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Gouverner la ville mobile. Intercommunalité et démocratie locale

Publié le 05/07/2008
Auteur(s) - Autrice(s) : Philippe Estèbe
PUF, coll. "La ville en débat"
Fiche de lecture de l'ouvrage "Gouverner la ville mobile. Intercommunalité et démocratie locale" de Philippe Estèbe. L'auteur prend soin de souligner les limites du modèle de gouvernement urbain, en le qualifiant notamment de modèle « pour riches ». Il n'empêche : il montre qu'un débat est possible sur ces questions et oblige à rediscuter certaines positions considérées comme des évidences. Ceux qui connaissent bien la littérature sur le gouvernement urbain, et plus particulièrement les travaux anglo-saxons sur le sujet, ne découvriront sans doute là rien de bien nouveau, mais les autres liront avec profit cette synthèse bien menée où les termes du débat sont posés avec clarté.

Présentation

Couverture de "Gouverner la ville mobile. Intercommunalité et démocratie locale" de P. EstèbeCet essai stimulant se compose de quatre chapitres, mais on peut distinguer principalement deux parties. La seconde, sur laquelle nous reviendrons, balise un champ de recherche encore largement en friche : le gouvernement des territoires périurbains. La première partie a une visée plus générale et propose de structurer les débats sur le gouvernement des villes autour de deux visions. En France, le point de vue dominant est qu'il faut dépasser les limites communales pour doter les métropoles de gouvernements couvrant l'intégralité de leur territoire. Sous l'effet des mobilités quotidienne et résidentielle, les espaces de vie excèdent aujourd'hui très largement les limites communales, ce qui rend obsolète la structuration du territoire français par ses 36 600 communes. Paris et ses plus de 2 millions d'habitants ne peuvent pas présider aux destinées d'une métropole qui compte plus de 11 millions d'habitants et qui regroupe plus de 1500 communes. Philippe Estèbe expose clairement les différents avantages qu'il peut y avoir à établir des gouvernements à l'échelle des métropoles : économie d'échelles, vie démocratique animée par la présence d'intérêts nombreux et souvent divergents, solidarité entre les habitants, etc. Ces arguments sont connus et l'intérêt de ce livre réside plutôt dans l'exposé d'arguments en faveur de la fragmentation communale. L'auteur prend là, avec un plaisir évidemment malin, le contre-pied de la doxa politique actuelle. Il puise l'essentiel des arguments qu'il expose dans la littérature américaine, et plus précisément dans la littérature économique orthodoxe et dans la théorie des choix publics. De fait, les libéraux ont tendance à voir dans les grandes administrations des « Gargantua » inefficaces et à considérer que la fragmentation des municipalités permet aux citadins de choisir celle qui lui convient. Chaque municipalité étant indépendante, elle peut mener une politique propre et proposer un panier de services et d'équipements à un prix donné (déterminé par la fiscalité locale et par les valeurs immobilières). Chacun, en fonction de ses revenus et de ses « préférences », peut ainsi opter pour le cocktail de « biens collectifs locaux » qui lui convient. Les communes fonctionnent alors comme des clubs et le choix entre clubs s'effectue à travers la mobilité résidentielle, ce que les spécialistes appellent « le vote avec les pieds ». On obtient ainsi tous les bienfaits que les économistes orthodoxes attribuent à la décentralisation et à la régulation par le marché : allocation efficace des ressources, mise à l'écart des gouvernements « Gargantua », etc.

Philippe Estèbe prend soin de souligner les limites de ce modèle de gouvernement urbain, en le qualifiant notamment de modèle « pour riches ». Il n'empêche : il montre qu'un débat est possible sur ces questions et oblige à rediscuter certaines positions considérées comme des évidences. Ceux qui connaissent bien la littérature sur le gouvernement urbain, et plus particulièrement les travaux anglo-saxons sur le sujet, ne découvriront sans doute là rien de bien nouveau, mais les autres liront avec profit cette synthèse bien menée où les termes du débat sont posés avec clarté.

La deuxième partie de l'ouvrage est beaucoup moins générale et aborde la question particulière du gouvernement des territoires périurbains. A la différence de la première, la lecture de cette partie parait réservée à un public averti. Ceci s'explique en partie par le fait qu'elle est directement issue d'un rapport de recherche réalisé dans le cadre d'un programme du ministère de l'Ecologie [1] intitulé « Polarisation sociale de l'urbain et services publics » (la collection dans laquelle l'ouvrage a été publié est d'ailleurs soutenue par le ministère). Ainsi, l'auteur ne prend pas la peine de définir ce que sont les territoires périurbains ni d'en caractériser le paysage institutionnel. Il n'aurait sans doute pas été inutile de signaler que près de 15 000 des 36 600 communes du territoire métropolitain français sont définies par l'INSEE comme périurbaines. Cela aurait permis de mieux situer les enjeux de la réflexion engagée par Philippe Estèbe. Le gouvernement des territoires périurbains, c'est beaucoup de communes, plus de 12 millions de Français et des espaces très vastes. Or cette question reste très mal connue en dehors du petit cercle des lecteurs de revues universitaires spécialisées. Un grand mérite de cet ouvrage est donc de donner des éléments de compréhension de la situation et de ces enjeux.

