Les start-up : un cas d'étude pour analyser les transformations du monde du travail, des organisations et des entreprises à l'ère numérique
Marion Flécher est docteure en sociologie, chercheure associée à l'IRISSO (UMR CNRS 7170, Université Paris-Dauphine). Elle a soutenu en décembre 2021 une thèse de doctorat intitulée « Le monde des start-up : le nouveau visage du capitalisme ? Enquête sur les modes de création et d'organisation des start-up en France et aux États-Unis », préparée sous la direction de Sophie Bernard. Cette thèse porte sur le monde des start-up, qu’elle analyse dans ses dimensions idéologiques, économiques et organisationnelles, de son émergence aux États-Unis à son importation en France, dans une perspective de sociologie économique, de sociologie du travail, de l'innovation et du genre.
Résumé
Symboles du capitalisme numérique, de la modernité et du progrès technologique, les jeunes entreprises innovantes, appelées « start-up », occupent une place croissante sur les scènes politiques et médiatiques. Pourtant, alors qu'elles bénéficient d'un encouragement et d'un accompagnement institutionnels inédits et que de plus en plus de jeunes femmes et hommes diplômés se lancent dans la création de start-up, ces entreprises restent encore méconnues. À partir d'une double enquête quantitative et qualitative, nous avons cherché à comprendre de quoi la start-up était le nom et à questionner, par l'enquête sociologique, les mythes et les discours qui tendent à idéaliser ces entreprises et leurs créateurs.
Introduction
Lorsque l'on commence à s'intéresser aux « start-up », on se trouve rapidement et régulièrement confronté à un obstacle épistémologique de taille, lié à l'absence de définition officielle de ces entreprises. La catégorie « start-up » ne renvoie en effet à aucune catégorie juridique d'entreprise (il ne s'agit pas d'un statut juridique) et il parait difficile de retenir certains critères, tant leur définition fait débat. Bien que politiciens, journalistes, entrepreneurs et investisseurs parlent de « start-up » comme s'il s'agissait là d'une réalité bien connue, aucun de ces acteurs ne s'accordent sur une définition officielle.
Or, si les start-up méritent justement d'être étudiées, c'est qu'elles font l'objet, en dépit de leur absence de définition officielle, d'un encouragement et d'un accompagnement institutionnels inédits. Depuis une dizaine d'années, les start-up occupent en effet une place centrale dans les politiques publiques en faveur de l'innovation et de l'emploi visant à dynamiser l'économie du pays et stimuler la création d'emplois au travers d'une valorisation de la création d'entreprise. Lors de la campagne présidentielle de 2017, elles se sont même retrouvées au cœur du projet politique d'Emmanuel Macron, qui voulait faire de la France une « Start-up Nation ».
Après avoir exposé les enjeux théoriques et empiriques de la définition de ces entreprises, nous reviendrons sur les éléments de leur modèle organisationnel et managérial qui les distinguent des entreprises classiques et qui permettent plus largement d'éclairer les mutations du travail, de l'emploi et des organisations.
1. Définir la start-up : un enjeu épistémologique et empirique
Lorsque l'on enquête sur les « start-up », la première difficulté tient au fait qu'il s'agit là d'un objet chargé de représentations, sans pourtant répondre à une définition établie. À l'instar de la catégorie d'entrepreneur, le terme « start-up » ne constitue pas une catégorie juridique d'entreprise, et ne renvoie pas non plus à une catégorie statistique (Flécher, 2019).
1.1. Une catégorie chargée de représentations
En l'absence de définition officielle, certaines catégories se retrouvent sujettes à de nombreux mythes et idéaux. C'est le cas du modèle des start-up, qui sont régulièrement associées à de nombreuses croyances, que l'on peut regrouper en deux catégories.
Il y a d'un côté, celles qui tendent à les idéaliser et à en vanter les mérites. Elles présentent les start-up comme le nouveau moteur de la croissance économique des pays car elles seraient créatrices d'emploi et favoriseraient l'innovation. Ces entreprises sont également associées au modèle de l'entreprise « libérée » (Getz, 2017) en ce qu'elles offriraient un modèle d'organisation valorisant la collaboration, la créativité, l'esprit d'équipe, l'autonomie et le bien-être des travailleurs et travailleuses. Un troisième mythe associe ce modèle d'entreprise à l'idéal méritocratique de l'égalité des chances, qui, à l'image des self-made men américains, permettrait à chacun de connaitre la réussite à condition de talent et d'effort.
De l'autre côté de cette vision enchantée, de nombreuses critiques ont été formulées à l'encontre de ces entreprises, mettant l'accent sur les dérives de leur modèle. Ces critiques, à visée démythifiante, ont alors dénoncé ces entreprises dans ce qu'elles avaient d'infantilisant et de précarisant (Ramadier, 2017), et même de tyrannique, lorsque l'« happycratie » – la « tyrannie du bonheur » – (Illouz et Cabanas, 2018), se met au service des « bullshit jobs » – ces emplois à faible intérêt intrinsèque. Plus récemment, le mouvement « balance ta startup » (#balancetastartup) a mené ce phénomène à son paroxysme en invitant tous les anciens et anciennes salarié·es de start-up ayant été victimes de harcèlement au travail à s'exprimer. Si elles font l'objet d'une couverture médiatique qui en vante les mérites, ces entreprises connaissent donc aussi leur lot de critiques et de caricatures.
Au-delà – et souvent en dépit – de leur véracité, ces visions enchantées et sombres tendent à cristalliser les discours et les représentations sur les start-up autour d'une « légende dorée » et d'une « légende noire », pour reprendre la formule de Muriel Darmon au sujet des classes préparatoires (Darmon, 2015). Cette polarisation contribue ainsi à les idéaliser d'un côté, et à les diaboliser de l'autre, sans chercher à étudier, par exemple, ce qui en ferait la spécificité. Dans un tel contexte, porter un regard sociologique sur cette réalité permet de quitter le registre du normatif et de déconstruire ces légendes pour tenter de mieux comprendre les enjeux de ces débats.
