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Quelle est la situation du logement en France ?

Publié le 30/09/2024
Auteur(s) - Autrice(s) : Pierre Madec
Cet article issu du Repères « L'économie française 2024 » analyse la situation du logement en France, en replaçant la crise que ce secteur connaît depuis 2022-2023 dans des dynamiques de plus long terme.

 

Le Conseil national de la refondation (CNR) sur le logement [1] et la remise de ses conclusions en juin 2023 ont permis, dans un contexte de crise de la construction neuve et d'accès au crédit entravé, de remettre la question du logement à l'agenda public et politique. Si d'importantes turbulences traversent le secteur depuis le milieu de l'année 2022 (crise du crédit, construction en berne, renchérissement du prix des matières premières, foncier cher, etc.), la (les) crise(s) du logement n'est (ne sont) pas nouvelle(s)…

La crise du logement cher qui creuse les inégalités

Entre 1996 et 2022, selon l'Insee, le prix des appartements a été multiplié par 3,3 en France métropolitaine. Sur la même période, les prix à la consommation et le pouvoir d'achat par unité de consommation ont crû respectivement de l'ordre de 50 % et 30 %. Ces résultats nationaux cachent bien évidemment des disparités territoriales importantes. Sur la période, les prix immobiliers ont été multipliés par 4,8 dans l'agglomération lyonnaise, par 4,3 à Paris, par 3,4 dans l'agglomération marseillaise ou encore par 2,9 dans les agglomérations de moins de 10 000 habitants.

Une autre façon d'observer cette déconnexion entre revenu des ménages et prix immobiliers est d'observer, à partir des comptes nationaux, la valeur du patrimoine immobilier des ménages français en années de revenu disponible brut (RDB). Entre 1980 et 2000, le patrimoine immobilier représentait en moyenne 2,5 années de RDB. En 2020, celui-ci représentait près de 5,5 années de RDB. Il est important de noter que la quasi-totalité des pays de l'OCDE ont également connu une évolution des prix immobiliers plus dynamique que celles de leur revenu et de leurs prix à la consommation (graphique 1).

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Cet emballement des prix immobiliers a été largement soutenu par l'assouplissement des conditions de financement. Au début des années 2000, les taux d'intérêt des nouveaux crédits à l'habitat oscillaient entre 4 % et 5 % quand l'inflation s'établissait, elle, entre 1,5 % et 2 %. Avant la crise sanitaire de 2020, ils s'établissaient sous la barre des 1 %, soit une évolution proche, voire parfois inférieure à celle de l'indice des prix à la consommation. Associé à l'allongement des durées d'emprunt, entamé au début des années 2000 [2], cet assouplissement global des conditions de crédit a permis aux ménages ayant accès au crédit d'augmenter leur capacité d'emprunt et de s'endetter davantage.

Si, entre 2001 et 2019, la part des propriétaires a augmenté de près de 2 points, passant de 55,9 % des ménages à 57,7 %, cette solvabilisation des ménages n'a pas profité à tous. Selon des données d'enquêtes EU_SILC, publiées par Eurostat, alors que 40 % des ménages ayant des revenus inférieurs à 60 % du « revenu équivalent médian » étaient propriétaires de leur logement en 2005, ils n'étaient que 30 % en 2021. Dans le même temps, le taux de propriétaires observé pour le reste de la population a crû de 5 points, passant de 65 % à 70 %.

La mobilité résidentielle en berne

Cette accession à la propriété entravée des ménages les plus pauvres a entraîné des conséquences importantes sur le fonctionnement du marché du logement et a participé à la baisse significative de la mobilité résidentielle. Quel que soit le statut d'occupation ou l'âge analysé, la part des ménages s'installant dans un nouveau logement n'a cessé de baisser depuis le début des années 2000 [Driant et Madec, 2019]. Or la mobilité résidentielle est le principal pourvoyeur de logements sur le marché immobilier chaque année. Au total, ce sont près de 2 millions de ménages qui changent de logement chaque année, pour une moyenne de 330 000 logements neufs mis en chantier ces dernières années. Il est à noter que les prix immobiliers élevés ne sont pas les seuls freins à la mobilité résidentielle. Ainsi, sur le marché de l'accession, les droits de mutation à titre onéreux pèsent sur les mutations [Bérard et Trannoy, 2018]. Dans le parc locatif privé, les sauts importants du loyer au moment de la relocation participent également à l'érosion de la mobilité. Enfin, dans le parc social où la baisse du taux de rotation est encore plus importante, la réduction importante des sorties du parc pour aller vers l'accession à la propriété, associée à une demande croissante du fait notamment de la précarisation des locataires du parc privé, engendre un besoin en production sociale de logements de plus en plus fort.

