Le quartier. Enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques sociales
Yves Authier
Marie-Hélène Bacqué
Présentation
Les contributions à cet ouvrage donnent donc un bon aperçu de la recherche sociologique sur la notion de quartier, avec comme points forts, d'une part la question dite des « effets de quartier », d'autre part l'analyse du quartier comme lieu de socialisation ou comme référent identitaire. Il y a bien évidemment des manques et les contributions ne sont pas toutes d'un égal intérêt, mais ce sont des limites bien connues des ouvrages collectifs. Au demeurant, on sent que les auteurs ont échangé les uns avec les autres pendant plusieurs années et cet ouvrage collectif a une unité que beaucoup d'autres n'ont pas.
Les contributions sont regroupées en trois parties : « Le quartier, constructions savantes, constructions politiques », « Le quartier, un lieu investi » et « Effets de quartier »). Ce plan est tout à fait pertinent. La première partie constitue en effet une utile introduction et donne un panorama clair et synthétique de la manière dont les sciences sociales appréhendent les questions abordées dans l'ouvrage. Les deux parties suivantes sont structurées par deux débats.
Le premier concerne la transformation des rapports à l'espace proche dans un contexte de mobilités quotidiennes et résidentielles qui ont fait éclater le quartier traditionnel. Comme le rappelle Yves Grafmeyer, des enquêtes récentes ont permis de mettre en question une association très répandue chez les sociologues entre ancrage local fort et position sociale faible (association qui renvoie à l'idée que, dans les banlieues populaires, le quartier est un lieu de relégation ou de galère). Il apparaît en effet que « l'ancrage dans le quartier n'est nullement exclusif d'un fort investissement dans d'autres espaces de la ville » (p. 28). Plusieurs autres contributions rassemblées dans cet ouvrage montrent que, contrairement à ce qu'affirment certains théoriciens de « l'hypermodernité », le développement des mobilités quotidiennes et résidentielles n'entraîne pas la fin des quartiers.
Au demeurant, les questions soulevées par les relations entre ancrage et mobilité ne sont pas totalement résolues. Il reste notamment, au-delà du constat des corrélations statistiques, à construire un modèle théorique permettant d'expliquer en quoi les sociabilités locales ou les ancrages identitaires peuvent s'accorder à une appropriation large de la ville. Sur ce point, quelques éléments sont à rechercher dans la contribution de Françoise Navez-Bouchanine, qui propose de voir « l'appropriation de l'espace du quartier comme une éventuelle échelle intermédiaire entre l'espace du logement et la ville toute entière » (p. 164). Mais l'hypothèse mériterait d'être développée.
Aux pistes de recherche laissées ouvertes dans l'ouvrage sur ces questions, ajoutons-en une, fondée sur le constat qu'à l'exception des recherches de Thierry Ramadier, les enquêtes présentées ont été réalisées dans des centre ou des banlieues et non dans le périurbain. Un tel manque est d'autant plus dommageable que les périphéries des villes constituaient la principale base d'observation des défenseurs de la thèse de la fin des quartiers (qu'il s'agisse d'Yves Chalas et de François Ascher ou, dans un tout autre registre, de Marc Augé et de Françoise Choay).
L'autre grand débat abordé dans l'ouvrage concerne les « effets de quartiers », c'est-à-dire les effets de la résidence dans un quartier donné sur les sociabilités et les destins sociaux. La question est notamment discutée par Jean-Yves Authier qui souligne que, même si ces effets ne sont pas autonomes de la structure sociale, ils existent bel et bien. Le rappel est utile quand on sait la réticence des sociologues français à l'égard de la prise en compte de la dimension spatiale des phénomènes sociaux. Au demeurant, les contributeurs de l'ouvrage ne s'éloignent guère de l'orthodoxie sociologique et ne s'intéressent pas beaucoup aux structures morphologiques des espaces. Les effets dont il est ici question sont ceux de la composition sociale des quartiers. Aucun contributeur ne se soucie vraiment des différences entre un quartier dense et un quartier peu dense par exemple.
Quoi qu'il en soit, l'ouvrage apporte des éléments originaux et instructifs sur les débats suscités par les effets de quartier. Plusieurs contributions (Marie-Hélène Bacqué et Sylvie Fol, Xavier de Souza Briggs, Damaris Rose et Anne-Marie Séguin) précisent l'opposition entre d'un côté, ceux qui considèrent la résidence dans un quartier pauvre comme une ressource (grâce aux liens de solidarité qui s'y nouent et qui permettent aux habitants de « s'en sortir ») et d'un autre côté, ceux qui considèrent le quartier comme un espace d'enfermement (idée rendue par la thématique du quartier « ghetto »). Face à ceux qui en France, avec notamment Eric Maurin, importent des Etats-Unis des travaux appuyant la deuxième thèse, les auteurs de l'ouvrage rappellent utilement que, si l'on balaye l'intégralité du champ de la recherche étasunienne, la question n'apparaît pas tranchée : « Aucune évaluation ne permet de répondre de manière claire à la question suivante : pourquoi est-il plus bénéfique pour un pauvre de déménager dans un quartier riche ? » (p. 190). Face aux évidences associées à la mixité sociale, ces doutes méritent d'être soulignés.
Les contributions rassemblées de l'ouvrage ne se limitent pas au traitement des deux questions qui viennent d'être présentées. Une part importante d'entre elles concernent la politique de la ville et les « quartiers dont on parle » (Sylvie Tissot, Michel Kokoreff, Pascale Philifert). D'autres s'intéressent aux liens entre les discours sur le quartier village et la gentrification (Yankel Fijalkow, Sonia Lehman-Frisch, Guénola Capron), alors que la contribution d'Athanase Bopda montre comment, dans les villes du Sud, les villages ruraux sont engloutis par l'urbanisation. Enfin, même si la tonalité dominante du livre est très nettement sociologique, il faut mentionner quelques ouvertures vers d'autres disciplines, dont la géographie (France Guérin-Pace, Anne-Lise Humain-Lamoure) et les sciences politiques (Catherine Neveu).
Ces nombreuses contributions n'empêchent pas l'ouvrage de ne couvrir qu'une partie des recherches actuelles sur le quartier. Concernant les pratiques sociales et leurs significations, il faut noter l'absence de référence aux travaux menés sur la proximité autour de Laurent Thévenot par plusieurs chercheurs du Groupe de sociologie politique et morale. Ces travaux ouvrent pourtant des pistes intéressantes pour penser l'articulation du local et des échelles urbaines plus larges. Concernant l'action politique (dont l'analyse est mise en avant dans le sous-titre de l'ouvrage), les contributions sont quasi exclusivement centrées sur l'action en direction des quartiers pauvres. Or le quartier est un enjeu politique dans de nombreux autres contextes (syndrome Nimby, démocratie de proximité, conseils de quartier, etc.). Les contributions mobilisent également assez peu les travaux qui s'interrogent sur le quartier et ses définitions juridiques et administratives comme base de mobilisation collective (voir par exemple les travaux de Patrice Melé ou d'Alain Bourdin). Ces observations sont toutefois moins des critiques qu'une manière d'indiquer malgré tout les limites du vaste champ couvert et exploré en profondeur par l'ouvrage.
Eric Charmes, Maître de conférences à l'Institut français d'urbanisme (Université Paris 8), membre du laboratoire Théorie des mutations urbaines (UMR CNRS Architecture urbanisme sociétés), pour Liens Socio.
Note :