L'évolution de l'ouverture commerciale de 1827 à 2014
Jules Hugot
Sébastien Jean
Les auteurs : Michel Fouquin, conseiller au CEPII [1] et Professeur à l'Université catholique de Paris, Jules Hugot, Assistant Professor à la Pontificia Universidad Javeriana de Bogotá, Sébastien Jean, directeur du CEPII. Ils ont rédigé le chapitre "Une brève histoire des mondialisations commerciales", publié dans L'économie mondiale 2017, la publication annuelle du CEPII (La Découverte, Collection Repères, septembre 2016).
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Deux siècles d'ouverture commerciale
Le graphique que nous vous proposons retrace l'évolution, de 1827 à nos jours, du taux d'ouverture, mesuré ici par les exportations totales rapportées au PIB, en pourcentage. Cet indicateur permet d'évaluer le degré d'insertion d'un pays dans le commerce international. Les trois courbes correspondent au taux d'ouverture moyen pour trois échantillons de pays, dont le nombre varie en fonction de la longueur de la série chronologique : 7 pays sont pris en compte pour la série qui démarre en 1827, 17 pays pour la série commençant en 1861, et 110 pays pour la plus récente, à partir de 1960. Les interruptions dans les deux premières séries (1913 à 1919 ; 1938 à 1949) correspondent aux périodes des deux guerres mondiales pour lesquelles les données sont incomplètes. Grâce à la construction d'une large base de données inédite, riche de plus de 1,9 million d'observations sur le commerce bilatéral et couvrant la période 1827-2014, les échanges mondiaux ont pu être estimés sur une période particulièrement longue, permettant de comparer la Première et la Deuxième Mondialisation.
L'évolution du taux d'ouverture aux exportations pour trois échantillons de pays de 1827 à 2014 (%)
Source : CEPII, L'économie mondiale 2017, La Découverte, coll. Repères, 2016. Ce graphique a été publié initialement dans La Lettre du CEPII n°365 : M. Fouquin et J. Hugot, "La régionalisation, moteur de la mondialisation" (mai 2016).
Note : Pour chaque courbe, la date initiale de la série est indiquée dans la légende, ainsi que le nombre de pays qui constituent l'échantillon (entre parenthèses). L'échantillon qui débute en 1827 comprend 7 pays : Australie, Chili, Espagne, France, Royaume-Uni, Suède, États-Unis. L'échantillon suivant inclut 10 pays supplémentaires et le troisième, le plus large, compte 110 pays.
Deux constats peuvent être tirés de ces données de longue période :
1) Depuis la Révolution Industrielle, le monde a connu deux grandes périodes d'extension du commerce international, la première au XIXe siècle et la seconde dans la deuxième moitié du XXe siècle, à partir de la fin des années 1960.
Entre 1830 et 1870, les échanges internationaux s'intensifient et le taux d'ouverture commerciale est multiplié par deux. Il connait ensuite un léger repli à la fin du XIXe siècle du fait des difficultés économiques et d'un certain retour du protectionnisme en Europe (avec par exemple l'adoption du «tarif Méline» en France en 1892), sans toutefois remettre en cause la dynamique d'ouverture des économies européennes (voir le graphique ci-dessous). Le libéralisme commercial prend réellement fin avec la Grande Dépression des années 1930 et le renforcement du protectionnisme qui l'accompagne. Le commerce international s'effondre littéralement. Dans les premières décennies qui suivent la Seconde Guerre mondiale, le taux d'ouverture commerciale moyen reste inférieur à 10%. Il ne se relève qu'à partir des années 1970. Le processus de libéralisation commerciale engagé après la guerre (GATT, traité de Rome) commence alors à porter ses fruits. Par ailleurs, les coûts de transport sont fortement réduits par la généralisation de l'usage des conteneurs pour le transport maritime. La Deuxième Mondialisation est en route et les pays pour lesquels on dispose de données commerciales de longue période retrouvent leur niveau d'ouverture de 1913 vers la fin des années 1970.
2) Le second constat est plus original : alors que les travaux des historiens de l'économie datent habituellement les débuts de la Première Mondialisation dans les années 1870 [2], les données plus complètes qui ont été collectées par le CEPII montrent que celle-ci a été plus précoce.
Elle aurait démarré dès les années 1830-40, soit avant les grandes innovations technologiques dans les transports diffusées à la fin du XIXe siècle comme le bateau à vapeur et le télégraphe, et antérieurement aux accords de libre-échange des années 1860 [3] et à la généralisation de l'étalon-or. Cette thèse est confortée par les travaux de Michel Fouquin et Jules Hugot qui ont estimé le coût de l'ensemble des obstacles au commerce international en équivalent tarifaire sur la période 1827-2014 [4]. D'après leurs calculs, les barrières aux échanges extérieurs ont commencé à diminuer dès les années 1840, comme le montre le graphique ci-dessous, également extrait de la publication du CEPII, L'économie mondiale 2017, et qui retrace l'évolution depuis 1827 du poids des droits de douane dans les importations pour trois pays : la France, le Royaume-Uni et les États-Unis.
