Combiner la sociologie des élites et de l'action publique pour analyser le changement. La démarche programmatique
Patrick Hassenteufel est Professeur de science politique à l'Université de Versailles Saint Quentin et membre du laboratoire CESDIP (Centre de Recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales).
William Genieys est directeur de recherche CNRS au CEPEL (Centre d'études Politiques de l'Europe Latine) au Département de science politique de l'Université de Montpellier 1.
Introduction
Les critiques des policy sciences, à partir des années 1960 ont conduit, entre autres évolutions de l'analyse des politiques publiques, à prendre en compte de façon centrale le rôle des acteurs pour comprendre l'action publique. La sociologie des organisations et les approches en termes de choix rationnel, fortement centrées sur les acteurs, les conçoivent, les conceptualisent et les appréhendent avant tout en termes individuels. Toutefois, l'analyse des politiques publiques doit aussi tenir compte des acteurs collectifs comme l'ont tout d'abord mis en avant les travaux portant sur l'importance du lobbying aux Etats-Unis (Courty, 2006). La sociologie des groupes d'intérêts s'est ensuite plus largement intéressée à la construction des intérêts collectifs (Offerlé, 1994), à leur mode d'organisation, à leur structuration interne, à leurs modalités variées de participation aux politiques publiques... D'autres acteurs collectifs, internes ou extérieurs à l'état, moins organisés et souvent moins visibles que les groupes d'intérêts, peuvent cependant également jouer un rôle clef dans l'action publique, notamment dans ses transformations. Pour les analyser, la sociologie des élites représente un apport important. Celle-ci s'est déployée autour de deux questions de recherche principales. La première est celle de l'existence de groupes cohérents qui a conduit à mettre l'accent sur les éléments qui les structurent et qui leur donnent une forte homogénéité ; la seconde est celle du pouvoir de ces groupes en précisant son objet et son étendue. Sur le plan méthodologique, la première question de recherche a conduit à la mise au jour d'indicateurs (origines sociales, statut, trajectoire professionnelle, valeurs, etc.) partagés ; la seconde à l'élaboration de méthodes (positionnelle, réputationnelle, décisionnelle) permettant de démontrer la participation à l'exercice de pouvoirs concrets, notamment en termes d'influence sur les politiques publiques. Les débats suscités par ces méthodes amènent à s'interroger, d'une part, sur leurs limites et, d'autre part, sur leur articulation. Si, comme nous le verrons, la réflexion sur les données sociographiques a permis d'affiner et de multiplier les outils méthodologiques permettant de les élaborer, il a moins été tenu compte d'autres éléments permettant de structurer des groupes cherchant à exercer du pouvoir. C'est en particulier le cas pour les dimensions cognitives de la construction d'acteurs collectifs sur lesquelles l'analyse des politiques publiques a mis l'accent depuis les années 1990 (Muller, 2000 ; Sabatier et Schlager, 2000 ; Hassenteufel 2008a). C'est pour cela que le croisement entre sociologie des élites et sociologie de l'action publique permet de prolonger méthodologiquement la sociologie des élites en action proposée par le néo-élitisme, qui se fonde sur la combinaison entre des indicateurs socio-politiques et des configurations de pouvoir (Field et Higley, 1980 ; Higley et Burton, 2006 ; Genieys 2006). Le croisement opéré ici se fonde sur la prise en compte des systèmes de représentations partagés par des groupes d'acteurs et l'analyse fine des trajectoires politico-administratives des acteurs participant à l'élaboration des politiques publiques. Celle-ci permet non seulement de comprendre la structuration d'élites, mais aussi leur pouvoir tant en termes de capacité de transformation de politiques publiques que d'accumulation de ressources d'action publique.
Cette articulation entre sociologie des élites et sociologie de l'action publique correspond à une démarche analytique, reposant sur plusieurs méthodes, que nous qualifions de programmatique pour deux raisons. La première repose sur le fait que nous mettons l'accent sur l'existence de programmes d'action publique porteurs de changement qui structurent des groupes d'acteurs. Un programme d'action publique contient quatre dimensions principales : des objectifs ou des orientations générales faisant référence à des valeurs partagées et donnant une cohérence d'ensemble à une politique publique ; une analyse des enjeux et de la situation conduisant à une formulation de problèmes et à un diagnostic servant de support à l'action ; des argumentaires et des raisonnements légitimant l'action ; des préconisations de mesures concrètes et d'instruments permettant l'opérationnalisation du programme. La notion de programme permet aussi de mettre en avant le lien entre pouvoir et politiques publiques puisqu'elle renvoie à la définition même des politiques publiques comme «programme d'action propre à une ou plusieurs autorités publiques ou gouvernementales» (Thoenig, 1985, p.6). Le pouvoir est donc appréhendé ici en termes de capacité de transformation de l'action publique.
Nous présenterons, tout d'abord, les différentes dimensions de cette démarche programmatique à partir des apports et des limites des méthodes de la sociologie des élites du pouvoir apparue aux Etats-Unis après la seconde guerre mondiale. Puis, nous montrerons comment elle nous a permis de mettre en évidence le rôle d'une élite de hauts fonctionnaires dans la transformation du système d'assurance-maladie français depuis le début des années 1980. Nous terminerons par des éléments de réflexion sur la portée de cette démarche, par-delà l'analyse des élites, en termes d'explication du changement de l'action publique et de transformation de l'état.
1. Retour sur les méthodes de la sociologie des élites du pouvoir
Les travaux des «pères fondateurs» de la théorie des élites (Mosca et Pareto) visaient plus à mettre en avant l'existence d'une élite, au sens d'un groupe restreint qui prend les décisions, et son caractère nécessaire au bon fonctionnement d'une société (thèse élitiste), qu'à analyser sociologiquement qui forme cette élite. Ce n'est qu'à partir du développement de la sociologie politique des élites aux États-Unis durant les années cinquante que la question du "qui gouverne ?" est devenue centrale. Toutefois, dès l'entre-deux-guerres, des politologues s'étaient posé la question des effets de l'avènement des régimes démocratiques sur le profil social des dirigeants politiques. Le travail pionner d'Harold J. Laski (1928) sur le personnel des cabinets anglais de 1801 à 1924 peut être rappelé ici. Son étude des membres de cabinets ministériels anglais sur un siècle et demi visait à répondre aux questions suivantes : Sont-ils des aristocrates ou des «plébéiens» ? Quelle est leur profession ? Où ont-ils été éduqués ? Y-a t-il une différence (sociale) entre les membres des cabinets des différentes périodes ? etc. (Laski, 1928, p.13). Cette étude pose les bases de l'analyse du social background des élites politiques [1]. Elle se fonde sur le recollement de données biographiques qui permettent de saisir tout d'abord le renouvellement du personnel politique pour ensuite dégager le profil social et la carrière des individus qui se consacrent aux activités politiques.
1.1. La construction des données sociographiques
Tant que les données empiriques mobilisées ont porté sur la question de la durée des carrières politiques (ministérielles ou de députés) pour mettre en avant la continuité, la stabilité ou encore le cumul des ressources politiques (mandats, etc.), elles ont été considérées comme des sources «sûres» (Laswell et al., 1952 ; Dogan, 1967 ; Matthews, 1954). Or, à partir du moment où des chercheurs ont essayé d'aller plus loin dans l'analyse de la compréhension du comportement et des attitudes des élites, des critiques sur la nature et l'usage des sources empiriques ont été formulées [2]. Pour certains, travailler sur l'élite sociale dans une société donnée peut conduire à mobiliser des matériaux empiriques qui ne sont souvent que le reflet de l'image sociale que veut bien produire l'élite sur elle-même [3]. Néanmoins, le chercheur peut corriger ce biais. La première précaution à prendre est de ne pas être prisonnier d'une seule source biographique (toutes ne sont pas auto-déclaratives), mais d'en utiliser plusieurs afin de pouvoir recouper les informations. La deuxième consiste à avancer une définition opératoire de ce que l'on entend par élite, à l'aide de critères précis. Enfin, le croisement de ces données préconstruites avec des données construites par une enquête par questionnaire ou des entretiens approfondis permet de vérifier la qualité des données préalablement recueillies (Dexter, 1970). Sociologues et politistes ont reconnu que les entretiens «en face à face» constituent un moyen privilégié d'accéder à la connaissance des élites, même si la pratique de l'interview en profondeur est spécifique (Dexter, 1970) ou encore nécessite la maîtrise d'un «art» (Cohen, 1999). Ainsi, on trouve un grand nombre de recherches anglo-américaines privilégiant une pratique de l'entretien semi-directif conduit à l'aide d'un questionnaire relativement fermé, notamment pour reconstruire des carrières politiques particulières (Edinger, Searing, 1967). C'est en s'appuyant sur cette pratique qu'Ezra Suleiman a mené la première grande enquête sur les hauts fonctionnaires et les élites françaises (1974 et 1978) [4]. En France, des chercheurs du Centre de Sociologie des Organisations ont eu recours à des pratiques hybrides, soit en mobilisant les entretiens semi-directifs et l'administration orale de longs questionnaires comme ce fut le cas dans le travail de Jean-Claude Thoenig sur la technocratie (1987 [1973]), soit en croisant les archives et les entretiens pour tester le pouvoir décisionnel des hauts fonctionnaires (C. Grémion, 1979).