1.2. Une définition impossible ?
En anglais, le terme de start-up ne présente pas d'ambiguïté particulière, puisqu'il renvoie explicitement à une entreprise en démarrage (start) visant une certaine croissance (up). Il a été employé pour la première fois en 1970 par des journalistes de la presse économique américaine (Forbes, Business Week) pour désigner des entreprises fondées sur des innovations techniques dans le domaine de l'électronique.
La plupart des travaux anglo-saxons portant sur les start-up ne s'attardent donc pas vraiment sur la définition de ces entreprises, qui semble aller de soi. Le caractère « indigène » que l'on prête en France à cette catégorie vient donc en partie du fait qu'il s'agit d'une catégorie que nous avons empruntée aux Nord-Américains et pour laquelle il n'existe pas d'équivalent dans la langue française. Si le Larousse recommande de parler de « jeune pousse », l'usage du terme « start-up » est bien souvent préféré. Se pose ainsi la question de ce que désigne concrètement cette catégorie. Le Larousse propose la définition suivante :
« start-up (nom féminin invariable) : mot anglo-américain, de start, démarrage, et up, haut. Jeune entreprise innovante, notamment dans le secteur des nouvelles technologies. (Recommandation officielle : jeune pousse) » [1].
Si cette définition permet de mettre en évidence le caractère « jeune », « innovant » et « technologique » de ces entreprises, elle ne résout que partiellement notre problème. Que considère-t-on comme une « jeune » entreprise ? Autrement dit, jusqu'à quel stade une start-up continue d'être une start-up ? Si de nombreuses définitions associent la start-up à l'idée d'une entreprise de petite taille qui démarre (start), ce terme recouvre pourtant aussi l'idée d'une croissance (up). Les start-up ne peuvent donc être réduites à des TPE (très petites entreprises), ni cesser d'être considérées comme des start-up si leurs effectifs dépassent 50 salariés [2], car il s'agit d'un modèle d'entreprise censé poursuivre un objectif de croissance, et donc voir ses effectifs augmenter au cours du temps.
Par ailleurs, qu'entend-on par « innovant » ? De nombreuses entreprises réalisent bien des innovations au sein de leur département de recherche et développement (R&D), mais cela n'en fait pas pour autant des start-up. À l'inverse, certaines entreprises qui se revendiquent de la catégorie « start-up », à l'image du Slip Français, peuvent difficilement être qualifiées d'innovantes – Le Slip Français ne se distinguant que par un mode de production « Made in France ».
Le secteur d'activité ne semble pas non plus nous permettre de circonscrire ces entreprises car, si la plupart des start-up comportent une forte dimension technologique, les start-up peuvent être créées dans des domaines aussi variés que la restauration, l'agroalimentaire, la santé, l'éducation, les cosmétiques, les transports, la logistique ou le conseil, qu'elles cherchent justement à moderniser.
La difficulté de qualification de la start-up pose le problème de sa quantification. Si l'on ne peut pas les définir, comment les dénombrer ? Les différentes enquêtes qui ont tenté de comptabiliser le nombre de start-up en France arrivent ainsi à des estimations pouvant varier du simple au double. Une première enquête, menée par le cabinet Ernst & Young (EY) en partenariat avec France Digitale [3], évalue à 10 000 le nombre de start-up françaises (EY et France Digitale, 2018). Si le « baromètre » qu'ils produisent chaque année permet de donner des chiffres clés sur les start-up françaises, les modes de sélection des participants et participantes à leur enquête ne permettent pas de rendre compte de l'ensemble du paysage des start-up français. En effet, outre le nombre relativement faible de répondants (317), leur enquête a été envoyée par France Digitale et des capital-risqueurs aux start-up dans lesquelles ils avaient investi, ce qui ne permet pas d'objectiver les logiques de sélection à l'œuvre dans le soutien et le financement de ces entreprises.
De son côté, la French Tech, créée en 2013 par l'État pour accompagner la création et le développement des start-up françaises, recense, en 2021, 21 000 « verified startups », tous secteurs confondus [4], ce qui se rapproche un peu plus des estimations de l'Insee, qui s'est affranchi de la difficulté à comptabiliser les « start-up » en créant la catégorie des « entreprises en forte croissance ». Cette catégorie regroupe les entreprises dont les effectifs salariés ont crû de plus de 10 % par an entre 2012 et 2015, et qui compteraient 15 000 entreprises [5].
Alors que l'absence de cadre de définition officielle ne permet pas d'objectiver et de quantifier l'ampleur de ce phénomène de manière fiable, nous avons cherché à dépasser cette difficulté en adoptant, dans notre travail de thèse, une approche empirique inductive et ancrée.
1.3. Une approche empirique inductive et ancrée
Ne souhaitant pas poser des critères de définition a priori à un modèle d'entreprise dont les contours font justement l'objet de débats, notre approche empirique s'est voulue fondamentalement inductive et ancrée. Le protocole d'enquête déployé s'est efforcé de croiser les méthodes (quantitatives et qualitatives), de multiplier les terrains (en France et aux États-Unis) et de diversifier les angles d'analyse (construction des représentations, politiques publiques, modes de création et modes d'organisation du travail), afin d'appréhender cet objet dans toutes ses dimensions. Nous avons cherché à le saisir dans ses dimensions idéologiques d'abord, par l'étude des représentations que le monde des start-up véhicule, des discours qui le légitiment et des formes de promotion dont il fait l'objet ; dans ses dimensions économiques ensuite, par l'analyse des carrières et des modes de création des fondateurs et fondatrices de start-up ; et dans ses dimensions organisationnelles enfin, au travers des modes d'organisation et de management qui y sont déployés.
