L’ évitement scolaire : un effet « boomerang » de la labélisation en politique de la ville ? IPP. Octobre 2024.
Note IPP n° 110, octobre 2024.
Par Manon Garrouste et Miren Lafourcade.
Résumé
En France, la politique de la ville cible les quartiers urbains confrontés à de très grandes difficultés sociales et économiques, d'abord qualifiés de « zones urbaines sensibles » puis, depuis 2014, de « quartiers prioritaires ». Ces quartiers bénéficient de subventions publiques visant à réduire la ségrégation urbaine et à améliorer les conditions de vie des habitants (logement, services publics, sécurité) et leurs opportunités socio-économiques (éducation, emploi).
Cette note étudie un revers de la politique de la ville encore peu documenté : la stigmatisation territoriale, qui est analysée ici sous le prisme de l’évitement scolaire des collèges publics situés dans les quartiers périmétrés par la politique. L’étude prend appui sur une réforme de la géographie prioritaire intervenue en 2014, qui a redessiné la carte des quartiers ciblés à l’aide d’un carroyage très fin du territoire et d’un seuil d’éligibilité fondé sur le revenu fiscal médian des résidents de chaque carreau. Sans que la carte scolaire ait été modifiée par la réforme, certains collèges sont ainsi « entrés » dans le périmètre de la politique, et d’autres en sont « sortis ». La comparaison des collèges des quartiers situés juste au-dessus et au-dessous du seuil d’éligibilité, avant et après la réforme, permet d’évaluer l’impact causal moyen de la labélisation du quartier en politique de la ville sur l’évitement scolaire.
Les collèges publics des quartiers entrés dans le périmètre la politique de la ville ont connu une hausse de l'évitement scolaire par rapport aux collèges des quartiers contrefactuels situés au-dessus du seuil d'éligibilité. À l'entrée en 6e , la proportion d'élèves scolarisés dans ces collèges a ainsi diminué de 3,5 points de pourcentage en moyenne, soit environ 6 élèves en moins relativement aux collèges contrefactuels. Cet évitement scolaire a été immédiat et a persisté jusqu'à cinq ans après la réforme de la géographie prioritaire. Il a concerné toutes les familles, mais les catégories socio-professionnelles plus modestes se sont davantage tournées vers les collèges publics et les catégories plus favorisées davantage vers les collèges privés.
Au vu de cet effet de renforcement de la ségrégation sociale scolaire, il semble essentiel d'interroger la pertinence des politiques « zonées ».
NB : Il est important de souligner que les autrices évaluent l'effet de la géographie prioritaire (c'est-à-dire l'entrée ou la sortie d'un quartier de la politique de la ville) et non celui de l'éducation prioritaire (c'est-à-dire l'entrée ou la sortie d'un établissement scolaire des Réseaux d'éducation prioritaire ou REP), cette dernière allouant des ressources supplémentaires aux établissements scolaires accueillant les élèves les plus défavorisés, et non aux quartiers englobants. La référence indiquée en bibliographie ci-dessous, elle, évalue en revanche les effets de l'éducation prioritaire.
Sommaire
- Évaluer l'effet causal de la politique de la ville sur le choix du collège
- Une stigmatisation territoriale liée à la géographie prioritaire
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Source : Note IPP n° 110, octobre 2024.
Pour aller plus loin
Garrouste M. (2023), « Politiques éducatives compensatoires : ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas et pourquoi », SES-ENS.