Cette discussion sur le statut des matériaux empiriques mobilisés par la sociologie des élites est loin d'épuiser les questions méthodologiques qui lui sont posées. Deux en particulier peuvent être mises en avant :
- Les données socio-politiques et/ou sociographiques sont-elles suffisantes pour mettre au jour l'homogénéité des groupes ainsi identifiés ?
- Quels pouvoirs exercent concrètement et empiriquement ces groupes ?
1.2. De la méthode positionnelle à la méthode décisionnelle
La sociologie des élites américaines a plutôt cherché à répondre à la seconde question, ce qui a amené plusieurs innovations méthodologiques permettant de tester empiriquement la notion d'élite(s) (Parry, 1969/2005) en répondant au point faible, souvent souligné, des pères fondateurs de théorie des élites (Pareto, Mosca et Michels), à savoir l'absence de vérification empirique du rôle effectif de minorités dirigeantes.
Il s'agit tout d'abord de la méthode positionnelle utilisée par Charles Wright Mills (1956). Selon lui, c'est en prenant en compte les positions de pouvoir dans les institutions sociales et politiques que l'on est mesure d'appréhender la réalité élitaire d'un système social. Il analyse donc le pouvoir de l'élite à partir des positions clefs occupées au niveau du pouvoir politique (exécutif), du pouvoir économique et du pouvoir militaire. Les positions de pouvoir sont considérées comme réellement détenues. En soulignant l'interchangeabilité et la circulation de ces positions entre les membres d'un groupe restreint, il met en évidence l'existence d'une élite du pouvoir. Les positions constituent ici à la fois un fait social observable empiriquement et une variable explicative dans la mesure où elles sont vécues par l'élite comme une ressource mobilisable permettant de se reconnaître entre soi et de se différencier des autres. L'objection principale avancée à l'encontre de cette approche, outre le rapport distancié entretenu avec l'empirie par Charles W. Mills, repose sur le fait que, si l'indentification d'une position de pouvoir permet de saisir empiriquement celui qui l'occupe, elle ne nous dit rien sur l'usage concret qui en est fait, ni même s'il en joue (Dahl, 1958). De ce fait, si l'approche en termes de positions constitue une avancée dans le processus d'identification des élites dans l'analyse par régression du social background des parcours, itinéraires, carrières ou encore trajectoires, elle reste impressionniste sur l'exercice réel du pouvoir [5]. C'est pour cette raison que beaucoup de sociologues considèrent que le seul usage de la méthode positionnelle est insuffisant (Rose, 1967, p.256).
La seconde méthode, qualifiée de réputationnelle, a été élaborée par Floyd Hunter dans son étude sur la structure du pouvoir à «Regional City» (Atlanta) (1953). Son objectif était de vérifier empiriquement le pouvoir d'influence de l'élite économique sur la vie politique en identifiant des leaders. Dans un premier temps, il s'est adressé directement à un échantillon de dirigeants considérés a priori comme les plus importants des organisations locales (conseil municipal, chambre de commerce, organisations civiques, leagues, presse, etc.) et leur a demandé, dans le cadre d'entretiens directifs, de dresser une liste de ceux qui, selon eux, gouvernent [6]. Puis, dans un deuxième temps, Hunter a construit un groupe de contrôle d'experts «représentatifs» des courants religieux, économiques et sociaux de la vie locale. Ceux-ci ont alors désigné dans chacune des listes élaborées par le groupe précédant les dirigeants dont le pouvoir serait selon eux décisif sur la vie politique locale, ce qui a permis de réduire l'échantillon initial de personnalités influentes (une quarantaine). Afin de contrôler les biais éventuels du dispositif, Hunter a étudié ensuite lui-même la réputation de cet échantillon de leaders désignés comme tels en leur demandant (dans le cadre d'entretiens semi-directifs) quelles sont les personnes qui ont la capacité d'influencer la prise de décision. Au final, Floyd Hunter a constaté que l'on obtient un assez fort chevauchement entre les différentes listes de réputation établies par les deux groupes tests ce qui l'a amené à déduire que les élites se connaissent et se reconnaissent comme telles [7]. La méthode réputationnelle a fait l'objet d'une double critique. D'une part, il lui a été reproché de ne pas mesurer l'implication «réelle» de leaders dans les processus décisionnels qui, par ailleurs, différent en fonction des secteurs d'action politique (Dahl, 1958, 1961). En effet, Floyd Hunter a tendance à surévaluer le pouvoir de l'élite économique sur l'ensemble des décisions prises au niveau de la vie politique locale. D'autre part, le résultat dépend de la constitution des panels interrogés (Rose, 1967).
La méthode décisionnelle a été élaborée par Robert Dahl (1961) dans l'intention de réfuter à la fois les théories de Charles Wright Mills, au niveau national, et, au niveau local, celles de Floyd Hunter, ainsi que de confronter son modèle polyarchique de la démocratie pluraliste à la réalité empirique de la pratique du pouvoir. Robert Dahl reproche aux auteurs précédents, qualifiés de monistes, de ne mesurer que la réputation qu'un groupe d'individu à détenir le pouvoir et de confondre ainsi pouvoir d'influence et pouvoir réel concrétisé par des décisions effectives. Il propose de déplacer la focale d'analyse vers l'étude minutieuse du processus qui conduit à la prise de décision. Il ne s'agit plus de déterminer qui a la réputation de détenir une grande influence, mais d'observer quels sont les acteurs qui interviennent, de quelle manière, avec quel poids. Dans son étude portant sur un siècle de gouvernement local dans la ville du New Haven, Robert Dahl commence par reconnaître qu'une oligarchie économique et sociale a bien dominé la ville à la fin 19ème siècle pour mieux souligner ensuite que dans les années 1950 le pluralisme s'impose dans les décisions politiques. Il adopte une approche globale de la réalité socio-politique de New Haven prenant en compte la structure sociale de la société locale [8]. Sa démonstration empirique repose sur trois types de décisions : la nomination par les partis politiques des décideurs exécutifs locaux, la politique de rénovation urbaine et la politique d'enseignement public [9]. Cette approche «sectorielle» le conduit à identifier un petit nombre de leaders capables d'influencer le contenu de la décision politique. Il en distingue trois catégories : les politiques (qui détiennent certaines charges électives), les notables sociaux et les notables économiques. Il étudie ensuite l'influence de chaque type de leaders dans la prise de décision dans les trois domaines de l'activité politique retenus à partir de leur capacité à initier ou à s'opposer à des politiques. La prise en compte des origines sociales (variable indépendante) de ceux qui occupent les positions décisionnelles lui permet de souligner que les membres de la haute société (business class incluse) n'ont pas une capacité à influencer ou à opposer leur veto supérieure à celle de ceux qui sont dotées de ressources sociales plus faibles. De plus, l'implication dans la prise de décisions des notables économiques varie fortement entre les différents secteurs (forte dans les politiques de rénovation urbaines, faible dans les politiques d'éducation publique) [10]. Enfin, les élites économiques, dotées de ressources importantes (statut, moyens financiers, accès aux médias, etc.), ont tendance à se diviser sur certaines décisions, notamment celles qui sont à l'initiative du maire. Robert Dahl en conclut que les élites économiques comme tout autre type d'élite politique ne peuvent pas être considérées comme formant une élite du pouvoir.
Le débat entre monistes et pluralistes a donc conduit à l'élaboration de nouvelles méthodes [11] permettant d'appréhender concrètement le pouvoir en tenant compte des politiques publiques comme on peut le voir dans des travaux ultérieurs mettant en avant l'existence de réseaux de pouvoir.
1.3. Réseaux de pouvoir et prise en compte de l'action publique
Le premier à avoir articulé l'analyse de l'élite du pouvoir avec celle du processus de fabrication des politiques publiques est G. William Domhoff (1967), qui a développé la notion de «policy-planning network» correspondant à un réseau agrégeant des fondations, des think tanks et des «policy-discussion groups» (c'est-à-dire des forums, créés ad hoc et financés par des Fondations), pour montrer comment l'élite économique agit en amont sur les politiques qui sont ensuite reprises par le gouvernement. Sa présence dans les conseils d'administration de grandes universités, des Fondations et des think tanks et ses capacités de financement permettent de contrôler les experts et les idées. Cette influence sur le processus décisionnel se prolonge par la création de «task forces» produisant des rapports et servant de creuset pour le recrutement par le gouvernement des «appointees». Se forme ainsi une oligarchie qui façonne les politiques publiques en fonction de ses intérêts (1987). C'est donc à partir des connexions entre des réseaux multiples fortement intégrés à la structure de l'administration et du gouvernement que l'élite des affaires contrôle le pouvoir politique aux Etats-Unis (Domhoff, 1990). Afin de remédier aux limites de l'approche positionnelle et réputationnelle, Domhoff invite la sociologie des élites à mobiliser la méthode d'analyse formelle des réseaux pour mesurer la densité des relations et en déduire ensuite les connexions politiques.