© illustration Pierre Nocérino – Journées Internationales de Sociologie du Travail 2021
Plutôt que de se focaliser sur des entreprises d'une certaine taille ou d'un secteur d'activité en particulier, l'enquête a ainsi porté sur les entreprises étiquetées [6] comme start-up, que ce soit par leurs créateurs et leurs créatrices (lorsque les personnes se revendiquent de cette catégorie) ou par les institutions spécialisées dans leur accompagnement et leur financement (voir encadré méthodologique).
Encadré méthodologique
Notre enquête s'appuie sur un matériau composé de :
- 170 entretiens : 90 entretiens menés auprès des fondateurs et fondatrices de start-up (45 en France, 45 dans la Silicon Valley) ; 70 auprès de travailleur·ses de start-up, et 10 entretiens menés avec divers acteurs de ce monde ;
- Des observations d'évènements (afterworks, meetups, conférences), en France et dans la Silicon Valley ;
- Des observations lors de deux comités de sélection d'un incubateur parisien ;
- Deux enquêtes ethnographiques de quatre et six mois, menées par observation participante au sein de deux start-up parisiennes – l'une en phase de démarrage, qui a fini par être abandonnée ; l'autre en phase d'hypercroissance, devenue une « licorne » française ;
- Une base de données de 501 fondateurs et fondatrices de start-up en France, constituée à partir d'une enquête par questionnaire administré à plus de 1500 individus ;
- L'exploitation de la base SINE (Système d'information sur les nouvelles entreprises) de l'Insee portant sur les créations d'entreprise de 2014 ;
- Un terrain ethnographique de trois mois en immersion dans la baie de San Francisco, aux États-Unis.
Un des principaux apports de cette recherche consiste à déconstruire le mythe du self-made man, qui ne devrait sa réussite qu'à lui-même. Elle met ainsi en évidence l'accompagnement institutionnel extrêmement important dont bénéficient les fondateurs et fondatrices de start-up, au travers du soutien primordial de l'État et d'un réseau d'acteurs publics et privés qui investissent dans ces entreprises. En outre, il ressort de l'enquête qu'une part importante de ces fondateurs et fondatrices sont d'anciens cadres du privé qui créent leur entreprise en s'appuyant sur les ressources conférées par le salariat. Que ce soit en s'appuyant sur les allocations chômage dont ils bénéficient après la négociation d'une rupture conventionnelle, ou sur les revenus tirés de leur activité salariée exercée à côté de leur activité entrepreneuriale, ces individus cherchent à limiter les risques liés à la création d'entreprise.
Notre recherche permet également de remettre en cause l'idéal méritocratique pourtant revendiqué par les fondateurs et fondatrices de start-up. Créer une start-up et connaitre le succès n'est pas offert à tout le monde, mais réservé aux catégories privilégiées, principalement des hommes blancs issus de grandes écoles et des classes supérieures, cumulant capital économique, culturel et social. L'enquête menée auprès « d'entrepreneurs de banlieue » et la focale mise sur les femmes permet en creux de mettre en exergue les ressources nécessaires à la création d'entreprise et à sa réussite. Et même en cas d'échec, il est intéressant de découvrir que la création de start-up constitue pour ces profils dominants un accélérateur de carrière quand ils retournent dans le salariat.
1.4. Une proposition de définition sociologique
Si la définition de l'objet d'étude est souvent posée comme une condition préalable à toute démarche scientifique, c'est donc au terme de ce travail d'enquête et d'analyse que nous avons pu établir une définition de ce modèle d'entreprise, qui se caractériserait par :
- son modèle économique, marqué par la recherche d'une croissance forte et rapide, permise par une activité d'innovation technologique ou non-technologique, qui, par l'incertitude qu'elle génère, requiert des modes de financement spécifiques reposant sur des logiques de spéculation ;
- son modèle organisationnel et managérial, qui, reprenant les principes et les valeurs des communautés hackers ou du logiciel libre, se veut en rupture avec celui des grandes entreprises classiques, en mettant l'accent sur l'horizontalité, la coopération, l'esprit d'équipe, la communauté́, la bonne ambiance de travail, le plaisir et l'épanouissement au travail ;
- son modèle idéologique, reposant sur le mythe américain du self-made man et l'idéologie méritocratique, qui fournit les ressources rhétoriques pour justifier et légitimer l'engagement dans le capitalisme, et ainsi continuer de produire l'adhésion des acteurs économiques à ce système.
Par les caractéristiques de leur modèle organisationnel et idéologique, les start-up constituent ainsi un objet loupe pour observer les mutations du monde du travail et de l'entreprise à l'ère du numérique, et en particulier pour étudier l'effet des outils numériques et des nouvelles pratiques managériales sur les conditions de travail objectives et subjectives.
2. Un objet loupe pour observer les mutations du monde du travail et de l'entreprise à l'ère du numérique
Un autre apport de notre recherche réside dans l'analyse du modèle organisationnel et managérial revendiqué par les start-up, souvent associé à celui de « l'entreprise libérée » (Getz, 2017). Les start-up se présentent en effet comme des entreprises soi-disant « cool » et horizontales, valorisant l'autonomie et la responsabilité, et prônant l'absence de hiérarchie. L'entreprise y est vue comme une « grande famille » dans laquelle les liens professionnels sont avant tout des relations affectives. L'enquête révèle qu'il s'agit en réalité de deux puissants leviers de mobilisation de la main d'œuvre qui favorisent l'attachement à l'entreprise et le surinvestissement au travail, sur lesquels repose tout entier leur succès.
