Communication d'Antoine d'Autume
Communication d'Antoine d'Autume
Je veux d'abord exprimer, en une phrase, mon goût pour cette discipline, et ma conviction qu'elle a toute sa place dans l'enseignement secondaire, avec ses aspects très généralistes, interdisciplinaires, qui ne se réduisent pas d'ailleurs, à mon avis, à l'économie et la sociologie mais incluent bien d'autres choses. Je comprends ce souci d'immédiateté, de traiter d'objets sur lesquels on va dire quelque chose dès le début, parce que c'est le seul moyen de motiver les étudiants et qu'il ne s'agit pas d'entrer dans une démarche passant par un long détour. Tout cela me paraît très justifié. Les SES font partie de la culture d'aujourd'hui. Je suis toujours sidéré quand je vois, par exemple, des enseignements de géographie avoir un contenu économique de plus en plus fort et je me dis qu'il n'est pas plus mal que des professeurs plus spécialisés traitent de ces questions. Je n'ai vraiment aucun doute sur l'utilité de sciences économiques et sociales dans l'enseignement des lycées, à la fois comme voie d'orientation pour certains et comme option ouverte à tout le monde, sinon comme une matière obligatoire.
Je vais traiter seulement de deux choses, la place qu'il faut faire à une démarche disciplinaire et le positionnement des sciences économiques et sociales, à la fois dans le champ des savoirs et sur le plan politique.
Quelle place accorder à une démarche disciplinaire, en l'occurrence économiste, dans cet enseignement qui est à priori pluridisciplinaire ? J'ai l'impression que l'on pourrait facilement se mettre d'accord sur le principe qu'il faut faire simultanément deux choses : mettre en œuvre cette démarche consistant à partir des objets, à les étudier avec des regards croisés ; en même temps, donner une idée de ce qu'est l'économie (et la sociologie), de ses éléments fondamentaux, de ses théories et peut être même de bribes de modèles. Si le principe de cette double démarche est peu contestable, la pratique est très délicate et difficile, pour l'économie en particulier.
Tout d'abord, une dimension critique excessive risque de s'imposer tout de suite, vis-à-vis de ces théories économiques qui fonctionnent beaucoup par simplification, par modélisation ou, tout simplement, en polarisant le regard sur certains mécanismes et en écartant pour cela tout un tas d'aspects qui sont plus ou moins pertinents pour l'objet dont on veut parler, mais que l'on écarte temporairement pour approfondir l'analyse. Et j'ai bien conscience qu'il est difficile de faire passer cela aux étudiants. C'est même tellement difficile que beaucoup de gens ne le comprennent pas. Pour dire les choses de manière un petit peu polémique, c'est le cas de certains sociologues, qui vont perpétuellement réitérer une critique sommaire de l'économie. Le dernier exemple que j'ai vu, malheureusement, se trouve dans le texte voté par l'Association Française de Sociologie en soutien à votre discipline. Je ne veux pas trop en traiter ici parce qu'ils ne sont pas là pour se défendre, mais je suis atterré par le contenu de ce texte. Toute une partie du texte est une critique de la démarche économique que je trouve simpliste.
Il est trop facile de dégoûter les élèves de l'analyse économique. L'éviter relève un peu de la déontologie, en s'imposant de cantonner la place faite à la critique. Je sais bien que cette critique très radicale de l'économie dominante est présente aussi parmi les économistes universitaires et que vous pouvez très facilement en trouver un certain nombre qui vont aller encore plus loin peut-être que vous ne le voudriez dans cette direction. On n'a pas de raison de se gêner si un certain nombre d'économistes pensent eux-mêmes que l'économie fait fausse route. Je pense au contraire qu'il y a là une question de principe. S'il existe des savoirs stabilisés qui sont dominants dans la discipline, on est obligé de l'admettre et de se dire que cela fait partie de notre rôle d'essayer d'en faire passer quelque chose, sans se laisser séduire par les discours flamboyants contre l'économie.
A un niveau plus pédagogique, comment arriver à montrer qu'un minimum de modélisation, très simple, est utile ?
C'est sans doute en macro économie, que la chose est la plus facile, car la modélisation ne s'éloigne pas beaucoup de la comptabilité nationale. Définir une balance des paiements, élément au programme, n'a pas l'air très palpitant. On peut pourtant l'illustrer en racontant des choses tout à fait intéressantes, qui ouvrent sur des développements théoriques. Dire qu'un excédent de balance des capitaux représente, en général, un accroissement de l'endettement du pays - et apparaît donc comme quelque chose que l'on peut voir à la fois positivement et négativement - permet de réfléchir aux rapports entre les flux, les stocks, les richesses. Des développements de ce type peuvent faire la démonstration du pouvoir de clarification d'une modélisation. Quand on réclame qu'une place soit faite à la démarche disciplinaire, c'est cela qu'on voudrait voir passer : montrer que cette opération de simplification est utile.
Pour le marché, la tâche est évidemment plus compliquée, car la simplification est encore plus grande et qu'on ne peut pas aller très loin dans l'analyse. Il n'est pas question de faire beaucoup de micro-économie. Le problème est que si l'on se limite à tracer une courbe d'offre et de demande, à expliquer la détermination du prix, il est certain que l'on ne va pas assez loin.
On peut déjà faire, à ce stade, des choses intéressantes, si l'enseignant y croit un minimum et pense que cela a un certain pouvoir explicatif, si l'approche microéconomique n'est pas quelque chose que l'on fait pendant les six semaines prévues - et en fait souvent sur trois des six semaines imposées dans le programme - et que l'on n'utilise jamais par la suite pour traiter des autres problèmes économiques. Pour rendre la démarche économique intéressante, il faut un minimum d'interpénétration entre les sujets et les outils.
