Quelle démocratisation des grandes écoles depuis le milieu des années 2000 ? IPP. Janvier 2021.
L'existence de grandes écoles, au recrutement sélectif et socialement peu diversifié, est une spécificité de l'enseignement supérieur français. Une étude de l'IPP se penche sur l'évolution du recrutement des classes préparatoires et des grandes écoles depuis le milieu des années 2000, pour évaluer l'effet des dispositifs d'« ouverture » mis en place par certaines grandes écoles. Observe-t-on une réduction des inégalités d'accès aux grandes écoles, en particulier selon l'origine sociale, l'origine géographique et le genre ?
Cette étude comporte de nombreuses données récentes qui pourront alimenter l'enseignement de spécialité SES en terminale sur le thème « Quelle est l'action de l'École sur les destins individuels et sur l'évolution de la société ? ».
Extrait du rapport de l'IPP :
« À la lecture des résultats de cette étude, un constat s'impose : les dispositifs d'« ouverture » qui ont été mis en place par les grandes écoles depuis le milieu des années 2000 pour diversifier leur recrutement n'ont pas atteint leurs objectifs. Entre 2006 et 2016, les grandes écoles ont certes connu une forme de « démocratisation quantitative », à travers une augmentation de leurs effectifs. Ce processus n'a pas cependant débouché sur une démocratisation « qualitative » : ces institutions d'élite sont restées largement fermées aux élèves issus de milieux sociaux défavorisés, les filles y demeurent sous-représentées et la part des étudiants non franciliens n'a pas progressé. »
Grandes écoles : quelle « ouverture » depuis le milieu des années 2000 ? Note IPP n° 61, janvier 2021.
par Cécile Bonneau, Pauline Charousset, Julien Grenet et Georgia Thebault.
Résumé
Grâce à des données riches et inédites, cette note documente l'évolution du recrutement des grandes écoles depuis le milieu des années 2000, selon plusieurs dimensions : composition sociale, origine géographique des étudiants et répartition filles/garçons. Malgré les dispositifs d'« ouverture » qui ont été mis en place par certaines grandes écoles pour tenter de diversifier le profil de leurs étudiants, leur base de recrutement est restée très étroite et n'a guère évolué au cours des quinze dernières années. Alors que leurs effectifs ont fortement augmenté au cours de la période, ces institutions d'élite sont restées presque entièrement fermées aux élèves issus de milieux sociaux défavorisés, la part des étudiants non franciliens n'a pas progressé et les filles y demeurent sous-représentées. Cette permanence des inégalités d'accès aux grandes écoles ne s'explique qu'en partie par les écarts de performance scolaire entre les groupes considérés. Elle trouve sa source, en amont, dans l'absence de diversification du recrutement des classes préparatoires et des écoles post-bac. L'impuissance des dispositifs d'ouverture sociale mis en œuvre depuis le milieu des années 2000 à amorcer une démocratisation des grandes écoles met en lumière les limites de l'approche qui a jusqu'à présent été privilégiée : un foisonnement d'initiatives locales, sans réelle coordination nationale et rarement évaluées. Ce constat d'échec invite à repenser les leviers qui pourraient être mobilisés pour diversifier le recrutement des filières sélectives et favoriser une plus grande circulation des élites.
Points clés
- La base de recrutement des grandes écoles est très étroite : les deux tiers de leurs étudiants sont d'origine sociale très favorisée, un tiers a effectué ses études secondaires en Île-de-France (40 % dans les grandes écoles les plus sélectives) et les garçons constituent près de 60 % de leurs effectifs.
- La probabilité d'accéder à une grande école varie considérablement d'un lycée à l'autre : la moitié des lycées généraux et technologiques ne fournissent que 13 % des étudiants des grandes écoles alors qu'à l'autre bout du spectre, 17 % des lycées généraux et technologiques fournissent à eux seuls la moitié de leurs effectifs.
- Les différences de taux d'accès aux grandes écoles selon le milieu social, le genre ou l'origine géographique sont du même ordre de grandeur que les inégalités d'accès aux formations qui y préparent : les classes préparatoires et les écoles post-bac.
- Les écarts de performance scolaire expliquent moins de la moitié des inégalités sociales d'accès aux classes préparatoires et aux grandes écoles et moins de 20 % des inégalités géographiques d'accès. A fortiori, les performances scolaires ne contribuent aucunement à expliquer la sous-représentation des filles dans les grandes écoles.
- Malgré les dispositifs d'« ouverture » qui ont été mis en place par certaines grandes écoles, le recrutement de ces institutions est resté quasiment inchangé depuis le milieu des années 2000.
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Caractéristiques des étudiants des grandes écoles en 2016-2017
Lecture : En 2016-2017, 64 % des étudiants des grandes écoles étaient issus de PCS très favorisées, 8 % ont passé leur baccalauréat à Paris et 58 % étaient de sexe masculin.
Notes : PCS très favorisées : cadres et assimilés, chefs d'entreprise, professions intellectuelles et professions libérales ; PCS favorisées : professions intermédiaires ; PCS moyennes : employés, agriculteurs, artisans, commerçants ; PCS défavorisées : ouvriers et personnes sans activité professionnelle.
Source : Note IPP n° 61, janvier 2021.
Pour aller plus loin :
Cécile Bonneau, Pauline Charousset, Julien Grenet et Georgia Thebault, Quelle démocratisation des grandes écoles depuis le milieu des années 2000 ? Rapport IPP n° 30, janvier 2021 (308 pages). Synthèse du rapport (34 pages) réalisée par les auteurs.