© illustration Pierre Nocérino – Journées Internationales de Sociologie du Travail 2021
2.1. L'« esprit start-up », ou le « nouvel esprit du capitalisme » en pratique
Créées par de jeunes cadres qui cherchent à prendre le contre‑pied de la grande entreprise, les start-up se caractérisent par un modèle d'organisation qui se veut horizontal et fraternel, dans lequel fondateur·trices et salarié·es formeraient une « grande famille ». Certaines personnes parlent alors, pour qualifier les modes de management, l'ambiance et les relations de travail dans les start‑up, d'un « esprit start‑up ».
Dans le langage managérial, cet « esprit » renvoie à un certain nombre d'éléments qui permettraient de rendre le travail plus « cool » et agréable : bureaux bien décorés, baby-foot, nourriture à volonté, afterworks (évènements de convivialité organisés à la fin des longues journées de travail), fêtes organisées régulièrement par l'entreprise, etc.
En sociologie, cet « esprit » peut aussi renvoyer à l'« esprit du capitalisme » conceptualisé par Max Weber (Weber, 1905) pour désigner l'idéologie par laquelle le capitalisme parvient à se justifier. En de nombreux aspects, le modèle de la start-up fait écho aux dénonciations antihiérarchiques portées par la « critique artiste », qui dénonçait la hiérarchie et défendait l'autonomie individuelle. En mettant l'accent sur le travail par projet, l'autonomie, la polyvalence, la créativité, l'esprit d'équipe, l'ouverture aux autres et la convivialité, ce modèle d'entreprise apparait comme une tentative de mise en œuvre des principes managériaux du « nouvel esprit du capitalisme » (Boltanski et Chiapello, 1999), dont les start-up deviennent le « nouveau visage » (Flécher, 2021).
- Un rejet de la hiérarchie
On retrouve dans les principes organisationnels des start‑up une remise en cause des formes d'oppression subies par l'individu au travail – hiérarchie, autorité, tâches prescrites et horaires fixes – et qui ont fait l'objet des critiques de la grande entreprise dans les années 1960.
Les start-up se caractérisent en effet par une structure hiérarchique légère, excédant rarement cinq niveaux, favorisée par leur petite taille. Les relations hiérarchiques sont également atténuées par la grande proximité sociale des managers et des salarié·es qu'ils encadrent, ce qui favorise le partage d'intérêts et de références communes. Cette proximité est tout d'abord générationnelle car la plupart des membres de start-up, qu'ils soient salariés ou managers, sont jeunes (entre 20 et 35 ans). Elle est également sociale, puisque les créateurs et créatrices de start-up, tout comme leurs salariés, souvent issu·es de classes supérieures et diplômé·es des mêmes écoles de commerce et d'ingénieurs. Cette proximité est centrale dans le modèle de la start-up, car c'est elle qui rend possible l'émergence d'un management se voulant plus horizontal, plus affectif et plus « humain ».
L'effacement des marqueurs hiérarchiques se manifeste également dans les modes d'interaction entre le personnel et la hiérarchie, qui sont souvent très informels. Outre le tutoiement, qui est une pratique maintenant largement répandue dans les entreprises, de surcroit lorsque la distance sociale entre les salarié·es et les managers est faible (Alber, 2019) [7], les interactions sont également rendues plus informelles par l'utilisation d'outils de messagerie instantanée, dont le plus répandu est « Slack ». Reposant sur des modalités d'échange plus relâchées que celles qui caractérisent le mail, cet outil permet de réduire le formalisme des échanges (Boboc, Gire et Rosanvallon, 2015). Il contribue de cette manière à faire tomber les barrières hiérarchiques entre le management et le personnel, d'abord parce qu'il permet aux salariés de s'affranchir des barrières spatiales – car ils n'ont plus besoin de se déplacer dans le bureau de leur manager pour les interpeler – et ensuite parce qu'il leur permet de s'adresser aux managers de manière plus spontanée, informelle et personnelle.
- L'accent mis sur le bien-être au travail
« L'esprit start-up » se caractérise également par l'accent mis sur le bien-être au travail. Si toutes les entreprises s'inquiètent désormais de la « qualité de vie au travail », celle-ci est un enjeu central des dispositifs managériaux et organisationnels déployés dans les start-up, au point qu'elle soit posée comme un véritable argument de vente dans les offres d'emploi postées par les start-up sur internet.
Les annonces d'emploi publiées par les start-up mettent en effet souvent en avant que les salarié·es pourront jouer au babyfoot, dans des « bureaux cool » avec « café, boissons, fruits et snacks gratuits et à volonté » [8]. Ces éléments visent à attirer des personnes diplômées et qualifiées, malgré des conditions d'emploi et de rémunération souvent moins attractives que celles offertes par les grandes entreprises. Ces arguments capitalisent sur le fait que les jeunes diplômés, autant les femmes que les hommes, sont prêts à accepter des conditions d'emploi plus précaires et moins rémunératrices, en contrepartie d'un cadre de travail épanouissant.
C'est en outre au sein des start-up qu'est née l'idée de créer des fonctions dédiées au bien-être du personnel, appelées « chief happiness manager » ou « office managers ». Ces personnes sont alors chargées de la décoration et de l'agencement des bureaux, afin d'en faire un lieu décloisonné, convivial et agréable. Elles sont également responsables de l'animation de la vie au travail de l'équipe salariée, par la mise en place de cours de sport (yoga, boxe, relaxation) ou l'organisation régulière de soirées d'entreprise. Dans ces entreprises, une véritable vie sociale rythme le quotidien du travail, venant entremêler le plaisir au travail.
En prenant en charge leurs loisirs comme leur sociabilité, la start-up devient la prolongation de la vie personnelle des salarié·es. S'efface alors la frontière entre la vie privée et la vie professionnelle, le travail et le loisir, les relations d'amitié et les relations professionnelles, ce qui rompt avec l'image de l'entreprise et du salariat classique, qui reposait sur une distinction plus stricte entre le travail et le hors travail et entre la sphère professionnelle et la sphère privée des travailleurs et travailleuses. La start-up constitue au contraire un vecteur central de sociabilités et finit par coloniser tous les temps de la vie des membres du personnel.
