Destruction créatrice et soutien aux entreprises en temps de crise. Décembre 2020.
Les périodes de crise économique sont propices aux transformations du tissu productif et au mécanisme schumpétérien de « destruction créatrice » : les entreprises les moins productives et performantes font faillite, de nouvelles entreprises plus productives et innovantes entrent sur le marché et les remplacent, ce qui contribue à la croissance de la productivité de l'économie. Cependant, la destruction créatrice a un coût à court terme : des entreprises et des emplois disparaissent, les revenus et la demande baissent, les inégalités augmentent, ce qui nécessite un soutien de l'économie par des politiques conjoncturelles comme le préconisait Keynes.
Plusieurs publications s'intéressent au phénomène de destruction créatrice lors des récentes crises économiques (récession causée par la crise financière de 2008, crise sanitaire de 2020).
Une étude de la Direction générale du Trésor analyse la contribution des réallocations d'emplois entre entreprises aux gains de productivité en France depuis 20 ans. Le ralentissement des gains de productivité s'explique par la tertiarisation de l'économie, mais aussi plus récemment par une réallocation moins efficace des emplois vers les entreprises plus productives. En période de récession, les réallocations de facteurs de production des entreprises les moins productives vers les plus productives permettent d'amortir le recul de la productivité des entreprises pérennes. Les auteurs montrent ainsi, en mobilisant des données microéconomiques récentes, que la destruction créatrice post-crise a été le principal facteur de gains de productivité après 2011, essentiellement grâce à un effet de disparition des entreprises les moins productives.
Un billet du département des études économiques de la Société Générale souligne l'impulsion donnée par la crise sanitaire de 2020 à la destruction créatrice : tandis que toute une partie de l'appareil de production s'est effondrée, la réallocation des facteurs de production vers les entreprises les plus innovantes pourrait accélérer la transformation numérique de nos sociétés (intelligence artificielle, robotique, télésanté, télétravail, e-commerce, chaîne d'approvisionnement 4.0, etc.), source potentielle de gains de productivité et de croissance. Mais, en soutenant l'économie en crise, les pouvoirs publics ne risquent-ils pas de subventionner les entreprises qui ne sont plus viables ?
Une étude du Conseil d'analyse économique se penche sur cette question, analysant les facteurs de fragilité des entreprises, en particulier dans le secteur du commerce, dans le contexte de la crise COVID. Les auteurs se demandent si les mesures massives de soutien aux entreprises ont favorisé le maintien en activité d'entreprises peu performantes, ce que laisse présager la chute des faillites d'entreprises depuis le début de la pandémie en France, mais aussi au Royaume-Uni et en Allemagne. Ils montrent que le processus de création–destruction, source de gains de productivité agrégée, n'est pas altéré pour le moment. On ne constate pas de « zombification » de l'économie (maintien d'entreprises peu productives qui survivent grâce aux aides et aux prêts). En outre, les interventions publiques ont permis d'éviter que des entreprises performantes entrent en défaillance. Cependant, dans les secteurs les plus touchés par la crise, le surcroît de dette conjugué à une baisse de l'activité pourrait entraîner davantage de défaillances d'entreprises à partir de 2021, y compris d'entreprises viables hors du contexte COVID.
► Contribution de la destruction créatrice aux gains de productivité en France, DG du Trésor, Lettre Trésor-Éco n° 273, 15 décembre 2020.
par Clémentine David, Romain Faquet, Chakir Rachiq.
Présentation
Les réallocations d'emplois entre entreprises contribuent de façon significative aux gains de productivité en France. Ces réallocations s'opèrent à la fois entre entreprises pérennes et grâce au phénomène de destruction créatrice, c'est-à-dire l'entrée et la sortie d'entreprises. Alors que, jusqu'à la crise de 2008, les gains de productivité étaient majoritairement le fait des entreprises pérennes, la destruction créatrice a bien davantage contribué aux gains de productivité après 2011.
Résumé
La réallocation des emplois entre entreprises, au sein d'une même branche productive ou entre les branches, contribue à l'évolution de la productivité. Même si la quantification de sa contribution est difficile et toujours discutée, les études empiriques mettent en évidence en particulier les effets positifs des réallocations au sein des branches sur la productivité.
Sur données françaises, la contribution positive des réallocations aux gains de productivité est importante en régime de croisière (2001-2007), et elle a aussi amorti considérablement la chute de la productivité en période de crise (2008-2011). Cette réallocation s'opère à la fois grâce à la redistribution des emplois entre entreprises pérennes et au phénomène schumpétérien de destruction créatrice, c'est-à-dire l'entrée et la sortie d'entreprises.
Plus précisément, on peut décomposer comptablement l'évolution de la productivité en trois termes : les gains de productivité des entreprises pérennes sans variation de l'emploi (effet d'apprentissage) ; la réallocation des emplois entre entreprises pérennes sans variation de la productivité (réallocation interne) ; et les entrées d'entreprises nettes des sorties d'entreprises (destruction créatrice).
Les données micro-économiques récentes permettent d'effectuer cette décomposition et de comparer la contribution de la destruction créatrice pendant les périodes 2001-2007 et 2011-2017. Alors que, jusqu'à la crise de 2008, les gains de productivité étaient majoritairement le fait des entreprises pérennes, l'effet schumpétérien de destruction créatrice a bien davantage contribué aux gains de productivité après 2011.