Le « choc d'offre »

Dans ce contexte, la question globale de la production de logements neufs, qu'elle soit sociale ou non, se pose bien évidemment depuis longtemps, pour favoriser la fluidité des marchés immobiliers mais surtout pour faire baisser les prix. D'ailleurs, bien avant la crise immobilière de 2022-2023, le « choc d'offre » a semblé constituer l'alpha et l'omega des objectifs de la politique publique menée au niveau national. De la « France de propriétaires » vantée au cours des années 2000 (pour ne pas remonter plus loin dans le temps) et soutenue par des dispositifs d'aide à l'accession dans le neuf comme le prêt à taux zéro (PTZ), à la loi Elan de 2018 qui promettait de « construire plus, mieux et moins cher » en passant par les nombreux dispositifs fiscaux d'aides à l'investissement locatif [Madec, 2022], la volonté de « construire plus » a eu le mérite d'être largement transpartisane. Dans le cadre du CNR sur le logement, l'un des trois groupes de travail avait même pour thématique « Réconcilier les Français avec l'acte de construire ».

Cette idée d'une France « fâchée » avec l'acte de construire est quelque peu battue en brèche par la simple analyse des données historiques. La France est ainsi l'un des pays de l'OCDE où le ratio logements/habitants est le plus élevé (590/1 000 hab.). Il est également le pays où ce ratio a le plus augmenté au cours de la dernière décennie (2 % par an en moyenne) (graphique 2).

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En outre, la littérature économique tend à montrer que l'impact de la production neuve sur les prix serait en France relativement faible par rapport à nos voisins [Friggit, 2021] et une étude récente fait apparaître que ce sont les communes ayant le plus construit qui ont connu les prix immobiliers les plus dynamiques au cours de la dernière décennie [Coulondre et Lasserre-Bigorry, 2022]. Cela ne doit évidemment pas être interprété comme un plaidoyer en faveur de la non-production de logements mais permet de relativiser l'idée selon laquelle la production de logements neufs serait la seule et unique réponse à apporter aux crises du logement qui traversent la France.

La solution vient-elle du parc existant ?

Outre le logement neuf, le parc de logements anciens a également un rôle à jouer. En effet, un nombre de plus en plus important de logements « échappent » au marché des résidences principales. Entre 2012 et 2022, le nombre de résidences principales s'est accru de 2,5 millions d'unités, soit une hausse de 9 %. Sur la même période, le nombre de logements vacants a augmenté de 20 % (+ 550 000 logements) et le nombre de résidences secondaires de 15 % (+ 495 000 logements). En 2022, sur 37,2 millions de logements en France (hors Mayotte), 3,1 millions sont comptabilisés comme vacants (soit 8,2 % du parc) et 3,6 millions seraient des résidences secondaires (9,8 %). Or ce type de logements (vacants et résidences secondaires) a contribué à un tiers de la hausse du nombre de logements au cours des dix dernières années (graphique 3).

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À l'aune de ces résultats, la mobilisation des logements vacants est souvent présentée comme la solution à la crise d'offre de logements, parfois même en substitut d'une production neuve abondante… Notons tout d'abord que les taux de vacance les plus importants sont observés en général sur les territoires les moins attractifs. Dans les territoires sous tensions, la vacance observée est le plus souvent le fait d'une mobilité résidentielle plus importante (vacance résiduelle et de courte durée). Si le besoin en rénovation des logements est massif dans certains territoires afin de remettre des logements dégradés sur le marché (vacance structurelle), cela ne pourra répondre que partiellement au problème d'accès au logement des ménages les plus modestes en zones tendues. La mobilisation de la vacance spéculative ne peut être qu'encouragée mais encore faut-il être capable de la mesurer…

