L'évolution de la part du travail dans la valeur ajoutée dans les pays avancés. DG Trésor. Janvier 2019.
La question du partage de la valeur ajoutée (VA) entre les travailleurs et les détenteurs de capital a pris récemment une place importante dans les débats économiques, en raison notamment de la forte progression des inégalités dans certains pays avancés. Cette étude de la Direction Générale du Trésor confirme les résultats d'autres travaux sur l'évolution du partage de la VA depuis une vingtaine d'années dans les économies avancées : la part de la rémunération du travail dans la VA recule depuis le milieu des années 1990 dans la plupart des grands pays de l'OCDE, au profit le plus souvent d'une amélioration du taux de marge (part de la rémunération du capital dans la VA).
L'étude apporte cependant des nuances selon les pays. Dans certains pays (Espagne, Italie), le recul de la part du travail dans la VA résulte principalement d'une hausse de l'intensité capitalistique et d'importantes destructions d'emploi à la suite de la crise (effet volume négatif). Dans d'autres (Allemagne, États-Unis, Japon), c'est la modération salariale ou des mesures visant à restaurer les marges des entreprises qui expliquent la déformation du partage de la VA (effet salaire négatif). En France, la répartition de la VA reste stable, l'augmentation de l'intensité capitalistique (effet volume négatif) ayant été compensée par la captation du «surplus distribuable» par le travail (effet salaire positif). Parmi les pays étudiés, seul le Royaume-Uni voit la part du travail dans la VA progresser depuis 1995, en raison du dynamisme de l'emploi et des salaires.
Plusieurs facteurs macroéconomiques et structurels peuvent expliquer le recul de la part du travail dans la valeur ajoutée globale : le progrès technique (substitution du capital au travail) ; l'ouverture commerciale et l'intensification de la concurrence internationale avec ses effets potentiellement négatifs sur l'emploi (délocalisations) et l'évolution des salaires (baisse du pouvoir de négociation des salariés) ; les politiques économiques et les réformes institutionnelles qui ont aussi contribué à réduire le pouvoir de négociation des travailleurs dans certains pays (Allemagne, Japon) ; et enfin la hausse du pouvoir de marché des entreprises et, aux États-Unis, le poids croissant des firmes «superstars» dans l'économie américaine.
Trésor-Éco n°234, 17 janvier 2019.
par Diane de Waziers, Clovis Kerdrain, Yasmine Osman.
Résumé
L'analyse du partage de la valeur ajoutée entre les facteurs de production permet de mieux comprendre l'évolution des inégalités ou de la consommation privée. Ce partage reflète à la fois l'évolution relative des volumes de capital et de travail utilisés et l'évolution relative de leur rémunération unitaire. La notion de surplus distribuable est utile pour étudier ce partage. Elle correspond à la part de la croissance du PIB, en termes réels, surtout due aux gains de productivité et disponible pour améliorer la rémunération horaire des travailleurs et la rémunération de chaque unité de capital.
La part du travail dans la valeur ajoutée a reculé depuis les années 1990 dans la plupart des grands pays de l'OCDE, au profit généralement d'une amélioration du taux de marge, sauf en France où elle est quasi-stable et au Royaume-Uni où elle progresse. Ce recul provient de deux effets : d'une part la hausse de l'intensité en capital, qui joue en particulier en Italie et en Espagne à la suite de la crise, et d'autre part, une progression modérée des salaires réels en Allemagne, aux États-Unis et au Japon.
Sur longue période et en moyenne, le surplus distribuable est essentiellement consacré à l'augmentation des salaires réels. Le freinage des salaires réels est donc en partie lié à l'affaiblissement des gains de productivité dans la plupart des grandes économies avancées. Celui-ci a entrainé une baisse du surplus distribuable et donc du taux de croissance du salaire horaire réel. Toutefois, depuis le milieu des années 1990, la rémunération du capital a aussi absorbé une partie du surplus distribuable en Allemagne, aux États-Unis et au Japon, au détriment de la hausse de la rémunération unitaire des travailleurs.
Le recul de la part du travail dans la valeur ajoutée peut avoir différentes causes. Le progrès technique peut favoriser la substitution du capital au travail. L'exposition croissante au commerce et à la concurrence internationale peut inciter à la délocalisation des parties des chaînes de production intensives en main d'œuvre. Elle peut également entraîner une baisse du pouvoir de négociation des salariés, ce qui pèse sur les salaires. Dans certains pays enfin, une hausse du pouvoir de marché des entreprises a aussi pu affecter l'évolution des salaires réels.
Sommaire
1. La part du travail dans la valeur ajoutée a reculé dans la plupart des économies avancées
1.1 Depuis les années 1990, la part du travail dans la valeur ajoutée a reculé dans la plupart des économies avancées
1.2 Les variations de la part du travail dans la valeur ajoutée reflètent l'évolution des salaires et de l'intensité capitalistique
2. Le ralentissement des salaires reflète partout celui de la productivité, et parfois aussi une hausse de la rémunération du capital
2.1 La baisse du surplus distribuable et des gains de productivité depuis les années 1990 pèse sur la croissance des salaires
2.2 C'est la rémunération du capital qui est affectée par les chocs conjoncturels sur le surplus distribuable, sauf dans les pays anglo-saxons
2.3 Sur 20 ans, une partie du surplus a échappé aux travailleurs dans certains pays
3. Le recul de la part du travail dans la valeur ajoutée traduit des phénomènes différents selon les pays
3.1 Une hausse de l'intensité capitalistique en Espagne et en Italie, des salaires moins dynamiques que le surplus distribuable en Allemagne, aux États-Unis et au Japon
3.2 Le progrès technique, l'ouverture commerciale ou la hausse du pouvoir de marché des entreprises peuvent contribuer au recul de la part du travail dans la valeur ajoutée
3.3 La part du travail dans la valeur ajoutée a progressé pendant la crise, avant de reculer partout sauf en France
Source : Trésor-Éco n°234, DG du Trésor, janvier 2019
Pour aller plus loin :
Comment expliquer la déformation du partage de la valeur ajoutée depuis 30 ans ? Interview de Sophie Piton sur SES-ENS, 28 septembre 2018.
OCDE, "Partage de la valeur ajoutée entre travail et capital : Comment expliquer la diminution de la part du travail ?", Perspectives de l'emploi de l'OCDE 2012.
Valentin Cohen, Louise Rabier, Linah Shimi, "Mondialisation, croissance et inégalités : implications pour la politique économique", Lettre Trésor-Éco n°210, 20 novembre 2017.