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Parias urbains. Ghetto, banlieues, Etat. Une sociologie comparée de la marginalité sociale

Publié le 05/07/2008
Auteur(s) - Autrice(s) : Loïc Wacquant
Sylvia Faure
La Découverte
Fiche de lecture de l'ouvrage "Parias urbains. Ghetto, banlieues, Etat. Une sociologie comparée de la marginalité sociale" de Loïc Wacquant. L'auteur constate la singularité de chacune des ségrégatives et démontre le non-sens de la thèse de la ghettoïsation des cités HLM françaises ou encore l'américanisation des conduites et des conditions de vie de leurs populations. La véritable force du propos tient au projet analytique (très ambitieux) d'observer les différences historiques et structurelles de chaque configuration de pauvreté étudiée et de rendre compte de leurs invariants.

Présentation :

 
Couverture du livre Parias urbains de loic WacquantParias urbains traite des formes spécifiques de la marginalité urbaine, en comparant le ghetto noir des Etats Unis et les banlieues ouvrières françaises. Constatant la singularité de chacune de ces configurations ségrégatives, Loïc Wacquant démontre le non-sens de la thèse de la ghettoïsation (au sens américain du terme) des cités HLM françaises ou encore celle de l'américanisation des conduites et des conditions de vie de leurs populations. Ses analyses - très informées concernant les quartiers américains noirs - rendent compte des processus socio-historiques, structuraux et politiques qui ont fabriqué la marginalité et la pauvreté sociales et territoriales des populations noires. Mais le ghetto noir connaît aujourd'hui une « hypperghetttoïsation » qui est le résultat de différents facteurs socio-historiques : la transition économique de l'industrie lourde à un système ouvert et basé sur les services, la ségrégation résidentielle rigide, l'entassement des logements sociaux dans les zones déshéritées et regroupant les populations noires, et surtout le retrait de l'Etat-Providence et des services publics. Ces logiques structurelles démantèlent les interprétations moralisantes et culpabilisantes largement partagées par des classes dominantes qui estiment que la pauvreté est le résultat de pathologies collectives propres aux pauvres et au sous-prolétariat noir.

La comparaison avec les banlieues ouvrières françaises est en revanche moins convaincante, sans doute parce que les données les concernant sont un peu « datées » et peu développées. En effet, le livre fait le bilan d'une décennie de recherche en sociologie comparée de la marginalité urbaine (1987-1997) et réunit neuf chapitres qui sont très largement issus de textes d'étape publiés. Le travail d'investigation s'arrêtant en 1997 explique sans doute le fait que les travaux des sociologues français conduits depuis une dizaine d'années (en matière de sociologie de l'éducation, de sociologie des politiques publiques, de sociologie urbaine, etc.) soient largement passés sous silence.

La véritable force du propos tient davantage du projet analytique (très ambitieux) d'observer les différences historiques et structurelles de chaque configuration étudiée et de rendre compte de leurs invariants. En ce sens, Loïc Wacquant distingue quatre logiques structurelles qui alimentent la pauvreté dans chacun des contextes internationaux : 1) la dualisation socioprofessionnelle et la résurgence des inégalités dans un contexte de croissance économique et de prospérité pour les autres catégories sociales ; 2) la fragmentation du salariat et les transformations du rapport salarial (l'emploi n'offrant plus de garantie contre la pauvreté) ; 3) la reconfiguration de l'Etat social et son rôle dans la stratification sociale et le maintien, voire l'augmentation, des inégalités urbaines ; 4) la concentration spatiale et la stigmatisation qui en découle. Ainsi, discrimination, ségrégation et ghettoïsation sont trois formes de domination sociale et ethnoraciale (mais elles ne se confondent pas) et les processus de la marginalité sont largement des « effets d'Etat projetés sur la ville ».

Le livre de Loïc Wacquant fait certaines recommandations aux sociologues, en matière de construction d'objets de recherche, de formulation de questions qui lui paraissent novatrices. Un grand nombre de celles-ci tombent un peu d'elles-mêmes au regard de l'actualité de la sociologie française travaillant autour de ces faits sociaux et qui mettent en œuvre les précautions épistémologiques requises par l'auteur (la rupture avec les catégories d'action et de pensée politiques et médiatiques sur ces sujets, etc.). Et puis, d'aucuns seront peut-être agacés par les procédés rhétoriques employés dans les pages introductives en vue de convaincre les lecteurs de la gravité des choses, donc de l'intérêt et de l'urgence qu'il y a de traiter de la marginalité urbaine ; c'est ainsi qu'on a affaire au « défi redoutable »..., à « l'expansion spectaculaire »..., au « durcissement généralisé des politiques policières et pénales » ; à « l'implosion brutale du ghetto noir », etc.

Malgré ces quelques critiques, la pertinence sociologique du propos est incontestable. Outre la connaissance très approfondie qu'il apporte sur les quartiers pauvres et ségrégués étasuniens et l'intérêt de la thèse défendue par l'auteur, cet essai peut encore être lu attentivement pour la réflexion menée autour des enjeux et des limites d'une démarche comparative internationale. Avec la construction de types idéaux à partir de monographies, la démarche d'analyse de Loïc Wacquant permet de réfléchir (bien que ce ne soit pas l'intention de l'auteur dans son texte) aux conditions d'enquête pour que la comparaison de données recueillies dans des contextes sociaux et politiques différents soit porteuse de connaissances contextualisées, sensibles aux variations et à l'hétérogénéité des « cas » singuliers.

 

Sylvia Faure, maître de conférences en sociologie à l'Université Lyon-2, et membre du GRS (Groupe de recherche sur la socialisation) pour Liens Socio.

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