Sociologie de la mode
Frédéric Monneyron
Frédérique Giraud
Présentation
Présentation éditeur :
La mode occupe une place centrale dans nos vies car elle nous permet de définir notre identité sociale. Pourtant, malgré cette familiarité, elle nous apparaît comme étant insaisissable et mystérieuse. Ce livre se propose de lever le voile sur les mystères de l'industrie de la mode. Il adopte un point de vue sociologique mais n'ignore pas les apports de l'économie, de la géographie ou de l'histoire. En raison de sa complexité, la mode requiert en effet une approche pluridisciplinaire.
L'analyse est construite sur la base de six principes, qui sont autant de thèmes permettant d'éclairer les différentes facettes de la mode. D'abord, le jeu de l'identité sociale et de l'affirmation de soi se déploie entre individu et société. Ensuite, la mode des tendances révèle les mécanismes de l'influence sociale. Par ailleurs, la mode est aussi un art, caractérisé par une autonomie esthétique et créative. Enfin, à ces dimensions, la mode contemporaine ajoute le culte du couturier, «génie créateur», et celui de la marque. Car la mode est un monde symbolique riche de sens dont l'«empire» ne cesse de s'étendre.
Les commentaires de Frédérique Giraud :
S'il a existé des modes depuis le Moyen-Age, la mode comme «fait social total», c'est-à-dire comme un phénomène qui met en branle des rituels et des institutions, ne s'impose qu'au XIXe siècle. Tel est le point de départ de Frédéric Monneyron et Frédéric Godart dans leurs ouvrages appelés tous deux Sociologie de la mode et publiés respectivement aux Puf (Que-sais-je?, 2006) et à la Découverte (Collection Repères, 2010). Redevable d'une conception du temps linéaire, propre à l'Occident moderne (la mode par essence ne dure pas et se renouvelle régulièrement), la mode, en tant que concept et phénomène social n'est pas un phénomène universel, mais une création occidentale. Si l'on définit la mode comme le «perpétuel changement touchant l'ensemble d'une société», elle n'a jamais été une caractéristique universelle du costume. En fait la mode est liée à l'avènement occidental des sociétés où l'individu devient la référence des sociétés et plus précisément, la naissance de la mode est concomitante de la naissance des sociétés bourgeoises. Selon Frédéric Godart, la mode apparaît à la Renaissance, avec l'apparition de la bourgeoisie dont l'émergence remet en cause l'aristocratie. Les bourgeois signifient par leurs vêtements et accessoires luxueux leur nouvelle puissance politique, économique et sociale, poussant l'aristocratie à réagir de façon similaire.
L'ouvrage de Frédéric Godart prend pour point nodal de sa synthèse la mode comme industrie. Selon cette focalisation, la mode correspond à l'industrie de l'habillement et du luxe. Autant dire que cet ouvrage s'intéresse donc majoritairement à la mode dans sa dimension créatrice et productive. Frédéric Godart adopte une approche différente des autres ouvrages, qui est stimulante. A ce titre, cet ouvrage remplit le contrat que s'était fixé l'auteur.
Le livre s'organise autour de six principes. La mode se caractérise, en premier lieu, par un principe d'affirmation, à travers lequel individus et groupes sociaux s'imitent et se distinguent en utilisant des signaux, vestimentaires ou associés. Le deuxième principe qui définit la mode est le principe de convergence. Ce principe signifie que la mode se caractérise par l'existence de tendances : si les styles ont des origines multiples, leur production n'a lieu que dans un petit nombre de maison de modes, centralisées. Le troisième principe est un principe d'autonomie, autonomie de l'activité créatrice : les maisons de mode sont autonomes par rapport à leur environnement politique, économique... Le quatrième principe est le principe de personnalisation, en vertu duquel le créateur est, au terme d'un processus historique, placé au centre de l'industrie de la mode. Le cinquième principe est un principe de symbolisation : les marques ont un rôle majeur entre producteurs de mode et consommateurs. Le sixième principe est le principe dit d'impéralisation qui manifeste la sphère croissante d'extension de la mode.