D'autres recherches empiriques, prolongeant les intuitions de Domhoff, ont souligné le rôle central de think tanks situés en dehors de l'administration et du gouvernement (Peschek, 1987 ; Allen, 1992 ; Burris 1992). Ces travaux montrent que les programmes de politiques publiques sont la plupart du temps façonnés en dehors de l'Etat par des «planners elites» [12], comme l'illustre le fait que les membres de ces réseaux sont nommés dans des postes politiques clefs d'une nouvelle administration fédérale après une victoire électorale entraînant une alternance politique (Dye, 2001). Cette circulation a été particulièrement mise en évidence lors de la formation des administrations Reagan et Bush Jr. (Allen, 1992 ; Mann, 2004). Si ce type circulation entre des positions de pouvoir constitue une avancée pour la recherche, la mesure empirique de sa réalité a été critiquée (Laumann, Knoke, Kim, 1985, p.4). En effet, elle est souvent réduite à la centralité d'un nombre restreint d'institutions (telles que l'American Entreprise Institute, la Brookings Institution, le Business Council, etc.) et à la mise en exergue de quelques cas individuels au parcours fortement singulier auxquels on impute ensuite une grande influence sur les décisions dans les politiques gouvernementales.
En mobilisant ces acquis méthodologiques de l'analyse structurelle des réseaux, d'autres chercheurs étasuniens ont remis en cause le pouvoir d'une élite dirigeante issue du monde des affaires dans le processus de production des politiques publiques (Laumann, Knoke, Kim, 1985 ; Laumann, Knoke, 1987). Refusant d'utiliser des données de seconde main sur les dirigeants des grandes entreprises comme le fait Domhoff, ces chercheurs ont développé un nouvel appareillage sociologique fondé sur la mise en avant de «networks of elites structure» afin de saisir le comportement et les intérêts des élites qui font les politiques. Pour eux, l'étude empirique des interactions entre les administrations gouvernementales et les groupes de pression laisse à penser que l'Etat américain est composé d'un réseau d'organisations complexes qui correspond de ce fait un Etat organisationnel (Organizational State). Pour éviter certains des problèmes posés par l'analyse structurelle des élites du pouvoir, Laumann et Knoke (1987) proposent de séparer la question de l'influence (sur les politiques publiques) de celle de la domination (sur le pouvoir) ; et de réduire l'échelle d'observation des interactions entre les élites à des secteurs de politiques publiques («policy domains»). Partant de là, en combinant les apports des différentes méthodes d'analyses des élites [13], ils mettent au jour des réseaux où, en amont de la décision, se constituent des visions partagées d'un problème, se forment des coalitions, des échanges et des négociations qui façonnent le contenu d'une politique publique donnée (Laumann, Knoke, Kim, 1985, pp.4-5). Afin de valider ou d'invalider l'hypothèse de l'influence de réseaux d'élites sur le processus de fabrication des politiques publiques, ils mesurent très précisément l'intensité et l'efficacité des interactions. La comparaison entre le domaine de la santé et celui de l'énergie permet de saisir une variation de l'influence effective des réseaux d'élites qui s'explique principalement par des différences dans le degré d'institutionnalisation de ces domaines d'action publique. Par ailleurs, cette perspective conduit à souligner le rôle central de certains acteurs qui, sans exercer une influence déterminante dans le processus de construction d'une politique publique, occupent une position de courtier («brokerage position») ou de médiateur qui in fine s'avère centrale dans la formulation définitive d'une politique (Fernandez, Gould, 1994, p.1483) [14]. Par là, ces chercheurs mettent en doute la centralité d'une élite d'Etat ou des affaires en position de monopole.
Cette méthode déductive et globale permet de mettre au jour des acteurs collectifs («elite networks»), situés en dehors mais aussi à l'intérieur de l'Etat, susceptibles d'influencer en profondeur mais de façon différenciée selon les secteurs le processus de construction des politiques publiques. Toutefois deux limites de cette approche peuvent être soulignées. La première est le fait que la focalisation de ces travaux sur des «policy events», c'est-à-dire des décisions considérées comme clefs, ne permet pas de saisir les transformations d'une politique publique dans la durée [15]. C'est pour cela que la démarche que nous avons développée analyse les politiques et les acteurs qui les font dans une temporalité longue (plus de vingt ans dans le cas empirique qui sera présenté), ce qui permet aussi d'analyser la structuration progressive d'un groupe élitaire. La seconde limite tient au fait que l'approche en termes de réseaux d'élites ne prend pas en compte les idées défendues par ces acteurs. L'analyse des conceptions et des représentations permet d'analyser le pouvoir d'un groupe élitaire en termes de capacité à transformer une politique publique conformément au programme qu'elle soutient et surtout de voir en quoi celui-ci participe à la structuration même de ce type d'acteur collectif. Cette démarche, que nous qualifions de programmatique, articule ainsi plus nettement méthodes quantitatives et méthodes qualitatives.
2. La démarche programmatique : analyse des programmes et des trajectoires
La démarche programmatique repose sur deux postulats : la nécessité de prendre en compte dans la durée des carrières professionnelles ancrées dans un domaine de politique publique et l'importance des programmes d'action publique en compétition dans l'arène politique. L'identification d'acteurs au contenu d'un programme favorise à la fois la construction d'une identité et d'une action collectives tout en augmentant la probabilité de son imposition dans le processus décisionnel. Celle-ci n'est pas liée à une position d'intermédiaire à la différence des policy brokers dans le cadre de l'advocacy coalition framework (Sabatier, Jenkins-Smith, 1999), des policy entrepreneurs chez Kingdon (1984) ou encore du cas de la santé analysé par Fernandez et Gould comme on l'a vu. La démarche programmatique, d'une part, intègre les apports de l'analyse cognitive des politiques publiques (Sabatier, Schlager, 2001) à celle des élites, et, d'autre part, cible l'analyse du pouvoir sur un domaine spécifique de l'action publique en l'inscrivant plus fortement dans la durée afin d'appréhender la capacité de changement d'une élite. Dans cette perspective, le pouvoir de transformation d'un groupe élitaire dans un domaine de politique publique repose à la fois sur l'existence d'un programme proposant un changement d'orientation de l'action publique, et sur la détention de ressources (savoir faire professionnel et positions de pouvoir) permettant de réaliser ce programme.
2.1. Le programme d'action publique comme objet de recherche et comme analyseur du changement
Un programme d'action publique articule des objectifs généraux, des représentations des problèmes et des enjeux, des argumentaires avec des mesures et des instruments concrets. Un programme est à la fois un élément qui participe à l'homogénéisation d'un groupe par-delà des propriétés partagées et un instrument de mesure de son pouvoir à partir de la question : dans quelle mesure une politique publique est conforme à un programme ?
L'identification d'un programme est donc un enjeu méthodologique majeur qui répond à une triple exigence.
La première est la constitution de corpus homogènes. En effet, les matériaux discursifs disponibles sont multiples (entretiens, rapports, discours et prises de position dans des enceintes politiques ou administratives, interventions dans les médias, articles dans des revues et dans la presse spécialisée, ouvrages, sites internet, blogs...), mais d'importance et de valeur inégales. Il est notamment nécessaire de constituer des sous corpus [16], à la fois par catégorie de support pour tenir compte des effets liés au type de public auquel les acteurs s'adressent (contexte), et par période pour intégrer les effets de la temporalité (dynamiques diachroniques).
La deuxième exigence renvoie à l'analyse des lieux de production et de diffusion des programmes, parfois désignés par l'expression «forums de politique publique» (Jobert, 1995). On peut les définir comme les lieux de construction intellectuelle de l'action publique, où s'élaborent des diagnostics sur la base desquels sont proposés des orientations, des principes et des instruments d'action publique. Ces forums peuvent aussi être des espaces de débats et de controverses. Ils sont de différentes natures : scientifiques (universités, laboratoires de recherche, colloques, séminaires...), administratifs (commissions officielles, structures de concertations, missions, rapports...), privés (think tanks, cabinets de conseil, agences privées...) ou encore internationaux (institutions internationales en particulier). Ce sont des espaces où les ressources d'expertise sont particulièrement valorisées. L'étude de ces lieux suppose de s'appuyer sur des entretiens et de l'observation directe afin de comprendre les processus de diffusion des systèmes de représentation. Ils peuvent également être analysés à partir de matériaux discursifs, en portant notamment une attention aux références utilisées, aux citations, aux emprunts...