L'auteur étudie en particulier les suites des dispositions législatives prises en 1999 pour inciter les communes à créer des EPCI, établissements publics de coopération intercommunale, déclinés en trois variétés, les « communautés urbaines » (pour les métropoles), les « communautés d'agglomération » (pour les agglomérations petites et moyennes) et les « communauté de communes » (pour les zones rurales). La conclusion est sans appel : malgré les espoirs de l'Etat, « le gouvernement métropolitain n'a pas gagné », au sens où très peu de gouvernements se sont constitués à l'échelle des aires urbaines, c'est-à-dire incluant les villes centres et les communes périurbaines. L'auteur montre qu'en règle générale, un système dual s'est mis en place avec d'un côté un gouvernement constitué à partir de villes centres et de communes de banlieue proche (sous forme de « communauté urbaine » ou de « communauté d'agglomération ») et d'un autre côté des gouvernements constitués à partir de communes exclusivement périurbaines (sous forme de « communautés de communes »). Ces deux types de gouvernement fonctionnent suivant des « régimes » distincts. Dans le premier cas, on a affaire à un EPCI concentrant des populations importantes, relativement hétérogènes. L'EPCI est également caractérisé par une grande mixité fonctionnelle, les activités, les services et les équipements se mélangeant aux résidences. Dans le second cas, on a affaire à plusieurs EPCI dont les populations restent limitées (« le plus souvent inférieure à 50 000 habitants »). Ces EPCI sont fréquemment fondés sur des associations « homogames » avec la formation de clubs de communes périurbaines peuplées de ménages aisés (les clubs « dorés ») et de clubs de communes dominées par les ménages retraités (les clubs de « l'âge d'or »). A la différence des EPCI centraux, ces EPCI périurbains sont plutôt monofonctionnels, spécialisés dans le résidentiel et dépendants d'un EPCI central.

La relation entre la partie théorique de l'ouvrage et cette deuxième partie que l'on peut dire appliquée est établie par l'auteur avec la proposition suivante : alors que le premier « régime », celui des villes centres et des banlieues, correspond à celui du gouvernement métropolitain unifié, le second « régime » correspond à celui du gouvernement fragmenté. Dans le périurbain, des « clubs » intercommunaux se juxtaposent les uns aux autres, où chacun choisit de résider en fonction de ces ressources et de ces attentes.

Il y aurait beaucoup à dire sur cette théorisation et sur cette description du gouvernement périurbain. Ainsi, l'auteur néglige le rôle des documents de planification que sont les schémas de cohérence territoriaux. Ceux-ci jouent pourtant un rôle significatif dans la structuration institutionnelle du périurbain. A l'inverse, il accorde aux communautés de communes périurbaines une importance qu'elles n'ont souvent pas. Dans beaucoup de cas, les communautés de communes ont d'abord été créées de manière défensive (pour éviter de se voir imposer par l'Etat l'intégration d'un EPCI qui n'aurait pas été choisi) et pour bénéficier des dotations substantielles mises en place par l'Etat pour inciter les communes à jouer le jeu de l'intercommunalité. Créés par opportunisme, beaucoup d'EPCI périurbains ont un fonctionnement éloigné de l'esprit de la loi, proche de celui des anciens syndicats intercommunaux (qui d'ailleurs n'ont pas disparu). Ainsi, loin d'avoir cédé leurs prérogatives politiques aux EPCI, les communes restent les territoires clés du paysage institutionnel périurbain (voir sur ce point les travaux de Martin Vanier).

L'essentiel n'est cependant pas dans les détails, mais dans la mise en évidence d'une thèse forte : le périurbain s'est « institutionnalisé ». Les communes périurbaines se sont regroupées et se sont dotées d'organes pour s'exprimer et se faire entendre à l'échelle métropolitaine. C'est une conséquence inattendue des lois sur l'intercommunalité que d'avoir fait du périurbain un acteur métropolitain. Et c'est un mérite important de l'ouvrage de Philippe Estèbe de mettre ce fait en évidence. Simplement cette mise en évidence suscite autant de questions qu'elle n'apporte d'éclaircissements. Elle devrait donc susciter de nouvelles recherches permettant d'y voir plus clair dans ce paysage institutionnel à la fois nouveau, compliqué et mal connu.

 

Eric Charmes, Maître de conférences à l'Institut français d'urbanisme, Université Paris-8, pour Liens Socio.

 

Note :

[1] Via le Plan urbanisme construction et architecture.