Ces dispositifs managériaux contribuent en même temps à créer un attachement affectif et émotionnel de ceux-ci à l'entreprise et au collectif de travail, facteur d'une grande fidélité vis-à-vis de l'organisation. Viviana Zelizer a en effet montré que la frontière posée par la doctrine des « sphères séparées » et des « mondes hostiles » entre le monde « froid » du calcul et de l'argent et le monde « chaud » des relations affectives, est bien illusoire (Zelizer, 2001, 2005). Dans les start-up, l'entremêlement de ces deux sphères est particulièrement manifeste. De nombreux salariés de l'entreprise Boomerang, l'une des start-up dans laquelle nous avons enquêté, sont en effet devenus amis et se fréquentent régulièrement en dehors du cadre de l'entreprise, révélant la force de l'imbrication du professionnel et du personnel. Ainsi liés par des liens affectifs autour d'un projet commun, les salarié·es de start-up ont souvent l'impression, surtout au démarrage, de faire partie d'une « grande famille », unie autour des fondateurs.
- Favoriser l'autonomie par le management par projet
Le modèle de la start-up s'appuie également sur des modes d'organisation et de management du travail par « projet », renvoyant au modèle de la « cité par projet » décrite par Luc Boltanski et Eve Chiapello. En effet, les start-up, qui mettent l'accent sur l'innovation, misent sur une libération du processus de travail, afin de favoriser le partage d'idée et la création. Ces nouveaux modèles productifs cherchent ainsi à faire de la création un nouvel élément de leur procès de travail, qu'ils cherchent à rendre plus performant et plus efficace.
Le management par projet est en apparence moins contraignant que dans les grandes entreprises car il met l'accent sur l'autonomie et la responsabilisation des salarié·es. Dans leurs fonctions, les salariés de start-up sont ainsi tous « managers », « chefs » ou « responsables » de quelque chose. Par ces nouveaux dispositifs, le principe hiérarchique est battu en brèche et les organisations deviennent flexibles, innovantes, et hautement compétentes. C'est désormais la succession perpétuelle des projets qui rythme le travail et qui permet de maintenir l'engagement personnel des employés, en les responsabilisant.
Un cas emblématique du management par projet est celui des méthodes dites « agiles », qui ont été mises au point par des professionnels de l'informatique et du logiciel dans les années 2000. Ces méthodes ont trouvé un véritable écho dans le monde des start‑up, où la rapidité de conception et d'exécution est centrale pour se différencier et s'adapter aux demandes du marché. Il s'agit alors de diviser le travail, non plus par compétence, mais par projet, en créant des équipes pluri-compétentes autour d'un projet. Chaque équipe est ainsi rendue autonome et capable de s'« auto-organiser » pour réaliser son « projet ». À l'intérieur des équipes, chaque travailleur, en tant qu'il possède une compétence unique et indispensable au bon fonctionnement de l'équipe et du projet, est ainsi rendu complémentaire et interdépendant des autres membres de son équipe. Le management par projet repose alors tout entier sur l'auto-organisation d'équipes de travail autonomes et pluri-compétences, dont les membres, rendus responsables et interdépendants, n'ont plus besoin de suivre l'autorité d'un chef pour travailler, car la contrainte hiérarchique est reportée sur l'équipe.
Ainsi, comme le notaient Luc Boltanski et Eve Chiapello en analysant les manuels de management des années 1990, le rejet de la hiérarchie, l'accent mis sur le bien-être ainsi que sur l'autonomie des travailleurs n'ont pas pour autant évacué la question du contrôle. Au contraire, tout l'enjeu des principes managériaux de ce « nouvel esprit du capitalisme » a été de trouver un moyen d'orienter ces équipes auto-organisées et créatives, sans recourir à des chefs hiérarchiques.
2.2. Vers de nouvelles formes de contrôle
Si, dans les start-up, le contrôle ne prend pas la forme d'une supervision hiérarchique directe comme dans les organisations tayloriennes et fordiennes, le contrôle hiérarchique n'a pas disparu pour autant, et de nombreux dispositifs managériaux visent au contraire explicitement à pousser les travailleurs et travailleuses au surinvestissement.
-
Des dispositifs qui poussent à l'autocontrôle
Le management par projet, qui prône l'autonomie et la responsabilisation des travailleurs, constitue de ce point de vue un puissant levier d'engagement au travail.
Derrière l'autonomie et les responsabilités qu'il octroie, le management par projet permet d'augmenter le niveau d'implication des salarié·es, par l'intériorisation de la contrainte, c'est-à-dire par le déplacement de la contrainte vers l'intériorité des personnes, rendues responsables de leur travail. Les injonctions à l'autonomie et à la responsabilisation constituent une manière de mettre leur autonomie au service de la performance de l'entreprise, c'est-à-dire de créer une autonomie « pour » l'organisation (Bernard, 2020, p. 9). Cette nouvelle forme de mobilisation de la main d'œuvre par le travail autonome et responsable est, selon Sophie Bernard, la marque d'un « nouvel esprit du salariat », caractéristique des organisations flexibles contemporaines.
Focus sur les trois types d'autonomie
Sophie Bernard, Le nouvel esprit du salariat, 2020
Schématiquement, deux formes auraient précédé l'autonomie pour l'organisation : l'autonomie hors organisation, et l'autonomie malgré l'organisation.
L'autonomie hors organisation
Sur la période précédant l'avènement du taylorisme domine l'idée que le travail doit être libre. Le travail se réalise « à la tâche », pour un commanditaire de ces tâches. L'activité de travail est alors proche de celui de l'entrepreneur, notamment parce que le travailleur œuvre comme un « ouvrier marchand de son travail » et que le travail n'est pas organisé, ce qui lui laisse une grande autonomie. On est donc sur une autonomie hors organisation.
