés financiers mondiaux.
Or la gouvernance actuelle des marchés mondiaux, loin de réguler ces excès, les encourage par des règles prudentielles et une réforme des normes comptables qui désavantagent les investissements à long terme, notamment par une évaluation des actifs au coût du marché - fair value , ou juste valeur.
Les auteurs concluent donc à la nécessité pour l'action publique de créer un cadre qui permette à chaque investisseur d'être évalué au mieux selon l'horizon temporel qui est le sien. Faute de quoi le capitalisme risque de s'enfermer dans le piège du court-termisme, facteur de croissance faible, de destruction d'emploi et de rejet par les opinions publique lassées de voir stagner les salaires et gonfler les dividendes.
A noter :
Un ouvrage très clair et accessible aux élèves. Des encadrés pour faire le point sur les aspects techniques du sujet.