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L'écho de la recherche : Pourquoi y a-t-il tant de malades en prison ?

Publié le 20/06/2022
Auteur(s) - Autrice(s) : Lara Mahi
Lara Mahi est maîtresse de conférences en sociologie, spécialiste dans le domaine de la santé et des institutions pénale et carcérale. Elle étudie notamment l'effet de la santé des prévenus sur les sentences et les trajectoires de soin des malades incarcérés. Dans cette interview, elle revient sur sa recherche doctorale et l'ethnographie de la chaîne pénale sur laquelle elle s'est appuyée, avant d'évoquer ses travaux récents sur l'expérience carcérale en temps de pandémie de Covid-19.

Présentation

Lara Mahi est maîtresse de conférences à l'université Jean Monnet de Saint-Étienne et chercheuse au Centre Max Weber. Ses travaux se situent au croisement de la sociologie de la santé, de la socialisation, de la déviance, de la prison et de la justice. Elle cherche notamment à analyser, d'un point de vue sociologique, l'articulation des questions de santé somatique et de pénalité. Sa thèse, soutenue en 2018 à l'université Paris Nanterre, a pris comme point de départ un questionnement : pourquoi y a-t-il tant de malades en prison ? Elle s'est alors demandé à quelle peine étaient condamnés les prévenus atteints d'une maladie et si la maladie réduisait le risque d'être sanctionné par une peine de prison. Elle a ensuite cherché à comprendre comment cela se passe lorsque l'on est à la fois détenu et malade. À partir d'une analyse du processus de déploiement du pouvoir médical dans (et par) les institutions judiciaire et carcérale, son travail de thèse montre comment la chaîne pénale fabrique ces « malades » en confrontant les individus saisis par ses dispositifs – prévenus, arrivants en prison, et enfin détenus – à des normes de santé et à des savoirs médicaux.

Son enquête ethnographique a d'abord consisté à observer les pratiques judiciaires lors des procès en comparution immédiate, où les problèmes de santé des prévenus sont très souvent évoqués et discutés. Elle a pu mettre en évidence, à partir d'une analyse quantitative de notes d'observation au tribunal, les effets causaux des conditions de santé des prévenus sur la détermination de la sentence pénale : les personnes malades qui déclarent ne pas se soigner ont cinq fois plus de risques d'être mis directement en prison à l'issue de leur procès que celles qui se soignent ! En d'autres termes, la conformité à la « norme » du soin médical « protège » d'un enfermement carcéral.

L'autre volet de l'enquête s'est déroulé dans trois établissements pénitentiaires français au sein desquels Lara Mahi a réalisé une ethnographie des services médicaux. Ce travail de terrain a été complété par une analyse d'un corpus de publications biomédicales portant sur les conditions de santé de la population carcérale. Au-delà du constat de l'effet stigmatisant de la maladie en détention, la sociologue décrit les modalités et les effets du travail de socialisation (carcérale) à la santé des détenus au contact des professionnels de santé, les prisonniers étant astreint à une surveillance médicale à partir de leur placement en établissement pénitentiaire. Les arrivants en prison, qui sont parmi les plus pauvres et les plus désaffiliés, deviennent ainsi des « patients » en même temps que des détenus. Si se soigner est une façon de répondre à l'injonction à être « actif » en prison, l'appropriation de ce travail de soin en prison par les détenus s'avère socialement différenciée. Dénués de ressources sociales et économiques, les plus démunis pris en charge médicalement se trouvent entièrement dépendants du personnel de la prison, ce qui renforce leur assujettissement au sein de l'institution carcérale.

Plus récemment, Lara Mahi a travaillé sur l'épidémie de Covid-19 en prison, à la demande de la direction de l'administration pénitentiaire. Avec ses collègues, elle a enquêté sur l'expérience des détenus face à la crise sanitaire, leur sentiment d'être protégé ou exposé au virus, et leur perception des mesures prophylactiques. Celles-ci ont notamment entraîné une privation temporaire de parloirs, d'atelier, d'enseignement et d'activités, et parfois un isolement en cellule, vécu comme un placement au « mitard ». La gestion de l'épidémie a ainsi pris un caractère très disciplinaire. L'absence de lien avec ses proches, la perte de revenus, ou encore l'impossibilité pour certains détenus de présenter les épreuves de leurs examens ont été particulièrement éprouvants. Ces restrictions ont aussi eu des conséquences judiciaires. Outre les reports de jugement, elles ont compromis les actions de réinsertion des détenus, ce qui a eu un impact négatif sur les aménagements de peine.

Interview de Lara Mahi

sante_justice_penale_et_prison

ChapitresDurée
Lara Mahi, maîtresse de conférences en sociologie, chercheuse au Centre Max Weber 00:00:04
Les questions de recherche : à quelle « peine » sont condamnés les malades et en quoi consiste l'expérience simultanée de la prison et de la maladie ? 00:02:06
La méthodologie de recherche 00:07:18
Les principaux résultats de l'enquête 00:10:22
Les recherches en cours : l'expérience carcérale en temps de pandémie de Covid-19 00:18:00

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Version audio mp3.

Pour aller plus loin

Combessie P. (2018 [2001]), Sociologie de la prison, Paris, La Découverte.

Lambert A. et Cayouette-Remblière J. (dir.) (2021), L'explosion des inégalités. Classes, genre et générations face à la crise sanitaire, La Tour d’Aigues, Éditions de l'Aube.

Lambert A. (2022), Covid-19 : comment et pourquoi la crise sanitaire creuse les inégalités, SES-ENS [en ligne], mars.

Lancelevée C., Fovet T. (2020), Coronavirus : la prison en état critique, The Conversation [en ligne], mars.

Larcy-Callon L., Mahi L., Rubio V. (2021), Expériences carcérales en temps de crise sanitaire, Sang d’Encre, Nouvelle Aube, juillet.

Mahi L. (2015), Une sanitarisation du pénal ? La mobilisation de la maladie dans des procès pénaux, Revue française de sociologie, vol. 56, 4, p. 697-733.

Lara Mahi L. (2015), De(s) patients détenus. Se soigner dans un environnement contraignant, Anthropologie et Santé, 10, [en ligne].

Mahi L. (2018), La discipline médicale. Ethnographie des usages de normes de santé et de savoirs médicaux dans les dispositifs de la pénalité, thèse de doctorat en sociologie, Université Paris Nanterre, 503 p. [thèse disponible en ligne].

Mahi L., Rubio V., Farcy-Callon L., Le covid-19 en prison. Enquête sociologique sur la mise en œuvre et l’acceptabilité sociale de mesures prophylactiques en temps de crise épidémique, Rapport scientifique pour la Direction de l'administration pénitentiaire, recherche « COVIPRI », Centre Max Weber [rapport disponible en ligne].

Ouss A., Philippe A. (2020), L'écho de la recherche : normes sociales, médias et décisions de justice, SES-ENS [en ligne], avril.

 

Interview enregistrée en mai 2021. Captation et montage SES-ENS. Texte rédigé par Anne Châteauneuf-Malclès pour SES-ENS.

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