L'autonomie malgré l'organisation
L'avènement du taylorisme va créer une autonomie malgré l'organisation. Pour Taylor, l'autonomie est source d'improductivité. Il s'agit au contraire de lutter contre la « flânerie systématique » des ouvriers. Les salariés des centres d'appel, de la grande distribution, ou de la restauration rapide sont notamment décrits comme des « OS du tertiaire ». Cependant, même si leurs marges de manœuvre sont très limitées, ces ouvriers développent de multiples techniques pour résister à l'emprise de l'organisation taylorienne-fordienne et pour se réapproprier leur travail (Linhart, 1978). C'est que Sophie Bernard appelle l'autonomie malgré l'organisation.
L'autonomie pour l'organisation
Dans les années 1980, face à une concurrence exacerbée par la globalisation, les entreprises sont contraintes d'adopter des organisations plus flexibles, pour répondre aux fluctuations de la demande. Les organisations tayloriennes-fordiennes sont dépassées. Dans ces nouvelles formes d'organisations, les carrières hiérarchiques sont remplacées par une succession de projets, permettant aux salariés de développer leur « employabilité ». Le management par objectifs et l'organisation du travail par projet participent ainsi de ce processus d'intériorisation de la contrainte par lequel les salariés se perçoivent comme individuellement responsables de leurs résultats. Ce mouvement paradoxal d'« autonomie contrôlée » se traduit alors par une intériorisation du contrôle par les salariés et une responsabilisation ayant pour objectif de mettre l'autonomie des salariés au service de la performance de l'entreprise.
Avec ce type de management par projet, le contrôle n'a donc pas disparu, mais il a changé de forme. S'il n'est plus exercé par une autorité formelle et hiérarchique, comme dans les organisations tayloriennes et fordiennes, il repose sur l'auto-contrôle des travailleurs et travailleuses, assuré par leur responsabilisation et par leur interdépendance au sein des équipes de travail. On peut alors comprendre le mouvement paradoxal « d'autonomie contrôlée » selon lequel « les salariés sont en même temps plus autonomes et plus contraints » (Boltanski et Chiapello, 1999, p. 574).
- Des dispositifs managériaux qui renforcent le contrôle par les pairs
Le développement des openspaces – et autres dispositifs managériaux visant à créer du collectif – a également pour but de mobiliser le personnel (Linhart, 2018). Le contrôle social exercé par les pairs est en effet renforcé par la fréquence et l'intensité des relations sociales (Berrebi-Hoffmann, 2016). La convivialité des bureaux, les soirées d'entreprise, les pots entre collègues ou la célébration des anniversaires, peuvent donc être analysés comment autant de dispositifs managériaux visant à favoriser l'émergence d'un cadre d'interconnaissance et d'observation mutuelle, régulateur de conduites. Si les soirées d'entreprise sont des occasions de créer du lien, elles sont aussi l'occasion de repérer et sanctionner les comportements considérés comme déviants. Les fêtes constituent ainsi de véritables rites de passage qui permettent d'évaluer le « savoir-être » des nouvelles personnes et de juger de leur comportement dans des contextes informels de sociabilité.
Dans cette perspective, l'openspace joue également un rôle de gouvernement et régulation des conduites puisque qu'il impose aux salariés un certain type de comportement : il faut coexister avec les autres, se faire accepter, adopter une attitude qui démontre de la concentration, de l'efficacité, de l'engagement au travail, de l'enthousiasme (Des Isnards et Zuber, 2015). La proximité physique de l'openspace crée en outre un cadre d'observation mutuelle qui renforce les mécanismes d'autocontrôle des salarié·es et les pousse au surinvestissement.
Dans ces entreprises connexionnistes emblématiques de la « cité par projet » (Boltanski et Chiapello, 1999), où la valeur des personnes se mesure à leur engagement au travail, le strict respect des horaires est vu comme un manque d'implication. On comprend alors que, en voyant que les bureaux ne se vident jamais à l'heure indiquée sur leur contrat, la plupart des salariés de Boomerang, cadres comme non-cadres, réalisent entre une et trois heures supplémentaires par jour, bien que celles-ci ne soient pas toujours rémunérées. Le surinvestissement au travail tend ainsi à se diffuser et à s'imposer comme une norme, imposée par le groupe.
- Un modèle entre collaboration et compétition
L'intériorisation de la contrainte est par ailleurs renforcée par des modes d'évaluation et de rémunération individuels et collectifs, qui mettent en concurrence les salarié·es tout en favorisant leur collaboration par leur interdépendance.
S'ils offrent plus d'autonomie et de marges de manœuvre aux employés dans l'organisation de leur temps et de leur travail, les outils de gestion numériques restent de puissants vecteurs de contrôle du travail (Benedetto-Meyer et Boboc, 2021). Par les nombreuses données récoltées par leur usage, ils permettent aux managers et aux dirigeants de start‑up de se doter d'une multitude d'indicateurs, appelés Key Performance Indicators (KPI), pour mesurer la performance de l'entreprise et des salariés. Au travers d'outils de gestion de projet comme Trello ou Jira, les managers ont un accès direct et en temps réel, à l'avancement des projets de leurs équipes. Ce type d'outil possède ainsi un pouvoir « disciplinaire » sur les conduites (Foucault, 1975), présentant un risque de « tentation panoptique » (Segrestin et al., 2004) : un management disciplinaire cherchant à contrôler les conduites.
