Entre droit et symbole. Les usages sociaux du pacte civil de solidarité
Voir aussi l'entretien avec Wilfried Rault sur SES-ENS.
Wilfried Rault, auteur en 2005 d'une thèse sur le sujet du Pacs, sous la direction de F. de Singly [1], signe ici un article qui présente d'une part une analyse des ambivalences du texte de loi et d'autre part une approche sociologique de la signification donnée par les contractants au Pacs.
Sept ans après sa mise en œuvre, le Pacs s'inscrit dans le double mouvement amorcé dans les années 1960 de diversification des modes de vie commune et de complexification des usages sociaux des cadres de la vie privée. Le mariage mais aussi dans une moindre mesure la cohabitation ou même le couple ne sont plus des étapes obligatoires de la vie privée. On retrouve ici le constat fait par Irène Théry de la « remise en cause massive de l'interdit social de relations affectives et sexuelles hors de l'hypothèse du mariage et de la perspective d'une famille » [2].
Le Pacs, en s'adressant à la fois aux couples de même sexe et aux couples de sexe différent emprunte aux fondements du mariage et à ceux de l'union libre. Il incarne ainsi la « multiplication des légitimités normatives » et « une conception plus individualiste de l'univers privé ».
Le Pacs comme nouvelle forme de vie commune : un esprit différentialiste
Il s'inscrit de fait dans un esprit « différentialiste » puisque les législateurs ont largement cherché à distinguer le Pacs du mariage et ont voulu faire du dispositif une nouvelle possibilité offerte aux couples pour encadrer leur union (inscription dans le livre premier du Code Civil aux côté des articles relatifs au mariage). La spécificité du Pacs est incarnée notamment par le fait qu'il ne modifie pas l'état-civil des contractants ou encore, depuis les aménagements apportés par la loi du 23 juin 2006, qu'il s'appuie sur un régime de séparation des biens. En outre le Pacs ne fait aucune allusion à la fidélité confirmant ainsi un mouvement de d'autonomisation de l'individu par rapport au couple et une plus grande neutralité de l'Etat vis-à-vis des comportements privés.
Enfin, le choix d'une institution différente de celle qui accueille les candidats au mariage illustre le resserrement de l'engagement sur le seul couple. L'enregistrement du Pacs au tribunal d'instance et non à la mairie atténue la visibilité sociale de l'acte. De même, les modalités de dissolution du Pacs relativement souples et quasiment immédiates (dès la prise en compte par le greffe du tribunal) contrastent avec les délais du divorce même lorsque celui-ci est souhaité conjointement par les époux.
Ces éléments ne sont pas dépourvus d'ambiguïtés selon l'auteur puisque cette nouvelle forme publique d'engagement est justement fondamentalement limitée dans sa publicité ! De même, le fait que pendant longtemps, et jusqu'à la décision du Conseil Constitutionnel recentrant le texte sur le couple conjugal, le Pacs ait été envisagé comme une ressource juridique ouverte aux duos non conjugaux partageant une « vie commune », confère une ambiguïté au contrat, affectant sa reconnaissance sociale.
La reconnaissance du couple homosexuel et ses limites
L'inscription explicite du Pacs dans le Code Civil valide la reconnaissance officielle du couple homosexuel. Celui-ci octroie aux couples de même sexe des droits et impose des obligations aux parties. Il marque donc le passage d'une logique tolérance de l'homosexualité à une logique de reconnaissance et constitue le « signe d'une institutionnalisation et d'une déstigmatisation de l'homosexualité et d'un mouvement d'égalisation par rapport au couple hétérosexuel ». (p.566)
Toutefois, seule l'institution matrimoniale reconnaît officiellement le statut de couple et les « pacsés » conservent de fait un statut de célibataire. Leurs droits sont minorés par rapport à ceux dont bénéficient les couples mariés notamment en matière de filiation puisque le Pacs ne reconnaît pas les situations d'homoparentalité. La logique de faible visibilité sociale de l'enregistrement et de la dissolution du Pacs confirme cette reconnaissance paradoxale. Ainsi, le tribunal d'instance censé valider la reconnaissance institutionnelle du contrat a été choisi pour éviter le passage par la mairie et les conditions d'accueil des partenaires dans ces lieux peuvent surtout être assimilées à une démarche administrative (exiguïté des lieux, enregistrement dans des créneaux horaires imposés sur des jours ouvrables, accueil par le personnel du tribunal d'instance et non par un élu de la République...).
