La filiation recomposée : origines biologiques, parenté et parentalité
La filiation recomposée : origines biologiques, parenté et parentalité
Un numéro de la revue "Recherches familiales" (n° 4, 2007, 233 p., 21€)
Ce numéro de la revue annuelle Recherche familiales, financée par l'UNAF, est consacré à la filiation recomposée. C'est le quatrième numéro de la revue, ce qui peut expliquer que les articles soient assez divers et croisent des regards différents sur la famille d'aujourd'hui. On pourra lire des contributions de sociologues, mais aussi de juristes ou de psychologues. Cette diversité donne aux articles une complémentarité intéressante, mais parfois au risque de nous emmener dans des considérations techniques, notamment du coté du droit, ce qui peut rendre la lecture un peu ardue pour des non-spécialistes.
Les thèmes abordés étant largement liés à l'actualité, on trouvera dans ce numéro des analyses portant sur les familles recomposées, sur les familles monoparentales, ainsi que sur les familles homoparentales. Il s'agit donc de donner une place centrale au concept de parentalité, c'est-à-dire la parenté pratique, celle qui tend à s'imposer dans les nouvelles formes familiales et les relations de filiation. C'est ainsi que Gérard Neyrand, dans un article intitulé « La parentalité comme dispositif. Mise en perspective des rapports familiaux et de la filiation », propose de revenir sur ce concept de parentalité en le clarifiant et en établissant sa généalogie Parallèlement, ce concept requestionne le fondement du lien de filiation et en montre le paradoxe. Alors que le lien biologique a une valeur primordiale, les nouveaux comportements donnent une place grandissante à la parenté pratique. Dans ce contexte les avancées scientifiques comme la procréation médicalement assistée (PMA), ou juridiques comme l'adoption plénière, ont contribué à ce requestionnement des sociologues de la famille.
Il s'agit également dans ce numéro de revenir sur les spécificités de la filiation occidentale en montrant son caractère social tout autant que biologique et juridique, et en proposant des pistes de réforme du droit pour accompagner les transformations familiales contemporaines tout en ménageant la construction identitaire de chacun des membres de la famille, en premier lieu des enfants. Sylvie Cadolle, dans son article « Allons-nous vers une pluriparentalité ? L'exemple des configurations familiales recomposées », montre ce paradoxe et la multiplication des cadres sociaux et juridique de la filiation : « nos représentations et notre droit valorisent tantôt les liens de sang, tantôt la volonté et le choix, ou les liens du cœur ». Pour cette auteure, la pluriparentalité est seule capable de redonner de la cohérence à cette pluralité de liens. En effet, au niveau juridique on assiste au développement de la conception cognatique ou « naturelle » de la filiation. Ainsi depuis les années 1970 les nouvelles lois affirment toutes ce primat du biologique. En 1972 est mise en place la loi sur la filiation naturelle. En 1993 et 1994 respectivement la loi reconnaissant le droit pour l'enfant de connaître ses géniteurs (exception faite en France des enfants nés sous X), puis la reconnaissance identique des procréations médicalement assistées et des naissances sans intervention médicale. De plus l'exception française de l'accouchement sous X est critiquée par un nombre grandissant de chercheurs sur la famille et d'associations. Néanmoins depuis 2002, date de création du CNAOP (Conseil national pour l'accès aux origines personnelles), les enfants nés sous X ont la possibilité de prendre connaissance de l'identité de leur mère de naissance.
Mais la distance semble s'accroître entre la position des juges partant des représentations les plus répandues et les relations au sein des familles. D'une part celles-ci tendent à devenir plus élective et moins statutaires, comme l'illustre le cas des beaux-parents qui sont considérés par les membres d'une famille comme parents lorsqu'ils participent quotidiennement à la prise en charge des enfants. La reconnaissance et l'intégration aux nouvelles normes de la famille de l'adoption ou de la PMA participe du même mouvement. C'est ce qui soutient le concept de parentalité. D'autre part avec la dissociation entre procréation et sexualité, et la place centrale accordée à l'authenticité des sentiments la séparation entre enfant légitime et enfant illégitime disparaît. Tout enfant est presque toujours le fruit du désir, de surcroît il est considéré comme une personne en construction avec sa propre subjectivité. L'enfant est au centre de la famille.
Ces changements redéfinissent la conception du rôle parental. C'est ce qui est exprimé dans le concept de parentalité. Il ne suffit plus d'être le géniteur pour être reconnu comme parent en plein. Par contre un parent n'est donc plus forcément le géniteur. Derrière ce dessine aussi une nouvelle norme, celle du « bon parent » qui prend en charge le développement identitaire et l'épanouissement de l'enfant.
Pour Gérard Neyrand, ce concept et la place nouvelle qui lui est faite dans les familles montrent en quoi cette institution n'est pas un phénomène social isolé, mais au contraire traversé par d'autres évolutions macrosociales. On regrettera cependant que ce concept ne soit pas questionné et relativisé dans son apparente unicité sociologique. Comme beaucoup d'analyses récentes en sociologie de la famille, le milieu social tend à être évacué pour laisser place à des théories généralistes qui peuvent parfois sembler abusives, car ne posant pas la question de la scientificité de cette montée en généralité. Ce numéro de la revue Recherches familiales permet cependant, au final, de faire un tour d'horizon des évolutions récentes de la famille au niveau des comportements d'alliance et de filiation de ses membres, et du droit encadrant ces relations.
Par Benoît Ladouceur, professeur de sciences économiques et sociales à Villefranche-sur-Saône.