C'est en outre sur ces KPI que les salariés continuent d'être évalués, notamment sur la réalisation de leurs objectifs trimestriels. À côté de modes de management par projet, censés favoriser la collaboration des équipes, continuent ainsi d'exister des formes plus individualisées de mesure de la performance qui contribuent à mettre les salariés en concurrence. La réalisation des objectifs individuels, dont dépend la part variable de leur salaire, les incite en effet à s'inscrire dans une quête de productivité individuelle qui peut augmenter le rythme de l'équipe toute entière. Ainsi, bien que les salarié·es ne soient pas soumis à la pression du contrôle hiérarchique direct, le « culte de la performance » (Ehrenberg, 1991), qui continue d'animer le management dans les start-up, les pousse à la compétition.
Pourtant, à côté de ces modes de mobilisation individualisés sont mis en place des formes de rémunération collectives, qui encouragent les travailleurs et travailleuses à maintenir des logiques de coopération. Pour certains, une part de leurs objectifs individuels dépend de la performance collective de l'équipe, ce qui renforce l'interdépendance de ses membres. Le lien entre performance individuelle et performance collective se trouve également renforcé par l'intéressement des salariés au capital de l'entreprise, qui constitue une pratique courante dans le monde des start-up. La plupart des start-up françaises en forte croissance leur offrent des bons de souscription de parts de créateurs d'entreprise (BSPCE) [9] – équivalent français des stock-options américains, qui ont rendus millionnaires les premiers ingénieurs de Google ou de Facebook. En transformant les salariés en « associés », ce type de partage du capital permet de faire converger les intérêts du personnel avec ceux des employeurs (Bernard, 2020), puisque salariés comme fondateurs ont intérêt à faire augmenter la valeur boursière de l'entreprise. Ces modes de partage des bénéfices permettent ainsi de produire l'engagement des salariés, mais également de les fidéliser car, pour toucher l'intégralité de leurs parts, ils doivent – selon les clauses établies – rester quatre années dans l'entreprise.
La force d'engagement de l'ensemble de ces dispositifs managériaux reste néanmoins fragile, car elle tient à l'ajustement de ce modèle aux attentes des travailleurs et travailleuses à l'égard du travail, qui ne cessent d'évoluer.
Conclusion
Notre travail de thèse permet ainsi de mettre en évidence certains effets des transformations induites par le modèle des start-up sur les modes d'organisation du travail. Véritable archétype de la « cité par projet » et des organisations contemporaines du « nouvel esprit du capitalisme » (Boltanski et Chiapello, 1999), c'est un modèle tout à la fois économique, organisationnel et idéologique que porte la start-up, qui semble aujourd'hui servir de modèle bien au-delà des mondes de l'entreprise. À l'heure où de nombreuses organisations, privées comme publiques, se mettent à vouloir fonctionner « en mode start-up », le modèle de la start-up semble être devenu le nouveau visage d'un capitalisme technologique, innovant et mondialisé, révélant, une fois encore, sa capacité à se relever de ses critiques.
Pourtant, si la start-up se présente comme une entreprise soi-disant plus cool et horizontale, valorisant l'autonomie et le bien-être au travail, l'enquête montre que ce modèle favorise le surinvestissement au travail. L'accent mis sur le bien-être, l'autonomie et sur la proximité sociale et relationnelle permet de susciter un engagement de trois ordres : un engagement affectif d'abord, car dans les start-up, le manager est aussi un « pote », ce qui rend la subordination hiérarchique plus supportable ; un engagement temporel ensuite, car de nombreux dispositifs (outils numériques, openspaces, fêtes et soirées) favorisent l'observation mutuelle et le contrôle par les pairs (sanction des comportements jugés déviants) ; et enfin un engagement moral, car les travailleurs sont rendus responsables des résultats de leur travail et dépendants de celui des autres. Si ces modalités d'organisation et de management du travail donnent aux salariés le sentiment d'être plus autonomes et plus libres dans leur travail, ceux-ci continuent pourtant d'être soumis à des formes de contrôle et de pression d'autant plus fortes et efficaces qu'elles sont invisibles et opèrent de manière insidieuse.
Bibliographie
Alber A. (2019), Tutoyer son chef. Entre rapports sociaux et logiques managériales, Sociologie du travail, vol. 61, 1, https://journals.openedition.org/sdt/14517.
Benedetto-Meyer M., Boboc A. (2021), Sociologie du numérique au travail, Armand Colin.
Bernard S. (2020), Le nouvel esprit du salariat : rémunérations, autonomie, inégalités, PUF.
Berrebi-Hoffmann I. (2016), « Des mondes du travail sans hiérarchie ? », in Les organisations : état des savoirs, Auxerre, Sciences humaines éd., p. 402‑410.
Boboc A., Gire F., Rosanvallon J. (2015), Les réseaux sociaux numériques. Vers un renouveau de la communication dans les entreprises ?, Sociologies pratiques, 30, vol. 2015/1, p. 19‑32, https://www.cairn.info/revue-sociologies-pratiques-2015-1-page-19.htm.
Boltanski L. et Chiapello E. (1999), Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard (NRF Essais).
Darmon M. (2015), Classes préparatoires. La fabrique d'une jeunesse dominante, Paris, La Découverte.
Des Isnards A. et Zuber T. (2015), L'Open space m'a tuer, Enlarged édition, Paris, Pocket.
Ehrenberg A. (1991), Le Culte de la performance, Paris, Hachette.
EY et France Digitale (2018), « La performance économique et sociale des start-up numériques en France. Baromètre 2018 », France digitale et Cabinet EY.
Flécher M. (2019), Des inégalités d'accès aux inégalités de succès : enquête sur les fondateurs et fondatrices de start-up, Travail et emploi, 159, vol. 2019/3, p. 39‑68, https://journals.openedition.org/travailemploi/9334
Flécher M. (2021), Le monde des start-up : le nouveau visage du capitalisme ? Enquête sur les modes de création et d'organisation des start-up, en France et aux États-Unis, Thèse de doctorat, Paris, Université Paris-Dauphine, 770 p.
Foucault M. (1975), Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard.