Si le lecteur cherche des éléments de compréhension sur la participation de la mode à la construction sociale de la différence des sexes, il faudra se tourner vers des ouvrages complémentaires. Frédéric Monneyron dans son Que-sais-je? y consacre quelques pages furtives. L'histoire des mœurs publiée à la Pléiade[1] est à ce sujet plus prolixe. On trouvera également des éléments chez Quentin Bell (Mode et société : essai sur la sociologie du vêtement, Paris, Presses universitaires de France, 1992)
Si le lecteur cherche à comprendre la mode comme système qui s'impose aux individus, le premier chapitre de l'ouvrage de Frédéric Godart répond aux attentes. Il pourra être complété de façon très utile par l'ouvrage de Quentin Bell cité ci-dessus, qui prend pour objet de réflexion, les normes sociales en matière de mode. Pourquoi l'homme d'une société ne se vêt-il pas autrement qu'il ne le fait, sinon qu'un ensemble de valeurs et de contraintes comme la coutume, le prix, le goût ou la décence prescrit ou proscrit certains usages, tolère ou encourage certaines conduites ? S'habiller n'est pas associer librement des éléments puisés dans une infinité de possibles, mais bien combiner des éléments collectés selon certaines règles, dans un réservoir limité. Dans ce domaine la pression de l'entourage puise à la même source que dans le cas de la coutume ou de n'importe quelle autre norme de comportement. Toutes les fois que l'on s'écarte de la mode, on s'attire une certaine désapprobation de son entourage, comme le signale Edmond Goblot : «Combien de femmes seraient plus honteuses de porter un chapeau à la mode de l'an passé que d'être convaincues de mensonge ! Un homme s'aperçoit il qu'il a oublié sa cravate, le voilà couvert de confusion ; il est de toute nécessité qu'il en achète une dans le magasin le plus proche ou qu'il rentre chez lui.» (Goblot, Edmond, La barrière et le niveau. Étude sociologique sur la bourgeoisie française moderne, 1925)
Quentin Bell dans sa sociologie du vêtement attire notre attention sur ce qui, pour lui, constitue une des caractéristiques principales du vêtement. «Qui de nous est insensible au désagrément qu'il y a à porter certains vêtements que nous nous sentons obligés de porter ? [Mais] nous nous plions à la norme. Il n'y a guère de gens pour défier purement et simplement les règles de l'usage». En matière vestimentaire, il existe donc des codes, des normes dont nous n'avons pas toujours conscience. Il existe une «éthique du vêtement» où s'imposent des forces sociales.
Le sommaire :
Introduction : La mode, un «fait social total» ?
Les différents visages de la mode
La mode comme industrie de la création
Les six principes de la mode
I / Affirmation : la mode entre individu et société
Tarde et le «lien social» : la mode comme imitation - Veblen et Simmel : une mode fondée sur la distinction
La mode identitaire : un phénomène socioculturel
Les frontières de la mode - La mode des «sous-cultures»
II / Convergence : la centralisation des tendances
Harrison White et les marchés - Méthodes de production dans la mode
La dynamique des capitales de la mode - Urbanité de la mode - La production de la mode dans la mondialisation
III / Autonomie : émergence et dynamique des styles
Connaître les styles - Mode, propriété intellectuelle et morale
Les différents types de diffusion : la mode comme modèle
IV / Personnalisation : la mode des métiers et des professionnels
La «profession» de créateur - La question de la «griffe»
Autour des créateurs : l'organisation des maisons de mode
V / Symbolisation : la puissance des signes
La mode face à sa signification - Gérer les marques dans la mode
Construction des consommateurs ?
VI / Impérialisation : la mode systématisée Les empires de la mode
Conclusion
Repères bibliographiques
Note :
[1] Histoire des moeurs, Encyclopédie de la Pléiade, 1990.