Quelques questions à Sébastien Jean sur l'histoire des mondialisations commerciales
Cette ressource fait partie de notre dossier : CEPII - L'économie mondiale 2017.
Sébastien Jean (directeur du CEPII) est le co-auteur, avec Michel Fouquin et Jules Hugot, du chapitre II "Une brève histoire des mondialisations commerciales", publié dans L'économie mondiale 2017 (CEPII, La Découverte, Collection Repères, septembre 2016).
Le terme de « première mondialisation » est communément utilisé en référence à la forte intensification du commerce international et des flux financiers observée dans la deuxième partie du XIXème siècle. Alors que la plupart des études datent les débuts de la première mondialisation dans les années 1870, la collecte récente de données plus complètes montre que le phénomène aurait plutôt émergé dans les années 1840. Ce constat remet en cause le rôle majeur attribué aux innovations technologiques de la fin du siècle (bateau à vapeur, télégraphe, transport frigorifique) et relativise l'importance des accords de libre-échange des années 1860 (comme le traité Cobden-Chevalier entre la France et l'Angleterre). La chronologie des évolutions désigne plutôt comme déclencheur le contexte politique pacifié de l'après-Congrès de Vienne, qui s'accompagne d'une phase initiale de libéralisation commerciale. C'est par ailleurs dans les années 1840 qu'apparaissent les premières liaisons ferroviaires internationales en Europe.
Les deux mondialisations ont en commun leur ampleur et le fait qu'elles soient plus régionales que globales. On met souvent l'accent sur le rôle du commerce à longue distance, colonial pour la première mondialisation, et euro/américano-asiatique pour la deuxième mondialisation. En réalité, c'est la régionalisation du commerce qui a le plus contribué à l'interdépendance croissante des économies. La mondialisation n'a pas effacé les distances, au contraire. L'intégration européenne de l'après-guerre en est l'exemple le plus frappant.
La première mondialisation a vu l'industrie manufacturière européenne se développer au détriment de celle des pays du Sud. Ainsi, l'économie indienne, qui était exportatrice nette de textile au début du XIXème siècle, se reconvertit progressivement dans les plantations de coton et de thé, pour importer des textiles britanniques. La deuxième mondialisation s'est, au contraire, développée dans un premier temps principalement entre pays développés. C'est le commerce croisé de produits appartenant au même secteur qui s'accroît le plus rapidement, tout particulièrement au sein de l'ensemble Europe – Amérique du Nord. Cependant, cette part plafonne, voire régresse à partir des années 1990, et s'ouvre alors une seconde phase de la deuxième mondialisation où c'est le commerce entre pays de niveaux de vie très différents qui se déploie : la logique des avantages comparatifs sous-tend à nouveau la dynamique des échanges, même si elle ne s'exerce plus seulement entre secteurs mais également au sein de chaque secteur, avec le développement des chaînes de valeur mondiales.
4. Le commerce international ralentit, les relations économiques internationales semblent de plus en plus tendues. Est-ce le début d'une démondialisation ?
La crise économique et financière de 2008-2009 a marqué une rupture dans la mondialisation. Au-delà des aspects financiers, profondément affectés, comme en témoigne la baisse brutale des flux internationaux de capitaux, le commerce international n'a pas non plus retrouvé son dynamisme d'avant-crise, si bien que le taux d'ouverture commerciale de l'économie mondiale a régressé depuis 2008. L'interprétation et la pérennité de cette inflexion pose encore question, mais on aurait pu penser que la stagnation ou le reflux des interdépendances commerciales apaiserait les controverses autour de la mondialisation. C'est tout le contraire que l'on constate. Dans les pays riches, l'attitude face à la mondialisation devient un clivage politique de premier plan, comme l'illustre la campagne présidentielle américaine. Dans nombre de pays émergents, les tensions sont également manifestes, qu'elles soient alimentées par des conflits militaires ou politiques (Russie, Moyen-Orient), par la volonté de rééquilibrer la croissance économique (Chine), ou par la difficulté à assurer les équilibres macroéconomiques (Argentine, Brésil). Tout se passe comme si l'épuisement des gains liés au développement rapide du commerce international pendant la seconde phase de la deuxième mondialisation rendait plus aigus les conflits de répartition et de légitimité qu'elle engendre.
Propos recueillis par Anne Châteauneuf-Malclès pour SES-ENS.
En complément de cet entretien, pour visualiser les deux mondialisations à travers un graphique, voir notre publication "Stats à la une" de septembre 2016 : L'évolution de l'ouverture commerciale de 1827 à 2014.
Pour aller plus loin
Michel Fouquin, Jules Hugot et Sébastien Jean, "Une brève histoire des mondialisations commerciales", L'économie mondiale 2017, La Découverte, coll. Repères, sept. 2016.
Michel Fouquin et Jules Hugot, "La régionalisation, moteur de la mondialisation", La Lettre du CEPII, n°365, mai 2016.
Sébastien Jean, "Le ralentissement du commerce mondial annonce un changement de tendance", La Lettre du CEPII, n°356, septembre 2015.
Sébastien Jean et Françoise Lemoine, "Ralentissement du commerce mondial : vers une nouvelle ère de la mondialisation ?", L'économie mondiale 2016, La Découverte, coll. Repères, sept. 2015.
Sébastien Jean, "La croissance du commerce mondial en deçà des attentes de l'OMC. Comme prévu !", Blog du CEPII, 29 septembre 2016.
Voir également notre présentation de l'atelier animé par Sébastien Jean lors des Jéco 2015 : "Les mutations du commerce international".
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