Getz I. (2017), L'entreprise libérée, Paris, Fayard.
Illouz E. et Cabanas E. (2018), Happycratie. Comment l'industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies, Paris, Premier Parallèle.
Linhart D. (2018), Les nouveaux corps du capitalisme, Connexions, 110, vol. 2018/2, p. 49‑60, https://www.cairn.info/revue-connexions-2018-2-page-49.htm.
Linhart R. (1978), L'établi, Paris, Éditions de Minuit.
Ramadier M. (2017), Bienvenue dans le nouveau monde. Comment j'ai survécu à la coolitude des start-ups, Paris, Premier parallèle.
Segrestin D., Darréon J.-L., Trompette P. (2004), Le mythe de l'organisation intégrée. Les progiciels de gestion, Toulouse, Presses Univ. du Mirail.
Weber M. (1905), L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, Gallimard.
Zelizer V. (2001), Transactions intimes, Genèses, 42, vol. 2001/1, p. 121-144, https://www.cairn.info/revue-geneses-2001-1-page-121.htm.
Zelizer V. (2005), Intimité et économie, Terrain. Anthropologie & sciences humaines, 45, p. 13‑28, https://journals.openedition.org/terrain/3512.
Pour aller plus loin
Boltanski L. et Chiapello E. (1999), Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard (NRF Essais).
Benedetto-Meyer M. et Boboc A. (2021), Sociologie du numérique au travail, Armand Colin.
Flécher M. (2019), Les start-ups, des entreprises « cools » et pacifiées ? Formes et gestion des tensions dans des entreprises en croissance, La nouvelle revue du travail [En ligne], 15, https://journals.openedition.org/nrt/5930.
Flécher M. (2019), Des inégalités d'accès aux inégalités de succès : enquête sur les fondateurs et fondatrices de start-up, Travail et emploi, 159, vol. 2019/3, p. 39‑68, https://journals.openedition.org/travailemploi/9334
Notes
[1] Dictionnaire Larousse, https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/start-up/74493.
[2] D'après la classification de l'Insee, les TPE (très petites entreprises) regroupent des entreprises qui emploient moins de 10 salariés, et dont le chiffre d'affaires ne dépasse pas 2 millions d'euros (et ne relèvent ni du statut d'auto-entrepreneur, ni du régime fiscal de la micro-entreprise) ; les PME (petites et moyennes entreprises) sont celles qui emploient moins de 250 personnes et qui ont un chiffre d'affaires annuel qui n'excède pas 50 millions d'euros ; les ETI (entreprises de taille intermédiaire) emploient au moins 250 personnes, mais ont un chiffre d'affaires qui dépasse 50 millions d'euros. Enfin, les GE (grandes entreprises) emploient plus de 5 000 personnes et génèrent un chiffre d'affaires de 1,5 milliard d'euros.
[3] France Digitale est une association d'entrepreneurs et d'investisseurs du numérique, visant à soutenir la création de start-up en France.
[4] https://ecosystem.lafrenchtech.com/companies.startups/f/data_type/anyof_Verified/locations/allof_France [consulté le 02/09/2021 à 17:26].
[5] Bignon N., Simon M. (2018), Les entreprises en forte croissance, Insee Première, 1718, novembre, https://www.insee.fr/fr/statistiques/3644924
[Note SES-ENS] Dans une récente étude, l'Insee précise que le concept de start-up, « entreprise nouvelle qui porte un projet d'innovation », n'a pas de définition statistique unique et recouvre différentes réalités. Pour décrire ces différentes composantes, les auteurs utilisent quatre définitions différentes, non exclusives l'une de l'autre : les jeunes entreprises (moins de 8 ans) ; les entreprises à forte croissance ou gazelles (moins de 8 ans, dont le chiffre d'affaires augmente de plus de 20 % par an en moyenne sur les trois dernières années, ayant au moins 10 emplois salariés en ETP en début de période) ; les entreprises levant des fonds (moins de 8 ans, avec un capital social supérieur à 200 000 euros mais qui était inférieur à 100 000 euros trois ans auparavant) ; les entreprises innovantes (moins de 8 ans ayant bénéficié d'au moins une aide à la R&D ou à l'innovation). Voir : Christophe K., Dillies V. (2021), Caractéristiques et dynamiques de l'emploi dans les start-up en France, Insee Références « Les entreprises en France. Édition 2021 », décembre, https://www.insee.fr/fr/statistiques/5896782 .
[6] Howard Becker, Outsiders, 1963.
[7] D'après l'enquête d'Axel Alber (2019), 63 % de la population salariée déclarent tutoyer leur chef. Il montre néanmoins que l'on tutoie plus facilement son chef lorsque celui-ci présente des caractéristiques sociales proches. En particulier, le tutoiement est plus fréquent lorsque le chef est de la même génération (71 %) ou plus jeune (66 %) que le répondant.
[8] Extrait d'une annonce publiée sur le site Welcome to the jungle, site spécialisé dans le recrutement des start-up.
[9] Dans le système des BSCPE, les salariés reçoivent des parts du capital sous forme de « bons », dont la valeur dépend du montant de la valorisation de l'entreprise à ce moment. Pour les toucher en intégralité, ils doivent néanmoins rester 4 ans dans l'entreprise et attendre qu'une opération financière leur permette de liquider leurs parts (nouvelle levée de fonds, entrée en bourse ou vente de l'entreprise).
Illustrations : © Pierre Nocérino pour les Journées Internationales de Sociologie du Travail 2021. Vous trouverez d'autres illustrations de vulgarisation de la sociologie sur le blog du sociologue Pierre Nocérino, Emile, on bande ?, et sur le site des JIST 2021 qui ont eu lieu à Lausanne en novembre 2021 (voir les comptes rendus dessinés).
Photographie de start-up : Adobe Stock, tous droits réservés.