Pacs, statistique et démographie : une catégorie discrète
On observe une nette progression des PACS enregistrés depuis 2001, puisqu'en 2001, 19632 Pacs ont été comptabilisés, 25311 en 2002, 31585 en 2003, 40093 en 2004, 60473 en 2005 et enfin 77362 en 2006 ! La réforme fiscale de 2004 a modifié la saisonnalité des signatures de Pacs jusque là inversée par rapport à celle du mariage et 60% des enregistrements se font au deuxième et troisième trimestre. On observe aussi que le Pacs est davantage un phénomène urbain, mais au-delà de ces quelques données, on sait peu de choses sur les caractéristiques des « pacsés » : leur âge, leur PCS, et même la proportion de Pacs gays et lesbiens... Seules quelques hypothèses basées sur l'estimation du nombre de couples de même sexe en France laissent penser que les Pacs de couples hétérosexuels sont nettement majoritaires. [3]
La confidentialité du Pacs résulte en définitive de l'avis rendu par la Commission nationale informatique et liberté (CNIL) le 25 novembre 1999 concluant en substance qu'il ne peut être imposé aux signataires du Pacs une publicité des informations relatives à leurs mœurs et privant les individus concernés de la liberté de choisir de révéler ou non à leur entourage familial leur choix de vie. Afin de respecter cet anonymat, le pouvoir réglementaire a proscrit toutes possibilités de statistiques relatives aux contractants du Pacs. Cette situation illustre les ambiguïtés du statut social des homosexuel en prenant en compte le risque de discriminations dont ils peuvent faire l'objet tout en pérennisant la différence de statut par rapport aux couples homosexuels.
La diversité des usages sociaux du Pacs
W. Rault s'interroge ici sur la confrontation entre l'offre juridique qu'est le dispositif du Pacs et la demande sociale qui traduit l'expérience des contractants et demeure donc diverse et souvent contradictoire. Il considère que le tribunal d'instance constitue le cadre privilégié de construction du rapport des individus au Pacs et appuie son observation sur une cinquantaine d'entretiens composé d'autant d'hommes que de femmes et de couples hétérosexuels et homosexuels. La démarche permet de dégager la diversité des usages sociaux auxquels le Pacs se prête et fait apparaître des figures idéal-typiques du Pacs. Pour mesurer le sens donné par les acteurs au Pacs, l'auteur croise les motifs du choix du Pacs par rapport notamment aux représentations associées au mariage (axe représentations positives / négatives du mariage) avec les pratiques de symbolisation mises en œuvre dans le cadre de l'enregistrement au tribunal d'instance et d'évènements de célébration (axe ritualisation existante / inexistante).
- Première configuration : le Pacs asymbolique matrimonial : Le Pacs est choisi surtout pour répondre à un problème d'ordre strictement pratique (rapprochement géographique par exemple) et ne se prête à aucune symbolisation. Le Pacs n'a pas de dimension instituante, et le contrat est réduit à sa dimension juridique dans la mesure où les valeurs des personnes rentrant dans cette catégorie sont favorables au mariage soit qu'elles considèrent que c'est la forme d'engagement souhaitable pour avoir des enfants soit parce que le mariage est envisagé ou souhaité à plus long terme (tant pour les couples hétérosexuels que pour les couples homosexuels qui espèrent une reconnaissance de l'égalité entre les couples). Dans ce cas de figure, ne pas investir le Pacs d'une dimension symbolique préserve en quelque sorte la valeur attribuée au mariage.
