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Quoi de neuf chez les filles ? Entre stéréotypes et libertés

Publié le 04/12/2007
Auteur(s) - Autrice(s) : Christian Baudelot et Roger Establet
Igor Martinache
NATHAN
Fiche de lecture de "Quoi de neuf chez les filles ? Entre stéréotypes et libertés", des auteurs Christian Baudelot et Roger Establet. Dans cet ouvrage très pédagogique, écrit sous la forme de questions/réponses, les deux sociologues rappellent dans un premier temps les enseignements d'Elena Gianini Belotti - à savoir « la puissance extraodinaires des stéréotypes » -, reviennent ensuite sur les mécanismes d'inculcation de l'identité de genre dans la prime enfance et interrogent également la transformation des rôles parentaux.

Présentation

La socialisation de genre est sans doute l'une des composantes les plus profondes, mais aussi les plus problématiques, dans le processus de construction sociale de la personnalité individuelle. Et c'est aussi le thème sur lequel Christian Baudelot et Roger Establet ont décidé de faire le point dans leur dernier ouvrage, Quoi de neuf chez les filles ? Entre stéréotypes et libertés (Nathan, 2007), quinze ans après Allez les filles ! (Seuil, 1992), et surtout plus de trente ans après l'ouvrage fondateur d'Elena Gianini Belotti, Du côté des petites filles (1973).

Dans cet ouvrage très pédagogique, écrit sous la forme de questions/réponses, les deux sociologues rappellent donc dans un premier temps les enseignements de la psychologue italienne, à savoir « la puissance extraodinaires des stéréotypes » de genre, enracinés en nous dès notre plus grande enfance, du fait d'un traitement différencié des enfants des deux sexes qui s'opère dans une multitude de gestes quotidiens. Autant de comportements inconscients de la part des parents qui reflète la persistance de ce que Françoise Héritier appelle la « valence différentielle des sexes », autrement dit le fait que les filles aient une valeur sociale d'emblée inférieure à celle des garçons.

Or, constatent Christian Baudelot et Roger Establet, trois décennies après le constat sombre dessiné par Elena Gianini Belotti, les lignes de partage ont quelque peu évolué. Ainsi, la docilité acquise des filles leur a permis de renforcer leur position dans le rapport salarial, contrairement aux garçons dont l'indiscipline qu'on leur a transmise s'est mué pour beaucoup en handicap professionnel dans un contexte de montée du chômage de masse.

Ainsi, les enquêtes PISA menées par l'OCDE pour comparer les compétences scolaires des adolescents de 15 ans entre les différents pays industrialisés confirment que si les filles affichent globalement une certaine supériorité scolaire par rapport aux garçons, notamment dans les matières littéraires, elles accusent cependant encore un léger retard dans les disciplines scientifiques, qui se traduit par une position paradoxalement encore subordonnée d'un point de vue professionnel. La marque d'une « mauvaise gestion du capital humain défavorable aux filles » et dont pâtit au final l'ensemble de la société (comme le montrent aussi mais d'une autre manière Dominique Meda et Hélène Perivier dans Le deuxième âge de l'inégalité, Seuil, « La République des idées », 2007).

Les stéréotypes ont donc la peau dure, et sont responsables d'un certain « bridage » des orientations scolaire et professionnel des filles, malgré « la grande explosion de l'activité féminine » pointée par Jean-Claude Deville à partir des années 1960. Certaines professions restent ainsi peu mixtes, plus de 70% des postes y étant occupés par les représentant-e-s d'un seul des deux sexes, comme les infirmières, aides-soignantes, assistantes maternelles, employées de bureau ou secrétaires dans le cas des femmes. Or, ce sont aussi plus de la moitié des femmes et hommes qui sont concentrés dans ces métiers, quand moins de 2% des emplois appartiennent à des groupes professionnels réellement mixtes (éducation-formation, patrons de l'hôtellerie-restauration et professions juridiques).De manière générale, les professions faisant référence explicitement à la fonction d'autorité restent encore largement sous-féminisées, même si le fossé se comble...lentement (entre 1982 et 2002, le taux de féminisation de l'ensemble de ces professions est ainsi passé de 15 à 25%).