Reste à comprendre comment ces représentations sont reçues. C'est la troisième et dernière exigence, celle de l'analyse de leur appropriation par les acteurs. Elle suppose de recueillir des matériaux biographiques permettant de retracer des trajectoires intellectuelles à partir du parcours de formation et des interactions (rencontres et contacts jouant un rôle intellectuel structurant). Toutefois, ce type d'analyse en termes de socialisation n'est pas suffisant : il faut y ajouter les gains ou les bénéfices que retirent les acteurs de leurs croyances. Ils ont, le plus souvent, de «bonnes raisons», correspondant à une rationalité subjective (Boudon, 1990), d'adhérer à un système de représentations comme l'a montré Henri Bergeron (1999) pour les politiques de lutte contre la toxicomanie. Jouent ici tout particulièrement des intérêts de pouvoir liés à une position occupée (politique, administrative, institutionnelle, dans une organisation, dans un parti, dans un groupe d'intérêt...). La prise en compte des intérêts positionnels est essentielle dans la mesure où elle permet d'intégrer les gains de pouvoir espérés comme clef de lecture possible des stratégies élitaires.
L'articulation entre représentations et action conduit aussi à prendre en compte l'identité des acteurs. Comme l'a mis en évidence Alessandro Pizzorno (1990) à propos de l'action collective, une approche en termes d'intérêts et une approche en termes d'identité ne sont pas incompatibles si l'on part du postulat que, dans et par l'action, les individus cherchent aussi à (ré)affirmer une identité, en particulier dans un contexte d'incertitude des valeurs ou de remise en cause d'identités : «la situation d'action collective permet la fondation, ou la refondation, de l'identité qui [...] conduira [un individu] à donner sens à ses choix et à ses calculs» (ibid., p.80). Les stratégies d'acteurs sont orientées par des «incitations normatives» [17].
Ainsi la prise en compte de la dimension cognitive permet à la fois de densifier l'analyse empirique de la cohésion d'un groupe programmatique (non seulement par des propriétés partagées et une socialisation commune, mais aussi par l'adhésion à un programme de changement dans l'action publique) et d'orienter l'analyse du pouvoir de ce groupe autour de la question : l'action publique est-elle réorientée selon ce programme ?
2.2. De l'analyse des trajectoires à celle du pouvoir
La réponse à cette question suppose une double démarche d'enquête : d'une part l'analyse du groupe programmatique en interaction avec d'autres acteurs (qui peuvent être aussi structurés autour de programmes de changement ou jouer un rôle de veto), en particulier dans le cadre des processus décisionnels ; d'autre part la mise au jour des ressources d'action publique (ressources juridiques, matérielles, de savoir, de légitimité, sociales, temporelles...) de ce groupe. En effet, la capacité d'orientation d'une politique publique par un groupe porteur d'un programme repose sur la détention de ressources d'action publique. Pour en rendre compte il est nécessaire de porter une attention particulière aux trajectoires des acteurs. En effet, si certaines d'entre elles sont étroitement liées à des positions occupées (c'est en particulier le cas pour les ressources juridiques et les ressources matérielles), d'autres dépendent beaucoup plus directement des trajectoires. C'est le cas notamment pour les ressources d'expertise individuelle qui résultent de l'accumulation de savoirs et d'expériences sur un enjeu donné. Leur accumulation peut correspondre à un processus de spécialisation. C'est aussi le cas pour les ressources sociales et politiques qui reposent sur la structuration progressive de réseaux d'interconnaissances autour d'un individu donné.
La démarche programmatique vise donc à rendre compte des trajectoires (pour comprendre l'accumulation de ressources pour l'action), des systèmes de représentation (pour comprendre l'orientation de l'action) et de l'intervention dans les processus décisionnels (pour comprendre la nature et la portée de l'action). D'un point de vue opératoire, elle repose sur neuf aspects principaux [18].
(1) Le premier est le repérage des acteurs susceptibles de faire partie d'un groupe programmatique dans un domaine de politique publique donné. Cette opération s'appuie sur la sélection d'une population d'acteurs identifiés à partir de positions considérées a priori comme étant en relation avec le processus de prise de décision.
(2) Le deuxième aspect est la reconstitution de trajectoires socio-politiques [19] d'individus occupant dans le temps plusieurs positions de pouvoir dans un domaine d'action publique particulier.
(3) Le troisième consiste à vérifier si un ensemble de trajectoires partagées et croisées est repérable (en termes de circulation et de cumul de positions de pouvoir) [20], permettant ainsi de mettre au jour les ressources détenues collectivement et d'avancer l'hypothèse de l'existence d'une identité collective en termes de sentiment d'appartenance à un même groupe.
(4) La construction de cette identité suppose une socialisation créant des liens entre ces acteurs, que l'on peut appréhender en termes d'estime réciproque et d'interactions à repérer et à mesurer.
(5) Elle repose aussi sur l'existence d'un programme d'action publique applicable à un domaine de politique publique. Le cinquième aspect est donc la mise au jour et l'analyse du programme d'action partagé par ces acteurs) [21] que nous avons déjà présenté. Toutefois, ces éléments ne sont pas suffisants pour mettre au jour le pouvoir d'un groupe élitaire.
(6) Il faut, en effet, repérer concrètement comment (par des propositions de changement, par la formulation de contenus de politique publique, par l'élaboration de nouveaux instruments d'action publique...) et où le groupe programmatique préalablement repéré intervient dans la construction des problèmes et les processus décisionnels en interaction avec les autres acteurs du domaine de politique publique étudié.
(7) L'influence du groupe programmatique sur la décision ne se réduit pas au choix d'un nombre restreint de décisions clefs comme chez Laumann et Knoke, mais est appréhendée comme un processus inscrit dans la durée (au minimum une décennie) pour analyser le changement, plus précisément la capacité d'un groupe à orienter la transformation d'une politique publique.
(8) Cette inscription de l'analyse décisionnelle dans la moyenne durée, voire de la longue durée (comme l'avait fait Robert Dahl), permet de mettre au jour les différents processus d'apprentissage (May 1992) : cognitifs (concernant le contenu du programme) [22], stratégiques (portant sur la façon de faire prévaloir un programme) et instrumentaux (concernant l'efficacité de tel ou tel instrument à partir de sa mise en oeuvre).
(9) Enfin, cette démarche tient compte des contextes (institutionnels, politiques, économiques, techniques, scientifiques, socio-démographiques, intersectoriels, supra-nationaux...) ayant un impact sur la construction collective d'une politique publique, ce qui permet de prendre en compte leur caractère aléatoire. Elle repose donc sur une conception de l'action publique en termes d'interactions d'acteurs contextualisées (Hassenteufel, 2008a, chapitre 5).
La démarche programmatique ne se limite pas à la combinaison de méthodes de l'analyse des élites (sociographique, positionnelle, réputationnelle et décisionnelle) et de l'analyse des politiques publiques (approche cognitive), elle propose d'appréhender sous un autre angle la transformation de la structure du pouvoir en mettant l'accent sur le lien entre changement dans les trajectoires élitaires et l'orientation de l'action publique, comme le montrent nos enquêtes sur le rôle central des hauts fonctionnaires dans la transformation du système de protection sociale français.
3. La constitution d'une "élite du Welfare" en France (1981-2007)
Ces recherches [23] ont été menées à partir de la question suivante : qui gouverne la protection sociale ? Il s'agissait par là de revenir sur la problématique de la fin du pouvoir des technocrates dans le cadre de la mutation de l'Etat fort à la française (Birnbaum, 1998), en travaillant sur un domaine de politique publique où l'autonomie de l'état est limitée, à la fois par les partenaires sociaux (représentants des employeurs et des salariés) qui gèrent les caisses de Sécurité sociale et par des groupes d'intérêts influents et puissants (syndicats de médecins pour l'assurance maladie, associations familiales pour les politiques familiales). En partant des positions administratives et politiques occupées par des hauts fonctionnaires depuis 1981 [24] nous avons cherché à apporter des éléments de réponse à deux questions : celle de l'homogénéité de ces acteurs à partir de la mise au jour de leurs liens et de leurs conceptions en matière d'orientation des politiques publiques ; celle du pouvoir de ces hauts fonctionnaires à partir de l'étude de leurs ressources et de leur intervention dans les processus décisionnels. L'analyse des trajectoires et des représentations de ces hauts fonctionnaires combinée à celle des processus décisionnel nous a conduits à mettre en évidence un groupe élitaire porteur d'un programme de transformation sectoriel, autrement dit une élite programmatique : l'élite du Welfare.