- Deuxième configuration : le Pacs symbolique matrimonial : Le contrat revêt ici une dimension instituante pour l'union du couple dans la mesure où il fait l'objet d'une ritualisation visant à lui donner un sens. La valorisation du mariage est en définitive reportée sur le Pacs en mobilisant des « séquences matrimoniales » à savoir la désignation de témoins, la formulation de consentements l'échange d'alliance, l'organisation d'une cérémonie...Dans le cas des couples de même sexe, la « matrimonialisation » du Pacs ne peut toutefois être considérée comme une simple reproduction. Au contraire, la volonté des contractants est d'attribuer au Pacs la légitimité qui devrait potentiellement lui donner le droit. Ils tentent de se réapproprier le Pacs en soulignant en particulier la légitimité de leur orientation sexuelle, de fait « la similitude des rituels soit signifier la similitude des unions et donc leur équivalence » (p.575).
Parmi les couples de sexe différent qui ont accès au mariage, le Pacs peut par contre endosser le rôle de « mariage à l'essai ». Le Pacs constituerait dans ce cas une sorte de « fiançailles modernes » en incarnant à la fois une forme d'engagement prospectif et un dispositif légal jugé novateur puisque ouvert aux couples homosexuels. A la différence de l'idéal-type précédant, le Pacs est investi d'une valeur symbolique objectivant un sentiment amoureux privé quant le mariage incarnerait sa dimension publique encadrant par ailleurs juridiquement la famille (couple et enfants) et non plus seulement le couple. Notons toutefois qu'une autre vocation de ce type de Pacs est représenter un compromis entre les partenaires d'un couple de sexe différent n'ayant pas la même opinion sur le mariage.
- Troisième configuration : le Pacs asymbolique antimatrimonial : Dans ce cas de figure, les partenaires recourent au Pacs car il présente des avantages pratiques que n'offre pas le concubinage (rapprochement géographique, avantages fiscaux, obtention de prêts...). . Le Pacte civil de solidarité n'a pas ici vocation instituante. Il permet au contraire d'échapper à l'institutionnalisation du lien conjugal tout en s'inscrivant dans le droit. La défiance vis-à-vis du mariage attribue au Pacs des valeurs opposées à celles perçues comme matrimoniales. Parmi les contractants de même sexe, le Pacs reflète aussi une hostilité au mariage mais cette fois comme forme de domination hétérosexuelle ou comme incarnation du modèle conjugal contre lequel se sont souvent construites les identités homosexuelles.
- Quatrième configuration : Le Pacs symbolique antimatrimonial : Le Pacs sert à affirmer un autre mode de vie commune. Il a une vocation institutante tout en se situant dans une logique de distinction vis-à-vis du mariage. Tous les signes présentant le Pacs comme une alternative au mariage sont valorisés (absence de signification religieuse, obligations rituelles tournées en dérision, refus des faire-parts formels, exclusion des membres de la famille de la célébration, originalité vestimentaire...). Si cette dimension est présente chez les couples de même sexe, elle s'incarne dans le rejet de toute séquence rituelle renvoyant à la différence de sexe puisque l'institution du mariage incarne en plus à une hiérarchie des sexualités et à une supposée « complémentarité des sexes ».
Les catégories présentées par W. Rault mettent en valeur la diversité des significations attribuées au Pacs. L'institution matrimoniale n'est pas appréhendée de manière homogène par les « pacsés » y compris entre partenaires d'un même couple. En outre, la signification donnée au Pacs n'est pas figée dans le temps et peut être influencée par les autres acteurs impliqués tels que les amis ou la famille.
L'auteur conclut que ces observations montrant que le Pacs peut être pour certains un anti-mariage, pour d'autres un substitue au mariage ou encore un concubinage amélioré, invitent à appréhender la loi à travers les usages sociaux dont elle fait l'objet. Cette approche vient en outre interroger l'analyse en terme de « désinstitutionnalisation de la famille » dont le Pacs serait l'un des indicateurs puisque ce sont les pratiques qui lui donnent sens et que celles-ci ne se structurent pas toutes contre le mariage.
Notes
[1] W. Rault, Donner sens au Pacs. Analyse sociologique du Pacte civil de solidarité par son enregistrement (2005).
[2] I. Théry, Couple, parenté et filiation aujourd'hui. Le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée. Odile Jacob, Paris, 1998, p.40.
[3] L. Toulemon, J. Vitrac, S. Cassan, «Le difficile comptage des couples homosexuels d'après l'enquête EHS», in C. Lefevre, A. Filhon (dirs.), Histoires de familles, histoires familiales. Paris, INED, 2005.