La problématique des résidences secondaires est, elle, un peu différente. Non seulement leur nombre a fortement crû, mais cette augmentation a été plus importante dans les territoires soumis à des prix immobiliers élevés. De nombreuses illustrations de ces phénomènes existent au Pays basque, en Bretagne ou encore à proximité du littoral. Ces territoires ont connu une production de logements neufs importante au cours des dernières années, mais la pression exercée par les résidences secondaires et les meublés touristiques est encore plus forte. L'île-de- France n'est d'ailleurs pas en reste. À Paris, alors que le nombre total de logements a progressé entre 2011 et 2017 (+ 26 700), le nombre de résidences principales a, lui, baissé (– 23 900), soit une hausse de 50 600 logements hors résidences principales…

Une conjoncture (très) défavorable

La crise actuelle prend sa source dans ces dynamiques passées. Alors même que les prix immobiliers se situaient à leur plus haut niveau, le durcissement brutal des conditions de crédit depuis plus d'un an a largement entamé les capacités d'emprunt des ménages français dont le pouvoir d'achat était déjà contraint par le retour d'une inflation importante. Entre mars 2022 et mars 2023, selon les données de la Banque de France, les taux d'intérêt annuels des nouveaux crédits à l'habitat, toutes durées confondues, ont doublé, passant de 1,15 % à plus de 2,7 %. Dans le même temps, le flux des nouveaux crédits à l'habitat se réduisait de moitié. Le renchérissement soudain des coûts de construction, lié en partie au conflit russo-ukrainien, associé à un prix du foncier historiquement élevé, a largement enrayé la capacité d'achat des ménages. Le fragile équilibre des marchés du logement qui avait tenu jusqu'ici est en train de rompre. Dans le parc social, du fait notamment des économies budgétaires demandées au secteur depuis 2017 mais aussi de la remontée du taux du livret A [3], la capacité de production pour répondre à la demande est plus que réduite. Dans le parc locatif privé, les taux de rendement modestes (pour les investisseurs entrants) en zone tendue, les réformes fiscales incitant plutôt aux placements financiers (PFU, IFI, etc.), la baisse de la mobilité résidentielle ou encore les obligations importantes de rénovation énergétique [4] devraient avoir pour conséquence une poursuite de l'érosion du nombre de logements disponibles. Enfin, du côté de l'accession à la propriété, dans le neuf ou dans l'ancien, les conditions de crédit moins favorables et les prix, qui tardent à s'ajuster par un « effet de cliquet » bien documenté dans l'analyse des cycles immobiliers [Renard, 2003] rendent la situation inextricable à court terme.

Notes

[1] Le 28 novembre 2022, tous les acteurs du logement se sont réunis pour « établir un constat clair, fixer des objectifs et proposer des pistes de travail ». Des groupes de travail réunissant professionnels de l'immobilier, universitaires, financeurs, représentants des collectivités locales et des bailleurs ont planché sur des (nombreuses) propositions. Le gouvernement doit annoncer celles qui ont été retenues.

[2] Entre 2005 et 2022, la durée moyenne des crédits à l'habitat a augmenté de soixante mois, passant de près de dix-sept ans à près de vingt-deux ans.

[3] Le financement du logement social est indexé sur le rendement du livret A, qui est passé de 0,5 % à 3 % en un an.

[4] Depuis début 2023, la loi Climat et Résilience interdit la mise en location des logements classés G, soit près de 140 000 logements. À partir de 2028, cette interdiction s'élargira aux logements classés F.

Repères bibliographiques

Bérard G., Trannoy A. (2018), « The impact of the 2014 increase in the real estate transfer taxes on the French housing market », Économie et Statistique/Economics and Statistics, n° 500-501-502, p. 179-200.

Coulondre A. et Lasserre-Bigorry V. (2022), « Les territoires de la (non-)production de logements en France », IDHEAL Recherche, octobre.

Driant J.-C. et Madec P. (2019), « Mobilité résidentielle : tensiomètre des crises du logement ? », in Driant J.-C. et Madec P. (dir.), Les Crises du logement, PUF, « La vie des idées », Paris.

Friggit J. (2021), « L'élasticité du prix des logements par rapport à leur nombre », CGEDD, mars. Institut Paris Région (2021), « Les locations saisonnières en Île-de-France. État des lieux d'avant crise », mai.

Madec P. (2022), « Dispositif Pinel : stop ou encore ? », politiquedulogement.com, octobre.

Renard V. (2003), « Les enjeux urbains des prix fonciers et immobiliers », in Prager J.-C. (dir.), Villes et économie, La Documentation française, Paris, p. 95-108.

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