L'économie du sport autour de Wladimir Andreff
Wladimir Andreff est professeur émérite en Sciences Economiques à l'Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne.
Il a fondé en 1990 le ROSES (Réforme et Ouverture des Systèmes Economiques post-Socialistes), laboratoire associé du CNRS, intégré depuis dans le Centre d'Economie de la Sorbonne. Il est aussi à l'origine de l'URGENSE (Unité de Recherche Grenobloise sur les Economies et les Normes du Socialisme Existant) de l'Université de Grenoble 2. Il est responsable du GREFIG (Groupe de Recherche en Economie et Finance Internationales Quantitatives de Grenoble) à l'Université de Grenoble et chercheur associé au Centre de Droit et d'Economie du Sport, de l'Université de Limoges, depuis 1978.
Entre autre fonctions honorifiques nationales ou internationales, il est en 2007-2008, président de l'Association Française de Science Economique (AFSE).
Wladimir Andreff a contribué dès les années 1970 à établir un lien entre l'évolution du capitalisme mondial et les stratégies des firmes multinationales [1]. Ses travaux ont également porté sur les économies socialistes et il est aujourd'hui un des principaux spécialistes des économies en transition [2]. Enfin, il est l'un des rares économistes à s'intéresser à l'économie du sport dans un contexte de mondialisation [3].
C'est sur ce dernier domaine de recherche que porte ce dossier. W. Andreff nous propose une brève présentation de ce champ et quelques-unes de ses récentes contributions. Les articles suivant permettent de mesurer la richesse des thèmes explorés en économie du sport.
Une présentation de la discipline par Wladimir Andreff
Les principales questions étudiées en économie du sport sont :
1. Macroéconomie et comptabilité du sport
- Estimation du poids économique du sport dans le PIB de différents pays.
- La dépense sportive des ménages, des entreprises, de l'Etat et des collectivités locales.
- Le financement du sport.
- Le marché mondial d'articles de sport.
- Application des méthodes de comptabilité nationale au sport (compte satellite du sport).
2. La demande de sport
La demande de pratiques sportives, objet de la socio-économie du sport est déterminée par : la durée des loisirs, l'arbitrage entre ce sport et d'autres loisirs, l'âge, le sexe, la croissance (l'attractivité) de cette discipline particulière liée à des effets de mode, la catégorie socio-professionnelle, le revenu, le prix de cette pratique (son coût d'accès pour le pratiquant) et, parfois, un facteur régional.
La demande d'articles de sport est déterminée par la pratique sportive la mode, le taux d'équipement de la population, la demande de renouvellement et le cycle de vie du produit.
La demande de spectacle sportif est inélastique par rapport au prix contrôlé par le club qui a le monopole de son spectacle sportif. Cette demande paradoxale s'explique par la qualité du spectacle sportif qui dépend de l'incertitude du résultat, de son enjeu lié au classement des équipes en présence, des résultats passés de l'équipe locale, du nombre de joueurs vedettes alignés et de la réputation de l'adversaire.
La demande de retransmissions sportives se forme sur un marché imparfait. Un demandeur ou un offreur unique (ou plusieurs offreurs organisés en cartel) influence fortement le prix, i.e. le montant des droits de retransmission versés par les chaînes de télévision à l'organisateur du spectacle sportif médiatisé.
3. Coûts et avantages des événements sportifs
L'événement sportif est source d'externalités positives : animation, cohésion sociale, activité économique, attraction touristique, aménagement du territoire, et d'externalités négatives : hausse locale et momentanée des prix, du coût de la vie et de la pression fiscale, hooliganisme, effet d'éviction (fuite des touristes habituels), récession économique après l'événement, nuisances pour les riverains, spéculation immobilière, détérioration de l'environnement.
L'analyse économique d'un événement sportif tient compte de ses avantages (revenus marchands et externalités positives), diminués de ses coûts (monétaires et externalités négatives), directs et indirects, de son coût d'opportunité, de sa valeur de non usage et du consentement à payer des spectateurs et des non spectateurs.
4. La théorie économique des sports professionnels
Il existe deux modèles d'organisation d'une ligue de sport d'équipes professionnel auxquels correspondent deux systèmes de régulation économique. La ligue fermée (nord américaine) est un cartel de tous les clubs du championnat, exemptée de la loi anti-trust et strictement régulée : vente collective des droits de télévision, redistribution des revenus, négociation collective et plafond salarial (salary cap), liste d'embauche planifiée (rookie draft).
La ligue ouverte (européenne) est une organisation pyramidale, maintenue par un système de promotion-relégation en fin de saison. Le jeu de la concurrence économique concentre les revenus sur les grands clubs qui recrutent les meilleurs talents et accaparent les victoires sportives, car les ligues des pays européens sont de plus en plus dérégulées.
5. L'économie des dérives du sport
Analyse économique de la discrimination raciale dans le sport professionnel, du dopage, de la corruption dans le sport (matchs truqués, etc.) et des malversations financières liées.
Quelques contributions de Wladimir Andreff à l'économie du sport
1) "Equilibre compétitif et contrainte budgétaire dans la ligue de sport professionnel. Vers une meilleure gouvernance du football français", contribution de W. Andreff pour la Conférence présidentielle au Congrès 2008 de l'AFSE. Cet article porte sur les fondements des analyses économiques des ligues de sport professionnel.
2) Madeleine Andreff, Wladimir Andreff et Sandrine Poupaux "Les déterminants économiques de la performance olympique : Prévision des médailles qui seront gagnées aux jeux de Pékin", Revue d'Economie Politique, n°2, 2008.
