La solution est-elle la concurrence et la destruction créatrice ? Natixis. Octobre 2021.
Flash Économie n° 693, 1er octobre 2021.
par Patrick Artus.
Résumé
En théorie, la solution au problème de faible croissance et de faible progrès technique est simple :
- il faut que la concurrence soit forte, pour éviter que la concentration des entreprises, la multiplication des entreprises avec des positions dominantes, conduise à un recul de l'effort d'innovation, d'investissement ;
- il faut privilégier la « destruction créatrice » (les entreprises anciennes disparaissent et sont remplacées par des entreprises modernes) pour éviter l'apparition d'entreprises « zombies », trop endettées, dépassées technologiquement, qui n'investissent pas assez, font peu de progrès de productivité, et curieusement monopolisent le crédit bancaire.
Mais la réalité risque d'être plus compliquée que la théorie. En effet :
- il peut être plus efficace de financer la transition des entreprises ayant des technologies anciennes vers les technologies nouvelles que de les faire disparaître au profit de nouvelles entreprises ; la disparition des entreprises est un évènement brutal, destructeur d'emplois, de compétences, de capital. La question est alors la capacité des entreprises à s'engager dans une transition crédible ;
- à un instant donné, particulièrement durant une crise, il est très difficile de savoir quelles entreprises il faut soutenir pour qu'elles ne disparaissent pas et quelles entreprises il faut laisser disparaître. On ne sait pas en effet ce que sera la nature, le niveau, de la demande pour les différents biens et services après la crise : où la demande va-t-elle revenir à la normale (et il faut alors éviter les faillites), où va-t-elle rester déprimée (et retarder l'ajustement, la reconversion des salariés) ?
- le progrès technique, l'innovation technologique ne sont pas nécessairement associés à de « bons emplois » ; les services, les plateformes Internet créent beaucoup d'emplois répétitifs, mal qualifiés, mal payés. La structure des emplois, depuis que la numérisation de l'économie progresse, s'est déformée au profit d'emplois de services domestiques, peu sophistiqués et au salaire faible.
Le couple concurrence-destruction créatrice ne peut donc pas résoudre tous les problèmes de faible croissance et de faible progrès technique.
Voir aussi sur le même sujet :
Patrick Artus, Le progrès technique est-il synonyme de « good jobs » ?, Flash Économie n° 722, 13 octobre 2021.
Résumé
On pourrait imaginer que le progrès technique est synonyme de transformation des « bad jobs » en « good jobs » : s'il y a robotisation, numérisation, les travaux pénibles devraient disparaître, la sophistication des emplois devrait augmenter, le niveau de salaire devrait augmenter… Mais on ne voit pas réellement cela.
On a observé malgré la hausse de l'effort d'innovation, de modernisation des entreprises, du poids du secteur des Nouvelles Technologies :
- la hausse du poids des emplois de services domestiques (peu sophistiqués, mal payés), contrepartie du recul du poids de l'emploi industriel ; le faible poids des emplois dans les Nouvelles Technologies ; la proportion des emplois ayant des bas salaires augmente donc ;
- de manière cohérente, le freinage des gains de productivité ;
- le niveau très élevé de la souffrance au travail, du stress au travail ;
- la hausse du nombre d'indépendants, souvent associée au développement des plateformes Internet.
Il n'est donc pas clair du tout que le progrès technique conduise à la progression des « good jobs ».
La « révolution industrielle » présente a donc une caractéristique très différente de celle des révolutions industrielles précédentes, depuis la première moitié du XIXe siècle, si elle dégrade la qualité moyenne des emplois.