Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Navigation
Vous êtes ici : Accueil / Pages libres / Histoire de la pensée sociologique

Histoire de la pensée sociologique

Publié le 30/03/2008
Auteur(s) - Autrice(s) : Jean-Hugues Déchaux
Nous vous proposons en téléchargement un texte Jean-Hugues Déchaux, professeur de sociologie et directeur du Centre Max Weber, sur Jean-Jacques Rousseau, rédigé pour SES-ENS en mars 2008. Cette page reprend également la première partie du texte qui aborde la vie et l’œuvre de Rousseau.

Télécharger l'article complet : "J-J.Rousseau" de Jean-Hugues Déchaux

Extrait : Sa vie, son oeuvre

Jean-Jacques Rousseau naît à Genève le 28 juin 1712 dans une famille calviniste. Sa mère, Suzanne Bernard, meurt le 7 juillet de la même année ; son père, Isaac Rousseau, est horloger, installé d’abord à Genève, puis à Nyon. Rousseau est un génial autodidacte qui s’est illustré dans des domaines très variés : essais philosophiques, théâtre, textes de théorie musicale, projets de réforme politique, romans, poèmes, autobiographie (les très célèbres Confessions publiées après sa mort en 1782). Il a commencé par composer des opéras, dont l’un, Le Devin du village, représenté devant le Roi en 1752, a rencontré un grand succès ! Sa vie fut elle-même peu ordinaire : difficile, errante, marginale. Il a exercé les métiers les plus divers (apprenti, laquais, précepteur, secrétaire d’ambassade, maître de musique, etc.) et connu les conditions sociales les plus opposées.

Comme le souligne Jean Starobinski (Jean-Jacques Rousseau : la transparence et l’obstacle, 1971), sa vie et son oeuvre sont très liées. Elles s’éclairent l’une l’autre. Son existence difficile, dramatique par moments, est le fait d’une subjectivité maladivement inapte à la vie sociale. Dès ses premières oeuvres dans les années 1750, Rousseau connaît un succès éclatant, mais à cette gloire il préfère la retraite, le calme et la fréquentation de la nature dont ses textes littéraires offrent de nombreuses évocations. À partir de 1762, date à laquelle sont publiés Du Contrat social et l’Emile, Rousseau va connaître l’exil. Ses livres sont en effet condamnés à être brûlés aussi bien par le Parlement de Paris qu’à Genève. Dès lors, sa vie ne sera qu’errance et les relations avec ses contemporains deviendront très vite impossibles : à la brouille avec son ancien ami Diderot en 1757, succèderont de retentissantes ruptures, dont celle avec Hume en 1766. Rousseau termine sa vie comme un proscrit, traqué et chassé de toutes parts, ne trouvant la sérénité que dans la solitude et l’herboristerie (dont témoignent les Rêveries du Promeneur solitaire, publiées après sa mort en 1782). Rousseau meurt le 2 juillet 1778 à Ermenonville.

Ce n’est qu’à partir de la quarantaine que Rousseau s’illustre dans le domaine de la pensée philosophique et sociale. Mais son oeuvre est très vite reconnue : il obtient le prix de l’Académie de Dijon pour son premier discours (Discours sur les sciences et les arts, DSA, 1750) pourtant très critique sur la société de son temps. Ses écrits sont aussi très controversés. Ainsi pour Voltaire, le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1754) est l’oeuvre d’un fou : « On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre bêtes ; il prend envie de vouloir marcher à quatre pattes, quand on lit votre ouvrage » (Lettre de Voltaire à Rousseau, 1755). Condamné par la France catholique comme par la Suisse protestante, Rousseau est unanimement perçu comme un esprit subversif. Il fait l’objet de pamphlets et ne doit sa protection qu’à quelques aristocrates éclairés, dont le marquis de Girardin à Ermenonville. La révolution de 1789 lui offre une gloire posthume : Robespierre fait de lui l’un de ses inspirateurs et, en 1794, la Convention transfère ses cendres au Panthéon à Paris.

L’influence de Rousseau sur la sociologie est indirecte, car il ne se réclame pas du tout d’une démarche empirique : il ne s’intéresse pas aux faits et aux événements, mais raisonne sur les « principes » et « la nature des choses ». Sa démarche est normative, soucieuse de dégager ce qui doit être. Cependant Rousseau est fondamentalement un penseur de la société, davantage qu’aucun de ses prédécesseurs. Pour lui, le malheur de l’homme mais aussi son salut découlent de la société (Cassirer, 1987 [1932]). Extraordinairement critique, sa vision de la société annonce les théories critiques des XIXe et XXe siècles (Marx notamment). Bien que profondément individualiste dans sa méthode et ses convictions, Rousseau perçoit bien l’épaisseur du social, bien mieux en tout cas que les théoriciens classiques du contrat social (Grotius, Pufendorf, Hobbes [1588-1678], Locke [1632-1704]) qui fondent la société, à travers le contrat, sur un donné psychologique ultime de la nature humaine (les « sentiments moraux »).