Résumé : L'analyse des déterminants de la performance olympique fut longtemps une macroéconomie de guerre froide où le nombre de médailles gagnées par une nation est expliqué par ses ressources économiques et humaines, puis par son régime politique et le fait d'être le pays hôte des Jeux. On propose une vision des Jeux d'après guerre froide, recherchant un complément d'explication plus proche de l'idéal olympique qui tiendrait compte des performances individuelles, de la culture et des disciplines sportives. Les estimations économétriques correspondant à cette vision renouvelée sont limitées par la faible disponibilité des données, portant sur la période 1976-2004. Dans une première spécification inspirée de l'article de référence de la macroéconomie des médailles par nations, avec une classification plus précise des pays, le PIB par tête, la population, le régime politique et l'effet pays hôte déterminent le nombre de médailles gagnées. Une deuxième spécification ajoute une variable capturant des différences culturelles par régions du monde qui améliore l'estimation précédente. Une troisième estimation utilise une nouvelle base de données individuelles et introduit une classification économique des disciplines sportives parmi les variables explicatives. Elle permet d'estimer les chances, pour un athlète d'une nation donnée, d'atteindre une finale olympique ainsi que ses chances de gagner une médaille. Pour la prévision des médailles gagnées à Pékin 2008, on introduit une variable inertielle dans le modèle macroéconomique, captant le culte de l'olympisme des nations habituées à gagner des médailles et les différenciant des autres nations participantes. On prévoit aussi ces gains à partir de données individuelles, sans inertie.
3) Michel Aglietta, Wladimir Andreff, Bastien Drut, "Bourse et football", Revue d'Economie Politique, n°2, 2008.
Résumé : Cet article se propose d'analyser les questions relatives à la cotation en Bourse des clubs de football professionnels européens. L'étude empirique de l'indice boursier Dow Jones Stoxx Football met en évidence une forte volatilité des rendements et des cours des actions pour un échantillon de clubs cotés, ainsi qu'une faible profondeur du marché. La relation entre illiquidité et volatilité ne s'appuie pas tant sur un engagement insuffisant des spéculateurs dans des prises de position qui vont à l'encontre des cours que sur l'incertitude qui est attachée à la valeur fondamentale des clubs de football. Les analyses de valorisation de trois clubs de football représentatifs produites par des brokers et des cabinets spécialisés démontrent la difficulté de déterminer la valeur fondamentale d'entreprises de football. Les résultats sportifs des clubs ont une incidence sur les cours boursiers pendant la saison sportive et sont une source de variabilité de la valeur fondamentale d'un club.
Plutôt que de considérer que le marché boursier va discipliner la gouvernance et la gestion des clubs de football européens, on montre au contraire qu'il conviendrait de durcir leur contrainte budgétaire avant de les exposer à l'évaluation par le marché financier. La crise financière du football européen, moins marquée en France, s'est traduite par des déficits récurrents, une volatilité du return on equity et un endettement durable des grands clubs. Et ceci malgré la présence dans le football français d'un organe de supervision financière inexistant dans les autres ligues européennes. La mauvaise gouvernance des clubs est repérée par leur adhésion lente à la transparence des comptes et par leur incapacité à maîtriser l'inflation salariale et celle des transferts de joueurs. La contrainte budgétaire des clubs est adoucie par la manne des droits de télévision qui détermine significativement le niveau des salaires des joueurs. L'extension du modèle français de gouvernance à l'Europe du football nécessite un progrès en ce domaine, lequel serait le préalable à une éventuelle entrée des clubs en bourse avec succès. On en déduit dix recommandations pour améliorer la régulation du football.
lectures complémentaires
Jean-François Bourg, Jean-Jacques Gouguet, Économie du sport, La Découverte, "Repères", 2012 (3e éd.).
Livre blanc sur le sport. Commission des Communautés européennes, juillet 2007.
"Le modèle sportif français : mutation ou crise ?", Institut Montaigne, 25 juillet 2002.
Les responsables du sport, véritable phénomène social, ont un double paradoxe à gérer : sa mondialisation et sa raison d'être locale, sa valeur marchande et ses fondamentaux éthiques.
La France a développé un modèle original d'organisation sportive. Il a fait ses preuves, mais il est aujourd'hui sérieusement fragilisé.
Pour préserver les avantages de ce modèle, il est impératif de lui donner des moyens modernes lui permettant d'intégrer les évolutions de la société et de supporter une profonde et constante rénovation.
Sport et mondialisation. Les dossiers de la mondialisation. Dossier n°11. Août 2008.
Visionner les interventions lors des 11e rendez-vous "Sport et mondialisation".
Notes :
[1] Profits et structures du capitalisme mondial, Calmann-Lévy, 1976. Ouvrage précurseur sur la mondialisation du capitalisme.
Les multinationales globales, La Découverte, coll. Repères, 1996.
Analysant le phénomène des grandes firmes dans une perspective historique, l'ouvrage rend compte d'une nouvelle étape avec l'émergence de firme «globale» implantée mondialement.
[2] La crise des économies socialistes. La rupture d'un système, PUG, 1993. Tout sur l'économie centralement planifiée : genèse, fonctionnement, crise, débats contradictoires, réformes et sortie du système.
Économie de la transition. La transformation des économies centralement planifiées en économies de marché, Bréal, 2007. L'un des manuels les plus complets à ce jour sur la transition entre l'économie centralement planifiée et l'économie de marché dans les pays d'Europe de l'Est.
[3] Handbook on the Economics of Sports, (codir. avec S. Szymanski), Edward Elgar, 2006. Ouvrage dans lequel sont présentées les différentes dimensions de l'analyse de l'économie du sport.