L'écho de la recherche : normes sociales, médias et décisions de justice
« L'écho de la recherche » donne la parole à un ou une économiste, sociologue ou politiste pour présenter, dans un format court, son domaine et ses travaux de recherche. Cette vidéo a été réalisée à l'occasion des « Jéco étudiants » de novembre 2019. Aurélie Ouss et Arnaud Philippe ont participé à la table ronde Média et démocratie organisée à l'ENS de Lyon en partenariat avec l'Université de Lyon. Arnaud Philippe a également participé à la conférence À la rencontre des grands économistes de demain.
Quels sont les déterminants des décisions de justice ?
Enseignant-chercheur à l'Université de Bristol au Royaume Uni, Arnaud Philippe axe ses recherches autour de l'économie de la criminalité et de la délinquance. Se définissant lui-même comme « empiriste », il étudie notamment, au moyen de méthodes quasi-expérimentales [1], les déterminants des décisions de justice et les biais cognitifs qui peuvent les affecter : à côté des déterminants institutionnels, quelle est l'influence des normes sociales, des médias, du genre des accusés et des caractéristiques des juges sur les jugements rendus et leur sévérité ? Il a ainsi montré, grâce à des données sur des juridictions américaines et françaises, que les juges étaient influencés par les coutumes, les traditions et les normes sociales nationales et locales. Par exemple, les juges sont plus cléments avec les prévenus lorsque leur audience a lieu le jour de leur anniversaire ! Il a aussi montré que l'introduction à partir de 2012 de jurés civils dans les jurys des tribunaux correctionnels, expérimentée dans deux cours d'appel en France, n'avait pas d'impact sur la sévérité des décisions rendues par les juridictions. Dans une précédente étude réalisée en 2015, fondée sur une expérience naturelle, Arnaud Philippe et Aurélie Ouss ont mis en évidence un effet du contexte médiatique sur les jugements des cours d'assises (voir la présentation d'Aurélie Ouss ci-dessous). Arnaud Philippe étudie également les déterminants des comportements délinquants.
Les résultats de ses travaux soulignent l'importance de la formation des professionnels pour minimiser l'impact des biais qui affectent les décisions de justice. Ils permettent également d'éclairer le débat public sur la composition des cours et l'efficacité de la fabrique de la loi en matière judiciaire.
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Arnaud Philippe, « Lecturer » en économie à l'Université de Bristol | 00:00:04 |
Une question de recherche : quelle est l'influence des normes sociales sur les décisions de justice ? | 00:02:29 |
La méthodologie de recherche | 00:06:32 |
Les principaux résultats | 00:09:16 |
Les applications possibles | 00:14:08 |
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Quel est l'impact des médias sur les décisions de justice ?
Assistant Professor au département de criminologie de l'Université de Pennsylvanie (UPenn), Aurélie Ouss est économiste, spécialisée dans politiques pénales. Avant de passer son doctorat en économie à l'Université de Harvard en 2013, elle a travaillé au Poverty Action Lab (J-PAL) du MIT, où elle a notamment mené des expériences de terrain sur les microcrédits. Elle a aussi travaillé avec des acteurs judiciaires tels que la Direction de l'Administration Pénitentiaire en France ou le procureur de Philadelphie, en pointe sur les questions de réforme pénale.
Aurélie Ouss applique les méthodes expérimentales d'évaluation des politiques publiques aux politiques pénales, pour comprendre comment rendre la justice à la fois plus efficace et plus équitable. Avec Arnaud Philippe, elle a exploité des données administratives afin d'analyser l'impact des médias sur les décisions de justice prises dans les cours d'assises et les tribunaux correctionnels. Ils ont pour cela comparé les jugements prononcés avant et après la diffusion d'un reportage sur un fait divers criminel dans les journaux télévisés français. Dans l'article « No hatred or malice, fear or affection : Media and sentencing », Aurélie Ouss et Arnaud Philippe montrent que l'exposition des jurés civils à une affaire de crime le jour précédent le verdict n'affecte pas leur décision de condamnation. En revanche, elle a un effet sur les peines prononcées, qui sont plus longues au lendemain de la couverture médiatique d'un crime et plus courtes après des reportages traitant d'erreurs judiciaires. L'effet observé est bien lié à l'actualité médiatique et non à l'évolution réelle de la criminalité, il disparaît rapidement. Les peines peuvent ainsi être très différentes selon le calendrier des procès et la date à laquelle le jugement est prononcé. Par comparaison, les décisions des juges professionnels ne sont pas influencées par les médias, ce qui peut s'expliquer par leur expérience et leur expertise. Ces résultats suggèrent de limiter le rôle des jurys populaires à la détermination de la culpabilité et de ne pas introduire de jurés civils dans d'autres juridictions pénales.
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Aurélie Ouss, Assistant Professor de criminologie à l'Université de Pennsylvanie | 00:00:04 |
Une question de recherche : quel est l'effet des médias sur les décisions de justice ? | 00:01:18 |
La méthodologie de recherche | 00:02:01 |
Les principaux résultats | 00:03:43 |
Les applications possibles | 00:06:19 |
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Pour aller plus loin
Sur les jugements rendus le jour de l'anniversaire des prévenus :
Chen D. L., Philippe A. (2019), Clash of norms. Judicial leniency on defendant birthdays. NBER Working Paper. http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.3203624
Sur l'impact de l'introduction de jurés civils dans les cours d'assises :
Philippe A. (2017), Does introducing lay people in criminal courts affect judicial decisions ? Evidence from French reform. International Review of Law and Economics, vol. 52, oct., p. 1-15. https://doi.org/10.1016/j.irle.2017.07.004
Sur l'impact des médias sur les décisions de justice :
Ouss A., Philippe A. (2016), Impact des médias sur les décisions de justice. Institut des politiques publiques, Note de l'IPP, n° 22, janvier.
Ouss A., Philippe A. (2018), “No hatred or malice, fear or affection” : Media and sentencing. Journal of Political Economy, vol. 126, 5, oct., p. 2134-2178. Working paper.
Note
[1] Les méthodes quasi-expérimentales utilisent des données d'observation préexistantes pour évaluer les effets de nature causale d'une loi ou d'un programme public, sans avoir recours à la randomisation, mais en se plaçant au plus près de conditions expérimentales. Elles sont mises en œuvre lorsque les expérimentations aléatoires (essais contrôlés randomisés) ne sont pas possibles ou réalisables pour des raisons éthiques ou de coût. Ainsi, une « expérience naturelle » consiste à estimer l'effet causal d'une mesure ou d'un évènement en comparant un groupe qui a été exposé à ce « choc » à un groupe semblable non exposé qui sert de groupe de contrôle. Par exemple, on examine la situation avant et après le choc, ou la situation d'un pays ou d'une région exposé à une intervention relativement à celle d'un pays ou d'une région non affecté.
Interviews réalisées avec le concours de la section d'économie de l'ENS de Lyon (département des sciences sociales). Textes rédigés par Charlotte Combier, élève à l'ENS de Lyon et Anne Châteauneuf-Malclès.
Voir également l'interview de Claire Adida : Média et opinion envers les réfugiés.