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Profession : policier. Sexe : féminin

Publié le 28/12/2007
Auteur(s) - Autrice(s) : Geneviève Pruvost
Emmanuelle Zolésio
Editions de la maison des sciences de l'homme, juillet 2007
Fiche de lecture de l'ouvrage "Profession : policier. Sexe : féminin", de Geneviève Pruvost.

Depuis les années 1970, tous les grades policiers se sont ouverts progressivement aux femmes. Celles-ci représentent aujourd'hui 14% des effectifs de la police nationale. Réparties de façon équitable dans chaque direction policière (à l'exception notable des CRS), elles ont d'abord investi les postes à commandement (le monopole du commandement est en définitive plus facile à lever que celui de l'usage de la force). Quel est le profil socio-démographique de ces professionnelles ? Ont-elles les mêmes motivations et les mêmes carrières que leurs homologues masculins ? Comment la présence féminine est-elle négociée au quotidien dans la profession ? Telles sont les principales questions auxquelles Geneviève Pruvost se propose de répondre dans cet ouvrage, fruit de sept années de recherche.

L'enquête de terrain, exigeante, mobilise différents types de matériaux (entretiens, observations, questionnaire) mais il faut le dire, c'est surtout l'approche qualitative qui l'emporte et qui fait la valeur de l'analyse, les données quantitatives ne venant qu'en complément pour consolider quelques résultats. Au total, 128 entretiens semi-directifs ont été recueillis (79 femmes, 39 hommes). L'auteur a également mené des observations dans plusieurs écoles de police, dans un commissariat de sécurité publique et auprès de professionnels de la police judiciaire. Tout ce matériau qualitatif est abondamment mobilisé et cité, ce qui est très appréciable.

Les deux premières parties de l'ouvrage s'attachent à décrire les carrières féminines, depuis le choix du métier et la formation à l'école de police (première partie) à la négociation de la carrière en elle-même (deuxième partie).

Il apparaît globalement que les motivations initiales des femmes sont assez semblables à celles de leurs collègues masculins : elles idéalisent tout autant le métier, ne rêvent pas moins d'action qu'eux et n'ont pas une vocation plus altruiste. Elles ont bien souvent bénéficié du soutien des hommes de leur famille (mais ne sont pas plus filles de policiers que les hommes) et sont globalement issues des mêmes milieux sociaux que leurs collègues (de milieux légèrement supérieurs aux grades d'officier et de commissaire). Elles n'en sont pas moins sursélectionnées au moment du recrutement, détenant plus de diplômes que les hommes, devant davantage faire leurs preuves lors des épreuves sportives. A l'école de police, militarisation, rituels, internat constituent une rupture pour les garçons comme pour les filles. Avec le recul de la carrière, la formation apparaît comme un lieu de mixité harmonieuse, totalement idéalisé où les rapports sociaux de sexe sont pacifiés. C'est au moment des stages seulement que les élèves découvrent que l'intégration des femmes est variable d'un lieu à l'autre. Mais dès la formation, elles ont appris que l'égalité s'acquiert par la ressemblance au genre viril.

Comme celles des hommes, les carrières féminines sont tributaires de la connaissance parfaite de la diversité des postes et des hiérarchies institutionnalisées. Une carrière réussie passe par l'agencement du concours et des affectations ; elle ne se fait pas sans la cooptation par les pairs et les supérieurs hiérarchiques. Les belles carrières linéaires restent surtout le privilège des hommes car les femmes carriéristes sont encore en butte à des discriminations coutumières. En conséquence la rareté des femmes d'élite les pousse à adopter les standards masculins et à ne pas faciliter l'ascension des nouvelles entrantes. Mais ces quelques cas d'exception ne doivent pas masquer le fait que le métier policier le plus partagé par les femmes comme par les hommes est celui de la police secours en sécurité publique. Les tentatives de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale sont bien souvent douloureuses et rarement abouties. Plus souvent célibataires et sans enfants que leurs homologues masculins, les femmes policiers ont tendance à choisir la carrière, surtout dans un moment de consolidation de la féminisation du métier. Une femme policier sur deux est en couple avec un fonctionnaire de police (contre 10% des hommes) et quelques-unes vivent leur passion policière par procuration, étant centrées elles-mêmes sur leur famille. Mais globalement, c'est le modèle de l'homogamie ou de l'hypogamie qui prévaut. Ainsi apparaissent-elles comme atypiques dans leur choix de métier comme dans l'économie de leur couple. La conciliation entre vie professionnelle et vie privée passe enfin parfois par le modèle de l'alternance dans le temps (une carrière « masculine » suivie d'une carrière plus « féminine »).