3.1. L'identification d'un groupe élitaire : les "gestionnaires du social"
L'analyse sociographique [25] de cette population de hauts fonctionnaires, à partir des critères classiques de ce type d'étude (genre, Cursus honorum, âge d'entrée dans la haute administration et dans l'administration centrale, présence dans les cabinets ministériels...), a d'abord confirmé, une nouvelle fois, le rôle prépondérant de l'ENA [26] et le poids de certains grands corps (en l'occurrence la Cour des Comptes) dans la conduite des affaires de l'Etat (Suleiman, 1974 ; Thoenig, 1987 ; Eymeri, 2001). Ensuite, les indicateurs de positions occupées dans le secteur (plus de deux postes importants), croisés avec la durée (plus de trois ans dans le secteur), nous ont permis d'identifier un groupe d'acteurs plus restreint (un quart de l'échantillon initial) faisant carrière dans le secteur [27], ce qui est un phénomène nouveau pour un secteur auparavant jugé peu attractif et dont les hauts fonctionnaires cherchent à partir. Cette continuité, par-delà les alternances politiques, se renforce à la fin des années 1990. Parmi les hauts fonctionnaires qui occupent des positions importantes dans le domaine de l'assurance maladie après 1997, près de la moitié étaient déjà présents dans ce secteur d'action publique avant 1997. Pour les hauts fonctionnaires liés à la gauche, on note une présence significative, entre 1997 et 2002, d'anciens membres du cabinet de Claude Evin (1988-1991). Pour les hauts fonctionnaires liés à la droite, les parcours les plus significatifs passent par les cabinets Veil (1993-1995) et/ou Barrot (1995-1997). Au-delà de ces continuités de personnes, les parcours des hauts fonctionnaires qui entrent dans le secteur après 1997 sont assez semblables à ceux de la période précédente avec deux types de carrière fortement spécialisée sectoriellement : celui des hauts fonctionnaires de cabinet, pour lesquels le passage en cabinet permet d'accéder à un poste sectoriel clef, et celui de la spécialisation administrative.
L'analyse précise des trajectoires, en croisant des données pré-construites (fiches biographiques) et les entretiens, nous a donc permis d'identifier un groupe de hauts fonctionnaires investissant le domaine de la protection sociale, plus précisément de l'assurance maladie. Le premier élément d'homogénéisation du groupe est sa spécialisation reposant sur l'accumulation d'une capacité d'expertise et de savoir faire s'inscrivant dans un processus de social learning (Heclo, 1974), notamment au sein de corps spécialisés comme la Cour des comptes et l'Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), ainsi que la Direction de la Sécurité Sociale (DSS) qui s'est affirmée comme une institution clef du secteur. Des liens interpersonnels, qui se traduisent notamment par une estime mutuelle assez forte, jouent également un rôle intégrateur important. Quelques figures marquantes de hauts fonctionnaires ont structuré des réseaux informels qui ont contribué à la formation de cabinets, sur la base d'affinités entre des personnes possédant un haut niveau de compétence plus que sur la base de proximités politiques. Surtout, ce groupe d'acteurs partage et porte un même programme de changement que l'on peut formuler de la façon suivante : «pour préserver la Sécurité sociale, il faut l'adapter à la contrainte financière en renforçant le rôle de pilotage de l'Etat et en ciblant les prestations sociales vers les plus démunis» (Genieys, Hassenteufel, 2001). Les hauts fonctionnaires que nous avons interviewés se sont tous montrés très attachés aux principes fondateurs de la Sécurité sociale française tout en privilégiant une approche financière des politiques de protection sociale. Ils mettent l'accent sur les responsabilités de l'Etat en se fondant sur une critique du paritarisme. Cette affirmation du rôle de l'administration par rapport aux caisses de Sécurité sociale constitue un leitmotiv récurrent qui, bien que n'étant pas radicalement nouveau, s'affirme très fortement depuis 1981.
Nous avons qualifiés de «gestionnaires du social» les hauts fonctionnaires s'investissant dans le secteur de l'assurance maladie après 1988. Ils se caractérisent, de manière générale, à la fois par une acceptation partagée de la contrainte financière sur les politiques sociales (Brocas, 2001), et par un usage stratégique de celle-ci, afin de garantir leur autonomie vis-à-vis d'autres hauts fonctionnaires avec lesquels ils sont en compétition. Ces hauts fonctionnaires ont aussi en commun une filiation par rapport aux deux générations précédentes identifiées (les «grands anciens» et la «génération 81»). Celle-ci se traduit par le développement d'interconnaissances et un apprentissage d'une approche renouvelée des politiques sociales au sein des différents corps du secteur (Cour des comptes et IGAS). Si les générations précédentes avaient «intériorisé» la dimension financière dans leur approche des politiques sociales, les «gestionnaires du social» l'ont reconvertie en ressource, à travers la construction de nouveaux instruments d'action publique, leur permettant d'affirmer leur pouvoir à l'intérieur du secteur, vis-à-vis des partenaires sociaux, mais aussi à l'extérieur du secteur, à l'égard du ministère des finances. Ces deux dimensions ne sont pas sans rappeler les critères d'intégration verticale (cette génération succède à celle qui l'a formée) et d'intégration horizontale (elle se différencie des autres par le savoir technique), caractérisant selon Robins (1976) le processus d'institutionnalisation d'un groupe d'élites dans la structure du pouvoir.
La tutelle financière imposée par le ministère des Finances sur les politiques sociales à partir de 1983, vécue dans un premier temps comme une contrainte imposée au secteur, devient, au terme d'une réappropriation tactique, une ressource déterminante dans la construction d'un nouveau programme d'action publique fondée sur la maîtrise des comptes sociaux. Cela se traduit par le développement d'une «contre-culture», au sein de la direction de la Sécurité sociale en particulier, comme l'atteste son rôle central dans la promotion des idées qui constituent le substrat intellectuel du Plan Juppé. Il est frappant de voir comment les hauts fonctionnaires de cette direction revendiquent la paternité de cette réforme sans avoir d'affinité politique avec le gouvernement en place. En son sein, les hauts fonctionnaires qui promouvaient le progrès social ont laissé leur place à une élite sectorielle qui privilégie une approche financière des politiques sociales, au point même de se voir qualifier de «véritable ministère du budget social». Ce changement est perceptible lors des nombreux arbitrages interministériels avec les représentants de la Direction du Budget qui se déroulent au niveau du 1er Ministre et où s'affrontent deux conceptions des politiques d'assurance maladie [28]. Cette nouvelle situation conduit en retour le processus d'homogénéisation d'une élite sectorielle qui doit, pour faire face, faire preuve de cohérence dans les politiques publiques qu'elle initie. Un interviewé déclare que le moment «où les Finances avaient un rôle d'initiative, parce qu'il y avait une situation d'urgence financière et une carence du Ministère des Affaires sociales, est en train de s'inverser. On passe à une nouvelle étape, plus routinière, où les Affaires sociales, voyant venir les difficultés, font des propositions qu'elles sont aptes à traiter et que les Finances passent au crible, mais s'en contentent». Ce phénomène est corrélatif au nouveau profil des personnels qui gouvernent les sommets de l'Etat social : «La grande qualité des gens qui sont aux postes de directions actuellement dans le secteur social, c'est qu'en plus de la capacité intellectuelle générale du haut fonctionnaire, il lui faut maîtriser un arsenal de documentation, à cheval sur les finances et le social. On ne va pas à la bataille avec les Finances comme ça, avec de bonnes intentions, ou en disant, c'est nous qui avons raison, car c'est un affrontement continuel» [29]. On voit bien ici comment la logique des arbitrages interministériels conduit les élites d'un secteur à s'approprier l'approche financière et à en faire un outil de différenciation vis-à-vis des «économistes d'état» (Jobert, Théret, 1994). Cette stratégie de différenciation se traduit par un souci très marqué de prise en compte de la contrainte financière, dans une logique d'autonomisation par rapport aux élites des Finances [30]. La prise en compte du point de vue de Bercy est certes importante, comme le montre le passage, pour certains, au bureau de la direction du Budget en charge des comptes sociaux. Mais, si l'espace des possibles est borné par Bercy, c'est l'élite du Welfare qui produit les outils d'action publique orientés vers la maîtrise des comptes de l'Assurance maladie. Les hauts fonctionnaires et staffers ministériels interviewés estiment être les seuls à être capable de faire mieux que le ministère des finances. En effet, ils pensent tenir les deux bouts du spectre d'une même main : des politiques socialement et politiquement acceptables et la logique de rationalisation budgétaire des comptes sociaux [31].
3.2. Une élite qui affirme le pouvoir sectoriel de l'Etat
Pour mettre en place son programme et s'autonomiser à la fois vis-à-vis du Ministère des Finances, des partenaires sociaux gérant les caisses, des groupes d'intérêts (médecins, industrie pharmaceutique ...) et des acteurs politiques, ces hauts fonctionnaires s'appuient sur des ressources d'expertise et de pouvoir. L'occupation successive de positions de pouvoir multiples leur confère en effet une capacité d'intervention dans la définition des politiques publiques et une autonomie croissante.
Ces ressources se concentrent en particulier à la DSS qui, avec ses 40 «staffers» dotés d'un savoir faire de haut niveau (énarques/administrateurs civils) et spécialisé sur les politiques d'assurance maladie, est en mesure d'assumer la maîtrise des comptes sociaux [32] de façon plus autonome par rapport à Bercy : «Bercy, certes ils sont globalement puissants, mais sur les affaires sociales, ils n'ont qu'un bureau, le 6B (2 personnes) et quelques personnes à la direction de la Prévision qui réfléchissent à ces questions. à partir de là, ils n'ont pas la taille critique pour contrer l'argumentation sur les politiques avancée par la DSS» (ibid.). Le conflit qui opposa en interministériel l'élite du Welfare aux hauts fonctionnaires des Finances en 2004, lors de l'élaboration de la loi sur l'assurance maladie, permet de mesurer les effets de l'inversion du rapport de forces et d'appréhender concrètement le pouvoir de cette élite sur le processus de décision. Mobilisée autour de la défense de son approche, la DSS a réussi à faire prédominer la plupart de ses propositions lors des arbitrages. L'argument de la contrainte financière, initialement mobilisé au moment de la mise en place de la rigueur budgétaire par les «économistes d'état», est devenue un atout stratégique au service d'une élite Welfare qui, au «nom de l'Etat», cherche à contrôler les comptes sociaux (en aval) pour mieux assurer (en amont) la durabilité du modèle de protection sociale à la française («une Sécurité sociale durable»).
