La crise démocratique et ses faux-semblants. Sciences Po. Mai 2023.
par Luc Rouban.
Résumé
La séquence politique ouverte par la réforme des retraites entre janvier et mars 2023 a suscité une opposition assez générale des électeurs à la façon dont le pouvoir exécutif avait fait passer cette réforme. En 2018 puis, après le grand débat national, en 2019, plusieurs projets de lois sont déposés par le gouvernement à l'Assemblée nationale, qui ne les discutera pas, visant à réformer les institutions françaises. L'idée prévaut donc que la crise démocratique pourrait être résolue par une modification des procédures juridiques.
Ce débat sur la réforme souhaitable des institutions occulte cependant le fait qu'une proportion importante de Français se méfient de la démocratie représentative en tant que telle. La question se pose donc de savoir si cette méfiance envers la démocratie représentative est moins forte dans des régimes parlementaires comme ceux qu'ont l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni. Une autre question est de s'interroger sur les ressorts et les porteurs de ce rejet : par des citoyens demandant plus de démocratie ou moins de démocratie ? On peut aussi s'interroger sur la place que prend désormais la question de l'efficacité de l'action publique.
L'analyse des résultats de la vague 14 du Baromètre de la confiance politique montre que les différences institutionnelles jouent souvent beaucoup moins que les différences sociales. Les régimes parlementaires n'obtiennent pas nécessairement une adhésion plus grande de leurs citoyens à leurs institutions ou à leur fonctionnement démocratique. Par ailleurs, contrairement à ce que l'on pouvait attendre, la génération d'appartenance ne joue pas un grand rôle. Enfin, c'est en France que le contraste est le plus fort entre les catégories populaires et les catégories supérieures dans la confiance qu'elles portent aux institutions politiques.
Du point de vue des électorats, la proportion d'électeurs fortement critiques à l'égard de la démocratie représentative est tout aussi élevée du côté de la gauche radicale que du côté de la droite radicale. Le retour au parlementarisme prôné par LFI ne semble pas s'associer à une forte demande de démocratie représentative chez les électeurs de la gauche radicale. Cette demande est surtout visible parmi les électeurs du PS ou d'EELV. La demande d'efficacité « technocratique » est bien plus présente du côté de la droite en général et de la droite radicale en particulier. Quant au rejet caractérisé de la politique, il concerne surtout les électeurs de la droite radicale comme les abstentionnistes.
L'analyse des résultats de la vague 14 conduit donc à remettre en cause le discours selon lequel un changement de Constitution et le retour à un régime parlementaire ou bien le passage au scrutin proportionnel pourraient mettre fin à la crise démocratique qui secoue la France. Il existe un véritable hiatus entre les projets des partis politiques et les aspirations de leurs électorats respectifs. La contestation de la réforme des retraites n'a fait que réactiver chez les citoyens une posture critique à l'égard de la démocratie représentative. Mais la comparaison internationale ne permet pas de conclure à une spécificité française sur ce terrain. L'attente majoritaire est celle d'une plus grande démocratie directe mais aussi d'une efficacité ou d'une effectivité réelle de l'action publique qui semble s'enliser à la fois dans des débats sans débouché et dans un appauvrissement des services publics.
Sommaire
- Un rejet général des représentants élus
- Une lecture sociale de la crise démocratique
- Le régime parlementaire ne génère pas davantage de confiance dans les institutions
- L'attente d'une démocratie efficace
- Le rejet de la politique et ses effets
- Les électorats français face à la crise démocratique
- Comment résoudre la crise démocratique ?
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Source : Note de recherche, mai 2023.
Pour aller plus loin
Blondiaux L. (2018), « La démocratie participative : entretien avec Loïc Blondiaux », SES-ENS, janvier.
Martinache I. (2022), « Les partis sont-ils sur le retour ? », SES-ENS, avril.