Sommaire
- La réallocation de la production entre entreprises nourrit les gains de productivité
- La destruction créatrice expliquerait la plus grande part des gains de productivité depuis la Grande Récession
Cliquez sur l'image pour agrandir la figure.
Source : Lettre Trésor-Éco n° 273, décembre 2020.
► COVID-19, quand Keynes rencontre Schumpeter, Société Générale Études Économiques et Sectorielles, L'Economie Pour Tous n° 22, 2 novembre 2020.
par Marie-Hélène Duprat.
Résumé
Pour relever le défi monumental posé par la pandémie de COVID-19, les décideurs publics s'inspirent à la fois de Keynes, avocat de l'intervention conjoncturelle de l'État pour soutenir la demande, et de Schumpeter, focalisé sur l'innovation et le progrès technique comme moteur premier de croissance à long terme.
- Un choc sur l'offre et un choc sur la demande
- Le « moment Keynésien »
- Le « moment Schumpétérien »
- Un dilemme quasi cornélien pour les décideurs politiques
► Les défaillances d'entreprises dans la crise Covid‐19 : zombification ou mise en hibernation ? CAE, Focus n° 051-2020, 14 décembre 2020.
par Mathieu Cros, Anne Épaulard et Philippe Martin.
Présentation
Ce focus analyse dans le contexte de la crise COVID les facteurs de fragilité des entreprises, en particulier dans le secteur du commerce. Malgré la réduction du nombre de défaillances, des entreprises très performantes ont-elles disparu ? ou au contraire des entreprises peu performantes ont-elles été sauvées ? Les commerces des secteurs les plus touchés ont-ils connu plus de défaillances ? Les soutiens aux entreprises ont-ils permis d'absorber le choc COVID ? Ce focus exploite les données de défaillances de 2020 pour répondre à ces questions et proposer des scénarios pour 2021.
Résumé
Les défaillances d'entreprises sont, paradoxalement, en forte diminution (– 29 % pour les PME) à la mi‐novembre 2020 par rapport à 2019. Dans ce Focus, nous analysons les facteurs qui, dans la crise du Covid, expliquent quelles entreprises entrent en défaillance et tentons de dessiner des scénarios pour 2021 avec un focus sur le secteur du commerce. La chute des défaillances en 2020 s'est d'abord expliquée par des mesures administratives, mais sa persistance cet automne est surtout due aux mesures massives de soutien aux entreprises qui ont, en partie, gelé le processus normal de sortie des entreprises.
Notre analyse empirique montre cependant que les mêmes facteurs (la dette et la productivité du travail au premier rang) qui prédisaient en 2019 quelles entreprises entraient en défaillance demeurent à l'œuvre en 2020. Cela suggère que la réduction des faillites d'entreprises n'altère pas le processus de création–destruction qui est un élément de la croissance de la productivité. Il n'y a pas à ce stade de « zombification » de l'économie, plutôt une mise en hibernation. Nous montrons aussi que les entreprises des secteurs du commerce les plus touchés ont un risque plus élevé de défaillance mais que l'impact différencié du Covid joue peu par rapport aux facteurs propres à l'entreprise. Cela suggère que la protection de l'État pour absorber le choc Covid‐19 a été ciblée, quasi complète et de ce point de vue efficace. Cela s'est cependant fait, dans les secteurs les plus touchés, au prix de l'augmentation de la dette des entreprises les plus affectées par une baisse durable d'activité.
Dans ces secteurs, l'accumulation de dette et la baisse d'activité pourraient aboutir à une forte augmentation (+ 26 % environ) du risque de défaillance à partir de 2021. À cela s'ajouterait le rattrapage « normal » des défaillances qui n'ont pas eu lieu en 2020 et qui ne devra pas être interprété comme un échec de la politique de soutien aux entreprises. Ainsi, dans le secteur du commerce et des services aux particuliers, le taux de défaillance en 2021 pourrait, dans les secteurs les plus touchés, passer de 1,1 % en 2019 à 1,8 % mais avec une marge d'incertitude très forte. L'enjeu pour 2021 sera de réduire au maximum les défaillances d'entreprises performantes et viables dans une situation hors Covid et la sauvegarde d'entreprises non viables, car dans les deux cas c'est la productivité agrégée qui serait réduite. À court terme, le premier type de risque nous paraît plus grave que le second. C'est pourquoi nous considérons que l'excès de dette des entreprises devra être traité ce qui passera par une restructuration de certaines dettes contractées pendant la crise à la fois auprès de l'État et des créditeurs privés.
Sommaire
- Le paradoxe de la chute des défaillances d'entreprises depuis le début de la pandémie
- En 2020 comme en 2019, ce sont les entreprises les plus faibles qui ont un fort risque de défaillance
- Les scénarios d'augmentation des défaillances d'entreprises en 2021
- Les questions de politique économique
► Sur l'alternative entre entreprises zombies et dynamique schumpétérienne, on pourra également consulter :
Artus P., Crise de la Covid : faut-il empêcher les entreprises de disparaître ? Natixis, Flash Économie n° 1349, 26 novembre 2020.
Artus P., Quelle politique économique vis-à-vis des entreprises pendant et après la crise de la Covid ? Natixis, Flash Économie n° 1419, 15 décembre 2020.
Sur le phénomène de « zombification » des entreprises et l'impact de la crise de la Covid sur celui-ci, voir le rapport Natixis de novembre 2020 : Entreprises « zombie » : combien, et à quel point sont-elles dangereuses ?