Mais si l'on veut vraiment faire dire quelque chose d'intéressant à l'appareil offre/demande, on est obligé, à mon avis, de parler de surplus pour mettre en évidence les gains de l'échange. Si l'on ne veut pas que l'offre et la demande soient seulement un schéma simpliste, mais permettent de réfléchir profondément à l'échange, je ne vois pas comment on peut éviter d'introduire la notion de surplus. Cette notion n'est pas dans le programme, j'imagine.
Il faut donc se contenter de prendre un grand nombre d'exemples pour parvenir à rendre intéressant l'appareil offre-demande. On peut dire des choses plus simples, en prenant des exemples traditionnels comme ceux du marché du logement - à court terme et à long terme - ou en réfléchissant à ce qui se passe quand le mécanisme du marché ne fonctionne pas. Il faut faire vivre ce formalisme si on veut le rendre intéressant. J'imagine que vous le faites un peu, mais il est nécessaire pour cela de contrecarrer une critique radicale préliminaire de la concurrence parfaite. Je pense qu'il relève de la déontologie que l'enseignement des SES s'emploie aussi à plaider pour cette approche fondamentale de la discipline.
Le deuxième point que je veux aborder concerne le positionnement de la discipline, y compris politique.
J'entends bien - cela a été repris par Pascal Combemale - la volonté d'un positionnement au service de la démocratie. C'est là une vaste ambition et je voudrais d'abord rappeler que les SES n'ont, cela va de soi, aucun monopole en la matière. Deuxièmement, là n'est pas le seul objectif de l'enseignement. Je me souviens du rapport Malinvaud qui assignait à l'enseignement des SES trois objectifs que je reprends régulièrement dans les introductions de mes cours de première année. L'un d'eux est effectivement la formation du citoyen. Le deuxième est une perspective professionnelle. Je pense qu'on doit l'avoir dès le début, quand vous leur parlez d'entreprises ou de l'Etat. Ils peuvent comprendre qu'ils devront un jour choisir des études qui deviendront de plus en plus professionnelles et qu'il n'y a pas de gêne à avoir vis à vis de cela. La troisième dimension est une intention scientifique, que l'enseignement doit aussi faire passer. Votre rôle n'est, bien sûr, pas de former des économistes. Mais il est de faire sentir l'utilité d'une démarche scientifique, en économie, comme en sociologie. Il faut montrer les limites d'un discours immédiat sur les objets concrets. Traiter des problèmes du monde, des enjeux qui leurs sont associés, peut être tout à fait passionnant. Mais ce discours risque de plafonner. Si l'on veut aller plus loin, on est bien obligé d'entrer dans une démarche scientifique disciplinaire. Ce n'est qu'après que l'on pourra refaire une place à une pluridisciplinarité, qui pourra s'appuyer sur quelque chose de plus solide.
Je sais qu'il y a là matière à débat. Certains pensent que les sciences économiques et sociales constituent une discipline en soi, pour laquelle il faut militer et qu'il faudrait peut être imposer à l'université. J'ai ainsi vu écrire récemment que les SES sont l'avenir des sciences sociales. Je ne pense pas que cela corresponde à la réalité. L'honnêteté veut que vous disiez aussi à vos élèves que cette discipline si intéressante des SES n'existe pas en tant que telle dans le paysage universitaire. Le problème n'est pas de tout faire pour la faire exister. Il est surtout de préparer les élèves à s'insérer dans des études universitaires.
J'aborde maintenant la question du positionnement politique. L'esprit critique que vous développez chez les élèves, j'en suis convaincu, il faut l'exercer dans toutes les directions. Je pense qu'il y a un discours anti-économique ambiant, très prégnant dans la société, qui est souvent très bête, au sens précis où il est inspiré par des sentiments et non par une analyse. C'est aussi le rôle des professeurs de sciences économiques et sociales de critiquer ce discours, de dire qu'il ne suffit pas d'avoir de bons sentiments pour réformer le capitalisme. Il faut analyser les choses plus en profondeur et l'esprit critique doit être dirigé dans plusieurs directions.
J'en viens ainsi à un aspect plus proprement politique. On ne peut pas concevoir les SES comme une discipline engagée dans un combat politique contre le capitalisme et le MEDEF. Je suis quand même frappé par la fréquence de ce genre d'attitude. S'il existe un manuel en ligne commandité par l'Institut d'Entreprise, il est permis de le critiquer. On peut aussi ne pas trouver admissible l'intervention institutionalisée de corps constitués extérieurs à l'Education Nationale. Mais on ne peut rejeter en bloc le MEDEF en en faisant l'ennemi. De la même façon, je n'ai rien à reprocher au fait que le MEDEF propose aux enseignants des stages en entreprises. Je trouve cela très bien et si la proposition s'accompagne d'arrières pensées, peu importe. Les professeurs sont des adultes, et ils ne vont pas se faire retourner après avoir passé huit jours en entreprise.
Je pense donc qu'il y aurait un problème sérieux si la discipline apparaissait engagée dans une sorte de « lutte des classes » contre le MEDEF. Je suis attaché à cette bonne vieille idée que, dans l'école républicaine, on ne doit pas prendre des positions politiques trop fortes dans un sens ou dans un autre. Les positions du MEDEF peuvent être discutées. Elles n'ont pas à être l'objet d'un ostracisme.
Il est possible que je me trompe en le craignant. Je ne voudrais donc pas terminer sur cette crainte sans doute excessive et je préfère rappeler ma conviction qu'il ne me paraît pas si difficile de trouver un accord pour mieux articuler nos deux types d'enseignement.