Les deux auteurs reviennent ensuite sur les mécanismes d'inculcation de l'identité de genre dans la prime enfance. Les jouets proposés aux enfants de chacun des sexes sont ainsi loin d'être neutres, de même que les personnages présentés dans les livres sont porteurs de rôles de genres très marqués - sans parler de la sous-représentation des héros féminins. Et, contrairement à ce que l'on pourrait penser, le phénomène est encore plus marqué dans les livres et illustrés mettant en scène des figures animales ! La manière même dont les parents manipulent les enfants cultivent chez eux des propriétés motrices différenciées, tout comme les jeux et sports auxquels elles ou ils sont initié-e-s.

Les auteurs interrogent également la transformation des rôles parentaux. On parle en effet beaucoup de « nouveaux pères » et de « nouvelles mères », autrement dit de nouveaux styles éducatifs en rapport avec les phénomènes de recomposition familiale actuels. Ceux-ci seraient ainsi plus attentifs à l'individualité de leurs enfants, et donc moins enclins à transmettre des rôles sexués. Or, il faut relativiser cette croyance, car une division traditionnelle des rôles parentaux demeure, les mères demeurant spécialisées dans les tâches du « care » - le soin corporel et affectif, quand les pères restent cantonnés à la part plus ludiques de l'éducation, activités sportives en tête. Qui plus est, le contenu de ces activités reste largement différencié, notamment en ce qui concerne l'encadrement du travail scolaire (y compris à l'école), où davantage de docilité demeure exigé de la part des filles - qui restent en général plus soumises au contrôle parental- que les garçons, dont le côté « brouillon ». Et, marque d'une hiérarchie plus ou moins implicite, si les filles ont davantage le « droit » de s'aventurer sur le terrain des jeux masculins, la réciproque est loin d'être vraie, comme peuvent en témoigner les petits garçons qui ont le malheur de demander une poupée Barbie...

Constatant au terme de ce parcours « à quel point l'inégalité entre hommes et femmes se situe à la racine de toutes les inégalités sociales » (un message également porté par Roland Pfefferkorn dans un récent ouvrage, Inégalités et rapports sociaux. Rapports de classes, rapports de sexes, La Dispute, 2007), Christian Baudelot et Roger Establet remarquent cependant un certain nombre d'évolutions sur le terrain de la socialisation de genre qui les conduisent à parler d'un « nouveau régime de distinction du masculin et du féminin ». Ils posent ainsi en conclusion la délicate question consistant à séparer ce qui relève de la différence et de ce qui ressort des inégalités. Ainsi, le problème ne réside pas tant dans le fait que les filles développent des aspirations différentes, quoiqu'en majeure partie socialement construites, mais que ces aspirations les maintient dans une domination socio-économique.

Leur analyse est complétée par trois courts éclairages sur la même question. Colette Chiland, psychiatre, évoque entre autres l'auto-ségrégation des sexes ainsi que la « culpabilité féminine spécifique » quant à leurs spécificités biologiques. Catherine Marry, sociologue, qui développe brièvement la question particulière des femmes qui « dérogent », sortant du rôle féminin pour s'aventurer en pionnière sur les territoires de la domination masculine. Enfin, Joëlle Beaucamp, historienne, revient sur sa part sur la place des femmes dans la société antique à Byzance, interrogeant au passage la responsabilité du christianisme dans la subordination des femmes.Des esprits chagrins verront dans cette répartition du travail entre les auteur-e-s une illustration supplémentaire du thème qu'ils développent dans leur propos, mais on ne corrige pas sa seconde « nature » si facilement...

Igor Martinache

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