Le recours à la démarche programmatique permet donc de mettre en évidence la structuration progressive, au cours des périodes étudiées, d'un groupe de hauts fonctionnaires, au profil sociologique commun, aux conceptions partagées et jouant un rôle central dans l'élaboration des politiques de protection sociale par-delà les alternances politiques, nombreuses au cours de cette période. En effet, dans le secteur de l'assurance maladie, des éléments de forte continuité sont assez clairement repérables dans la conduite des politiques publiques. Elles s'inscrivent dans un programme d'action publique cohérent centré sur l'affirmation du rôle régulateur de l'Etat. Ce programme est progressivement réalisé à travers des changements institutionnels qui renforcent les positions de ces hauts fonctionnaires comme le traduisent en particulier le plan Juppé (1996) et la loi sur l'assurance maladie de 2004. L'aspect politiquement le plus valorisé du plan Juppé a été la réforme constitutionnelle (modifiant l'article 34 de la Constitution), complétée par la loi organique du 22 juillet 1996, qui confère au Parlement la responsabilité de l'élaboration de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS). élaborée sur le modèle des lois de finances, elle a pour vocation de mettre en place un grand débat national et annuel sur les comptes sociaux. Dans le cadre de la LFSS, le Parlement fixe également tous les ans un objectif national d'évolution des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) pour l'hôpital et la médecine de ville. Dans les faits, les LFSS ne ménagent qu'une marge d'action très limitée aux parlementaires. Elles apparaissent bien davantage comme un renforcement des capacités d'action et de réforme du ministère en charge de la Sécurité sociale et de ses services administratifs, en renforçant sa légitimité à agir sur le système d'assurance maladie. Tout comme la loi de finances, la LFSS doit, en effet, être comprise d'avantage comme une loi permettant au Parlement d'autoriser le gouvernement à exécuter le budget social que comme une «détermination» du budget lui-même par le Parlement. Dans une telle configuration, la direction de la Sécurité sociale (DSS), joue un rôle essentiel tant dans la préparation du projet de budget qui est soumis à autorisation du Parlement, que dans son exécution, une fois la loi de financement votée.
Le deuxième aspect, lui aussi engagé en 1996, est la réduction de l'autonomie d'action des partenaires sociaux. Le plan Juppé renforce tout d'abord les pouvoirs du directeur national puisqu'il contrôle désormais le processus de nomination des directeurs des caisses locales, auparavant prérogative des conseils d'administration paritaires. Ceux-ci perdent par ailleurs un certain nombre de pouvoirs au profit des directeurs. Ensuite, il met en place des conseils de surveillance pour les conseils d'administration des différentes caisses nationales. Enfin, on assiste à un encadrement plus étroit de la négociation conventionnelle par l'état puisque celle-ci s'inscrit dorénavant dans le cadre d'objectifs financiers définis en dehors d'elle du fait des LFSS. Par la suite, avec la loi sur l'assurance maladie d'août 2004, est créée l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) qui rassemble les trois principaux régimes d'assurance maladie (régime général, agricole et des professions indépendantes). Elle est dirigée par le directeur de la CNAMTS, toujours nommé par le gouvernement, qui se voit par là doté de nouvelles prérogatives. C'est lui désormais qui négocie avec les syndicats de médecins et d'autres professionnels de santé exerçant en ville, sur la base d'un mandat issu du collège des directeurs au sein duquel il est majoritaire, et qui signe les conventions médicales, toujours soumises à l'approbation du gouvernement et devant permettre de respecter les objectifs de dépenses d'assurance maladie votés par le Parlement. Il s'agit-là d'une prérogative essentielle qui revenait précédemment au président du conseil d'administration de la CNAMTS, issu des rangs des partenaires sociaux. Le directeur général de l'UNCAM décide aussi de l'admission au remboursement des actes et des prestations et du niveau de celui-ci (montant du ticket modérateur et du nouveau forfait par acte et par consultation, place du secteur 2, etc.) ainsi que de la nomenclature. Cette forte affirmation des pouvoirs du directeur général de l'UNCAM, nommé pour cinq ans et seul responsable de la nomination des directeurs de caisses primaires de l'assurance maladie ainsi placés sous sa seule autorité, a pour corollaire l'affaiblissement des instances paritaires. L'UNCAM, comme l'ensemble des caisses d'assurance maladie, ne comprend plus de conseils d'administration mais de simples «conseils», qui se bornent à définir des orientations, à donner des avis (sur les accords conventionnels), à se prononcer sur des propositions (du collège des directeurs) ainsi que sur la nomination et le renvoi des directeurs à la majorité des deux tiers, ce qui rend incontournable l'accord des représentants des employeurs (Bras, 2004, p.969) ; ils ne gèrent donc plus directement les caisses placées sous l'autorité des directeurs. La redéfinition des rapports entre l'Etat et l'assurance maladie concerne également le secteur hospitalier avec la création des agences régionales de l'hospitalisation en 1996, ensuite intégrées aux agences régionales de santé créées par la loi «hôpital, patients, santé, territoires» de 2009 et accroissant le pouvoir régulateur de l'état.
On peut enfin mentionner le rôle direct qu'ont joué certains membres de ce groupe dans la formulation de nouveaux instruments d'action publique (Lascoumes, Le Galès, 2004). Il s'agit, par exemple, du «budget global hospitalier» en 1983 (associé à la figure de Jean de Kervasdoué alors qu'il était directeur des hôpitaux), de la «maîtrise médicalisée des dépenses de santé» (pour laquelle Gilles Johanet, alors directeur de la CNAM, a joué un rôle clef) au début des années 1990, ou bien encore de l'assurance maladie universelle, devenue «couverture maladie universelle» en 2000 (du fait du rôle joué par un petit groupe informel de hauts fonctionnaires de la Direction de la sécurité sociale). Ces mesures ont été discutées et élaborées au sein de la haute fonction publique avant d'avoir été mises en place à des périodes correspondant à des contextes politiques particuliers. Le plus souvent elles sont reprises et mises en place par des hauts fonctionnaires qui sont plus proches d'un autre camp politique, comme ce fut le cas en particulier pour le plan Juppé.
À travers ces décisions c'est bien le pouvoir de ces hauts fonctionnaires qui a été renforcé : la mise en place progressive du programme de changement s'inscrit dans une logique de prise de pouvoir que la démarche programmatique, combinant sociologie des élites et sociologie de l'action publique, permet de mettre au jour.
4. Démarche programmatique et analyse du changement
La démarche programmatique, formalisée ici à partir d'une étude de cas approfondie, peut-elle être appliquée plus généralement à l'analyse du changement ? Répondons tout d'abord que cette démarche a été ensuite utilisée pour un autre cas correspondant à un domaine très différent d'action publique : celui des politiques d'armement. L'étude de la mise en place du char Leclerc a permis de montrer comment une coalition entre un groupe d'ingénieurs et des militaires à conduit à la structuration de la croyance en la réalisation du «meilleur char du monde» et à s'imposer dans l'espace politique décisionnel (Genieys, Michel, 2006). Si la démarche adoptée conduit à mettre au jour un groupe programmatique, celui-ci, du fait de sa plus grande hétérogénéité, ne forme pas une élite. C'est aussi ce que montre la recherche comparative menée sur les réformes des systèmes de protection maladie européens depuis les années 1990 (Hassenteufel et al., 2008, Mire 2). Nous avons mis en évidence que l'existence d'une élite n'est qu'une modalité de structuration collective d'acteurs programmatiques et souligné leurs degrés variables de cohérence, de pouvoir et d'inscription dans la durée. En Allemagne, s'est structurée une coalition programmatique comprenant des acteurs plus diversifiés (parlementaires, ministres, fonctionnaires politiques, experts) que dans le cas français ; en Angleterre, les entourages du 1er ministre et des ministres de la santé composés d'experts et de managers forment des équipes programmatiques intervenant sur des périodes plus courtes qu'en France. Par conséquent la notion d'élite ne s'applique qu'au cas français et à la mise en place d'un système national de santé en Espagne.
L'usage comparatif de la démarche programmatique permet donc de mettre en évidence le fait que la structuration d'une élite n'est qu'un cas parmi d'autres d'émergence d'un groupe d'acteurs porteurs du changement, qui partagent un programme articulant des orientations nouvelles, la redéfinition des problèmes et des principes de légitimation, ainsi que des propositions d'action reposant sur la transformation des règles du jeu institutionnelles et l'introduction de nouveaux instruments, et qui sont dotés de ressources suffisantes pour pouvoir orienter et définir le contenu l'action publique [33].
