Échanges dette-nature : une double solution pour la soutenabilité environnementale et la dette des pays en développement ? Banque de France. Janvier 2023.
Bulletin de la Banque de France n° 244, 26 janvier 2023.
par Paul Quentin, Svartzman Romain, Weber Pierre-François.
Résumé
De nombreux pays à revenu faible et intermédiaire connaissent des difficultés croissantes à rembourser leur dette publique depuis la crise sanitaire. Par ailleurs, l'accélération des crises environnementales et climatiques affecte particulièrement ces pays, plus vulnérables d'un point de vue socio-économique (et très exposés aux fragilisations de la soutenabilité de la dette induites par ces crises), mais aussi souvent situés dans des zones critiques de biodiversité. Ces pays sont donc au cœur de deux sources de risques majeures pour la stabilité du système financier international.
La pratique des échanges dits « dette contre nature » consiste à réduire la dette d'un État contre son engagement à dépenser une fraction de la réduction consentie pour protéger l'environnement. Les échanges dette-nature peuvent alors améliorer conjointement la soutenabilité environnementale et celle de la dette publique. Entre 1987 et 2015, les fonds pour la conservation de la nature alimentés par les échanges de dettes ont atteint un montant d'environ 1,25 milliard de dollars. Majoritairement issus d'accords publics, ils concernent en premier lieu des pays d'Amérique Latine ou des Caraïbes, et les compensations ont été principalement destinées à freiner la déforestation.
Aujourd'hui, l'intérêt pour cette pratique s'accroît. Le contexte actuel invite à l'élargir au financement des investissements nécessaires à la transition bas-carbone et à l'adaptation au changement climatique.
Toutefois, leur mise en place s'accompagne de nombreux défis. Pour produire des résultats pérennes, l'échange dette-nature doit intervenir dans un contexte macroéconomique stable. L'instabilité du taux de change, éventuellement couplée à une forte inflation, peut en effet éroder la valeur réelle des engagements du pays en matière de conservation de la nature. Sur le plan financier, la pratique passée des échanges dette-nature révèle plusieurs difficultés. Par exemple, leur négociation se révèle souvent complexe et génère donc des coûts de transaction d'autant plus dissuasifs si les montants en jeu sont faibles. Enfin, les enjeux de gouvernance sont nombreux, tant sur le plan national et local que sur le plan international, en raison de la diversité des standards en matière de protection des écosystèmes.
Si le principe des échanges dette-nature est intéressant, cette pratique ne peut donc pas être pensée comme une solution systématique ou suffisante. Sur un plan climatique et environnemental, les échanges dette-nature ne répondent pas à la demande de solidarité qu'expriment les pays à revenu faible et intermédiaire pour leurs efforts d'atténuation et d'adaptation face au changement climatique. Sur le plan financier, ces échanges ne réduiront que modérément la vulnérabilité des pays débiteurs aux cycles financiers mondiaux. L'échange dette contre nature ne constitue donc qu'une solution partielle qui, pour être pleinement efficace, doit participer d'une réflexion plus globale des banques centrales sur l'évolution du système financier international face aux défis écologiques.
Sommaire
- Les pays à revenu faible et intermédiaire font face simultanément au risque accru d'insoutenabilité de leur dette publique et à la crise environnementale
- Dans ce contexte, les échanges dette‑nature suscitent un nouvel intérêt
- Le renouveau des échanges dette‑nature comporte néanmoins plusieurs défis importants et dépend encore d'autres initiatives
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Source : Bulletin de la Banque de France n° 244, janvier 2023.
Pour aller plus loin
Levrel H. (2020), « Les compensations écologiques », La Découverte, Repères, 2020.
Orsini A. (2020), « L'action publique face à la crise environnementale mondiale », SES-ENS, juin.