Évolution de la protection commerciale : France, Royaume-Uni, États-Unis, 1827-2010
Les limites du taux d'ouverture comme mesure de la mondialisation
Le taux d'ouverture agrégé, qui rapporte les exportations mondiales, ou la moyenne des importations et des exportations mondiales, au PIB, n'est pas forcément la meilleure mesure pour évaluer le degré de mondialisation des économies. En effet, il est sensible à la répartition géographique de l'activité économique mondiale, puisqu'il sera plus faible si l'activité est concentrée dans quelques pays ou au contraire plus élevé si celle-ci est très dispersée. Il est alors préférable d'évaluer les obstacles aux échanges internationaux comme les droits de douane.
Michel Fouquin et Jules Hugot ont cherché à construire un indicateur qui permette de mesurer l'évolution de ces obstacles, en prenant en compte tous les coûts associés au commerce international : les barrières douanières mais aussi des coûts plus difficiles à observer comme les coûts de transport et de communication, l'incertitude liée au taux de change, les barrières linguistiques, etc. La méthode employée, qui s'appuie sur un «modèle de gravité» issu de la théorie du commerce international, a consisté à mesurer l'écart entre les flux commerciaux observés et le commerce théorique en l'absence de barrières commerciales (la prédiction du modèle de gravité), tout en neutralisant l'effet de la répartition internationale de la production. Cet écart reflète alors les «coûts agrégés» du commerce international. Lorsque le coût moyen du commerce international, exprimé en équivalents tarifaires, diminue, comme ce fut le cas dès les années 1840, on peut véritablement en conclure que les économies ont accru leur degré d'intégration internationale et que la «mondialisation» a progressé.
Source : D'après CEPII, L'économie mondiale 2017, La Découverte, coll. Repères, 2016. Michel Fouquin et Jules Hugot, "La régionalisation, moteur de la mondialisation", La Lettre du CEPII, n°365, mai 2016.
Quel a été alors l'élément déclencheur de la Première Mondialisation ? D'après Michel Fouquin et Jules Hugot, c'est «le climat de paix et de stabilité qui s'installe en Europe après le Congrès de Vienne» (1815), celui-ci ayant entraîné «des baisses unilatérales du niveau de protection commerciale (sans attendre des partenaires commerciaux qu'ils en fassent de même)». Ce fut le cas par exemple au Royaume-Uni avec l'abolition des Corn Laws en 1846, mais aussi en France où les droits de douane commencent à baisser bien avant 1860. S'ouvre alors une période de libéralisme commercial, d'abord centré sur l'Europe, puis s'étendant aux échanges transatlantiques à la fin du XIXe siècle, qui ne sera réellement contrarié que dans l'entre-deux-guerres.
Anne Châteauneuf-Malclès pour SES-ENS.
Nous remercions le CEPII, les éditions La Découverte et les auteurs de nous avoir permis la publication de ce graphique.
Pour aller plus loin :
Sur notre site :
- "Quelques questions à Sébastien Jean sur l'histoire des mondialisations commerciales", 19 septembre 2016.
- "Les mutation du commerce international", présentation de l'atelier animé par Sébastien Jean lors des Jéco 2015.
CEPII, L'économie mondiale 2017, La Découverte, coll. Repères, 2016. Voir notre dossier consacré à cette publication.
Michel Fouquin et Jules Hugot, "La régionalisation, moteur de la mondialisation", La Lettre du CEPII n°365, mai 2016.
Les bases de données du CEPII. Les Profils Pays présentent un panorama interactif du commerce international à partir de données originales du CEPII (dernière mise à jour juin 2016).
Notes :
[1] Centre d'études prospectives et d'informations internationales.
[2] Voir par exemple : Suzanne Berger, Notre première mondialisation. Leçon d'un premier échec oublié, Seuil, La République des idées, 2003. Exemple de travaux américains : A. Estevadeordal, B. Frantz, A. Taylor, "The Rise and Fall of World Trade: 1870-1939", The Quarterly Journal of Economics, vol. 118, n°2, 2003.
[3] On pense notamment au fameux traité de libre-échange franco-britannique négocié par l'économiste Michel Chevalier et l'industriel Richard Cobden (d'où son nom de "traité Cobden-Chevalier") et signé en 1860. Suivra une vague de traités similaires entre les pays européens, notamment parce que le traité Cobden-Chevalier comportait une clause de la nation la plus favorisée.
[4] Michel Fouquin et Jules Hugot, "La régionalisation, moteur de la mondialisation", La Lettre du CEPII n°365, mai 2016. L'indice d'évolution du coût moyen du commerce synthétise l'ensemble des coûts associés au commerce international : les barrières douanières, mais aussi les coûts de transport et de communication, l'incertitude liée au taux de change, les barrières culturelles et linguistiques, etc.