La démarche programmatique peut aussi permettre de rendre compte des limites du changement en analysant l'action publique en termes d'interactions d'acteurs contextualisées (Hassenteufel, 2008a). En effet, on peut appréhender le changement à partir de trois catégories d'acteurs collectifs : les acteurs programmatiques, les acteurs veto (en faveur du statu-quo et sans programme de changement) (Tsebelis, 2002) et les acteurs intermédiaires [34] (jouant un rôle de médiateur à la fois stratégique et cognitif entre différents acteurs) (Nay, Smith, 2002). La présence ou l'absence de ces acteurs, ainsi que leur nombre et leurs ressources, peuvent être mis en relation avec le changement, le changement limité ou l'absence de changement sous la forme de sept cas de figure possibles.
- Cas de figure n°1 : absence d'acteurs programmatiques -> absence de changement.
- Cas de figure n°2 : un groupe d'acteurs programmatiques s'impose -> changement conforme au programme.
- Cas de figure n°3 : un groupe d'acteurs programmatiques échoue à s'imposer du fait du nombre et des ressources d'acteurs vetos -> absence de changement.
- Cas de figure n° 4 : plusieurs groupes d'acteurs programmatiques sont en concurrence, l'un d'entre eux s'impose -> changement conforme au programme du groupe programmatique qui s'impose.
- Cas de figure n°5 : plusieurs groupes d'acteurs programmatiques en concurrence se neutralisent -> absence de changement.
- Cas de figure n°6 : plusieurs groupes d'acteurs programmatiques s'accordent grâce à un ou des acteurs intermédiaires -> changement limité.
- Cas de figure n°7 : compromis entre un ou plusieurs acteurs programmatique et un ou des acteurs veto, rôle d'acteurs intermédiaires -> changement limité.
Le changement est donc fortement lié à la présence et aux ressources détenues par un groupe programmatique lui permettant de s'imposer face à d'autres acteurs. L'absence de tels acteurs collectifs ou le poids de groupes de veto explique le non changement. Le changement est limité lorsqu'interviennent des acteurs intermédiaires facilitant des accords entre des acteurs multiples et aux orientations opposées.
La démarche programmatique, en mettant au coeur de l'analyse le rôle de groupes d'acteurs plus ou moins homogènes, en lutte pour la détention d'un pouvoir sur l'action publique et porteurs de programmes de changement, permet de comprendre les transformations de l'État à la fois en termes de façon de gouverner mais aussi de différenciation, par la combinaison qu'elle opère entre sociologie des acteurs (qui permet de voir le degré de proximité à l'État), analyse décisionnelle (mettant au jour le rôle des acteurs étatiques et non étatiques) et mise au jour de programmes (qui ont souvent le rôle de l'État comme objet).
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Notes
[1] Un article de synthèse paru dans l'American Political Science Review à la fin des années soixante permet d'avoir un aperçu des travaux et des controverses méthodologiques qui se sont développées autour de la question des méthodes d'enquêtes appliquées à l'analyse du social background des élites (Edinger, Searing, 1967).
[2] Sur ce point, on peut se reporter au travail remarquable de contrôle des sources empiriques produites par l'I.N.S.E.E. sur la haute administration française, notamment via la réalisation d'un questionnaire "de contrôle" par Alain Darbel et Dominique Schnapper (1969 et 1972).
[3] Nous renvoyons ici à la critique d'Olgierd Lewandoski dans un article consacré à la façon dont le Who's who (dans sa version française) contribue à la formation d'une définition de l'élite en enregistrant un jugement social préexistant (1974, p.49).
[4] Dans le cadre de son enquête sur les hauts fonctionnaires et la politique en France, il réalisa des entretiens directifs auprès d'un échantillon de 100 directeurs généraux de l'administration centrale (1974). Il appliqua ensuite cette méthode à 100 directeurs d'entreprises publiques, PDG et directeurs d'administration centrale dans son travail sur les élites en France (1978).
[5] Pourtant Charles Wright Mills dans son plaidoyer pour la pratique de l'imagination sociologique prétend concilier l'approche positionnelle avec la prise de décision : «Aux Etats-Unis, actuellement, le pouvoir met en jeu plus d'une élite. Comment juger la position relative occupée par ces différentes élites ? Cela dépend des problèmes et des décisions. Une élite voit l'autre parmi ceux qui comptent. Reconnaissance mutuelle au sein de l'élite, que les autres comptent ; d'une façon ou d'une autre, on se considère réciproquement comme des gens importants. Projet : choisir trois ou quatre décisions cruciales des dix dernières années : lâcher de la bombe atomique, augmentation ou diminution de la production d'acier, grève de 1945 à la General Motors, et chercher à déterminer dans le détail le personnel qui y a pris part. Utiliser la «décision» et les prises de décision pour accrocher un entretien» (1959/1967, p.208).
[6] Cela lui a permis d'élaborer une liste de 175 leaders qui détiennent des positions formelles dans la vie politique, dans la vie économique, mais aussi dans la vie sociale (Hunter, 1953, pp.262-271).
[7] Pour Hunter, il est clair alors que «les hommes d'affaires sont les dirigeants de la communauté de Regional City comme ils le sont dans d'autres villes. La richesse, le prestige social et la machine politique sont liés au pouvoir de ces dirigeants» (1953, p.82).
[8] Pour lui, les différents types de notables locaux (sociaux, politiques, économiques) correspondent à autant de types d'élites dont l'action est analysée dans la longue durée à partir du Social Register (bulletin des notabilités), une série de décisions locales concrètes, le changement de comportement de l'électorat et de la participation politique (Dahl, 1961, vf. 1971, pp.355-369).
[9] Robert Dahl a eu recours à plusieurs sources pour reconstituer les circonstances de ces décisions : archives, documents, articles de journaux et surtout entretiens. Ces derniers, qui duraient jusqu'à six heures, furent conduits auprès de 46 personnes qui avaient participé activement à une ou plusieurs décisions clefs (échantillon d'acteurs construit en fonction des secteurs décisionnels retenus). Tous ces entretiens, qui ont parfois été répétés à plusieurs reprises, ont été conduits par Robert Dahl avec l'assistance de Nelson Polsby (Dahl, 1961/1971, p.360).
[10] Dahl montre une tendance générale à la spécialisation des leaders dans un secteur d'action publique entraînant une perte d'influence sur les autres domaines décisionnels.
[11] Dans le cadre de la sociologie française, ces méthodes ont eu faible écho dans la mesure où la plupart des chercheurs du Centre de Sociologie Européenne qui ont analysé les élites dans les années 1970 l'ont fait en termes de classe dominante (Bourdieu, Boltanski, Monique Saint-Martin et Olgierd Lewandowski) ou de classe dirigeante (Birnbaum). Ces sociologues partageaient le rejet des thèses élitistes et une approche structurelle du pouvoir de domination (Genieys, 2005b). Si les travaux français ultérieurs portant sur l'élite du pouvoir, menés non seulement au niveau national (par exemple Mathiot, Sawicki, 1999) mais aussi au niveau européen (par exemple Georgakakis, de Lassalle, 2007), intègrent la méthode positionnelle, elle n'est pas articulée avec des analyses décisionnelles. La sociologie française des élites a tendance à privilégier la sociographie des agents en position dominante au détriment de leur rôle dans les politiques publiques. On peut toutefois mentionner des travaux récents portant notamment sur les politiques d'immigration (Laurens, 2009) ou les politiques d'emploi (Colomb, 2010) articulant sociologie des élites et de l'action publique.
[12] Plus que la participation directe à la décision, ces élites assurent des fonctions de communication, de diffusion et de coordination qui influencent grandement le contenu des politiques choisies.
[13] Dans leur recherche fondamentale sur la politique de la santé et la politique énergétique, Laumann et Knoke (1987) ont combiné les approches positionnelle, réputationnnelle, relationnelle et décisionnelle pour établir une liste préliminaire d'acteurs représentant les organisations qui participent aux décisions, à partir des auditions au Congrès, de la presse spécialisée, des registres de lobbyistes, etc. (environ 1000 personnes). Cette liste donnée a priori est ensuite réduite à un échantillon de 100 à 200 noms à partir de la prise en compte des interactions entre les différents membres de ces organisations pour chaque domaine de politique publique lors des «policy events» (c'est-à-dire des moments clefs dans l'élaboration des politiques). Les interviews viennent ensuite jouer un rôle de correctif pour identifier les membres de réseaux.
[14] A contrario, ces auteurs expliquent l'échec de la réforme de la santé de l'administration Clinton par l'exclusion progressive de l'arène de politique publique d'acteurs jouant traditionnellement un rôle de courtier (Gould, Fernandez, 1994).
[15] C'est le même type de critique que l'on peut adresser à Catherine Grémion (1979) qui se focalise sur la réforme de 1964.