Après s'être appuyée essentiellement sur les récits de vie des enquêtés, Geneviève Pruvost exploite largement ses observations de terrain pour décrire les interactions policières (avec les collègues, avec les profanes) au travail comme dans le hors-travail (« les coulisses » du métier). Les deux dernières parties de l'ouvrage portent donc principalement sur « la négociation quotidienne de la présence féminine » (p.3) et sur les rapports sociaux entre les sexes.

En dehors de quelques règles sexuées (logique ségrégative de la fouille au corps, traitement préférentiel des femmes violées ou battues par des policiers femmes, principe de dissémination des femmes dans les équipages...), la police tend vers un modèle de professionnalisme unisexe. Les hiérarchies professionnelles sont premières sur les stéréotypes de sexe : le grade, l'ancienneté priment tandis que l'urgence commande la division du travail. La civilisation des mœurs policières est passée par une « féminisation des mœurs » (Fischler) mais aussi et surtout par une individualisation des compétences et comportements émotifs qui permet l'échangeabilité des effectifs de même grade et de même ancienneté. L'émergence d'un modèle professionnel de type unisexe a permis de diversifier les rapports au métier mais n'a pas érodé la légitimité du modèle viril.

Peut-être excessivement rapportée à la dimension du « sale boulot », la virilité à l'honneur dans le milieu policier fait l'objet de la quatrième et dernière partie. La virilisation des femmes policiers ayant été évoquée à plusieurs reprises dans les parties précédentes, on est impatient, à ce stade de la démonstration, de voir comment elle se manifeste concrètement. Plus ou moins valorisée toutefois selon le grade (l'inversion de genre est surtout tolérée au grade de gardien de la paix, la déféminisation partielle est plus fréquente dans les grades supérieurs), la mobilité de genre qui est prônée reste la « virilité alternée » (faire varier féminité et virilité selon les situations de travail). La discrimination à l'égard des membres féminins s'exerce ouvertement et les femmes elles-mêmes participent à cette entreprise de dévaluation dans une stratégie d'intégration. L'adhésion des femmes à la virilité policière concerne également les activités hors-travail : l'intégration des femmes passe par l'initiation à l'homosociabilité virile. La majorité des femmes se fait complice des modes de décompression existants, au premier rang desquels l'humour scatologique. De façon assez périlleuse, l'auteur conclut par le point aveugle du processus de féminisation qui tend à invalider le chemin parcouru : le harcèlement sexuel (abus dont les femmes sont victimes).

Plus qu'une étude sur les femmes dans la police, cet ouvrage contribue à éclairer le monde policier en général puisque y sont décrits les conditions de recrutement, les critères de réussite de la carrière policière, les rapports au métier et les dispositions professionnelles requises. On regrette simplement que l'aspect méthodologique n'ait pas été plus amplement développé (mais on pourra lire à cet effet l'article introductif paru en février 2007 dans la revue Terrain). De même, quelques repères sur l'histoire de l'institution policière et sur son organisation auraient été précieux pour tirer tout le parti des distinctions opérées entre les différentes sections policières : un prochain ouvrage devrait heureusement réparer ce manque.

par Emmanuelle Zolésio, doctorante en sociologie au Groupe de Recherche sur la Socialisation.

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