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Femmes en éducation

Publié le 15/12/2014
Auteur(s) - Autrice(s) : Marie-Pierre Moreau
La féminisation des métiers de l'enseignement et de l'éducation en général tend à masquer l'existence d'inégalités professionnelles entre femmes et hommes dans ce domaine d'activité, en Angleterre comme en France. En introduction de la session "L'éducation, une affaire de femmes" du Symposium "Ecole des filles, Ecole des femmes", Marie-Pierre Moreau a cherché à mettre au jour les préjugés qui entourent ce groupe professionnel, en montrant que la persistance de formes de domination masculine dans le champ de l'éducation.

Cette ressource fait partie du dossier : École des filles, École des femmes.

Compte rendu :

Marie-Pierre Moreau est membre de l'Université de Roehampton (Royaume-Uni) et membre associé du CERTOP (Centre d'Etude et de Recherche Travail Organisation Pouvoir) de l'Université Toulouse-Le Mirail. Elle a travaillé sur la différentiation sexuée des parcours professionnel et personnel des enseignant-e-s du secondaire en France et en Angleterre et a cherché à mettre au jour les préjugés qui entourent ce groupe professionnel. Ses travaux introduisent une réflexion sur le genre dans les analyses de l'éducation comme champ d'intervention de l'Etat et activité professionnelle.

La forte proportion de femmes parmi les enseignants, en France comme en Angleterre (respectivement 66% et 70%), incite à se représenter cette profession comme "féminisée". La vision de l'éducation comme "une affaire de femme" repose, en France tout particulièrement, sur la compatibilité supposée de la profession d'enseignant avec les contraintes familiales des femmes (notamment grâce à la flexibilité des emplois du temps). En Angleterre, elle se fonde surtout sur la conception de l'enseignement comme un métier de care dont la mission va au-delà de l'enseignement, incluant une dimension socio-éducative : l'intervention pédagogique concerne "l'enfant sous toutes ses facettes"(well-rounded child) plutôt que l'élève [1]. Cette représentation d'un métier de care conforte le préjugé selon lequel les femmes seraient prédisposées pour être enseignantes [2]. Par ailleurs, l'éducation est aussi vue comme un univers professionnel égalitaire, plus spécialement en France où l'accès par concours national favorise l'égalité des chances et le statut de fonctionnaire permet une égalité de traitement, ce qui est censé protéger les femmes contre l'arbitraire. La référence à l'universalisme mixte et l'importance accordée au mérite sont historiquement très présentes en France. C'est pourquoi le genre n'est pas vraiment perçu comme un problème dans la profession par les enseignants et les politiques.

Mais parler de l'éducation comme une "affaire de femmes" masque la question des inégalités professionnelles entre femmes et hommes qui sont pourtant réelles. La présence des femmes est en effet très inégale dans les différents segments ou métiers de l'éducation, en Angleterre comme en France. Les femmes sont fortement majoritaires dans le secteur de la petite enfance, mais leur part diminue avec l'augmentation de l'âge des élèves. Elles sont sous-représentées dans le supérieur, les positions les plus prestigieuses et les mieux payées de la hiérarchie interne, les postes d'encadrement et de direction d'établissement. Ainsi, en France, elles sont plus souvent certifiées qu'agrégées et adjointes que chefs d'établissement [3]. Il n'empêche que les politiques éducatives se préoccupent peu des inégalités de genre en matière de carrières et d'accès à certains postes dans l'enseignement.

En outre, la féminisation de l'éducation n'a pas toujours été souhaitée. Selon les époques, les pouvoirs publics ont cherché à inclure ou à exclure les femmes du métier d'enseignant. Ainsi, en Angleterre, dans les années 1930, une loi obligeait les femmes à quitter l'enseignement quand elles se mariaient. Depuis quelques années, la revalorisation et la reprofessionnalisation du métier d'enseignant est pensée en lien avec la question du genre en Angleterre. Un certain nombre de réformes mises en œuvre sous T. Blair visaient à masculiniser la profession afin de répondre au problème de "sous-réussite scolaire des garçons" (boys under achievement debate). Les difficultés spécifiques des garçons sont interprétées en Angleterre comme le résultat d'une présence insuffisante d'hommes parmi les éducateurs. Des pratiques de discrimination positive en faveur des hommes ont été introduites. Le programme "Troops to teachers" lancé en 2013 permet à des militaires de devenir enseignants et de faire entrer la culture militaire à l'école. C'est un modèle d'homme "viril" (autoritaire, sportif...) qu'on cherche à intégrer dans l'éducation, pour réintroduire notamment plus de discipline à l'école. Le problème de la sous-représentation des femmes dans les postes les plus prestigieux et rémunérateurs est alors relégué au second plan.

En somme, l'idée que l'enseignement est un métier "féminisé" doit être relativisée. En réalité, la profession enseignante est, comme d'autres secteurs d'activité, traversée par des différenciations et des inégalités genrées qui sont très peu prises en compte dans les représentations, les discours et les politiques éducatives.


Notes

[1] Récemment les politiques éducatives britanniques ont cherché à recentrer le cœur du métier d'enseignant sur les performances et l'amélioration des résultats scolaires des élèves.

[2] Cette représentation est également répandue en France pour les enseignants de maternelle. Voir la communication de Sophie Devineau lors du symposium " Professeure d'école maternelle : métier à part ou profession à part entière ?"

[3] Voir par exemple les données du tableau de l'Insee "Enseignants du public et du privé par corps en 2015" (TEF 2016) et du Bilan social 2013 des personnels de direction du MEN (46% de femmes parmi les personnels de direction et 40% parmi les chefs d'établissement en 2013).


Références bibliographiques

Marie-Pierre Moreau, Les enseignants et le genre. Les inégalités hommes-femmes dans l'enseignement du second degré en France et en Angleterre, Presses Universitaires de France, Coll. Education et Société, 2011. Voir le compte rendu de Géraldine Farges, in Education et sociétés, n°30, 2012/2.

Marie-Pierre Moreau (ed.), Inequalities in the Teaching Profession : A global perspective, Palgrave Macmillan, 2014.

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