[16] Ce souci est notamment présent chez Pierre Muller (2000) qui s'est appuyé sur un dépouillement systématique de la presse professionnelle pour analyser le changement de référentiel dans le domaine agricole puis aéronautique ; de même Paul Sabatier se fonde sur l'analyse systématique du texte des auditions (hearings) des acteurs d'une politique publique devant des commissions parlementaires et/ou administratives (Sabatier, Jenkins-Smith, 1999).
[17] Elles «agissent sur le besoin de satisfaire des attentes que l'individu perçoit comme relevant de sa propre action ; ce sont des attentes pour que l'action se conforme à certaines normes morales.» (ibid., p.78).
[18] Précisons que cette énumération ne correspond pas à un ordre à adopter. L'identification des acteurs par la position, la réputation et la participation à la décision et celle du programme peuvent être menées simultanément. Le croisement des méthodes est central.
[19] Celles-ci peuvent varier fortement en fonction des États, des secteurs et des niveaux. L'objectif est aussi d'écarter les individus qui ne font pas carrière dans le domaine de politique publique analysé.
[20] Elle nécessite de combiner des données préconstruites (Annuaires, Who's who, Social register, etc.) et des données construites (entretiens en profondeur) afin de les contrôler.
[21] Elle doit également montrer comment les trajectoires de ces élites conduit à une appropriation d'une conception de l'action publique du secteur non seulement en termes de socialisation mais aussi en termes de gains ou de bénéfices (Kriesi, Jegen, 2001, p.284).
[22] Le programme est construit collectivement dans la durée, il est susceptible de modifications et d'inflexions progressives.
[23] Elles ont été effectuées sous la direction de Patrick Hassenteufel et financées par la MIRE-DREES (MIRE 1, 1999 et MIRE 2, 2008). Elles ont donné lieu à plusieurs publications académiques : Genieys, Hassenteufel (2001) ; Genieys (2005a et 2008), Genieys, Smyrl (2008a et b), Hassenteufel (2008b).
[24] Dans le cadre de l'enquête MIRE 1 (1996-1998) nous avons travaillé sur les hauts fonctionnaires occupant des positions permettant de participer à la décision en matière de politiques d'assurance maladie et de prestations familiales (133 personnes entre 1981 et 1997). Cette population a été choisie en fonction d'indicateurs de position fondés sur les deux critères institutionnels : l'appartenance à un cabinet ministériel et l'occupation d'un poste de direction d'administration centrale. Nous avons donc sélectionné les personnes suivantes : (i) Les membres de cabinet en charge des dossiers de maîtrise des dépenses de santé et en matière de prestations familiales (cabinets du président de la République, du Premier ministre, des ministres et secrétaires d'Etat en charge spécifiquement des questions d'assurance maladie et de prestations familiales, et du ministre des Finances). (ii) Les directeurs et sous-directeurs des directions (ou adjoints au directeur) en charge de ces questions : Direction de la Sécurité sociale, Direction des hôpitaux, Direction de l'action sociale, Direction de la santé. (iii) Nous avons ajouté les sous-directeurs du Budget en charge des questions de protection sociale (bureau 6B), les directeurs de la CNAMTS et de la CNAF (hauts fonctionnaires nommés en Conseil des ministres). Dans le cadre de l'enquête MIRE 2 (2006-2008), nous avons interrogé à nouveau dix ans plus tard une vingtaine d'acteurs décisionnels (uniquement dans le domaine de l'assurance maladie) dont certains avaient déjà été interviewés dans l'enquête précédente.
[25] L'analyse des données biographiques de ces hauts fonctionnaires a été effectuée à partir d'un croisement de différentes sources : Bérard-Quélin, Annuaires des anciens élèves de l'ENA, Trombinoscope, Bottin administratif, Who's who ?.
[26] Parmi notre échantillon global de 133 acteurs pour la 1ère enquête (MIRE 1), on recense 95 énarques c'est-à-dire 71% de la population étudiée.
[27] Dans un deuxième temps de la recherche, nous avons réalisé des entretiens semi directifs avec ces 32 hauts fonctionnaires et avec 9 «experts du social» (groupe de contrôle hors des positions). Ces entretiens comprenaient trois types d'interrogation. La première portait sur l'intervention dans le processus décisionnel pour des mesures précises (leur rôle et celui des autres subjectivement apprécié). Notre objectif était de mesurer les interactions (avec qui ? pour quelle durée ?), les acteurs impliqués, la construction d'alliance, les conflits internes à l'administration et le degré d'implication dans la décision elle-même. La deuxième interrogation avait pour objectif de saisir leur conception de l'action publique dans le secteur (programme d'action). Il s'agissait là aussi d'appréhender leur influence éventuelle sur la formulation des projets de politiques, leur apprentissage d'un savoir faire sectoriel, leur participation à des forums. Nous avons ainsi également cherché à mettre au jour les «réseaux» relationnels, les dynamiques d'interconnaissances, ainsi que les lieux de socialisation pertinents. Enfin, la troisième interrogation portait sur leur parcours professionnel dans le secteur de la protection sociale.
[28] Ces affrontements ne s'inscrivent pas seulement dans la défense d'intérêts mais dans une nouvelle identité sectorielle en voie de constitution (haut fonctionnaire de la direction de la DSS) : «Je vois par exemple dans les discussions interministérielles, on discute maintenant d'égal à égal avec les gens des Finances... (depuis l'application du plan Juppé)... C'est vrai qu'il s'agit de mettre en oeuvre des objectifs dans lesquels les Finances se reconnaissent, mais dans les modalités ils n'avaient pas une expertise supérieure à la nôtre. Je pense qu'en termes de savoir-faire, on est maintenant supérieur et c'est reconnu. Le ministère des Finances joue simplement un rôle de contrepoids, mais ce n'est plus un tuteur comme je l'appréhendais au début de ma carrière dans le secteur» (entretien, MIRE 1).
[29] On peut citer, pour illustrer ce phénomène, les propos tenus par un ancien directeur de la CNAM : «A la fin de l'année 1982, j'ai fait ma mobilité de jeune haut fonctionnaire à la direction du Budget, juste parce que Jean Marmot qui s'occupe de me conseiller dans ma carrière est un ami intime de Jean Choussat, alors directeur du Budget. En 1984, je fais le choix de revenir à la direction de la Sécurité sociale alors que l'on me propose de rester au Budget. Je reviens en tant que sous-directeur adjoint et je m'occupe des affaires financières, ce qui me permet de mettre à profit mon expérience au budget. Depuis, je défends l'intervention étatique dans le cadre de responsabilités sociales, mais aussi avec l'idée que ce ne soit pas dans n'importe quelles conditions financières» (entretien, MIRE 1).
[30] Cette observation est particulièrement pertinente pour l'Assurance maladie : «de toute façon la voie de notre autonomie est à l'oeuvre depuis François Mercereau (DSS, 1984-1986, «Génération 81»). Depuis cette époque-là, nous n'avons cessé de construire notre autonomie sur les politiques de protection maladie. Je suis rentré à la DSS en 1987 et depuis c'est le même mouvement. Nous nous sommes affirmés comme une direction ministérielle forte qui gère de très gros budgets et qui attire de bons jeunes énarques qui ensuite y font carrière» (entretien MIRE 2, 2007).
[31] «(la DSS) a une meilleure appréhension des enjeux du secteur car elle peut faire la part entre la maîtrise des comptes et les délires budgétaires (de Bercy), et elle est plus en prise sur les questions du secteur» (entretien MIRE 2, 2006).
[32] Le fait que des statisticiens et des personnes pratiquant l'évaluation des politiques publiques aient progressivement remplacé les juristes confirme le mouvement général : «aujourd'hui on maîtrise à la DSS tous les outils des politiques publiques : la dimension financière, l'évaluation et l'audit. La politique de santé publique, c'est nous qui la définissons... Enfin, notre rôle c'est le portage et la définition du cadre des politiques, notre territoire, c'est les politiques publiques, ensuite la CNAMTS intervient pour tout ce qui relève de la gestion» (entretien MIRE 2, 2007).
[33] Cette démarche est aussi au coeur d'une recherche actuellement menée sur les politiques en matière de Welfare et de Warfare aux Etats-Unis depuis la fin des années 1980, dans le cadre du projet OPERA piloté par W. Genieys et financé par l'ANR.
[34] Ils peuvent aussi être des acteurs individuels, tout comme pour les acteurs programmatiques certains individus jouent parfois un rôle spécifique par les ressources qu'ils concentrent.
Pour Aller plus loin
Les articles de Patrick Hassenteufel disponibles sur cairn : http://www.cairn.info/publications-de-Hassenteufel-Patrick--6098.htm
Les articles de William Genieys disponibles sur cairn : http://www.cairn.info/publications-de-Genieys-William--8398.htm
Patrick Hassenteufel, "L'évolution des rapports de pouvoirs dans un système bismarckien : le cas de la France", Revue Santé, Société et Solidarité, n°2, "Bilan des réformes des systèmes de santé", 2008.